Syrie
Condoleezza Rice :
Plaidoyer pour l’afghanisation de la
Syrie
Mouna Alno-Nakhal
Mardi 13 octobre 2015
Il est bien connu que le bon élève
est destiné à dépasser le maître, sinon
il est condamné à rester un piètre
disciple quels que soient son art et sa
matière.
Médiocrité
qui ne saurait frapper la brillante
Condoleezza Rice si l’on en croit son
article, cosigné avec l’ex secrétaire à
la défense des États-Unis Robert M.
Gates, et publié par le Whashington Post
[1] quatre jours après la tribune
libre du maître du chaos,
Zbigniew Brzezinski, publiée par le
Financial Times [2] ; les deux articles
étant en rapport avec l’intervention
militaire russe en Syrie.
Tandis que
pour Brzezinski, l’« audace stratégique » de
l’Administration Obama
consisterait à agir de manière concertée
avec la Chine et la Russie pour protéger
leurs intérêts mutuels, la puissance
américaine ne pouvant plus compter sur
le Royaume-Uni et la France pour
continuer à développer « intelligemment
et de manière décisive la nouvelle
formule de stabilisation de la région
moyen-orientale », Mme Rice rappelle :
«
La dernière fois que
les Russes
ont eu à regretter
une
aventure à l'étranger
c’était en Afghanistan,
regret qui n’a cependant été possible
que lorsque
Ronald Reagan a armé
les moudjahidin
afghans
avec des
missiles Stinger
qui
ont soufflé les
avions et les
hélicoptères militaires russes en plein
ciel. Ce n’est qu’alors que l'Union
soviétique épuisée,
dirigée par Mikhail Gorbachev
soucieux de trouver un arrangement avec
l’Ouest, a décidé que
l'aventure
afghane n’en
valait pas la peine ».
Si ce n’est
pas une franche invitation à « afghaniser »
la Syrie, qu’est-ce que c’est ? Certes,
ce n’est pas pour déplaire à M.
Brzezinski dont l’article a été traduit
en français sous le titre « Le Bal des
vampires » [3] accompagné du CV
suivant :
« Zbigniew
Brzezinski,
ancien conseiller à la Sécurité
nationale du président Jimmy Carter, est
un des théoriciens néocons les plus en
vue. Dans son principal ouvrage, paru
dans les années 1990, Le Grand
Échiquier, il explique comment les
États-Unis doivent agir pour conserver
leur domination globale. Ses principales
cibles sont les ensembles eurasiens, la
Russie et la Chine. Pour tenir ces
derniers en respect, les faire éclater
et les coloniser, il veut utiliser
l’extrémisme islamique et les
nationalismes renaissants des anciens
pays soviétiques, notamment les
nationalismes ukrainien et géorgien ».
Mais
Brzezinski est au moins un vampire qui
ne prétend pas se soucier de la
situation lamentable et du « bien-être »
de la population syrienne comme ose
l’écrire la messagère attitrée du
« chaos constructeur », annoncé au Liban
en 2006 [4], en vue de l’enfantement
dans la douleur d’un Nouveau
Moyen-Orient, d’abord et avant tout pour
en finir avec le Hezbollah, la Syrie, et
toute volonté de résistance régionale,
afin que les USA, la Grande Bretagne et
Israël, puissent en redessiner la carte
en fonction de leurs objectifs
stratégiques.
Et
bien que Brzezinski invite Obama à
menacer la Russie de représailles si
elle n’interrompt pas ses frappes sur
les alliés terroristes des USA en Syrie,
jugeant que ses forces armées sont quand
même vulnérables, il admet que les
États-Unis ont du mal à jouer « tout
seuls » un rôle déterminant au
Moyen-Orient. La domination globale US
en prend un coup, du moins jusqu’à
nouvel ordre.
Pas question
qu’il en soit ainsi pour Mme Rice qui
entend les cris d’incrédulité de
Washington, Londres, Berlin, Ankara, et
de bien d’autres capitales :
« Comment
se fait-il que Vladimir Poutine, avec
son économie en plein naufrage et sa
force militaire de seconde zone, puisse
dicter le cours des événements
géopolitiques et garder la main en
Ukraine et en Syrie ? ».
Pas question
de continuer à hésiter en racontant que
nous aurions besoin de mieux comprendre
les motivations des Russes. Eux
connaissent très bien leurs objectifs :
sécuriser leurs intérêts au Moyen-Orient
par tous les moyens nécessaires. Ce dont
nous avons besoin c’est de voir Poutine
tel qu’il est :
« En
Syrie, le fait est
que Poutine
joue
une main faible
extraordinairement
bien, parce
qu'il sait
exactement ce qu'il
veut.
Il
défend
les
intérêts de la Russie
en gardant
le président syrien
Bachar al-Assad
au pouvoir.
Cela n'a rien à voir
avec l'État
islamique. Tout
groupe
d'insurgés qui
s’oppose aux
intérêts russes
est une organisation terroriste
pour Moscou.
Nous avons vu
ce comportement
en Ukraine
et nous le
voyons maintenant, en
plus agressif, en Syrie…
Poutine n’est pas un homme
sentimental et si Assad devenait
encombrant, il le remplacerait
volontiers par quelqu’un d’acceptable
pour Moscou. Mais, pour le moment, les
Russes [et les
Iraniens] pensent pouvoir sauver
Assad.
Le président Obama
et le secrétaire d'État
John F.
Kerry
disent qu'il n'y a
pas de solution
militaire à la
crise syrienne.
Ce qui est vrai,
mais Moscou
entend que
la diplomatie
suit les
faits sur le terrain,
non l'inverse.
La Russie et l'Iran
sont entrain de créer
des faits qui
leur seraient
favorables. Une
fois que cette
intervention militaire
aura abouti, il
faudra s’attendre à ce
que Moscou présente une proposition de
paix qui
reflète ses
intérêts, y compris
la sécurisation
de la base
militaire russe de
Tartous ».
Ceci dit, Il
ne faudrait quand même pas oublier que
si Moscou n’a pas « notre souci » des
populations, il n’a pas non plus « notre
définition » de la stabilité et de la
réussite, nous dit Mme Rice :
« Les
Russes ont
montré leur
empressement à accepter
et même à
encourager la création
d'États dits défaillants
et de conflits
gelés de la
Géorgie à la
Moldavie à
l'Ukraine.
Pourquoi en serait-il autrement pour
la Syrie ?
Si
les gens de Moscou
peuvent
gouverner
une partie
de l'État en rendant
impossible la gouvernance du reste par
quiconque – qu’il en soit ainsi ! ».
Et figurez-vous que, politiquement
parlant, Poutine avance comme une grande
puissance à l’ancienne :
« Oui, certains agissent encore
ainsi au 21ème siècle !
Poutine y trouve un avantage quant à la
situation intérieur du pays dont il ne
fait pas état à l’étranger. Depuis
toujours, politiques nationale et
internationale sont
inextricablement liés,
la Russie
se sentant forte
à l’intérieur quand
elle est forte
à l'étranger -Ce
qui est le plaidoyer de la propagande
vendue par M. Poutine
au peuple russe qui
l’achète, tout au moins, pour le moment-
La Russie est
une grande puissance
et
tire son
estime d’elle-même à
partir de cela.
De quoi d’autre ?
Quand pour la
dernière fois avez-vous acheté un
produit russe
qui ne soit pas
du pétrole ?
Moscou
compte
à nouveau
dans la politique
internationale,
et les forces armées
russes
sont en mouvement.
Mais face
l’incrédulité générale devant l’« audace
stratégique » de Moscou, Mme Rice sait
mieux que quiconque ce que les USA
peuvent encore faire :
« Premièrement, nous
devons
rejeter l'argument
selon lequel Poutine
ne fait que réagir
au désordre
du monde, ce qui
laisserait à penser qu’il essaye tout
simplement de maintenir la cohésion du
système d’États au Moyen-Orient, en
réponse au chaos engendré par l’excès de
zèle des États-Unis en Irak, en
Libye et au-delà.
En fait,
Poutine réagit aux circonstances du
Moyen-Orient. Il voit un vide créé
par notre hésitation à nous engager
pleinement dans des endroits comme la
Libye et à maintenir notre cap en Irak.
Mais laisser dire que Poutine est le
défenseur de la stabilité
internationale ? N’y songez-pas.
Deuxièmement, nous
devons créer nos propres faits sur le
terrain. Les Zones d'exclusion aérienne
et les zones de sécurité ne sont pas des
idées illégitimes. Elles ont déjà
fonctionné [protégeant les Kurdes
pendant 12 ans sous le règne de la
terreur de Saddam Hussein] et méritent
d’être sérieusement prises en
considération. Nous continuerons à
recevoir des réfugiés jusqu’à ce que les
populations soient en sécurité. De plus,
fournir un soutien solide aux forces
kurdes, aux tribus sunnites et à ce
qu’il reste des forces spéciales
irakiennes n’est pas du charabia [5].
Cela pourrait bien sauver notre
stratégie actuelle défaillante. Un
engagement sérieux à ce stade
consoliderait aussi notre relation avec
la Turquie, qui souffre des
répercussions de l'intervention de
Moscou.
Troisièmement, nous
devons faire en sorte que nos activités
militaires n’entrent pas en conflit avec
celles des Russes. C’est déplaisant.
Nous n’aurions jamais dû en arriver au
point où les Russes nous conseillent de
rester hors de leur chemin. Mais nous
devons faire tout notre possible pour
prévenir un incident entre nous. Poutine
partage probablement cette inquiétude ».
Finalement, nous devons créer un
meilleur équilibre des forces militaires
sur le terrain si nous voulons une
solution politique acceptable pour nous
et pour nos alliés ».
Quoi d’étonnant dans ce
raisonnement froid, arrogant et biaisé ?
Depuis que Mme Rice a soutenu la thèse,
qui lui a valu une ascension
vertigineuse en son pays, elle évolue
sciemment dans un monde de réalités
inversées qu’elle paraît incapable de
remettre à l’endroit.
On aura
compris que les alliés, sur lesquels Mme
Rice espère pouvoir encore compter sur
le terrain, se réduisent désormais aux
néo-islamistes de tous bords et plus
particulièrement aux néo-ottomans de la
Confrérie de M. Erdogan. Les USA ont les
alliés régionaux qu’ils méritent, chacun
de ces alliés tournant casaque au gré de
ses propres intérêts même s’il est le
premier à les desservir.
On aura
compris qu’après nous avoir expliqué,
fin 2012, que l’Iran était le Karl Marx
d’aujourd’hui, qu’Assad contrariait les
projets des USA, et que Vladimir Poutine
-qui n’était déjà pas un homme
sentimental à l’époque- ne fera rien
pour lui nuire [6], c’est
maintenant Poutine qui nuit aux USA.
On aura
compris que le monde est désormais
partagé en deux camps : la Russie et ses
alliés qui se battent contre le
terrorisme ; les États-Unis et leurs
alliés qui devraient fournir des
missiles Stinger aux terroristes afin de
créer un meilleur équilibre entre
anti-terrorisme et terrorisme, le temps
qu’il faudra pour user ceux qui refusent
les solutions politiques vendues par la
propagande, à usage interne, de Mme Rice.
Mais ce que
Mme Rice ne semble pas avoir compris
c’est que, techniquement parlant, la
Russie a retenu la leçon des Stinger et
que l’Union soviétique est intervenue en
Afghanistan pour soutenir un
gouvernement combattu par une majorité
populaire acquise aux idées de la
Confrérie islamiste et au wahhabisme, ce
qui n’est pas le cas en Syrie.
Mouna Alno-Nakhal
12/10/2015
Notes :
[1] How America can counter Putin’s
moves in Syria, by Condoleezza Rice and Robert
M. Gates
https://www.washingtonpost.com/opinions/how-to-counter-putin-in-syria/2015/10/08/128fade2-6c66-11e5-b31c-d80d62b53e28_story.html
[2] Russia must work with, not against,
America in Syria, by Zbigniew Brzezinski
http://www.ft.com/intl/cms/s/0/c1ec2488-6aa8-11e5-8171-ba1968cf791a.html#axzz3nsrmNteR
[3] Le bal
des vampires, par Nick Gass
http://lesakerfrancophone.net/le-bal-des-vampires/
[4] Le projet
d’un « Nouveau Moyen-Orient ». Plans de
refonte du Moyen-Orient ; par Mahdi
Darius Nazemroaya
http://www.mondialisation.ca/le-projet-d-un-nouveau-moyen-orient/4126
[5] Obama Says Syria Critics Offering
‘Half-Baked’ ‘Mumbo-Jumbo’
http://blogs.rollcall.com/white-house/obama-dings-putin-critics-hillary-clinton-syria/
[6] C. Rice :
Assad contrarie nos projets et l’Iran
est le Karl Marx d’aujourd’hui !
http://www.mondialisation.ca/c-rice-assad-contrarie-nos-projets-et-liran-est-le-karl-marx-daujourdhui/5313384
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