Turquie
Erdogan en Russie:
Les dessous d'une réconciliation
Antoine Charpentier
© Sputnik.
Alexei Nikolsky
Lundi 22 août 2016
La rencontre des présidents turc Recep
Tayyeb Erdogan et russe Vladimir Poutine
fait couler beaucoup d’encre depuis
quelques semaines. Les analyses se
multiplient, malgré la rareté des
informations. Plusieurs hypothèses se
juxtaposent pour tenter de cerner ce qui
a pu se passer précisément entre les
deux hommes à Saint Pétersbourg.
Certains
analystes énoncent qu’Erdogan s’est
rapproché de la Russie afin de faire
pression sur les Etats-Unis. Cette
théorie est plausible mais pas durable.
Le président turc n’a pas les moyens de
maintenir longtemps la pression sur ses
amis américains, afin de venger leur
implication dans le coup d’Etat raté en
Turquie. Le camp occidental, avec à sa
tête les Etats-Unis, possède un certain
nombre de cartes qui peuvent être
utilisées lorsque les péripéties d’Erdogan
commencent à déranger.
S’il est vrai
que le président turc souhaite prouver
aux Etats occidentaux qu’ils peuvent
être remplacés par la Russie, il sera
contraint à l’avenir de choisir son
camp. A l’heure actuelle, le président
Erdogan balance entre les Etats-Unis
et la Russie, son repositionnement ne va
pas être sans conséquences sur l’avenir
politique de la Turquie. Cependant, le
rapprochement entre Poutine et Erdogan a
eu lieu sur fond d’intérêts communs et
d’arrangements mutuels à un moment où
les deux hommes ont des relations
mitigées d’une part avec les Etats-Unis
et d’autre part avec l’Europe. Il
convient de préciser que la rencontre ne
porte aucun caractère extraordinaire
puisque le rendez-vous était déjà fixé,
sauf que les événements l’ont précipité.
Sans aucun
doute, la réconciliation entre les
présidents Erdogan et Poutine bénéficie
d’une façon ou d’une autre au président
Bachar Al-Assad, à l’armée et au peuple
syrien. Pourtant, la Syrie n’est pas la
priorité du président turc. Les avancées
positives que la Syrie peut obtenir dans
sa guerre contre le terrorisme sont
uniquement dues aux efforts des syriens,
des institutions, de l’armée et du
peuple, ainsi qu’à l’habilité
politico-diplomatique des dirigeants
syriens à obtenir la cessation de la
guerre sur leur territoire.
Bon nombre de
personnes se réjouissent des rumeurs
médiatiques révélant que le président
turc va fermer sa frontière pour
empêcher le passage des terroristes vers
la Syrie. Il convient de préciser que la
frontière syro-turque est de 900 Km. Les
kurdes contrôlent une partie du côté
syrien. Quant à la Turquie, elle ne
fermera pas sa frontière avec la Syrie
pour empêcher le transit des mercenaires
vers la Syrie avant d’avoir la garantie
que les kurdes ne créeront pas un Etat
indépendant et autonome à sa frontière.
Robert Fisk[1]
nous explique qu’Erdogan a fait abattre
un avion russe, ce qui ne l’a pas
empêché de serrer la main à Poutine, et
pourra faire pareil avec Assad. Si la
prospection de R. Fisk se réalisait,
quelle serait la posture qu’adopterait
Erdogan vis-à-vis de ses alliés
saoudiens, quataris et israéliens ?
Dans les
faits, le président Erdogan ne peut pas
se réconcilier avec Assad tant que la
guerre fait encore rage en Syrie. Une
réconciliation avec Assad serait un
désaveu de la part d’Erdogan pour son
projet ottoman qui avait comme point de
départ la Syrie. Cependant le président
turc n’a pas les moyens de changer seul
ses positions envers la Syrie, tant que
le camp auquel il appartient n’est pas
encore revenu à la raison. Cette donne
politique n’est pas imminente puisque
les dirigeants arabes et occidentaux,
ainsi que leurs presses respectives,
persistent dans le mensonge à propos de
ce qui se passe réellement en Syrie.
Mais le président Bachar Al-Assad et le
peuple syrien accepteront-ils une
éventuelle réconciliation et à quelles
conditions ?
Quant aux
Etats-Unis, ils prennent à contrepied la
visite du président Erdogan en Russie
déclarant à plusieurs reprises que la
rencontre (Erdogan/Poutine) n’impacte
pas les intérêts des Etats-Unis puisque
la Turquie et la Russie soutiennent
Daech en Syrie. Les Etats-Unis
continuent à biaiser afin d’éviter
d’assumer leur échec en Syrie. Les
américains accusent la Turquie de
soutenir Daech, qui n’est pas un scoop.
Mais les déclarations des Etats-Unis
signifient qu’à chaque fois qu’un de
leurs amis se rapprochent de la Russie
ou encore de l’Iran, il va se voir
accuser de soutenir Daech. Il convient
de préciser que la Turquie n’a pas pu
soutenir Daech sans liens avec les
Etats-Unis.
Multiples
sont les intérêts de la Russie
nécessitant de courtiser le président
turc. Le premier est de tenter un
dénouement de la situation en Syrie,
étant donné que le conflit syrien va
commencer à coûter à la Russie bien plus
que les investissements prévus. Les
américains, comme les russes, ne peuvent
pas se passer entièrement de la Turquie.
La Russie a besoin d’Erdogan pour passer
son gazoduc en Europe. Quant aux
américains, ils sont capables de trouver
un compromis avec le président turc
concernant Fehtullah Gülen afin de
ramener la Turquie sous leur coupe. Cela
ne fera pas de la Turquie un carrefour
stratégique entre les Etats-Unis et la
Russie. Les Etats-Unis vont tenter
également d’éviter que la Russie ait de
l’influence au sein de l’OTAN à travers
les dirigeants turcs. Actuellement ce
qui prime au Moyen-Orient sont en
priorité les intérêts…
Enfin, si
russes, turcs, et iraniens se
rencontrent[2],
cela ne signifie en aucun cas la fin de
la guerre en Syrie.
Antoine
Charpentier
Quelques liens :
-
Al-Mayadeen, Les jeux des nations,
avec le journaliste Sami Klib,
08-10-2016
-
Thomas GROVE, « Turkey’s Erdogan
patches up relations with Putin,
www.wsj.com,
09-08-2016
-
Robert FISK, « Erdogan’s
meeting with Putin will tell us what
the future holds for Syria »,
www.independent.com
-
Amine ABOU RACHED, « La pénitence du
Sultan face au Tsar à propos de la
Syrie », www. Al-Manar, 12-08-2016
[1]
Robert FISK, « Erdogan’s meeting
with Putin will tell us what the
future holds for Syria »,
www.independent.com
[2]
Les rencontres et les relations
économiques turques et
iraniennes n’ont pas cessé
malgré le conflit syrien.
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