Vu du Droit
Une Justice politique au service
d’Emmanuel Macron
Régis de Castelnau

Jeudi 2 juillet 2020 Épisode I :
l’affaire Houlette
L’actualité
judiciaire nous offre quand même un
spectacle tout à fait exceptionnel et
illustre de façon caricaturale le
ralliement à Emmanuel Macron de la haute
fonction publique judiciaire. Plus
besoin de pressions, de consignes, voire
d’ordres, parquets et juges du siège
déploient un zèle impressionnant pour
protéger ses amis et poursuivre ses
adversaires. Petit rappel du feuilleton
: d’abord l’on apprend qu’Éliane
Houlette, l’ancienne patronne du Parquet
National Financier déposant devant
l’Assemblée nationale
avoue implicitement que la procédure
contre François Fillon au printemps 2017
était bien destinée à le disqualifier
dans la course à la présidence,
permettant ainsi l’élection d’Emmanuel
Macron.
Épisode II :
Kohler blanchi
Quelques jours plus
tard, c’est la révélation de la
manipulation d’une procédure dirigée
contre Alexis Kohler secrétaire général
de l’Élysée et proche d’entre les
proches du président. Manipulation
organisée à la suite d’une intervention
d’Emmanuel Macron
lui-même qui permet de blanchir Kohler
d’accusations pourtant semble-t-il
fondées. Quasiment le lendemain on
apprend
qu’une dizaine des pénalistes français
les plus connus, souvent défenseurs
de membres de l’opposition poursuivis,
ont été tracés et écoutés pendant six
ans (!), soi-disant pour connaître
l’auteur d’une fuite. Épisode
invraisemblable et indigne d’une
démocratie normale par la violation
grossière du secret professionnel des
avocats, il sera pourtant défendu par le
remplaçant d’Éliane Houlette à la tête
du PNF,
Jean-François Bohnert qui trouve tout
cela formidable. Marchant
vaillamment sur les traces de son
prédécesseur, il nous dit que « le
PNF n’est à aucun moment sorti des clous
(…) à partir du moment où les magistrats
aussi bien que les policiers (…) ont
respecté les termes du code de procédure
pénale, il n’y a rien à dire ». Eh
bien si, on va dire quelque chose en
rappelant qu’en violant aussi
grossièrement le secret professionnel
des avocats, principe protégé par la
Constitution et la Convention européenne
des droits de l’homme, il est très
difficile de considérer que les «
termes du code de procédure pénale »
ont été respectés. Et comme en plus il
n’y aura aucune juridiction supérieure
pour contrôler ce fameux « respect
des termes » : procédure secrète,
sans avocat, sans débat contradictoire,
dans la plus totale opacité et conclue
par un classement sans suite, dossier
enfermé dans une armoire. Jean-François
Bohnert tant qu’on y était, aurait pu
ajouter le traditionnel « circulez, il
n’y a rien à voir ».
Épisode III : Fillon noirci
Et le feuilleton de
se poursuivre avec les lourdes
condamnations infligées par le tribunal
correctionnel de Paris aux époux Fillon
dans l’affaire qui avait débuté en
pleine campagne électorale de la
présidentielle 2017. François Fillon
avait probablement des choses à se
reprocher,
et s’est malheureusement pour lui, mal
défendu depuis le début. Il ne
s’agit pas ici de prendre sa défense,
mais de constater l’importance des
peines pour L’homme qui n’a jamais été
condamné, et auquel il n’est pas
reproché des actes de corruption, de
fraude fiscale, de blanchiment organisé,
de posséder des avoirs à l’étranger ou
des trucages de marchés publics. Et que
le quantum des peines a été fixé au-delà
des réquisitions du parquet, et de façon
beaucoup plus sévère qu’habituellement
dans ce type d’affaire. Clairement, le
sens qu’a aujourd’hui cette décision,
n’est pas l’expression d’une volonté de
moraliser la vie publique, comme on
essaie de le faire croire en
communiquant des attendus qui reprennent
mots pour mots ceux que l’on entend à
chaque fois dans toutes les affaires qui
mettent en cause les hommes politiques
de Carignon à Cahuzac en passant par
Alain Juppé. La seule signification est
la volonté de valider le raid judiciaire
de 2017. En dédouanant à la fois le PNF
de Madame Houlette et le pôle
d’instruction financier de Serge
Tournaire. Alors on entend beaucoup de
cours de morale et quelques redresseurs
de torts ignorants venir nous dire que
la peine est justifiée au regard des
impératifs de la morale publique et de
la lutte contre la corruption. On
répondra que dans une république, il
n’est pas de pire corruption qu’une
justice n’appliquant pas les règles
qu’elle a précisément, mission de faire
respecter, et qui accepte sans
barguigner son instrumentalisation
politique.
Et malheureusement,
ce feuilleton nous propose un épisode
pratiquement tous les jours.
Épisode IV : Mélenchon remet ça
Avec à nouveau le
tour de Jean-Luc Mélenchon. Le Canard
enchaîné dont on se rappelle le rôle
dans le déclenchement de l’offensive
Fillon, bénéficiant une nouvelle fois
d’une fuite opportune, nous apprend
cette semaine l’existence d’une enquête
préliminaire du parquet de Paris visant
Jean-Luc Mélenchon et quelques
dirigeants de son parti. On se rappelle
son attitude face au lynchage médiatico-judiciaire
de François Fillon au printemps 2017, et
ses militants se rendant dans les
meetings de celui-ci pour y agiter des
casseroles. Il se trouve qu’il a lui
aussi goûté à l’arbitraire avec la
fameuse perquisition à l’occasion de
laquelle, douloureusement surpris, il
avait manifesté une sainte et justifiée
colère. Il a compris ce qui se passait,
et n’est désormais, jamais le dernier à
critiquer les dérives de la justice.
Cela a dû en vexer quelques-uns, et bien
qu’il ne soit actuellement guère
dangereux au plan politique, ils ont
décidé de le rappeler aux convenances en
lui faisant apprendre par la presse
l’existence d’une enquête préliminaire.
Quel est donc le
problème ? Mélenchon et quelques autres
devaient des dommages et intérêts pour
préjudice moral aggravé, aux pauvres
malheureux policiers si traumatisés par
la perquisition scandaleuse diligentée
contre LFI, qu’il avait fallu une
cellule d’assistance psychologique et
trois ans au moins d’arrêt de travail
dans d’atroces souffrances. 2600 € dites
donc ! La direction de la France
insoumise, après avoir fait prendre la
décision par ses instances ad hoc, et
considérant que c’était le parti qui
avait été visé par le raid judiciaire a
pris en charge, non pas les amendes mais
les dommages intérêts qui sont des
créances civiles.
Le procureur de
Paris, choisi personnellement pour ce
poste par Macron après une procédure
bizarre a dû penser qu’il y avait là un
gisement pour mettre la pression sur
Mélenchon.
La qualification
avancée par le parquet pour qualifier ce
règlement, qu’un premier examen permet
pourtant
de qualifier de parfaitement licite
est celle « d’abus de confiance ». On va
rappeler quand même qu’un parti
politique n’est pas une entreprise
commerciale avec des actionnaires. Et
qu’il est totalement libre de la
détermination et la mise en œuvre de sa
stratégie politique, et naturellement
des dépenses qu’elle nécessite. Que le
parquet s’ingère et veuille contrôler la
pertinence des choix d’une organisation
politique est simplement
invraisemblable. Les seuls contrôles
possibles sont ceux qui, effectués par
la Commission Nationale des Comptes de
Campagne, portent sur les dépenses de
campagne électorale dont les montants
sont vérifiés. Et non pas leur nature,
mais leur véracité pour être sûr des
chiffres par rapport au plafond des
dépenses. Et on va quand même rappeler
que Nicolas Sarkozy (après dénonciation
par François Fillon..) avait été
poursuivi pour le règlement par l’UMP de
l’amende mise à sa charge pour le
dépassement du plafond de ses comptes de
campagne 2012. Il a bien évidemment fait
l’objet d’un non-lieu.
Les fuites toujours
elles, nous apprennent que l’enquête
porterait également sur un «
détournement de fonds publics » car la
somme aurait été payée avec la dotation
publique dont la France insoumise
bénéficie. Si c’est bien cela, c’est
simplement une absurdité ! Les règles de
la comptabilité publique qualifient de
fonds publics, ceux dont l’État est en
possession, entre les mains du trésor.
Ils doivent être maniés en application
stricte de ces règles. Dès qu’ils en
sortent, pour aboutir dans la poche ou
dans la caisse d’une personne privée,
physique ou morale ils perdent ce statut
et deviennent des fonds privés. Lorsque
l’État, en application de la loi de 1990
donne aux partis qui sont des personnes
morales de droit privé, les dotations
auxquelles ils ont droit, lorsque les
sommes tombent dans la caisse du parti,
elles deviennent des fonds privés. Et
c’est la même chose en ce qui concerne
les remboursements par l’État des frais
de campagne. Ce n’est pas la première
fois que des magistrats essaient de
s’arroger le contrôle politique des
partis par ce biais en prétendant qu’il
s’agit de fonds publics sur la gestion
desquels ils auraient un droit de
regard. C’est une nouvelle et gravissime
atteinte à la liberté politique.
Malheureusement,
beaucoup se réjouissent de voir leurs
adversaires politiques dans les ennuis
et applaudissent ou justifient ces
débordements judiciaires. « Fillon n’a
que ce qu’il mérite, et c’est bien fait
pour Jean-Luc Mélenchon. » Le Canard
enchaîné de cette semaine en est la
triste illustration. Comme d’habitude on
se moque des libertés publiques comme
d’une guigne, ne voyant aucun
inconvénient à ce que la justice viole
sa propre légalité, s’ingère dans les
processus politiques et se laisse
instrumentaliser par l’exécutif. Du
moment que cela permet de prendre la
pose en donnant des cours de morale.
Le respect des
principes et de la liberté politique ?
La séparation des pouvoirs ? Une Justice
impartiale ?
Mais pour quoi
faire grands dieux ?
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