Liban
Exploitation politique de la catastrophe
de Beyrouth : Tutelle internationale ?
Dr. Leila Nicolas

Vendredi 7 août 2020
Un
terrible désastre a donc frappé Beyrouth
suite à l’explosion de son port. Une
explosion ayant provoqué une catastrophe
humaine et matérielle sans précédent en
ce lieu et qui s’est étendue sur des
kilomètres au sein de la ville.
Immédiatement, nombre d’analystes
politiques et de médias libanais, arabes
et étrangers se sont précipités pour
exploiter ce désastre contre le
Hezbollah, considérant qu’il s’agissait
d’une frappe israélienne sur des dépôts
d’armes lui appartenant, en dépit du
fait qu’il ait nié stocker des missiles
dans le port de Beyrouth, et en dépit du
démenti israélien [à propos duquel
nombre de Libanais dont M. Adnan
Mansour, ex-ministre libanais des
Affaires étrangères, pensent qu’il
aurait fallu attendre les conclusions de
l’enquête des Services libanais
compétents avant d’écarter tout soupçon
d’une attaque venant d’Israël ou
d’ailleurs, contrairement à l’adoption
quasi immédiate de la thèse de
l’accident dû à d’incontestables
négligences [*], NdT].
Or,
les experts militaires objectifs sont
unanimes pour dire que le transfert des
armes vers le Hezbollah se fait
principalement par voie terrestre via la
Syrie, et qu'il est pratiquement
impossible qu’il se fasse par voie
maritime, en raison de la présence de la
force navale de la FINUL [Force
Intérimaire des Nations Unies au Liban],
déployée depuis octobre 2006 tout le
long des côtes libanaises, et dont les
objectifs annoncés sur son site officiel
sont : « aider la marine libanaise à
surveiller ses eaux territoriales, à
sécuriser les côtes libanaises et à
empêcher des armes non autorisées ou des
matériels connexes d'entrer au Liban par
voie maritime ».
Ce
qui n’a donc pas empêché certains
Libanais, politiciens et journalistes,
d’exploiter cette catastrophe, certains
médias allant jusqu’à réclamer une
« tutelle internationale », laquelle se
chargerait de désarmer les Libanais,
délimiterait les frontières et
imposerait son autorité sur le Liban !
Ici, nous nous devons de réfuter cette
étrange réclamation en termes de Droit
international.
-
Premièrement : Le
« régime international de tutelle » a
été établi en 1945 par l’Organisation
des Nations Unies, conformément au
chapitre XII de sa Charte,
pour la surveillance des
territoires placés sous tutelle en vertu
d'accords particuliers conclus avec les
États chargés de les administrer.
Il a définitivement disparu en 1994,
année au cours de laquelle le dernier de
tous les territoires sous une telle
tutelle est devenu, à son tour, un État
indépendant.
-
Pour information, la « tutelle
internationale » est un type de
colonialisme que les États coloniaux ont
tenté de poursuivre de manière masquée
après la Deuxième Guerre mondiale pour
exploiter les peuples pauvres et
s’approprier leurs ressources. Par
conséquent, ceux qui réclament une
tutelle internationale veulent-ils nous
transformer en « colonie
internationale » et nous ramener au
régime du mandat [celui de la défunte
Société des Nations ; NdT] ?
-
Deuxièmement : La
« tutelle internationale » tombe du
simple fait qu'un État rejoigne
l’Organisation des Nations Unies, parce
que son principe contredit un autre
principe essentiel et fondamental de ces
mêmes Nations Unies : celui de
l’« égalité souveraine » comme l’affirme
l’article 78 de la Charte.
-
Troisièmement : Le
principe de la tutelle internationale
tombe devant le principe du « droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes », lequel
est considéré comme l'un des principes
catégoriques du droit international. Par
conséquent, en dehors du fait que la
réclamation d’une tutelle internationale
est fondamentalement illégale, comme
nous venons de le démontrer, le droit
des Libanais de décider de leur avenir
ne peut pas tomber devant les
réclamations de politiciens ou de
journalistes, qu’ils soient locaux ou
étrangers.
Par
ailleurs, en admettant qu’une telle
tutelle soit encore possible, les
réalités sur le terrain, la politique et
les pratiques étatiques font que son
imposition nécessite une résolution du
Conseil de sécurité. Et la question
devient : comment obtenir un tel
consensus aujourd’hui ?
De
plus, réclamer une tutelle
internationale pour désarmer le
Hezbollah dénote une grave
superficialité, car aucun pays ne sera
prêt à engager ses soldats au Liban pour
ce faire, notamment depuis qu’Israël en
a été incapable en 2006 [en dépit de la
guerre de 33 jours de bombardements
non-stop sur Beyrouth, NdT].
Dr Leila Nicolas
Professeur de Relations internationales
à l’Université libanaise
05/08/2020
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source :
Al-Mayadeen
https://www.almayadeen.net//articles/article/1414322/
[*] Vidéo :
M. Adnan Mansour sur NbN TV (à 23’05’’)
https://www.youtube.com/watch?v=ashd4AS_BsE
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