Chronique de
Palestine
Palestine occupée : Abbas n’a pas
d’autre stratégie
que de jouer la montre
Ramzy Baroud

Manifestation face à la clôture de
séparation, à Beit Hanoun, février 2012
Photo: Anne
Paq/Activestills
Lundi 30 novembre 2020
« Si nous devons vivre encore quatre
ans avec le président Trump, que Dieu
nous aide, que Dieu vous aide et que
Dieu aide le monde entier ».
Ce sont les mots du Premier ministre de
l’Autorité palestinienne, Mohammed
Shtayyeh, lors d’une réunion virtuelle
avec les députés européens le 3
novembre. Si certains peuvent être
d’accord avec l’évaluation de Shtayyeh,
de telles déclarations d’un haut
responsable palestinien n’ont rien pour
rassurer.
Ce n’était pas la
première fois que M. Shtayyeh utilisait
la phrase « Que Dieu nous aide » en
référence au président américain Donald
Trump. Ce ne sont pas non plus les seuls
cas où la direction palestinienne a
utilisé un discours politique aussi peu
minimaliste pour contrer le parti pris
pro-israélien de Trump tout au long de
son premier mandat, permettant à
Tel-Aviv d’ancrer son occupation
militaire en Palestine tout en refusant
aux Palestiniens les maigres aides
financières obtenues dans le cadre
d’accords politiques antérieurs.
En réponse à l’annonce
par l’administration Trump de son
intention de déplacer l’ambassade
américaine de Tel-Aviv à Jérusalem le 6
décembre 2017, suivie d’une
décision américaine d’annuler toute
l’aide américaine à l’AP en août 2018,
le président palestinien, Mahmoud Abbas,
avait également fait appel à Dieu. « Que
Dieu détruise votre maison », s’est
exclamé Abbas dans un discours
devant le Comité central de l’OLP, tout
en faisant référence à Trump.
En janvier 2018, le
Comité central avait été
convoqué pour une réunion sous la
bannière de « Jérusalem, capitale
éternelle de l’État de Palestine ».
L’urgence et le calendrier de cette
réunion semblaient indiquer qu’Abbas
était prêt à mettre en place une
contre-stratégie en réponse aux
violations continues par Israël et les
États-Unis, non seulement du droit
international mais aussi des
accords d’Oslo et de tous les
accords qui en découlent. Demander à
Dieu de brûler la maison de Trump
n’était guère la stratégie dont les
Palestiniens avaient besoin à l’époque.
Près de deux ans se
sont écoulés depuis cet absurde discours
d’Abbas, mais aucune mesure concrète n’a
été prise pour que Jérusalem devienne la
« capitale éternelle de l’État de
Palestine ».
Si l’on passe en
revue la stratégie des dirigeants
palestiniens depuis l’arrivée
de Trump à la Maison Blanche il y a
quatre ans, on se retrouve désorienté
par la nature chaotique et improductive
du discours politique palestinien.
Pourtant, quatre
ans n’ont pas suffi pour que l’AP change
de cap, produise et défende une nouvelle
stratégie politique qui ne soit pas
fondée sur la mendicité et la
supplication auprès de Washington pour
qu’il revienne au « processus de paix »,
depuis longtemps stoppé. Pourquoi ?
Le dilemme actuel
d’Abbas est que son autorité et sa
position même de « président » étaient
elles-mêmes le résultat d’une « vision »
politique soutenue par les États-Unis
dans la région. Même les forces de
sécurité de l’Autorité palestinienne
étaient en grande partie formées et
financées par le gouvernement américain.
Il ne serait pas exagéré de dire que
tout le lexique politique selon lequel
l’AP a fonctionné depuis 1994 – mais
surtout depuis le début du leadership
d’Abbas en 2005 – était basé sur des
diktats américains et porté à bout de
bras par les
dollars américains. Par conséquent,
on peut comprendre la position
impossible dans laquelle Abbas et les
élites politiques palestiniennes se sont
retrouvés lorsque Washington leur a
coupé les vivres, politiquement et
financièrement.
Sans une
alternative à l’implication politique et
à la générosité de Washington – même si
elle est totalement biaisée au profit
d’Israël – l’AP a persisté a rester
suspendue dans le vide. Par des discours
et déclarations enflammés, Abbas voulait
que les Palestiniens, et le reste du
monde, soient persuadés que l’AP allait
au-delà de Washington et de son
processus de paix. En fin de compte,
mais sans surprise, ils ne sont allés
nulle part.
L’état de gel qui a
affecté la politique palestinienne au
cours des quatre dernières années peut
également être attribué à un autre
facteur : l’espoir qu’une présidence
démocrate serait finalement rétablie, et
qu’alors seulement, le jeu du
« processus de paix » pourrait reprendre
son cours normal. Mais la stratégie
« attendons et voyons » n’était pas
censée durer aussi longtemps. L’AP avait
reçu l’assurance de hauts responsables
du Parti démocrate que la présidence de
Trump ne durerait pas longtemps.
En fait, au moment
où Abbas appelait « Dieu à brûler la
maison de Trump », le leader palestinien
recevait l’assurance de l’ancien
secrétaire d’État américain, John Kerry,
que, bientôt, tout reviendrait à la
normale. Un proche collaborateur de
Abbas, Hussein Agha – qui a rencontré
Kerry à Londres en janvier 2018 – a
alors dit à Abbas de « tenir bon et
d’être fort ».
« Dites au
président Abbas », a dit Kerry à Agha,
« qu’il doit garder le moral et jouer la
montre, qu’il ne doit ni se briser ni
céder aux exigences du président
Trump », a rapporté à l’époque le
journal israélien
Maariv, un rapport qui a été
confirmé par des responsables de l’AP.
Toutefois, l’ancien
secrétaire d’État n’avait pas prévu que
l’administration Trump durerait jusqu’à
la fin de son mandat, que le président
américain mettrait en œuvre toutes ses
menaces et que le « pacte du siècle »
tenterait de
chambouler l’ensemble de la carte
géopolitique du Moyen-Orient.
Pourtant, l’AP
s’est accrochée… Non seulement elle n’a
pas réussi à formuler une stratégie
alternative, mais elle n’a même pas
réussi à unifier le rang des groupes
palestiniens ou à suivre une ligne
politique cohérente suivie d’actions
significatives. Elle s’est contentée de
« condamner », « rejeter » et
« critiquer », en répétant de
vieux clichés et en insistant sur
une « solution à deux États » qui n’a
jamais été une option sérieuse ou
réaliste.
L’AP est restée
politiquement paralysée pendant quatre
ans dans l’espoir qu’elle finisse par
revenir à la paralysie précédente du
processus de paix sous une
administration du parti Démocrate. Un
programme aussi confus expose en pleine
lumière l’état tragique de la politique
palestinienne sous la direction de
Mahmoud Abbas.
Compte tenu de
l’influence militaire et économique de
Washington, il est compréhensible que la
politique américaine soit importante sur
la scène mondiale. Cependant, il est
insensé qu’un gouvernement, quel qu’il
soit, mette tout en jeu sur le résultat
des élections américaines. Dans le cas
de l’AP d’Abbas, une telle non-stratégie
sent le désespoir, tout en reflétant
faiblesse et faillite politique.
Pour en mériter le
titre, les « dirigeants » palestiniens
doivent se sevrer de leur dépendance
totale à l’égard de l’aval et des aides
américaines. À en juger par les
nombreuses années de soutien aveugle et
inconditionnel des États-Unis à Israël,
quel que soit le parti qui s’installe à
la Maison Blanche, Washington restera
engagé envers Israël, finançant son
occupation et le défendant à tout
moment.
* Ramzy Baroud
est journaliste, auteur et rédacteur en
chef de
Palestine Chronicle. Son prochain
livre est «The
Last Earth: A Palestine Story» (Pluto
Press). Baroud a un doctorat en études
de la Palestine de l’Université d’Exeter
et est chercheur associé au Centre
Orfalea d’études mondiales et
internationales, Université de
Californie. Visitez son site web:
www.ramzybaroud.net.
11 novembre 2020
–
RamzyBaroud.net – Traduction :
Chronique de Palestine.com –
Lotfallah
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