Liban
Face à la
tempête : Les coulisses de la démission
de Hariri et de la visite d’Al-Sadr à
Téhéran (2/4)
Nidal Hamade

Vendredi 15 novembre 2019
Le
Premier-ministre libanais, Saad Hariri,
est rentré des Émirats arabes unis sans
obtenir de subvention pour la Banque
centrale du Liban, prétexte annoncé pour
justifier sa visite à Abou Dhabi le 6
octobre dernier ; tandis que les
manifestations démarraient en Irak et
qu’au Liban, tout le monde attendait le
mot de passe émirati pour annoncer la
démission des ministres des Forces
libanaises, dirigés par Samir Geagea, et
des ministres du bloc de la Rencontre
démocratique, dirigés par Walid
Joumblatt, démissions censées entraîner
la descente massive des Beyrouthins dans
la rue.
Néanmoins, nos sources indiquent que
les Émirats arabes
unis n’étaient pas pressés de mettre à
exécution leur plan [de déstabilisation
du Liban, de l’Irak, de l’Iran et du
Yémen ; Cf 1ère partie] se
contentant de surveiller les
manifestations en Irak et les réactions
de la population.
Mais un événement imprévu est venu
bousculer leur plan et ceux de leurs
collaborateurs au Liban : la décision du
gouvernement libanais d’imposer une
nouvelle taxe sur l’application mobile
WhatsApp, décision ayant très vite amené
à ce que la place Riad al-Solh et la
place des Martyrs, du centre de
Beyrouth, se trouvent bondées de
manifestants.
Le
17 octobre, le mouvement populaire
contestataire planifié par les
Emirats arabes unis a donc eu lieu, mais
trop tôt et à un moment inopportun, la
situation en Irak n’ayant pas
suffisamment mûri, le Yémen n’ayant pas
encore bougé et l’arrestation de
Rouhallah Zam ayant sapé le plan dans
son volet iranien avant même qu’il ne
commence.
Le 19
octobre, le chef des Forces libanaises a
annoncé la démission des ministres de
son mouvement du gouvernement libanais,
comme prévu par le plan des Émirats.
Mais cette démission s’est retrouvée
orpheline, vu que Joumblatt a informé
Hariri que les ministres du bloc de la
Rencontre démocratique ne
démissionneraient pas.
Le
21 octobre, le Premier ministre Hariri a
prononcé un discours promettant un
ensemble de réformes, mais les
manifestations ne se sont pas calmées
pour autant. Au contraire, elles se sont
intensifiées avec, de surcroit, la
participation des propres partisans de
Hariri ; les
pressions américaines reprenant de plus
belle pour le pousser à la démission. En
revanche, Joumblatt a eu sa part de
pressions freinant son envie de faire
démissionner ses ministres. Il s’est mis
à attendre la démission de Hariri.
Et alors que
le Hezbollah, le CPL [Courant
Patriotique Libre créé par le Président
Michel Aoun] et Amal [Mouvement dont le
chef, Nabih Berri, est le Président de
la Chambre des députés] offraient à
Hariri toutes les assurances possibles
pour qu’il ne présente pas la démission
du gouvernement, tous piétinaient sur
place en attendant l’issue de la
situation en Irak, en particulier les
alliés de Washington au sein du
gouvernement libanais.
En Irak, les
alliés de l'Iran avaient rapidement
réagi, le Premier-ministre irakien Adel
Abdul Mehdi [nécessairement chiite du
fait de la Constitution confessionnelle
de Bremer de 2004 ; NdT] annonçant
qu’il ne démissionnerait sous aucun
prétexte. Déclaration faite dans la
matinée du 27 octobre, alors que dans la
soirée les États-Unis menaient leur
opération d’assassinat du prétendu
calife de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi,
reproduisant le scénario
de l'assassinat de Ben Laden au début
des manifestations dans les pays arabes,
en 2010, avec la fuite de centaines de
« qaïdistes armés » des prisons
irakiennes. Sauf que dans ce cas,
l’opération a coïncidé avec
la fuite de centaines de « daechistes
armés » des prisons kurdes en terre
syrienne vers l’Irak, du fait de
l'opération militaire turque dans le
Nord de la Syrie. Ce faisant, les
États-Unis ont mis fin à Daech,
l’organisation notoirement connue,
laissant le champ libre à Daech’,
organisation encore inconnue. Tel fut le
message de Washington à Adel Abdul Mehdi
pour avoir décidé de ne pas
démissionner.
Deux jours plus tard, le 29 octobre,
Moqtada al-Sadr [chef chiite du plus
grand parti politique au Parlement
irakien] quittait Beyrouth où il
séjournait depuis plusieurs semaines, en
direction de l’Irak. Quelques jours plus
tard, il partait en Iran après que les
services de renseignement iraniens
l’aient informé, preuves indiscutables à
l’appui, qu’il était la prochaine cible
des États-Unis, afin d’échauffer la rue
irakienne et mener
l’Irak au point de non retour.
Le départ
précipité d’Al-Sadr a annulé le pari
émirati sur la discorde entre chiites
irakiens et a fait qu’Adel Abdul Mehdi a
commencé à revêtir les signes du
pouvoir, jusqu’à défier ouvertement les
manifestants et les amener à comprendre
que les manifestations étaient
manipulées et qu’elles ne les mèneraient
vers aucun de leurs objectifs.

Parallèlement, le Hezbollah s’est mis à
rassembler ses atouts sur la scène
libanaise, étant donné qu’il était
devenu très clair que les pressions
américaines révélées inefficaces en
Irak, s’exerceraient désormais sur le
Liban ; M. Hariri ayant informé le
Hezbollah, Amal et le CPL de son
intention de démissionner.
En effet,
lors d’une réunion avec Ali Hassan
Khalil [ministre libanais des Finances]
et
l'assistant politique du Secrétaire
général du Hezbollah, Hussein al-Khalil,
Hariri a fait allusion aux Américains en
confiant qu’il subissait de fortes
pressions le sommant de présenter la
démission de son gouvernement. Le matin
de sa démission, Nabih Berri a alors
proposé que les deux « Khalil » soient
désignés émissaires permanents auprès de
lui, mais tel n’était pas l’avis du
Secrétaire général du Hezbollah.
M.
Saad Hariri a présenté la
démission de son gouvernement le 4
novembre, laquelle a été immédiatement
suivie d’une pression venue de la rue,
avec la fermeture de la
route côtière Beyrouth-Sud et de la
route Beqaa-Beyrouth en plusieurs
endroits. Face à cela,
le Hezbollah a averti que la route du
sud devait rester ouverte, sinon elle le
serait par la force, ce qui a créé une
sorte de fait accompli interdisant la
fermeture complète de la route
Beyrouth-Sud et de la route
Beyrouth-Beqaa ; les mouvements
occasionnels satisfaisant le besoin
d’exister des uns ou des autres.
Sur
le plan politique, Hariri a clairement
opté pour un gouvernement de
technocrates, sans partis politiques,
dont il choisirait la majorité des
membres ; ce qui signifie la sortie du
Hezbollah du gouvernement. Proposition
rejetée par le duo chiite [Amal et
Hezbollah]. La pression médiatique s’est
ensuite dirigée vers
l’entourage du président de la
République visant le renvoi de Gebran
Bassil [ministre des Affaires étrangères
du gouvernement démissionnaire]. Mais,
suite aux consultations entre le
président Michel Aoun et le Hezbollah,
il a été décidé que Salim Jreissati
[ministre d’État pour les Affaires de la
présidence de la République] informerait
Hariri que le CPL accepterait que Gebran
Bassil ne soit pas ministrable à
condition que lui-même ne préside plus
le gouvernement. Hariri, furieux de la
comparaison, a rappelé à M. Jreissati
que le compromis présidentiel
stipulait : Aoun, président de la
République / Hariri, Premier-ministre.
Quant aux
deux « Khalil », ils sont restés en
contact permanent avec Hariri et ont
conclu ensemble un accord de principe
sur un gouvernement techno-politique.
Hariri a cependant exigé que Gebran
Bassil n’en fasse pas partie en tant que
ministre, tout en demandant que le
Hezbollah se charge de l’en informer. Il
lui a été répondu que c’était à lui de
s’en charger. Hariri en a alors informé
le président de la République, lequel a
refusé la proposition.
Et le Liban
est entré dans une situation peu
enviable à tout point de vue. Cependant,
nous ferons deux remarques :
actuellement, celui qui dirige
directement la rue libanaise est Saad
Hariri ; le Hezbollah a absorbé le choc
des manifestations et se retrouve plus
serein quant à l’évolution de la
situation en Irak et au Yémen.
À
suivre en troisième partie : « Voici
comment les Gardiens de la Révolution
ont déjoué le volet iranien du plan de
déstabilisation des Emirats arabes
unis ».
Par Nidal Hamade
Journaliste libanais (Paris)
14/11/2019
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source :
Al-Binaa (Liban
https://www.al-binaa.com/archives/article/223104
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