UJFP
Comment un révolutionnaire libanais est
embastillé depuis 36 ans au « pays des
droits de l’homme »
Pierre Stambul

Pierre
Stambul
Dimanche 6 septembre 2020 Par Pierre Stambul.
Article paru dans Alternative
libertaire.
Un combattant
communiste
Revenons 40 ans en
arrière, pendant la guerre civile du
Liban. Les Palestiniens représentent
alors un espoir révolutionnaire pour
tous les peuples de la région. Les camps
palestiniens du Liban bouillonnent de
cet espoir. Les troupes israéliennes
vont envahir à deux reprises le Liban
pour expulser les Palestiniens,
invasions qui feront des dizaines de
milliers de mort.es et des destructions
terribles. En même temps, les troupes
occidentales (France et États-Unis)
débarquent à Beyrouth (1982) et essaient
d’imposer un régime fantoche dirigé par
les Phalangistes, alliés d’Israël.
Dans la résistance
à ces invasions, les communistes
libanais combattent aux côtés de la
résistance palestinienne. Un groupe, les
FARL (Fractions Armées Révolutionnaires
Libanaises), décide de porter la guerre
à l’extérieur. Il revendiquera
l’exécution à Paris d’un membre du
Mossad et d’un membre de la CIA. Faut-il
rappeler que la déclaration universelle
des droits de l’homme dit explicitement
que résister à une invasion et à une
occupation n’est pas seulement un droit,
c’est un devoir ? Accuser les FARL de
terrorisme rappelle l’Affiche Rouge où
les membres du groupe Manouchian (mon
père en était) étaient décrits comme
l’Armée du Crime.
La libération
qui aurait dû survenir depuis bien
longtemps
Quand on rencontre
Georges Ibrahim Abdallah dans la prison
de Lannemezan, il est toujours à la fois
entier et d’une grande modestie. Il est
intransigeant sur la légitimité de son
engagement : « il ne faut pas dire que
je suis innocent ». Tout espoir des
autorités qu’il « abjure » est absurde.
Arrêté à Lyon en
1984 pour détention de faux papiers, il
justifiera à son procès l’action des
FARL. Celui qui l’a arrêté, le préfet
Yves Bonnet qui dirigeait alors la DST,
n’hésite pas à dire aujourd’hui que
Georges n’est pas coupable de ce pour
quoi il a été condamné et que les
preuves ont été fabriquées. Georges sera
condamné pour « complicité » … à la
prison à vie.
Les auteurs
d’attentats en France liés à l’Iran ou
au Hezbollah à la fin des années 80
seront vite libérés ou échangés. Au
Liban, après 1990, tous les chefs de
guerre aux mains ensanglantées seront
blanchis ou amnistiés. Ils se
partageront le pouvoir.
Mais quand on s’appelle « Abdallah », on
est forcément un « terroriste
islamiste ». Dans cette France
« sécuritaire » et alignée sur la
politique impérialiste, Georges, qui est
un marxiste-léniniste né dans une
famille chrétienne va payer le prix
fort.
Nos dirigeants
répètent à l’envi les mots « État de
droit », « République », « Droits de
l’Homme », termes qu’ils ne cessent pas
de vider de leur sens. Ce que notre
système policier et juridique va
infliger à Georges est ahurissant :
– Une condamnation à perpétuité pour
complicité de terrorisme quand les
victimes sont des membres de services
secrets de pays étrangers régulièrement
coupables de terrorisme d’État.
– Celui qui l’a arrêté explique que les
preuves ont été fabriquées. Et son
premier avocat reconnaît avoir été
recruté par les services secrets
français. Il n’y aura pourtant pas de
nouveau procès.
– Depuis 1999, Georges est « libérable »
puisque la perpétuité réelle n’existe
pas en France. Mais cette libération
n’aura jamais lieu.
– La justice va pourtant prononcer cette
libération à plusieurs reprises. En
2012, tout le Liban progressiste se
précipite à l’aéroport pour l’accueillir
puisque la libération est assortie d’une
expulsion. Mais rien ne se passera. Les
gouvernements israéliens et états-uniens
(par la voix d’Hillary Clinton) exigent
de la France son maintien en détention.
Et parmi les dirigeants français, c’est
l’ineffable Manuel Valls, alors ministre
de l’Intérieur, qui refusera de signer
la libération et l’expulsion.
– Depuis lors, Georges refuse
l’humiliation de demander une nouvelle
fois sa libération. Dans le Liban
déchiré et en faillite, Georges n’est
plus un sujet de conflit. Le Président
Aoun a officiellement demandé sa
libération et son expulsion.
L’ambassadeur libanais a visité Georges
à Lannemezan. Mais rien n’y fait. Comme
Georges l’explique lui-même : « le Liban
est un petit pays, les décisions se
prennent ailleurs ». Et la France qui
essaie de criminaliser l’antisionisme et
le BDS (Boycott, Désinvestissement,
Sanctions) contre l’État d’Israël se
comporte en allié précieux de Nétanyahou
en traitant Georges comme sont traités
les principaux dirigeants palestiniens.
Le militant et
son humanité
On ne sort pas
« indemne » d’une rencontre avec
Georges. Alors que c’est lui qui combat,
jour après jour, la destruction lente
qu’inflige la prison éternelle, il reste
le militant révolutionnaire de sa
jeunesse. Il y a deux dangers en prison,
martèle-t-il : ne pas garder son
intégrité mentale et se croire le centre
du monde. Il a su éviter ces deux
écueils.
Dans la prison de
Lannemezan, il a noué d’excellents
rapports avec ses codétenus, notamment
les militants de l’ETA condamnés eux
aussi à de très longues peines. Il est
respecté par ses gardiens. Il s’informe
en permanence par les journaux, la radio
ou la télévision. Il se lève parfois en
pleine nuit pour écouter la radio
soudanaise peu brouillée à cette
heure-là. Il parle peu de lui, mais le
dialogue avec les visiteurs lui permet
d’affiner ses idées sur l’état du monde
arabe, les limites du « printemps
arabe », la Palestine, la révolution
soudanaise, la lutte des classes, les
gilets jaunes, la révolution. Malgré
tout ce qu’il subit, il reste très
optimiste.
Quand les
prisonniers palestiniens déclenchent une
grève de la faim contre leurs conditions
de détention, Georges en déclenche une
par solidarité. Quand une manifestation
ou un meeting pour sa libération se
déroulent, Georges fait lire un message.
Pas pour se lamenter, mais pour analyser
la situation et donner des pistes. Quand
le RAID débarque violemment chez moi le
9 juin 2015 suite au piratage de ma
ligne téléphonique par un sioniste
d’extrême droite, un des premiers
messages de solidarité que je reçois
vient de Georges. Il explique que les
sionistes et l’État français ne se sont
pas trompés de cible, puisque je
soutiens la cause palestinienne.
Sur la Palestine
qui est au cœur de son engagement
(rappelons qu’il a rejoint très tôt le
FPLP, Front Populaire de Libération de
la Palestine), Georges a des conceptions
très internationalistes. Il peut se
montrer très critique, vis à vis de la
bourgeoisie palestinienne et d’Arafat,
même s’il ne fait pas de doute que les
Israéliens l’ont tué. Georges dénonce
les capitulations, le départ de l’OLP du
Liban, les accords d’Oslo. Il partage
l’idée qu’après la défaite du sionisme,
les habitants de la région devront vivre
ensemble avec les mêmes droits. Il est
très admiratif de ce que fait l’UJFP
(Union Juive Française pour la Paix) qui
brise les clichés communautaires et
apporte une solidarité concrète aux
paysans de Gaza.
Une solidarité
qui doit se renforcer
Tous les ans, le 24
octobre, environ 500 personnes
manifestent à Lannemezan pour sa
libération. C’est significatif mais
c’est trop peu. Qu’on soit
révolutionnaire, pour les droits du
peuple palestinien ou tout simplement
pour les droits humains fondamentaux, on
doit y être et il faudra être beaucoup
plus nombreux en octobre prochain. Pour
l’instant, l’extrême gauche est de loin
la principale composante du mouvement
pour sa libération.
Georges reçoit un
nombre croissant de visiteurs. Il y a à
présent (outre l’ambassadeur libanais)
quelques élus (PC, France Insoumise). Au
Liban, des manifestations se tiennent
devant l’ambassade de France.
Deux films et un livre vont sortir très
prochainement.
Fedayin, réalisé par des membres du
comité « Palestine Vaincra » de Toulouse
retrace à la fois le parcours de Georges
depuis son village du Nord Liban jusqu’à
son arrestation. Plusieurs interviews
permettent de comprendre comment cet
incroyable scandale se perpétue.
Pierre Carles a écrit dans le Monde
Diplomatique d’août un article
« Terroriste un jour, terroriste
toujours ? » et il achève un film nommé
Who wants Georges Ibrahim Abdallah in
jail ?.
Saïd Bouamama va publier très
prochainement un livre intitulé
L’affaire Georges Ibrahim Abdallah.
Alors, il est temps
de se bouger pour qu’il sorte enfin.
Pierre Stambul
Les dernières mises à jour

|