Revue de presse
Le Liban, Israël et le vol du gaz
à l’ombre du 4ème Sommet arabe à
Beyrouth
Mouna Alno-Nakhal

Mercredi 23 janvier 2019
Dimanche 20 janvier 2019 s’est
tenu le 4ème « Sommet des pays arabes
pour le développement économique et
social » à Beyrouth, un sommet censé
réunir les chefs d’États mais auquel
n’ont participé que le président de la
Mauritanie et l’Émir du Qatar.
Une journée qui a donné à voir une
« scène surréaliste » exprimant, d’après M.
Ghaleb Kandil dans son article du
lendemain [1], les contradictions et les
ambiguïtés de trois évènements
simultanés :
-
Un
sommet arabe où Washington s’est
arrangé pour que l’Émir du Qatar
fasse acte de présence après avoir
travaillé via David Hale, le
sous-secrétaire d'État américain aux
Affaires politiques, à réduire la
présence des autres émirats et
royaumes pétroliers à de simples
délégations.
-
Une
manifestation populaire répondant à
l’appel « Tous à la rue » lancé par
le parti communiste libanais,
l’Organisation populaire
nassérienne, des partis de gauche et
des groupes du mouvement civil.
[Parmi les revendications : une
politique fiscale différente qui
redistribue la richesse, la
promotion de l’éducation officielle,
la généralisation de l’assurance
maladie, l’approbation de la carte
de santé, l’assurance vieillesse, la
création d’emplois, les exigences de
la sécurité et la lutte contre le
système de corruption].
-
Une
attaque de l'aviation israélienne
sur le territoire syrien à partir du
ciel libanais [attaque dans la
journée, répétée sur trois fronts
dans la nuit du 20 au 21 janvier,
[2]]
Une « scène
surréaliste » parce que, toujours
d’après M. Ghaleb Kandil, ni les pays
arabes participant au Sommet, ni les
manifestants, n’ont réagi à cette énième
violation de l’espace aérien libanais,
alors que l’expérience démontre que la
lutte sociale est intimement liée à la
lutte nationale et que la douloureuse
vérité du Liban est qu’il se trouve
soumis à la tutelle
américano-saoudienne, interdit de
posséder les moyens de sa défense
aérienne ; interdit d’accepter les
offres de la Russie, de l’Iran ou de la
Chine qui lui permettraient d’empêcher
l’aviation sioniste de batifoler dans
son ciel ; interdit d’appliquer les
accords de défense commune avec la Syrie
ou de les modifier afin que la
couverture syrienne puisse inclure son
espace aérien et son territoire.
***
Des
violations permanentes que le
président Michel Aoun n’a pas manqué
de dénoncer dans son discours
d’ouverture du Sommet [3]. Quoi de plus
explicite que cet extrait ? :
« Mes
frères,Je parle
en connaissance de cause car le Liban a
payé les conséquences de ces guerres et
celles du terrorisme le prix fort,
subissant depuis des années le fardeau
le plus lourd au niveau régional et
international de l’exode de nos frères
syriens, tout comme celui, depuis
soixante dix ans, des frères
palestiniens. Leur nombre équivaut
aujourd’hui à celui de la moitié du
peuple libanais alors que notre
territoire est restreint, nos
infrastructures inadéquates, nos
ressources limitées et notre marché du
travail surchargé.
Par
ailleurs, l'occupation israélienne, qui
persiste depuis soixante-dix ans dans
l'agression et l'occupation des
territoires palestiniens et arabes,
affichant un total mépris pour les
résolutions internationales, a atteint
aujourd'hui son paroxysme en judaïsant
Jérusalem, la déclarant capitale
d’Israël et en adoptant la loi du
"nationalisme juif en Israël", ne tenant
compte d’aucune résolution
internationale, ce qui signifierait
l’usurpation de l'identité
palestinienne, le renversement de la
résolution 194 et le reniement du droit
au retour. J’ajoute à cela que les
menaces israéliennes et les violations
permanentes de la résolution 1701 par
terre, par mer et air de la souveraineté
libanaise constituent une pression
constante sur le Liban. »
***
Sans entrer
dans les détails des tenants et
aboutissants de ce Sommet, la presse
locale note qu’en dépit de tous ses
efforts, le ministre libanais des
Affaires étrangères, Gibran Bassil, n’a
pas réussi à obtenir un consensus arabe
en faveur du soutien au retour des
déplacés syriens dans leur pays
indépendamment d’une solution politique
préalable, condition clairement affirmée
par le Secrétaire de la Ligue arabe,
l’Égyptien Ahmad Aboul Gheit, et tous
les agresseurs…
Néanmoins,
dans un texte adopté parallèlement à la
déclaration finale intitulée la
« Déclaration de Beyrouth » [4], il a
réussi à faire adopter un compromis par
lequel les pays arabes appellent la
communauté internationale à « redoubler
d’efforts » pour favoriser leur « retour
sécurisé », évitant ainsi que la notion
du « retour volontaire » ne continue à
être exploitée par tous ceux qui
cherchent à ce qu’ils restent dans leur
pays d’« accueil temporaire » pour des
raisons financières ou politiques.
Concernant
les réfugiés palestiniens, l’Agence
nationale de l’information du Liban
[5] a publié l’extrait suivant :
« Selon le
texte lu par le ministre Bassil, les
parties participant au sommet se sont
accordées, en prenant en compte les
circonstances et les changements
socio-économiques qui ont influé sur le
monde arabe (...), sur la nécessité de
conjuguer les efforts des parties et
organisations donatrices internationales
pour réduire les souffrances des
déplacés et réfugiés, et pour assurer le
financement de projets développementaux
dans les pays hôtes afin de réduire
l'impact socio-économique de l'afflux
des déplacés.
Ils ont de
même mis l'accent sur la nécessité de
soutenir le peuple palestinien face aux
agressions israéliennes qui augmentent,
"ayant foi en la responsabilité arabe et
islamique envers al-Qods et son identité
arabe, musulmane et chrétienne".
"Toutes
les parties concernées doivent s'unir
pour financer les projets du plan
stratégique pour la croissance de
Jérusalem-est", a-t-il ajouté, avant de
confirmer l'attachement au droit de
retour des Palestiniens et au respect
des résolutions internationales
relatives à al-Qods et au refus de
reconnaître cette ville comme capitale
de l'occupation israélienne ».
***
Finalement et
en dépit de toutes les critiques, à la
question « Considérez-vous que le Sommet
a été une réussite ? » posée par la
chaîne populaire OTV : 55% de OUI et 45%
de NON par Twitter, avec 69% de OUI et
31% de NON par FaceBook [6].
Satisfaction,
dans la mesure où le Liban, toujours
divisé en deux blocs apparemment
inconciliables sur le Parti du Hezbollah
libanais, la Syrie, l’Iran, etc., en
plus d’être toujours en panne de
gouvernement, a quand même réussi,
malgré l’ampleur des pressions
extérieures et intérieures, à amorcer un
dialogue au sein du chaos d’un
« printemps arabe empoisonné »,
expression étonnement utilisée par le
ministre délégué de l’Arabie saoudite
qui semble avoir changé son fusil
d’épaule, et que le communiqué final a
ouvert des perspectives prometteuses de
coopération économique à plusieurs
niveaux [7].
Pour
certains, ces perspectives sont
prometteuses à condition qu’elles ne
soient pas liées à des décisions
politiques du Liban subordonnées à la
volonté des pays donateurs, dont les
fonds souverains sont confiés aux
banques américaines et occidentales ou,
qu’à l’image des Sommets arabes
précédents, elles ne restent que de
l’encre sur papier.
***
Pour
d’autres, ce Sommet fut politique par
excellence. Ainsi dans un article publié
par le quotidien Al-Binaa [8], Mme
Rosanna Rammal, journaliste de la
presse écrite et audiovisuelle,
considère qu’il convient de lire ce
Sommet à la lumière de deux sortes de
messages politiques :
-
D’une
part, les messages adressés par les
pays arabes dont les chefs d’États
se sont abstenus d’assister au
Sommet, signifiant par là qu’ils ne
soutiennent pas leur homologue
libanais ou, en tout cas, qu’ils
jugent inacceptable la scène
politique libanaise actuelle ; les
dernières élections législatives
ayant accordé une majorité au
Hezbollah et à ses alliés.
-
D’autre
part, les messages adressés par la
présence de l’Émir du Qatar, lequel
est considéré comme un « bon ami »
de l’Iran, malgré son désaccord avec
la participation des combattants du
Hezbollah aux combats en Syrie.
Une
contradiction liée à des calculs
régionaux ayant poussé le Qatar à une
alliance avec la Turquie, au moment de
l’ascension des Frères Musulmans dans la
région, et au fait que l’Iran l’a aidé à
surmonter le boycott étouffant des Pays
du Golfe et de l’Égypte, pour lesquels
cette double alliance est le péché
capital. C’est donc par pragmatisme
politique que le Qatar s’est rangé dans
un axe turco-iranien.
Il n’en
demeure pas moins qua la question
centrale est de savoir s’il a agi
indépendamment de sa solide alliance
avec les États-Unis, alors qu’il héberge
la plus importante des bases américaines
dans la région du Golfe. Naturellement,
tout porte à croire que tel n’est pas le
cas. Ce qui signifie que Washington est
celui qui répartit les rôles entre ses
alliés saoudiens et qataris quant à leur
relation avec le Liban et fait en sorte
qu’il reste à l’écart de la Syrie tant
qu’il le faudra.
***
Pression
américaine sur le Sommet, mais aussi sur
la formation du gouvernement selon
l’analyse de Mme Scarlet Haddad
des « petites phrases » de David Hale,
le 18 janvier dernier [9] :
« On
se souvient en effet du communiqué lu
par David Hale à l’issue de sa rencontre
avec le Premier ministre désigné Saad
Hariri, lorsqu’il a conseillé aux
autorités de prendre au plus vite des
mesures économiques nécessaires, même si
cela doit se faire dans le cadre du
gouvernement chargé d’expédier les
affaires courantes […] Cette phrase a
été perçue comme un encouragement direct
américain à renflouer le gouvernement
démissionnaire. De plus, la phrase
suivante lue par David Hale explique la
première, lorsqu’il a affirmé que la
formation du gouvernement concerne les
Libanais, et eux seuls.
Par
contre, a déclaré M. Hale, la nature et
la composition du gouvernement
intéressent tous les pays qui vont
traiter avec lui.
À travers
ces deux phrases, l’émissaire américain
a révélé en quelque sorte le maillon
secret qui bloque la formation du
gouvernement […] et il semble évident
qu’une partie des entraves à la
formation du gouvernement vient de
l’étranger, notamment du refus des
Américains et de leurs alliés de
permettre au Hezbollah d’obtenir des
portefeuilles importants et d’augmenter
son influence sur l’exécutif.
On revient
ainsi à l’équation de départ, entre une
partie qui souhaite un gouvernement dans
lequel les rapports de force politiques
sont sensiblement similaires à ceux qui
régissent l’actuel cabinet, et une autre
qui souhaite la formation d’un
gouvernement qui reflète les résultats
des élections législatives. »
***
M. Nasser
Kandil est allé plus
loin dans l’analyse des petites phrases
de David Hale. Dans un article du 17
janvier intitulé « Le Liban, Israël et
le vol du gaz à l’ombre du Sommet »
[10], il est revenu sur cette visite
pour dire en substance :
David hale
est arrivé à Beyrouth pour distiller ses
propos agressifs contre le Hezbollah, en
pleine violation des résolutions
onusiennes par l’armée d’occupation
israélienne qui continue à dresser son
mur de béton en des endroits relevant de
la souveraineté du Liban officiel ;
violation que le Liban avait menacé de
contrer militairement, il y a un an
environ.
Suite à cette
menace, Hale était venu annoncer l’arrêt
des travaux israéliens et le lancement
d’une médiation devant aboutir à la
délimitation des frontières terrestres
et maritimes du Liban, de telle sorte
que le mur n’empiète plus sur le
territoire libanais et, par conséquent,
sur ses richesses maritimes
pétro-gazières.
Cette
fois-ci, David Hale est revenu dire
qu’il était rassuré sur la situation des
frontières ; autrement dit, rassuré par
le silence du Liban qui s’est contenté
d’une plainte auprès du Conseil de
sécurité de l’ONU, tout en remplaçant la
décision d’une réponse vigoureuse à
toute nouvelle violation, prise par le
Haut Conseil de défense en Mars dernier,
par une « surveillance de très près »
des frontières. Plus grave encore, David
Hale a modifié le contenu de sa
médiation précédente, pour ne plus
s’intéresser qu’aux frontières
terrestres.
Étant donné
que c’est Israël qui avait sollicité la
délimitation des frontières maritimes,
la question devient : qu’est-ce qui a
changé depuis sa visite précédente ? La
réponse se trouve dans la « Conférence
sur le gaz de l’Est de la Méditerranée »
[l’EastMed Gas Forum] qui s’est tenue le
14 janvier dernier au Caire [11].
Conférence à
laquelle l’Égypte a invité l’Autorité
palestinienne, Chypre, la Grèce et
Israël. En plus de la normalisation des
relations demandée par les États-Unis,
son but serait d’éviter à Israël la
perte de blocs importants de pétrole et
surtout de gaz, que le Liban refusera de
lui céder.
Du même coup,
les sociétés internationales et les
investisseurs particuliers qui
exigeaient la délimitation officielle
des frontières maritimes, pour investir
dans les champs pétro-gaziers sous
occupation israélienne, s’en passeront ;
la reconnaissance des champs qu’Israël
prétend lui revenir de droit devenant
l’affaire des États membres du Forum,
dont l’Égypte et l’Autorité
palestinienne.
Et de
conclure : le Liban devrait réfléchir
longuement sur les raisons qui ont
poussé le président Al-Sissi et le
président Abbas à décliner son
invitation au Sommet de Beyroutn.
***
Des manœuvres
contre lesquelles le Général Amin
Hoteit, n’a cessé de mettre en garde
depuis des années. À la tête de la
commission chargée de contrôler, en
2000, la ligne de retrait de l’armée
israélienne devenue la fameuse « ligne
bleue » qui ne devrait, en aucun cas,
être confondue avec la frontière
internationale du Liban, il est sans
doute l’un des meilleurs spécialistes
des techniques de « grignotage » du
territoire libanais par Israël [12][13].
Le 13 janvier
dernier, alors que la construction du
mur israélien avait été suspendue, il
invitait encore à la prudence et, en
réponse aux allégations de David Hale
faisant mine d’oublier les frontières
libanaises reconnues par les résolutions
internationales dont la résolution
1701(2006) appelant à une cessation des
hostilités entre Israël et le Hezbollah,
il diffusait sur Al-Manar TV [14] la
carte ci-dessous :

La zone rouge
correspond à la partie que la
construction du mur de séparation
d’Israël tente de grignoter dans la
région d’Addaissah en allant vers kfar
kila ; le tout constituant, selon les
calculs du Général Hoteit, une ligne
pénétrant le territoire libanais sur une
profondeur de 140 mètres et une longueur
de 1878 mètres, d’où la perte d’une
surface de 155 702 mètres carrés. Si le
Liban laissait faire, ce grignotage se
répercuterait sur la ligne maritime et
permettrait à Israël d’affirmer sa
souveraineté sur les blocs gaziers
appartenant légalement au Liban.
***
Le 21 janvier
l’Agence nationale de l’information au
Liban annonçait qu’Israël avait repris
la construction du mur en plusieurs
points contestés par le Liban [15].
À suivre…
Mouna Alno-Nakhal
Synthèse
et traduction libre des textes arabes
22/ 01/2019
Notes :
[1][
Est-il admissible de négliger
l’agression ? ]
[2][Défense
russe: la DCA syrienne a détruit plus de
30 missiles de croisière israéliens]
[3][Discours
du président Aoun à l’occasion du Sommet
arabe pour le développement économique
et
social]
[4][Sommet
de Beyrouth : la presse relève les
divergences libano-arabes sur les
réfugiés]
[5][Vidéo
OTV / Le sommet économique de Beyroth :
l’avant et l’après]
[6][Sommet
économique arabe: cap sur la zone de
libre-échange et l’économie numérique]
[7][Déclaration
de Beyrouth: confirmation de la
nécessité de conjuguer les efforts pour
réduire les souffrances des déplacés et
réfugiés, sommet de 2023 en Mauritanie]
[8][Un
sommet « politique » par excellence…]
[9][Les
petites phrases de David Hale et la
formation du gouvernement]
[10][Le
Liban, Israël et le vol du gaz à l’ombre
du Sommet]
[11][Le
ministre israélien de l’Energie en
Egypte pour prendre part à l’EastMed Gas
Forum]
[12][Liban
: La ligne bleue maritime au service de
l’ambition israélienne !]
[13][Liban :
La ligne bleue maritime…]
[14][Video
Al-Manar/Entretien avec le Général Amin
Hoteit]
[15][Israël
poursuit la construction de son mur sur
les frontières]
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Le
dossier Liban
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