Actualité
Le procès de membres de la LDJ, dans
l'indifférence générale - "Ma vie s’est
arrêtée le 12 avril 2009", Hatim
Essabbak, agressé par des membres de la
LDJ
Nadir Dendoune
10ème
chambre correctionnelle de Paris - Jeudi
10 mars : Procès de membres de la Ligue
de défense juive (LDJ), accusés d’avoir
agressé en 2009, deux jeunes Français
d’origine maghrébine : Hatem Essabbak et
Mustapha Belkhir. Crédit photo : N.
Dendoune
Vendredi 11 mars 2016
Sept ans. Hatim
Essabbak a attendu sept longues années
pour que le procès de ses agresseurs ait
enfin lieu. « Normalement, ce genre
d’affaires est jugé en moyenne trois ans
après les faits », précise Maitre
Dominique Cochain, son avocate. Il faut
dire que cette affaire est hautement «
sensible ». Cinq juges se sont même
succédé pour venir à bout de
l’instruction !
Ce jeudi 10 mars,
devant la 10ème chambre correctionnelle
de Paris, a eu lieu donc le procès, (en
toute discrétion : l’auteur de ces
lignes était le seul journaliste présent
à l’audience) de membres de la Ligue de
défense juive (LDJ), accusés d’avoir
agressé en 2009, deux jeunes Français
d’origine maghrébine : Hatem Essabbak et
Mustapha Belkhir, qui lui, a préféré ne
pas se porter civile dans cette affaire.
Il était donc absent hier aux débats.
Rappel des
faits
Dimanche 12 avril
2009, un spectacle intitulé « Nos
talents pour Gaza » est prévu au Théâtre
Adyar, dans le 7e arrondissement de
Paris. « Plateau d’humoristes et de
chanteurs, et bien d’autres surprises…
», annonce le programme de cette
collecte de fonds pour les enfants
palestiniens, organisée par
l’association Art’Events et le Secours
populaire français. Un événement qui a
lieu trois mois après l’offensive
meurtrière d’Israël sur Gaza et qui a
causé la mort à près de 1400 personnes,
dont 400 enfants.
Il est un peu plus
de 17h30, c’est l’heure de la pause.
Hatim Essabbak, jeune chanteur de rai,
22 ans à l’époque des faits, en profite
pour aller fumer une cigarette avec sa
petite amie. Une vingtaine de jeunes
déboulent, armés de battes de baseball,
de casques de moto, de chaines de vélo
devant le théâtre et se ruent sur Hatim,
« sans raison apparente », précise ce
dernier, ne sachant pas encore à qui il
a affaire. « J’ai reçu des coups au
visage, à la tête et au niveau des deux
jambes », détaille Hatim. Ce dernier
tombe au sol et est de nouveau frappé de
plusieurs coups sur la tête. « Ils ont
arrêté de me cogner dessus quand ils ont
vu que je ne bougeais plus », dit-il
encore toujours traumatisé, 7 ans après
les faits. « Ma vie s’est arrêtée le 12
avril 2009 », répètera-t-il devant la
cour ce jeudi 10 mars.
Les témoignages
recueillis par la police sont formels :
la teneur raciste des propos tenus par
les agresseurs ne fait aucun doute : «
Tiens, c’est pour Gaza », « Sale Arabe
», « Nous les juifs, on t’encule, sale
race ». Plusieurs témoins disent avoir
vu un des agresseurs, habillé d’un
survêtement « flashy » bleu roi, lever
les bras au ciel, poings fermés, en
criant : « A mort les Arabes, vive
Israël ! »
Malgré tous ces
éléments à charge, à l’époque, ce
fait divers ne provoque aucune réaction
officielle de la part des politiques. A
part une petite brève dans le Parisien,
les médias choisissent, eux aussi, de
rester discret. Un désintérêt
inacceptable et qui profite donc aux «
complotistes » et autres antisémites.
La cour justement.
Revenons en.
En ce jeudi 10
mars, il est 14h. Seuls trois des
accusés assistent à l’audience. Deux
complices clairement identifiés sont
partis vivre en Israël, un autre (David
B, reconnu formellement par l’un des
accusés) n’a même pas été mis en examen.
« Je suis frustré de voir qu’ils ne sont
que trois à répondre de leurs actes »,
souffle dépité Hatim Essabbak.
Parmi eux, il y a
Jason Tibi, un colosse, 18 ans à
l’époque des faits, qui après avoir nié
lors de ses deux premières auditions
devant les enquêteurs, passe aux aveux à
la troisième, se plaignant d’avoir été «
maltraité par la police ». Il est décrit
par certains de ses complices comme le
leader du groupe. « Ce n’est pas parce
que j’ai une carrure imposante que je le
suis », se défend-il à la barre. Comme
les deux autres accusés présents au
tribunal, il nie toute appartenance à la
Ligue de défense Juive. « Ce n’est pas
parce que je soutenais leurs idées et
leurs actions que je faisais partie de
leur organisation », avance-t-il. « A
l’époque, j’avais 18 ans, j’étais un
gamin. La meilleure manière que j’avais
trouvé de m’exprimer, c’était par la
violence », explique-t-il. Depuis, j’ai
changé », jure-t-il.
Marié, il va être papa en septembre
prochain. Pour Jason Tibi, « ce n’était
que des erreurs de jeunesse ». Depuis
les faits, il est parti en Israël
effectuer son service militaire,
préférant revenir entre temps vivre en
France. Aujourd’hui, il est
auto-entrepreneur.
Ses arguments ne
convainc pas Maitre Cochain. « Tout
porte à croire que M. Tibi n’a pas
changé. Des vidéos qu’on peut retrouver
facilement sur Google montrent qu’en
2011, alors qu’une réunion portant sur
la Palestine est organisée dans les
locaux de la mairie du 14ème, il
est en compagnie de personnes se
revendiquant de la LDJ, venus empêcher
la tenue du débat ». Une action musclée
où des insultes comme « Palestine, on
t’encule » y sont proférés.
« M. Tibi s’est
aussi rendu à Marseille en juin 2011
pour protester contre la flottille de
Gaza », continue Maitre Cochain. Une
vidéo tournée par nos collègues de Med
in Marseille où on voit effectivement
Jason Tibi le visage en sang affirmer
qu’il est « venu contre manifester »,
avant de lâcher un « Israël vivra et
vaincra ».
Par ailleurs, Rudy
Lalou, un des autres accusés, affirmera
en 2012, que Jason Tibi « n’a pas changé
». « C’est quelqu’un de très violent qui
m’a menacé plusieurs fois. Il aurait pu
frapper un Juif, un Israélien »,
déclare-t-il aujourd’hui.
Entre ces deux-là,
c’est désormais la guerre. Amis à
l’époque des faits, Lalou, « épris très
vite de remords », a tout de suite
raconté aux enquêteurs ce qu’il s’était
passé. « Ce qui m’a valu de recevoir des
menaces de mort. On m’a dit : " on va te
tuer " », dit d’une voix faible Rudy
Lalou, visiblement encore très affecté.
« Dans ce mouvement, dans ce
groupuscule, il ne fallait pas parler »,
précise-t-il.
Rudy Lalou affirme
qu’il n’était pas au courant que des
actes de violence allaient être commis.
« Sinon, je n’y serais pas allé »,
jure-t-il. La veille de l’attaque, Jason
Tibi passe la nuit chez Rudy Lalou.
C’est lui qui le met au courant du «
projet de contre manifestation ». «
Mais, il n’y avait rien de prémédité »,
avance pourtant Jason Tibi...
La cour relève qu’un autre des
complices, M. Sulman, exilé depuis en
Israël, pour lequel aucun mandat d'arrêt
n'a été lancé, avait été pisté grâce aux
bornes téléphoniques vers 15h à
proximité du théâtre. En mode repérages,
donc…
Jason Tibi accuse
Rudy Lalou d’être celui qui portait la
matraque au moment de l’agression et qui
aurait servi à donner les premiers
coups. « Lalou s’est acharné sur Hatim
Essabbak mais pour les autres, je ne
sais pas», jure Tibi. « Il dit ça parce
que j’ai donné son nom à la police », se
défend Rudy Lalou.
Celui-ci arrive sur
les lieux de l’agression en scooter.
Pendant les événements, Rudy Lalou garde
son casque. « Je ne me voyais pas le
tenir par la main », argumente-t-il,
laissant planer le doute qu’il préférait
peut-être ainsi ne pas être reconnu.
D’ailleurs, plusieurs agresseurs
s’étaient déplacés masqués. Jason Tibi,
lui avait le visage découvert. Le
président : «Y avait-il une sorte de
fierté à ne pas être masqué ? »
demande-t-il au colosse. « Oui, une
fierté personnelle, je voulais être
admiré », admet Jason Tibi.
Le troisième
larron, Azar Cohen est aussi le plus
âgé. « J’ai dix ans de plus que Jason
Tibi », annonce-t-il à la barre. Il est
le seul des accusés à nier le fait qu’il
était présent devant le théâtre au
moment de l’agression. Son téléphone,
comme celui de ses complices, était
pourtant éteint au moment des faits. «
Je me trouvais dans une cave avec un
ami. Voilà pourquoi, je n’avais pas de
réseau téléphonique », argumente-t-il.
« Il ressemble à
beaucoup de gens que je connais »,
bafouille Rudy Lalou à la barre, sans
qu’on sache si c’est la peur qui
l’empêche de dire le fond de sa pensée.
« Je ne suis plus sûr si il était
présent », continue Lalou, qui pourtant
avait déclaré le contraire lors des
auditions. Jason Tibi avait, lui aussi,
affirmé qu'Azar Cohen était là au moment
du lynchage. Azar Cohen, qui habite
Gonesse (95) jure devant la barre qu’il
n’est pas raciste. D'ailleurs, pour
prouver ses dires, il est venu avec des
certificats de moralité signés par des
Français d’origine maghrébine et
africaine. « Ils viennent souvent fêter
Shabbat chez moi », précise-t-il.
Il est 19h40.
L’avocate générale présente son
réquisitoire. Un long réquisitoire de
près d’une heure qui débouche au final
sur des demandes de peines bien minces
vu la gravité des faits. Rappelons
également que les trois accusés ont un
casier judiciaire. Pour Jason Tibi,
l’avocate générale demande une
condamnation de 12 mois avec sursis,
assortie d'une peine de 2000 euros
d’amende. Pour Rudy Lalou, 6 mois avec
sursis et 2000 euros d’amende. La même
peine pour Azar Cohen, « si le tribunal
décide d’entrer en condamnation ».
Le verdict est
attendu pour la fin de la semaine
prochaine.
Nadir Dendoune
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