Vu du Droit
Affaire Obono, cela ne regarde pas le juge
Régis de Castelnau

Lundi 1er septembre 2020 « Le racisme
n’est pas une opinion, c’est un délit
! » Depuis quelques jours, l’affaire « Valeurs
actuelles » versus Danièle Obono a
vu refleurir cette invocation.
Les tenants de la
« gô-gauche » se sont précipités sur
l’incident avec gourmandise, en lançant
les appels habituels à la punition
judiciaire, formulés par tous ceux qui
rêvent de voir les juges interdire la
parole aux méchants qui ne pensent pas
comme eux. Daniel Obono elle-même n’a
pas manqué de brandir directement la
menace en se présentant comme victime
d’une « violence sans nom » et en
annonçant qu’elle étudierait « sérieusement
la question de porter plainte« .
Comme le souligne avec une grande
pertinence Anne-Sophie Chazaud dans son
ouvrage à paraître dans quelques jours
(« Liberté d’inexpression », chez
l’Artilleur), ce recours systématique au
judiciaire est devenu un des outils
essentiels de la censure contemporaine.
L’objectif est double : d’abord
instrumentaliser le juge pénal en le
faisant intervenir dans le champ du
débat politique, et ensuite intimider
l’adversaire, personne n’ayant envie de
se retrouver à la barre des accusés.
Avant d’expliquer pourquoi les envies de
punitions judiciaires de Danièle Obono
ne devraient normalement pas pouvoir
être suivies d’effet, revenons quelques
instants sur l’incendie qui a ravagé le
champ politique et les réseaux sociaux
pendant le week-end.
Cette séquence
mérite trois observations. Tout d’abord
relevons le caractère à la fois
détestable et contre-productif du dessin
paru dans « Valeurs actuelles ». Ensuite
notons la violence et l’unanimité de la
réaction des acteurs politiques de tous
bords. Enfin observons l’effet boomerang
que le courant racialiste anti-populaire
est en train de subir.
Sauter dans le
piège, et à pieds joints
L’initiative de
« Valeurs actuelles » tout d’abord.
Comment ne pas être consterné par cette
publication? Certes il est incontestable
que Danièle Obono incarne à la
perfection un courant politique qui a
fait de l’esclavage un levier de
chantage pour justifier des positions
que nous qualifierons par commodité « d’indigénistes
et décoloniales« . Certes ce passé
abominable, où l’Occident a une
responsabilité particulière, est
instrumentalisé pour justifier une
vision raciale et bien souvent raciste
de la question sociale. Pour autant,
même si le texte n’est en lui-même pas
bien méchant, il est détestable de
représenter Danièle Obono, député de la
République française, en esclave
africaine. Imagine-t-on un journal qui
représenterait Meyer Habib (tout aussi
parlementaire et utilisateur régulier de
l’histoire de la Shoah pour justifier
son soutien militant à l’État d’Israël)
en costume rayé de déporté entre les
barbelés d’Auschwitz ? Pour moi, les
deux ne sont pas moralement admissibles.
Les responsables du magazine n’ont-ils
pas vu le piège dans lequel ils
tombaient à pieds joints ? Alors même
que leur couverture cette semaine
portait sur le thème de l’insécurité,
question politique qui vient d’exploser
à la face du camp du bien ? Comment
ont-ils pu favoriser à ce point une pure
opération de diversion ? N’était-ce pas
prévisible ? L’information politique
majeure du week-end est ainsi passée
sous la table : la publication d’une
étude d’opinion qui fait état d’une
progression de 26 points dans l’opinion
publique de la lutte contre l’insécurité
comme premier impératif politique.
Traiter prioritairement et grossièrement
à ce moment-là, la question complètement
secondaire de la participation des
royaumes africains à la traite, témoigne
du fait que le surmoi est capable de
prendre le dessus sur la lucidité
politique de base.
C’est le problème
de « Valeurs actuelles », qu’ils s’en
débrouillent. En revanche le nôtre est
d’en examiner les répercussions
politiques. Évidemment, le camp du bien
qui rassemble un arc allant d’Olivier
Besancenot à Damien Abad en passant par
Emmanuel Macron s’est précipité pour
exhiber ce que Christophe Guilluy
qualifie savoureusement de « signe
extérieur de richesse» : son
antiracisme.
« L’antiracisme
» signe extérieur de richesse ?
Chacun a essayé de
tirer son épingle du jeu. Jean-Luc
Mélenchon procédant par amalgame en
insultant dans un même lot Marianne et
Charlie Hebdo (et consacrant ce faisant
Danièle Obono comme incarnation de la
ligne politique officielle de son
parti). Richard Ferrand jouant les sages
en altitude. Jean Castex essayant
d’exister. Et Emmanuel Macron passant
(assis sur un jet-ski ?) un coup de
téléphone consolateur et médiatisé à la
députée. Tout le monde y est allé de sa
tirade et de son soutien personnel
appuyé. Danièle Obono, qui n’en
demandait pas tant et ravie du
piédestal, en fit des tonnes. Le
problème, et c’est la troisième
observation, c’est que la personnalité
politique de la « victime », couplée à
l’unanimité d’un champ politique détesté
par les Français, a produit après 24
heures de sidération devant un tel tir
de barrage, un effet boomerang assez
dévastateur.
D’abord, le texte
du « roman » de Valeurs actuelles est
très rapidement devenu viral sur le Web,
et chacun a pu comprendre qu’aussi
détestable soit la représentation d’une
députée avec des chaînes autour du cou,
le contenu n’était pas raciste. Cette
constatation a dès lors libéré un flot
de contenus hostiles à l’intéressée, de
nombreux internautes rappelant sur les
réseaux sociaux les multiples
déclarations qui ont été les siennes par
le passé, où son aversion pour le pays
(qu’elle est censée représenter) le
dispute à une vision racialiste des
luttes sociales et à une volonté de
diviser le peuple français en
communautés distinctes. Toute à son
courroux, compréhensible, Danièle Obono
n’a pas hésité à utiliser la
grandiloquence en clamant qu’elle « avait
mal à sa France« , s’attirant des
milliers de réponses lui rappelant son
refus de crier « vive la France » et
l’interrogeant sur la compatibilité de
cette douleur avec le fait qu’elle ait
soutenu mordicus la proclamation d’une
volonté de la « niquer« .
L’opération est en
train de se retourner et on peut penser
que, d’ici quelques jours, le bilan en
sera très négatif non seulement pour
Danièle Obono, mais aussi pour La France
Insoumise et Jean-Luc Mélenchon,
qui, désormais un peu coincés, ne
peuvent plus contester leur virage
indigéniste. La disparition des radars
d’Assa Traoré (pour cause de dévoilement
irréfutable de l’imposture de sa cause)
allait déjà dans ce sens. Les Français
sont, semble-t-il, très rétifs à
l’importation en France depuis les USA
des problématiques américaines, et à la
vision communautarisme et racialiste
voire, pour certains, raciste de ce que
doit être la République. Ce n’est pas
une mauvaise nouvelle.
Le prétoire
n’est pas le lieu du débat politique
Alors, face à ce
qui risque de rapidement se transformer
en défaite politique, les indigénistes
vont-ils tenter leur va-tout dans les
prétoires ? Il faut d’abord tordre le
cou au mantra: « Le racisme n’est pas
une opinion, c’est un délit! » Et on
peut le faire de façon très simple en
disant : si, le racisme peut être une
opinion. Croire en Dieu, que la terre
est plate, qu’Emmanuel Macron est un bon
président, ou qu’au contraire de ce que
raconte la science, il existe des races
humaines et que certaines sont
supérieures aux autres sont des opinions
protégées par les articles 10 et 11 de
la Déclaration des droits de l’Homme :
« Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions mêmes religieuses pourvu que
leur manifestation ne trouble pas
l’ordre public établi par la loi. »
Et : « La libre communication des
pensées et des opinions est un des
droits les plus précieux de l’homme:
tout citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de
l’abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la loi. » C’est donc
l’expression de certaines opinions qui
est encadrée par la loi, encadrement
justifié par un intérêt général
supérieur. Concernant le racisme, c’est
son expression publique dans certaines
conditions qui peut relever de
l’intervention et de de la sanction
postérieure du juge. Les propos
sanctionnables sont précisés dans des
textes spécifiques comme la loi du 29
juillet 1881 qui définit un certain
nombre d’infractions diffamation,
injure, provocation aux crimes et délits
qui peuvent être à connotation raciste.
Et rappelons aussi que dans le Code
pénal le racisme est une circonstance
aggravante. C’est donc bien l’expression
du racisme à travers un acte qui peut
être jugée comme une infraction. Il
existe depuis la première loi instaurant
ces principes en 1972 une jurisprudence
extrêmement étendue qui a permis de
définir le périmètre de l’expression
fautive du racisme. À la lumière de ce
droit, la lecture du texte de « Valeurs
actuelles » ne présente aucune des
caractéristiques qui permettraient de le
qualifier de raciste au sens des textes
répressifs applicables dans notre pays,
pourtant connu pour être
particulièrement sévère (la France
n’aimant pas beaucoup la liberté
d’expression, qu’elle a enserrée dans
pas moins de 400 textes…).
Quand Éric
Dupond Moretti se fait moucher par son
parquet
Éric
Dupond-Moretti, Garde des Sceaux,
c’est-à-dire chef de l’autorité de
poursuite a parfaitement analysé cette
situation et a produit un tweet qu’il
faut reconnaître impeccable et surtout
très habile: « On est libre d’écrire
un roman nauséabond, dans les limites
fixées par la loi. On est libre aussi de
le détester. Moi je le déteste et suis à
vos côtés. »
Eh oui, Monsieur le
garde des Sceaux, les limites fixées par
la loi n’ont pas été franchies. Et on
peut souhaiter que le débat sur les
positions de Daniel Obono et sur le
courant politique qu’elle représente se
déroule dans le champ politique et
seulement dans celui-là. Cela ne semble
pas être l’avis du parquet de Paris qui
vient d’annoncer qu’il avait ouvert
prestement une enquête préliminaire pour
« injures racistes ». Geste qui en dit
long sur son zèle politique et sur
l’autorité dont dispose Éric
Dupond-Moretti, qui a autant de pouvoir
à la Justice qu’en avait Nicolas Hulot à
l’écologie…
Cela étant, il
faudra quand même un jour que cesse
cette instrumentalisation systématique
de la Justice dans un but d’intimidation
et de censure.
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