Opinion
Déchéance de nationalité :
que cache la révision de la
Constitution ?
Nicolas Bourgoin
Lundi 4 janvier 2016
Depuis les attentats de janvier, et plus
encore depuis ceux de novembre, la
fenêtre est grande ouverte à toutes les
régressions liberticides. Le phénomène
n’est pas nouveau : la présidence
Sarkozy s’était faite une spécialité de
promulguer une loi sécuritaire en
réponse à chaque fait divers violent et
médiatisé. Mais il atteint depuis un an
une ampleur inédite à tel point que les
garde-fous constitutionnels constituent
désormais des obstacles à lever. Si les
réformes de la Constitution se
poursuivent dans l’indifférence
générale, elles sont pourtant lourdes de
conséquences. Il s’agit de normaliser et
pérenniser des mesures relevant du droit
d’exception avec un objectif clair :
renforcer le pouvoir exécutif au
détriment du pouvoir judiciaire tout en
fabriquant des inégalités juridiques
entre « Français de souche » et
personnes d’origine étrangère. Derrière
ce qui est présenté comme une simple
mesure technique (faciliter la déchéance
de nationalité des « bi-nationaux ») se
cache en réalité un coup d’État
juridique.
État
d’urgence, état d’exception.
La majorité
des lois antiterroristes promulguées
depuis 1986 l’ont été après un
attentat. Si aucune d’elles n’a empêché
la tragédie de se reproduire, elles ont
en revanche permis au pouvoir de
reprendre la main face à une situation
de désordre. Décréter que le droit
existant ne suffit pas à répondre à une
situation définie comme exceptionnelle
est le fait du Prince
d’après Carl Schmitt : « Est
souverain celui qui décide de la
situation exceptionnelle ». Et à
situation exceptionnelle, droit
d’exception. Les attentats de 2015 ont
ouvert la porte à de telles aventures où
l’enjeu réel est de restaurer un pouvoir
politique mis à mal. Le résultat est
bien là puisque la manipulation
a fait regagner quelques points à un
exécutif totalement discrédité. Mais les
dégâts collatéraux sont considérables :
la réforme de la Constitution qui
pérennise l’état d’urgence a déjà permis
au pouvoir de
museler la contestation sociale en
laminant les garde-fous juridiques et la
réforme à venir de la déchéance de la
nationalité, qui constitue le « volet
législatif » du plan contre le
terrorisme, est de la même veine.
La déchéance
de la nationalité, pas une réforme utile
(Juppé)
Le
droit existant permet de déchoir un
individu ayant acquis la nationalité
française (par droit du sol, mariage ou
naturalisation) s’il est condamné pour
certains crimes ou délits : avoir
porté atteinte aux intérêts fondamentaux
de la nation ou s’être livré au profit
d’un Etat étranger à des actes
incompatibles avec la qualité de
Français et préjudiciables aux intérêts
de la France, notamment. Il est prévu
que seules les personnes françaises
depuis moins de dix ans peuvent être
privées de la nationalité. Le délai est
étendu à quinze ans si elles ont commis
un crime ou un délit constituant « une
atteinte aux intérêts fondamentaux de la
nation ». La loi permet même de déchoir
un Français né Français s’il « se
comporte en fait comme le national d’un
pays étranger » (article
23-7 du Code Civil) afin de
sanctionner les faits d’espionnage ou de
collaboration avec l’ennemi.
La réforme de la Constitution a pour
objectif d’étendre la déchéance de leur
nationalité aux Français binationaux nés
Français, et non plus seulement à ceux
ayant acquis cette nationalité après
leur naissance. Il nécessite la révision
de
l’article 34 de la Constitution qui
définit la loi et délimite son
domaine. Quand la mesure sera votée, il
reviendra ensuite au Parlement de
définir le champ des infractions
concernées. La loi pourra même avoir un
effet rétroactif (concerner des
personnes déjà condamnées) au cas où
elle serait inscrite dans le Code Civil.
De l’aveu même du Premier Ministre,
« l’efficacité de cette réforme n’est
pas l’enjeu premier ». On s’en doute un
peu : la déchéance de sa nationalité
est sans doute le cadet des soucis d’un
terroriste prêt à se faire exploser ! Il
ajoute : « c’est une mesure à caractère
hautement symbolique ». Symbolique de
quoi ? D’une dérive autoritaire destinée
à redonner du crédit à un exécutif mis
en échec sur le front économique et
social. L’enjeu est bien d’asseoir
François Hollande en chef de guerre contre
le terrorisme. et
contre le djihadisme sur le territoire
syrien (entre autres), les deux
étant respectivement le front intérieur
et extérieur
d’une même guerre de civilisation.
La
discrimination ethnico-religieuse au
service de l’Empire.
Comme ce fut le cas des lois
discriminatoires anti-voiles
promulguées sous couvert de défense de
la laïcité, l’enjeu de cette réforme
est de
créer deux catégories de Français :
ceux à qui on peut retirer la
nationalité (les binationaux qu’ils
soient naturalisés ou nés Français) et
les autres dont la nationalité française
est définitivement acquise. Avec en
ligne de mire, les éternels boucs
émissaires du pouvoir socialiste : les
binationaux de confession musulmane.
Stigmatiser encore un peu plus l’Islam
en associant binationalité et
terrorisme, le tout au profit de la
guerre de civilisation, afin de préparer
l’opinion à une guerre militarisée de
longue durée semble bien être l’objectif
premier de la réforme.
Un retour
assumé au pétainisme ?
Comme le disait Marx, « les grands
événements se produisent toujours deux
fois, la première fois comme une
tragédie, la seconde comme une farce. »
Bien sûr, François Hollande n’est pas le
Maréchal Pétain mais force est de
constater que la seule fois où la France
a dénaturalisé des Français, c’était …
par loi du 22 juillet 1940,
sous le régime de Vichy, juste avant
de voter une loi sur le statut des
juifs. Une mesure similaire prévue en
Belgique
a provoqué la charge d’un Ministre
rappelant que la déchéance de la
nationalité était l’arme de régimes
autoritaires. Les mêmes causes
produisent-elles les mêmes effets ?
L’aggravation continue de la crise
économique face à laquelle l’exécutif
semble totalement impuissant n’est sans
doute pas étrangère à la fuite en avant
liberticide de la présidence Hollande
critiquée même à droite par Alain Juppé.
La réponse, dès lors, ne peut qu’être
politique : appeler à l’unité nationale
contre le terrorisme pour resserrer les
rangs et mettre en suspens les
revendications sociales, faire du
musulman une victime de substitution
pour faire diversion face aux problèmes
réels, donner à l’exécutif les moyens de
repérer, traquer et museler les
opposants, tout en préparant l’opinion
aux inévitables sacrifices de la
« guerre contre le terrorisme ».
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