Vu du Droit
Pandémie et solidarité nationale :
prendre l’argent là où il est
Régis de Castelnau

Vendredi 3 avril 2020
Christophe
Leguevaques d’origine toulousaine est
avocat au barreau de Paris. Depuis
quelques années il a développé une
activité pour se mettre au service des
actions judiciaires collectives. Il a
pour cela ouvert une plate-forme
numérique qu’il conçoit comme une arme
anti-lobby. Nous publions le
texte de la requête dont la haute
juridiction devrait être saisie
aujourd’hui. Ainsi que les coordonnées
du site dédié pour permettre à ceux qui
le souhaitent de se joindre à la
procédure.
www.noublionsrien.fr
À l’évidence, il
s’agit là d’une initiative remarquable
qu’il convient de soutenir.
Il ne sert à
rien de prétendre comme le fait Emmanuel
Macron « que nous sommes en guerre » si
l’effort pour la mener n’est pas
équitablement réparti.
Nous avons
interrogé Christophe Leguevaques sur les
modalités et les objectifs poursuivis
concernant cette procédure.
Interview

Régis de
CASTELNAU : vous lancez une action
collective pour interdire la
distribution des dividendes par les
sociétés du CAC 40, pouvez nous nous
expliquez votre démarche ?
Christophe
LEGUEVAQUES, avocat au barreau de Paris
: Avec mon confrère Arnaud DURAND et un
spécialiste des legaltech Ehsan
SARAILHY, nous avons lancé depuis 3 ans
un site d’avocats spécialisée dans les
actions collectives conjointes,
MySMARTcab.
Nous avons lancé
des actions dans les dossiers Levothyrox,
Linky, Uber Eats et Chlordécone. Notre
objectif est de faire de cette
plateforme une arme anti-lobby.
En effet, que ce soit à Bruxelles à
Bercy ou Matignon, les lois sont
préparées pour protéger avant tout les
intérêts économiques. Seuls moyens pour
les consommateurs ou les citoyens de se
faire entendre et respecter, agir
ensemble en reprenant le vieux principe
« l’union fait la force ». La plateforme
permet de réunir des milliers de
personnes qui affrontent un problème
juridique commun et elle permet à une
seule procédure de résoudre les
questions posées par ces milliers de
demandeurs.
En raison de ce
savoir-faire, nous avons décidé de
mettre notre expérience au service de la
communauté en proposant une
plateforme dédiée aux actions en justice
liée à l’épidémie de CORONAVIRUS /
COVID19. Nous imaginons que ce site,
www.noublionsrien.fr, permettra
de fédérer les énergies et deviendra un
outil pour permettre aux citoyens de
reprendre le pouvoir et de peser la
marche du monde car, nous l’espérons, le
monde va devoir changer de base.
Nous avons donc
imaginé une première action en justice
en partant d’un double constat. En 2019,
les actionnaires des sociétés du CAC40
se sont partagé 51 milliards de
dividendes. Et cette année, comme si
rien ne s’était passé, ils s’apprêtent à
récidiver. Et « en même temps », au
prétexte de la crise née du confinement,
on demande des efforts très importants
aux salariés. Tout au plus, le ministre
de l’économie recommande-t-il poliment
de ne pas trop distribuer de dividendes.
Nous ne comprenons
pas ce mécanisme de deux poids deux
mesures (ou alors c’est aveu
inconscient). Si nous sommes en guerre,
tout le monde doit faire un effort, y
compris les actionnaires et les
rentiers.
En cherchant des
arguments en droit, j’ai retrouvé la
théorie des circonstances
exceptionnelles élaborées par le Conseil
d’Etat au cours de la première guerre
mondiale. En application de ces
principes, le gouvernement peut
réquisitionner tout actif indispensable
à l’effort de guerre.
Dans la demande que
nous formulons nous sommes allés
jusqu’au bout de la logique en invoquant
la solidarité nationale !
Il est demandé au
gouvernement d’interdire par la loi,
de manière égalitaire et impérative, à
toutes les sociétés du CAC 40 et aux
sociétés qui réalisent plus de 150
millions d‘euros de CA de distribuer des
dividendes cette année.
Dans le même, il
est demandé la création d’une
contribution exceptionnelle de
solidarité à hauteur de 75 % des
dividendes (soit environ 38
milliards d’euros) qui permettront de
financer le fonds de solidarité des
TPE/PME, l’hôpital public et un plan de
relance écologique qu’il faudra imaginer
pour l’après confinement.
Cette action
collective est ouverte aux citoyens, aux
syndicats, aux ONG mais également aux
entreprises (TPE/PME), commerçants,
artisans et professions libérales qui
entendent protéger leur avenir.
Régis de
CASTELNAU : mais pourquoi ne pas avoir
attaqué sur la question de la
responsabilité pénale des ministres ou
de l’Etat ?
Christophe
LEGUEVAQUES : D’abord parce que nous
pensons que ce n’est pas encore le
moment de régler les comptes. Dans cette
période difficile, nous devons tous,
chacun à notre niveau, participer à
l’effort collectif. Nous devons éviter
les risques d’hystérie collective, de
complotisme ou de défaitisme.
Si nous sommes en
guerre, il faut se montrer courageux et
inventif. La piste de la
responsabilité des ministres doit être
étudiée mais en prenant le temps, en
rassemblant les preuves et en ne
laissant rien passer. On cherche la
justice, pas la vengeance.
A travers cette
affaire, c’est plus 30 ans de politique
de comptables étriqués, sans vision et
sans projet que nous devons décortiquer
et critiquer.
Quand nous
partirons dans cette recherche de
responsabilité, nous le ferons avec
pédagogie. D’abord, il faut signaler que
la responsabilité pénale de l’Etat ça
n’existe pas en droit français. Ensuite,
une procédure pénale de cette ampleur va
prendre des années (17 ans de procédure
pour l’amiante alors qu’un rapport du
sénat signale que 35.000 personnes sont
mortes, en France, d’une maladie de l’amiante,
entre 1965 et 1995, mais entre 50.000 et
100.000 décès sont encore attendus d’ici
2025). Enfin, pour mener une telle
procédure, ce n’est pas être le combat
d’un seul avocat, fut il le meilleur. Il
va falloir créer un consortium de
juristes pour aller au fond des choses
et faire sortir la vérité. Attention, ça
fait mal aux yeux.
Régis de
Castelnau : mais votre démarche est
quand même manifestement politique ?
Christophe
LEGUEVAQUES : Si par politique, vous
entendez que je m’intéresse à la vie de
la cité, alors oui.
Depuis trente ans,
les journaux mainstream et les
principaux partis politiques récitent et
appliquent la vulgate néolibérale, sans
comprendre qu’elle nous mène tout droit
à la destruction de l’humanité. Il va
falloir faire preuve d’imagination.
Inventer un monde différent.
Je garde en tête
deux idées : la première est qu’il faut
aujourd’hui approfondir la théorie de la
séparation des pouvoirs découvertes par
Montesquieu au XVIIIe siècle. Pour lui,
il ne peut y avoir de démocratie qu’en
séparant les pouvoirs politiques
(exécutif, législatif, judiciaire).
C’est vrai. Mais il est passé à compter
d’un pouvoir qui tend à les supplanter
tous, le pouvoir économique. Si on veut
instaurer une démocratie véritable, il
faut assurer la séparation entre les
pouvoirs politiques et le pouvoir
économique.
Deuxième idée, nous
avons vécu un moment historique
incroyable où nous avions et la liberté
et l’abondance, comme l’a démontré le
philosophe Pierre Charbonnier.
Aujourd’hui, nous allons devoir choisir
entre la liberté ou l’abondance.
J’espère que les Français seront à la
hauteur de leur histoire et se battront
pour la liberté.
C’est l’un des
combats politiques, juridiques et
citoyens qui nous attend pour l’après
confinement : empêcher que l’état
d’exception permanent ne s’inscrive dans
le quotidien, empêcher l’émergence d’un
biopouvoir protecteur mais castrateur.
« Vivre libre ou
mourir » retour aux fondamentaux
depuis le club des jacobins en passant
pour les esclaves révoltés de la
Guadeloupe, voilà l’exaltante page
d’histoire qu’il nous reste à écrire.
Requête devant le conseil d’État
Pour ceux qui le
souhaitent, on peut lire le projet de
requête (remarquable) à l’adresse
suivante :
https://noublionsrien.fr/ressources/projet-action-1-cac-40.pdf
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