Syrie
Initiative de Poutine :
une réconciliation syro-saoudienne
est-elle possible ?
Nahed Hattar
Jeudi 23 juillet 2015
Oui,
l’optimisme est parfois un devoir moral
à l’égard des siens, surtout lorsqu’il
est nourri de leurs sacrifices et de
leur foi en la victoire sur eux-mêmes et
sur leurs ennemis. [NdT].
Début juin
2015, l'Armée syrienne et ses alliés ont
commencé à se préparer à la
contre-attaque des envahisseurs
terroristes. Opérations en cours et qui
démontrent leur ferme décision de
« nettoyer » progressivement les abords
de Damas à Zabadani et la frontière sud
avec la Jordanie, sans que cela ne se
répercute sur les combats menés dans le
nord du pays.
Le 19 juin,
le président russe Vladimir Poutine
recevait le ministre saoudien de la
Défense et vice-prince héritier,
Mohammed ben Salmane. Peu de détails ont
filtré, sinon que la réunion a porté sur
plusieurs dossiers : le Yémen, la Syrie,
le terrorisme, les armes, les réacteurs
nucléaires et le marché du pétrole. Il
en aurait résulté un accord cadre sur
ces grandes lignes [1].
Le 29 juin,
c’était au tour du ministre syrien des
Affaires étrangères et des Expatriés, M.
Walid al-Mouallem, d’être reçu par M.
Poutine qui a souligné l’engagement de
la Russie envers la Syrie, peuple et
dirigeants, et a appelé Damas à une
alliance régionale contre le terrorisme
[2]. Une initiative russe
impliquant nécessairement une
réconciliation syro-saoudienne, entre
autres, et qui relèverait du « miracle »
selon M. Mouallem [3] :
« J’ai
écouté avec la plus grande attention ce
qu’a dit M. Poutine sur la situation en
Syrie et sur la nécessité d’une alliance
régionale et internationale pour
combattre le terrorisme. Je sais que le
président Poutine est un homme capable
de miracles, comme ce qu’il a accompli
en République Fédérale de Russie. Mais
une alliance avec la Turquie, l’Arabie
saoudite, le Qatar et les États-Unis,
pour combattre le terrorisme, nécessite
un très grand miracle. Comment ces pays
qui ont conspiré contre la Syrie, ont
encouragé le terrorisme, l’ont financé,
l’ont armé, et ont fait couler le sang
du peuple syrien, pourraient-ils se
transformer en alliés pour combattre le
terrorisme ? Nous espérons cela… En tout
cas, nous avons nos expériences passées,
notamment celle des armes chimiques qui
s’est concrétisée grâce à l’initiative
de M. Poutine. Je reviens sur notre
rencontre avec son Excellence qui m’a
franchement promis de soutenir la Syrie
politiquement, économiquement et
militairement… ». [Conférence de presse
conjointe de MM. Lavrov et Mouallem,
traduction à partir de la 13ème
minute ; Ndt].
M. Mouallem
est donc rentré à Damas avec une
proposition saoudienne garantie par la
Russie. Son contenu n’a pas été
divulgué, mais aurait incité le
président Bachar Al-Assad à entreprendre
rapidement des négociations, non pas
avec les opposants instrumentalisés dans
la guerre contre son pays, mais avec
leurs maîtres. Et voilà que le 5 juillet
est arrivé l’inimaginable depuis 2011 :
la rencontre entre une personnalité
syrienne du plus haut niveau et Mohammed
ben Salmane !
Par
conséquent, nous sommes face à de grands
changements et étant donné que
l’initiative russe, en faveur d’une
alliance régionale de lutte contre le
terrorisme, concerne la Syrie, l’Arabie
saoudite, la Turquie et la Jordanie,
sans englober l’Irak, nous pouvons
parler d’une solution à deux voies :
-
Entente entre les États-Unis et
l’Iran en Irak, avec le consentement
de l’Arabie saoudite.
-
Entente entre la Russie et l’Arabie
saoudite en Syrie, avec le
consentement de l’Iran.
Ceci alors
qu’il est évident que nous, nous
souhaitons une entente entre la Syrie et
l’Irak dans le cadre d’une formule
unitaire qui rassemblerait les Pays du
Machrek au sein d’une grande puissance
régionale. Comme il est évident que seul
l'équilibre des forces en présence fera
que ce qui est du domaine du possible
finira par se traduire en termes de
procédures diplomatiques. Comment et
quand ? Questions qui trouveront
probablement leurs réponses d’ici la fin
de 2015.
■ ■ ■
Damas a
suscité la perplexité des plus éminents
analystes politiques. Le gouvernement
syrien est allé dans le défi jusqu’à
l’extrême limite… moins une ! Il a
accepté de dialoguer avec ses ennemis
sans jamais quitter son camp ou
abandonner son rôle. Peu de gens
réalisent la complexité de la stratégie
menée par le président Bachar al-Assad
pour en finir avec la guerre menée
contre son peuple, et l’impact d’une
Syrie unie et indépendante sur ses amis
et ses ennemis.
Ces dernières
quatre années et demi, Damas a fait
tomber les masques de toute la panoplie
des agresseurs allant des prétendus
libéraux jusqu’aux plus fanatiques des
sectaires. Et désormais, il est clair
que depuis le début de ladite « crise
syrienne », il ne s’agit pas d’une
révolution, mais d’une « guerre
mondiale » dans le but de renverser
l'État syrien, dernière citadelle du
mouvement de libération de nos pays, au
bénéfice des régimes arabes
réactionnaires, dans l’intérêt des
États-Unis contre l'Iran et la Russie
travaillant à l’émergence d’un
monde multipolaire, et dans l'intérêt
d'Israël contre la Résistance à son
occupation de la Palestine, du Golan
syrien, et des Fermes de Chebaa au
Liban.
Et parmi les
Syriens, mis à part le nombre limité de
jeunes enthousiastes à l’idée d’un «
Printemps arabe » qui s’est révélé d’une
profonde noirceur, ne se sont enfoncés
dans la fange que ceux qui y étaient
déjà noyés jusqu’au cou, tels les
trafiquants, les criminels et les
corrompus avec, à leur tête, les
« intellectuels félons » ayant vendu
leur âme au diable.
Si bien
qu’aujourd’hui, il est plus qu’évident
qu’il n’y a que deux camps qui
s’affrontent sur la scène syrienne :
celui du Peuple, de son Armée et de ses
alliés, contre celui des organisations
terroristes internationalement
condamnées.
À ce stade,
nous pouvons donc dégager cinq points
essentiels concernant la Syrie :
-
Le premier est que le monde
entier est amené à choisir : soit
l’État syrien et ses règles précises
d'engagement, soit le terrorisme
incontrôlable sans foi, ni loi.
-
Le deuxième est qu’il n’a
échappé à personne qu’après de longs
mois de très durs combats, l’Armée
syrienne est non seulement toujours
forte, mais demeure capable de
lancer simultanément ses offensives
contre les terroristes sur tous les
fronts, comme nous l’avons tous
observé au cours du mois de Ramadan
dernier.
-
Le troisième est que la
résistance de Damas a contraint les
États-Unis à régler le dossier du
nucléaire iranien par un accord
historique qui permet à la
République islamique d’Iran de
disposer de ses énormes ressources
et de renforcer son rôle régional.
L’Iran aura donc, publiquement et
sous couverture politique
internationale, les moyens de
soutenir encore plus la Syrie à un
rythme déterminé par les nécessités
du conflit.
-
Syrie, Téhéran n’étant
plus obligé au silence devant les
crimes et menaces d’Erdogan, bien
qu’il ait prévenu que « la Syrie
sera le cimetière des soldats turcs
en cas d’invasion ». Et ce, d’autant
plus, que la situation interne en
Turquie n’autorise plus Erdogan à
envisager ce genre d’aventure. La
roue a tourné. En 2011, qui aurait
imaginé que le président Bachar al-Assad
puisse personnifier la solution à la
crise syrienne et régionale, alors
qu’Erdogan tomberait si bas,
devenant le symbole de la crise
turque telle qu’elle s’annonce ?
-
Le cinquième est que la
Russie, qui a cher payé son
soutien à la Syrie, par la guerre en
Ukraine et par les sanctions
occidentales, a quand même dépassé
ces deux problèmes à la fois.
L’Occident a fini par réaliser qu’il
lui était impossible de l’assiéger
et de la marginaliser. Elle est
revenue au devant de la scène
internationale, s’est affirmée comme
une puissance militaire, a élargi et
a consolidé ses alliances
internationales, aussi bien avec les
pays du BRICS [Brésil, Inde, Chine,
Afrique du Sud] et de l’OCS [Organisation
de coopération de Shanghai] qu’avec d’autres pays qui n’en font
pas partie. Sans oublier que la
Russie et la Chine ont réalisé que
leur solide alliance servait leurs
intérêts stratégiques réciproques et
que désormais, nul autre pays n’est
plus proche que la Syrie de cette
alliance bipartite. Elle l’a prouvé
par le sang de ses martyrs. Elle
bénéficiera du nouvel équilibre
entre les puissances mondiales du
point de vue de son statut, de son
rôle, de son armement et de sa
reconstruction.
■ ■ ■
Concernant
l’Arabie saoudite, la Russie s’est vite
rendue compte de la crise profonde qui
la menaçait vu ses relations tendues
avec les États-Unis, la fragilité de sa
situation politique intérieure aggravée
par sa claire participation au
terrorisme international devenu
incontrôlable, l’échec de sa guerre au
Yémen, et le défi commercial du pétrole
de schiste pesant sur l’économie des
deux parties.
Or la Russie
craint la désintégration de l'Arabie
saoudite, considérant qu’elle aboutirait
à l’établissement d’un prétendu califat
d’organisations terroristes sur une
grande partie des territoires du Najd et
du Hijaz, ce qui mènerait à de longues
années de guerre et de destruction qui
menaceraient son propre territoire.
C’est dans ce
contexte et dans le but de créer un
équilibre régional avec l'Iran, que
Riyad a commencé, dès que le roi Salmane
et son équipe sont arrivés au pouvoir, à
développer ses relations avec la Russie.
Alors que le ministre saoudien des
Affaires étrangères, Saoud al-Fayçal
[décédé le 9 juillet 2015, NdT],
persistait dans ses attaques contre la
Russie au Sommet de la Ligue arabe
paralysée, les responsables des deux
pays discutaient des transactions
d’armes, du marché pétrolier, et
d’autres dossiers plus secondaires.
Et si Moscou
a exprimé des réserves au sujet de la
décision du Conseil de sécurité des
Nations Unies en faveur de
l’intervention de l'Arabie saoudite au
Yémen [4], elle n’a pas
utilisé son droit de veto. C’était là un
message très clair suggérant que Moscou
se préparait à jouer ultérieurement le
rôle de médiateur.
Riyad attend
du Kremlin qu’il le tire du piège dans
lequel il s’est enfoncé, surtout que
DAECH la menace directement depuis que
cette organisation terroriste est
devenue quasi-indépendante de ses
créateurs et de ses financiers.
De son côté,
la Russie a besoin de l’Arabie saoudite
dans trois domaines clés : stopper
l'infiltration des
terroristes-wahhabites dans les
républiques musulmanes de la Fédération
de Russie, réguler le marché du pétrole,
et résoudre la crise syrienne ; ce
dernier point nous ramenant vers la
Syrie.
En effet,
dans ce cas, la Syrie sortirait de cette
guerre douloureuse pour se retrouver :
-
mandatée
par la communauté internationale et
régionale à combattre le terrorisme,
un rôle de première importance en ce
moment clé de l’évolution de la
région et du monde;
-
alliée
des pays vainqueurs émergents, de la
Chine à la Russie et à l'Iran;
-
un pôle
d’investissements des pays du BRICS
pour sa reconstruction et son
développement;
-
protégée
par une armée forte, aguerrie et
équipée des dernières technologies ;
-
pilier du
renouvellement des régimes arabes,
l'Arabie saoudite ayant reconnu la
victoire de Bachar al-Assad,
l'Egypte ayant admis qu’elle en a
besoin pour retrouver son statut
dans la région.
Quant aux
pays et formations politiques du camp de
l’Arabie saoudite :
-
Israël se
retrouve entre deux choix : faire
face à la Résistance dans le Golan
ou se retirer sans accord, ni
traité, ni ambassade, comme ce fut
le cas dans le sud du Liban.
-
Les
partis palestiniens partagés entre
coordination sécuritaire avec Israël
en Palestine, et coordination
sécuritaire et militaire avec
l’Arabie saoudite au Yémen [le Hamas
appelé à la rescousse au Yémen par
l’Arabie saoudite ; NdT], sont
dépassés, tout autant que le parti
des Frères Musulmans. Désormais,
Damas avec le Hezbollah sont les
plus aptes à reconstruire la
Résistance palestinienne selon une
ligne politique et patriote éloignée
des alliances suspectes et des
partis sectaires.
-
Le cas de
la Jordanie, considérée par Bachar
al-Assad comme un état frère
instrumentalisé mais dont il faut
soutenir la stabilité, sera réglé
dès qu’une entente avec Washington
et Riyad aura abouti. Et, partant de
là, il n’est pas difficile
d’imaginer son évaluation du groupe
du 14 Mars au Liban.
Reste à
espérer toute la patience nécessaire à
l’ambassadeur syrien au Liban, Ali Abdel
Karim Ali, pour accueillir le cortège
des repentis.
Nahed Hattar
21/05/2015
Source :
Al-Akhbar [Liban]
http://www.al-akhbar.com/node/238165
Article
traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[4] Résolution
2216 (2015) Adoptée par le Conseil de
sécurité à sa 7426e
séance, le 14 avril 2015
http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2216%282015%29
Monsieur Nahed Hattar est
un écrivain et journaliste jordanien
résidant à Amman.
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Le
dossier Syrie
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