Vu du Droit
Macron : mettre fin à la période d’essai
Régis de Castelnau

Dimanche 1er mars 2020
Emmanuel Macron
répondant aux questions sur les dérives
autoritaires de son système avait lancé
: «
Mais allez en dictature !
Une dictature, c’est un régime où une
personne ou un clan décident des lois….
Si la France c’est cela, essayez la
dictature et vous verrez ! »
L’utilisation annoncée par Édouard
Philippe de l’article 49 alinéa 3 de la
Constitution du 4 octobre 1958 donne à
son emportement une saveur particulière.
On passera
rapidement, sur les justifications
données par les aigrefins qui
l’entourent venant contredire au
millimètre tout ce qu’ils avaient pu
dire dans d’autres circonstances sur
cette utilisation alors qu’ils étaient
dans l’opposition. Dans ce spectacle de
contorsions assez écœurantes, la palme
revenant bien sûr
au personnage qui tient lieu
actuellement de premier ministre,
alors dans l’opposition quittant
l’hémicycle à l’annonce faite par Manuel
Valls devant l’Assemblée nationale de
l’utilisation de cette procédure. Macron
et sa bande ne font même plus semblant,
ils tiennent à démontrer en acte ce que
sont duplicités, mensonge et mépris.
On relèvera
également le caractère ahurissant de
l’argument selon lequel il est
nécessaire de gagner du temps, et qu’il
y a urgence. Alors même que ce texte,
massivement rejeté par le peuple
français, considéré par le pourtant très
complaisant conseil d’État comme
l’équivalent d’un torchon, renvoie de
façon illégitime, l’essentiel du contenu
à des ordonnances dont on ne sait rien,
va bouleverser un système de plus de 70
ans. Qui concerne 70 % de la population
française et qui ne trouvera pleine
application qu’à partir de 2037…
On a bien compris
que toutes ces arguties sont autant de
mensonges et de manipulations et que le
problème est tout autre. Emmanuel
Macron, avec cette violence
antidémocratique qui lui est désormais
habituelle, prépare une nouvelle
forfaiture pour parachever la
destruction des institutions inaugurées
avec son arrivée illégale au pouvoir.
Un Parlement
croupion.
Comme nous avons eu
l’occasion de l’exposer à plusieurs
reprises, la catastrophe
institutionnelle provoquée par
l’adoption du quinquennat voulue par
Jacques Chirac combinée avec l’inversion
du calendrier décidée par Lionel Jospin
a complètement transformé le pouvoir
législatif en France. Cette réforme
irresponsable a provoqué la
transformation de ce qui devrait être un
pouvoir séparé en un outil technique
donné au président élu pour faire ce
qu’il veut. Les élections législatives
de juin 2017 ont vu un taux d’abstention
colossal de près de 60 % des inscrits.
L’Assemblée nationale n’a donc plus
aucune représentativité politique,
sociologique, sociale économique digne
de ce nom. Deux exemples qui démontrent
l’inanité du système : les ouvriers et
les salariés d’exécution des services
soit autour de 40 % de la population
active de notre pays ont… zéro
représentant à l’Assemblée. Marine Le
Pen candidate du Front National à la
présidentielle de 2017 a recueilli au
deuxième tour près de 11 millions des
voix. Son parti dispose de… six députés.
Une Assemblée
nationale non représentative dont la
majorité est composée de parlementaires
recrutés sur CV
par Jean-Paul Delevoye tenus d’obéir
au doigt et à l’œil aux gardes chiourmes
nommés par Macron pour les surveiller.
Et les punir si jamais ils renâclent. Et
c’est pour cela que l’Assemblée
nationale a voté sans barguigner toutes
les lois exigées par le président y
compris et surtout les plus
liberticides.
Ce parlement
croupion est indispensable au pouvoir
minoritaire d’Emmanuel Macron. Non
seulement la France ne dispose plus d’un
pouvoir législatif digne de ce nom, mais
l’organe dévalué qui en tient lieu a été
absorbé par le pouvoir exécutif. Le
constat est irréfutable de ce
qu’exécutif et législatif ne sont plus
séparés dans notre pays.
À quoi sert
l’article 49 alinéa 3 de la Constitution
?
L’article 49 de la Constitution du 4
octobre 1958 organise les modalités
du contrôle du gouvernement par
l’Assemblée nationale. C’est ce contrôle
qui permet de considérer que la loi
fondamentale met en place une «
république parlementaire ». Comme
sous la IIIe et la IVe République, le
Parlement dispose de la possibilité de
renverser le gouvernement. Mais en 1958,
il fallut mettre fin aux errements de la
IVe République qui s’apparentait en fait
à « un régime d’assemblée » où
l’exécutif, à la merci des arrangements
de couloirs et des renversements
d’alliances au sein du Parlement, fut
frappé d’une grande instabilité, et
impuissant à régler le drame algérien,
amenant la France au bord de la guerre
civile. Dans le nouveau texte, les
conditions la mise en œuvre de sa
responsabilité ont été organisées de
manière à favoriser la stabilité du
gouvernement. L’objectif était de la
renforcer en plaçant les parlementaires
face à leurs engagements politiques de
campagne. De plus, pour des raisons
historiques, la France est un pays
sur-administré où la faiblesse de
l’exécutif émanant de l’expression de la
souveraineté populaire face à
l’administration produisait des
déséquilibres que Charles de Gaulle
considérait comme néfastes.
Il existe
aujourd’hui plusieurs façons de mettre
en cause la responsabilité du
gouvernement, soit à l’initiative de
l’assemblée, soit du gouvernement,
prévue celle-là à l’alinéa 3 de
l’article 49. Dans ce cas, à l’occasion
de la discussion d’un texte de loi, la
question posée à l’assemblée est simple
: « soit vous me retirez votre
confiance et vous me renversez, soit mon
projet de texte est adopté ». La
procédure est incontestablement brutale,
surtout que l’on sait bien que le
Président de la république dispose du
droit de dissolution de l’Assemblée et
que cette décision suit normalement le
renversement du gouvernement.
C’est-à-dire que les parlementaires qui
en ont pris la responsabilité
reviendront devant les électeurs pour en
répondre. C’est précisément ce qui s’est
produit en 1962 lorsque le gouvernement
Pompidou fut renversé sur la question de
l’élection du président de la république
au suffrage universel. De Gaulle
prononça la dissolution de l’Assemblée
nationale, et les élections ramenèrent
une majorité renforcée qui permit la
reconduite de Georges Pompidou. Ce
dispositif repose donc sur trois
principes : efficacité par la stabilité,
mise des parlementaires face à leurs
responsabilités politiques, et si
nécessaire appel au peuple. On voit bien
par conséquent quel est l’objectif
principal poursuivi par cet alinéa :
obliger les parlementaires d’une
majorité, indécis ou tourmentés à
prendre leurs responsabilités. Soutiens
d’un gouvernement, s’ils décident de
l’abandonner, ils doivent retourner
devant les électeurs pour en répondre.
L’usage de cet
article par Emmanuel Macron (ne soyons
pas hypocrite, Édouard Philippe n’est
qu’un exécutant zélé) n’a rien à voir
avec cela.
Le débat
parlementaire démocratique c’est encore
trop !
L’usage de
l’article 49 alinéa 3 de la ceci
Constitution, l’engagement de la
responsabilité du gouvernement n’est
absolument pas destiné aux
parlementaires du groupe LREM ou Modem
qui auraient des états d’âme, seraient
hésitants, ou prêts à quitter le rafiot.
Ils nous ont prouvé qu’en rangs serrés
ils votent et voteront n’importe quoi,
ce texte là comme les autres, et la
plupart des autres d’ailleurs sans même
les lire. L’un d’entre eux s’adressant à
l’opposition a même, formidable aveu,
proclamé: «
la république c’est nous et vous vous
n’êtes rien ». Il n’y a absolument
aucune chance avec ce parlement croupion
précédemment décrit que le projet de loi
ne soit pas voté. Dans les termes exacts
voulus par Emmanuel Macron et ceux dont
il est l’instrument.
Non, l’usage de
cette procédure est dirigé CONTRE
l’opposition. Contre ces arrogants, ces
impudents, qui osent considérer qu’ils
ont un mandat du peuple pour débattre
des lois qui lui seront appliquées. Et
qui veulent le faire sous l’œil de la
Nation dans la clarté et la
responsabilité. Trois semaines de
débats, un seul article discuté, pour un
projet fondamental et colossal qui
engage tout un pays, pour Macron, ses
commanditaires et ses amis, c’est encore
trop ! Alors qu’il s’agit en plus d’un
texte dont chacun sait qu’en l’état, il
est à la fois insuffisant et obscur et
permettra ensuite toutes les
manipulations, tous les abandons, tous
les cadeaux à ceux qui attendent et ont
probablement passé commande.
Entourant le Palais
Bourbon de ses hommes en armes, Emmanuel
Macron qui y dispose pourtant d’une
majorité servile à sa botte ne supporte
même plus la discussion, et le débat
démocratique au sein d’une instance
parlementaire républicaine qu’il finit
de démanteler.
« Mais allez en
dictature ! Une dictature, c’est un
régime où une personne ou un clan
décident des lois…. Si la France c’est
cela, essayez la dictature et
vous verrez ! »
Eh bien oui
Monsieur Macron, avec vous la France
c’est cela. Et nous avons compris que
depuis 2017 nous sommes « en période
d’essai ». Et qu’il est urgent d’y
mettre fin.
Sans préavis.
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