Opinion
Washington joue à la roulette russe
Pepe Escobar
Lundi 24 novembre 2014
Personnellement, je trouve que les
textes de Pepe Escobar sont très
difficiles à traduire. Dommage, sinon je
le traduirais plus souvent car combien
de fois ai-je dû renoncer devant la
complexité de la tâche.
J’ai
à peu près réussi à traduire celui-ci
qui, en outre, me paraît important pour
comprendre ce qui se passe en Ukraine et
vis-à-vis de la Russie.
Pepe
Escobar considère que les visées
américaines sur l’Ukraine poursuivent
deux objectifs : le premier est de faire
pièce au projet eurasiatique porté par
la Russie et la Chine, un projet d’une
portée économique et politique
considérable dans lequel les pays
européens auraient vocation à prendre
une place éminente. Mais pas les Etats
Unis !
Le
deuxième objectif est purement et
simplement de parvenir à un changement
de régime à Moscou, seul obstacle à une
domination totale du vieux continent par
les Etats Unis.
Un
article important qui nous amène à
examiner avec un regard plus aiguisé ce
qui se joue à l’est de l’Europe.
par Pepe
Escobar, Asia Times (Hong Kong) 23
novembre 2014 traduit de l’anglais par
Djazaïri
Ce sont
des heures sombres. J’ai eu une
discussion sérieuse avec certaines
sources et certains interlocuteurs très
bien placés – ceux qui savent mais ne
ressentent pas le besoin de se montrer
et privilégient la discrétion. Tous sont
profondément inquiets. Voici ce que l’un
d’entre eux, un chargé de planification
stratégique, m’a envoyé :
L’attaque propagandiste contre Poutine
qui est comparé à Hitler est si
virulente que vous devez comprendre que
les Russes n’arrivent pas à en croire
leurs oreilles et ne peuvent plus faire
confiance aux Etats Unis sous aucun
prétexte.
Vladimir
Poutine
Je
n’arrive pas à comprendre comment nous
avons pu nous retrouver dans une
situation où nous protégeons les
pillards dont Poutine aurait débarrassé
l’Ukraine, et comment nous avons pu
avoir le culot de placer au sommet du
pouvoir un des pires voleurs. Mais c’est
fait. Ce qui est certain, c’est que la
MAD [mutually assured destruction, destruction mutuellement assurée] n’est
plus dissuasive aujourd’hui quand chaque
camp croit que l’autre utilisera l’arme
nucléaire dès lors qu’il aura l’avantage
et que le camp qui obtient un avantage
décisif s’en servira. C’en est fini
désormais de la MAD.
Cela
peut sonner quelque peu extrême – mais
c’est un corollaire parfaitement logique
de la descente vers ce que le président
russe a laissé entendre dans sa déjà
légendaire interview avec la chaîne
allemande ARD à Vladivostok la semaine
dernière : l’Occident pousse la Russie
vers
une nouvelle Guerre Froide.
Mikhail
Gorbatchev a affirmé il y a quelques
jours que la nouvelle Guerre Froide
avait déjà commencé. Stephen Cohen de
l’université de Princeton considère que
la Guerre Froide n’ en fait jamais
cessé. Le Roving Eye [la rubrique de
Pepe Escobar dans Asia Times] parle de
Guerre Froide 2.0 depuis plusieurs mois.
Les Britanniques – qui restent bloqués
sur le nouveau Grand Jeu du 19ème siècle
– préfèrent déblatérer sur la
« personnalité toxique et obstinée » du
« nabot
Poutine » ; il est l’homme
« impitoyable, charmeur et en définitive
imprudent » qui « a remis en vogue la
Guerre Froide, » Comme on pouvait s’y
attendre, le Council of Foreign
Relations déplore la fin du monde
post-Guerre Froide, pourfend le
« désordre » actuel et rêve des beaux
jours de
la domination sans partage.
Pour
avoir un bon éclairage détaillé sur la
façon dont nous en sommes arrivés à
cette situation périlleuse, il est
difficile de trouver mieux que
Vladimir Kozin de l’Institut Russe
d’Etudes Stratégiques. Lisez le avec
attention. Et oui, c’est la Guerre
Froide version 2.0, le remixage du
double problème : entre les Etats Unis
et la Russie et entre l’OTAN et la
Russie.
Vladimir Kozin
Voir rouge
Dans son
entretien accordé à ARD, Poutine s’en
est tenu aux faits sur le terrain :
« L’OTAN et les Etats Unis ont des bases
militaires disséminées partout dans le
monde, y compris dans des zones proches
de nos frontières, et leur nombre
augmente. En outre, tout récemment, il a
été décidé de déployer des forces
d’intervention spéciales, une fois
encore à proximité immédiate de nos
frontières. Vous avez mentionné divers
exercices [militaires russes] ; des
mouvements de la marine, de l’aviation
etc. Est-ce que tout ça va continuer ?
Oui, bien sûr. »
Pour les
hordes qui diabolisent la Russie, il est
toujours commode d’oublier que
l’expansion de l’OTAN vers la Géorgie et
l’Ukraine a été convenue lors d’une
réunion de l’OTAN à Bucarest en avril
2008. L’opération géorgienne avait connu
un échec retentissant à l’été 2008. Le
processus est en cours pour l’Ukraine.
Dans un
passage très important de l’entretien
avec ARD, Poutine a aussi dit à la
coalition des
vassaux/marionnettes/irresponsables que
la Russie pouvait faire tomber le
château de cartes ukrainien en un
éclair ; Moscou a seulement à insister
sur le fait que le temps est venu de
recouvrer les énormes sommes d’argent
qui lui sont légalement dues [par
l’Ukraine].
Poutine
a aussi fait savoir clairement qu »il ne
permettra pas – et c’était catégorique :
nous ne permettrons pas – que le
Donsbass soit envahi/écrasé/nettoyé
ethniquement par Kiev : « Aujourd’hui,
il y a des combats dans l’est de
l’Ukraine. Le pouvoir central ukrainien
a envoyé les forces armées sur place et
elles utilisent même des missiles
balistiques. Est-ce que quelqu’un en
parle ? Pas un seul mot. Et qu’est-ce
que ça signifie ? Qu’est-ce que ça nous
dit ? Cela nous amène au fait que vous
voulez que les autorités centrales
ukrainiennes anéantissent tout le monde
là-bas, tous leurs adversaires et
opposants politiques. C’est ce que vous
voulez ? Nous ne le voulons certainement
pas. Et nous empêcherons que
ça arrive. »
Selon
les propres chiffres de Kiev, pas moins
de 65 % des immeubles d’habitation et
10 % des écoles et des jardins d’enfants
du Donsbass ont été détruits. Plus de 40
000 moyennes entreprises sont
paralysées. Le taux de chômage – sur
l’ensemble de l’Ukraine – est supérieur
à 40 %. La dette extérieure a peut-être
atteint 80 milliards de dollars et
n’imaginez pas que le Fonds Monétaire
International (FMI) qui possède
maintenant l’Ukraine va verser dans la
philanthropie. Et surtout, Kiev ne peut
pas payer les milliards de ses factures
de dollars à Gazprom parce qu’il dépense
une fortune pour terroriser les citoyens
de l’est de l’Ukraine. Cette
diatribe de Poroshenko résume tout –
avec l’entière complicité des Etats Unis
et de l’Union Européenne (UE).
L'Ukraine
en novembre 2014
Donc,
l’OTAN a été avertie des lignes rouges
tracées par la Russie. Pourtant, des
secteurs non négligeables parmi les
élites de Washington/Wall Street ne
peuvent se lasser de la guerre.
Et ils l’aiment chaude. On ne
devrait jamais sous-estimer la stupidité
sans bornes des morts vivants
néoconservateurs qui sont de retour dans
leur tribune préférée, la page
d’éditorial du Wall Street Journal.
La
« logique » derrrière la Guerre Froide
2.0 – qui fonctionne maintenant à plein
– se fiche pas mal de la stabilité en
Europe. L’administration Obama l’a
lancée – avec l’OTAN comme fer de lance
– pour en réalité empêcher l’intégration
eurasiatique en construisant un nouveau
mur de Berlin à Kiev. L’objectif
immédiat est d’affaiblir l’économie
russe ; à long terme, le changement de
régime en Russie serait le bonus ultime.
La
logique de l’escalade est donc en
marche. La dévastation économique de
l’UE n’est rien ; la seule chose qui
compte pour les Etats Unis, c’est l’OTAN
– et l’écrasante majorité de ses membres
sont à la remorque, partageant l’état
d’esprit à Washington qui consiste à
traiter Poutine comme s’il était
Milosevic ; Saddam Hussein ou Kadhafi.
Aucun signe n’indique que l’équipe
d’Obama souhaite une désescalade. Et
quand Hillarator [impératrice Clinton]
montera sur le trône, tous les paris
seront ouverts.
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