Liban
Liban / Pompeo et la confirmation
de l'entente avec Macron…
Ghaleb Kandil

Samedi 5 septembre 2020
Concernant la Résistance libanaise, la 4ème
intervention publique du Président
Emmanuel Macron sur le Liban est sans
doute la plus explicite. Nous
transcrivons ici un extrait de la
conférence de presse tenue le 1er
septembre 2020 à l’ambassade de France à
Beyrouth, en réponse à la question d’une
journaliste locale en langue française.
Une question offerte comme du pain béni
aux opposants au Hezbollah et,
apparemment, au Président :
Question : Vous avez dit que
le Hezbollah est un parti élu par le
peuple. Or, pensez-vous que les
élections législatives peuvent avoir
lieu en toute liberté tant qu’il y a un
groupe armé qui est en train d’intimider
ses opposants par la force de ses armes
et par sa mainmise sur l’État et sur le
pouvoir ? Pensez-vous qu’on pourrait
vraiment entamer un dialogue pour la
refonte du système dans de telles
conditions Monsieur le Président ? Et
est-ce que vous auriez eu les mêmes
propos par rapport au Hezbollah s’il
s’agissait d’un groupe armé en France ?
Réponse : Sur le sujet des
élections législatives, ce que vous
dites est un état de fait et nous avons
eu cette discussion de manière très
franche tout à l’heure autour de la
table, y compris avec le représentant du
Hezbollah. Et ce que vous décrivez est
juste. Est-ce qu’il m’appartient à moi,
pour autant, d’invalider des élections
et de dire : je refuse de reconnaître
une force politique ? Je ne parle pas du
Hezbollah dans sa composante militaire
et terroriste sur laquelle la France a
toujours été claire et qu’elle condamne,
mais sur le Hezbollah en tant que force
politique. Est-ce qu’il est élu dans des
conditions de sincérité du scrutin
parfaites ? Je ne suis pas le juge de
votre scrutin. L’observation
internationale, le bon sens me
conduisent plutôt à penser que ce que
vous dites est vrai et juste. Et donc
qu’il faut améliorer les choses sur ce
point. Si je voulais être dans la pureté
des intentions, je condamnerais le
Hezbollah dans sa plénitude. Je dirais :
je refuse de parler au Hezbollah en tant
que formation politique à votre
parlement, en tant que partenaire
politique de la majorité que vous avez
élue, elle, ce qui vous pose, par
rapport à votre question, un autre
principe politique et constitutionnel.
Et je vous dirais : c’est très simple,
il faut les condamner, les désarmer, et
je repartirais chez moi. Et vous
resteriez avec votre problème. Et je
n’aurais rien changé avec votre
problème. Je pense d’ailleurs que toutes
les Libanaises et les Libanais, qui
vivent en France, me diraient : merci
Président, vous avez bien parlé. Mais je
n’aurais eu aucune action utile.
J’essaie de dire ce que le pense, la
vérité au plus près et d’avoir une
action utile.
Sans doute le Hezbollah est-il
une force politique présente à votre
parlement, parce qu’il y a eu de
l’intimidation et parce qu’il joue sur
cette dualité. Ce que vous dites est
vrai. Il l’est aussi, sans doute, parce
que beaucoup d’autres forces politiques
n’ont pas réussi à bien diriger le pays,
à rendre les gens un peu plus heureux,
aussi, et c’est sans doute un peu vrai.
Et que si l’on continue comme ça, il
sera de plus en plus fort, parce qu’avec
des moyens qui ne sont pas ceux des
autres forces politiques, des pratiques
qui ne sont pas reconnues par la vie
internationale, parfois une plus grande
efficacité sur le terrain, socialement,
culturellement, il a une clientèle.
C’est ça la réalité. Je vous parle très
franchement. Et donc, moi j’essaie avec
vous d’avoir un discours sincère et de
ne pas m’enrober dans les principes et
donc, par rapport à votre question, je
vous ai répondu très précisément et de
la manière la plus sincère.
Comment on en sort ? Pas avec
des mots dans une déclaration qui n’est
pas consensuelle et qui fait que, au
fond, le partenaire de votre parti
majoritaire vous ne le traitez pas et
donc vous pouvez vous amuser à bloquer
toutes les réformes, mais en ayant un
discours sincère avec le Hezbollah,
formation politique, lui disant : vous
voyez bien que c’est un problème pour
vous aussi aujourd’hui. C’est exactement
la discussion que nous avons eu il y a
une heure, exactement ! Je leur ai dit :
donc, à notre prochain rendez-vous pour
les prochaines réformes, on doit parler
de ce sujet. Est-ce qu’on arrive à le
résoudre tout de suite ? Je ne sais pas.
Ça ne doit pas être un tabou. Mais
est-ce que c’est un principe qui
interdit toute discussion sur le reste ?
Ça ne marche pas. Donc, je suis comme je
vous l’ai déjà dit, un vrai idéaliste,
c’est-à-dire un vrai pragmatique. Je
crois dans mes principes. Je les
défends. Je sais où est mon horizon. Je
ne cède rien par rapport à ça, mais
j’essaie de construire avec vous le
chemin. Sinon, il n’y a pas de chemin
pour arriver à l’endroit qu’on évoque.
Voilà ! [de la 40ème minute à
la 44ème minute].
Le lendemain, 2 septembre, le
secrétaire d'État américain Mike Pompeo
ne s’est pas embarrassé d’un tel
distinguo [5]. Il aurait précisé que les
États-Unis et la France partageaient les
mêmes objectifs pour le Liban et que le
principal défi était le pouvoir du parti
politique armé Hezbollah que son pays
considère comme un groupe terroriste
[NdT].

La
déclaration du secrétaire d'État
américain Mike Pompeo, venu soutenir
l'initiative de Macron au Liban tout en
confirmant une coordination préalable
entre Washington et Paris, a été une
reconnaissance réaliste du fait que les
événements récents dont nous avons été
témoins sont l’expression d'un virage
occidental dirigé par les États-Unis,
mais délégué à la France, afin de
maintenir l'influence occidentale sur le
pays et de bloquer le changement suggéré
par la Résistance pour échapper à
l'étranglement économique ; Macron ayant
laissé entendre qu’il en contiendrait
les effets sans s’être engagé,
jusqu’ici, à en défaire les contraintes.
Premièrement : Le
président français n’a pas mentionné les
sanctions américaines imposées au Liban.
Et, en dépit de son ouverture politique
au Hezbollah et de ses paroles positives
sur son rôle ainsi que son poids
politique et représentatif, il a
maintenu un langage hostile quant à son
rôle central de résistance face à la
menace sioniste, à ses attaques
aériennes incessantes et à son
occupation de certaines parties du
territoire libanais ; tentative forcée
de dissociation entre la position
occidentale consistant à traiter la
Résistance d’organisation terroriste et
sa qualité de force majeure, politique
et populaire, qu’il est impossible
d’ignorer.
En ce sens,
ce changement du discours officiel
français est un retour à la
reconnaissance effective de la
Résistance, de son poids majeur dans la
vie nationale libanaise et de ses
équilibres. C’est aussi un retour à la
communication coupée par Paris ces
dernières années au cours desquelles la
France s'est intégrée au plan américain
de démolition de l'axe de la Résistance
et aux tentatives devant mener
à
un renversement global et stratégique
qui soumette l'Orient arabe à la
domination occidentalo-sioniste via deux
grandes guerres, menées directement et
par procuration, dans le but de détruire
la Syrie et le Yémen.
Deux guerres dans lesquelles
l'implication française a été totale,
ses effets étant toujours d’actualité
aux niveaux politique, médiatique,
militaire et du renseignement,
particulièrement en Syrie, où le
Hezbollah fut un véritable fer de lance
dans le combat contre les plans
occidentaux.
Deuxièmement : Cette
dimension ne peut donc être écartée du
contexte de l'initiative française en
direction des dirigeants de la
Résistance, après tant d’épisodes de
confrontations féroces. Et ce, quelles
que soient les amabilités des salonards
ou les expressions choisies avec soin
par le Président Macron pour la
promotion de son image de « sauveur du
Liban » ou l’affirmation de l’idée
d’une France, « tendre mère », qui
n’abandonnerait pas ce pays en détresse.
Une mère qui n’a cessé de participer à
son étranglement depuis la guerre de
Juillet [2006] jusqu’au moment de
l’arrivée de son président visiteur
Or, la
déclaration de Mike Pompeo à propos de
la coordination et de l’entente avec la
France, en ce qui concerne le Liban,
revient à dire qu’une sorte de mandat
américain a été accordé au président
français, afin de contenir la crise
libanaise et de traiter avec la
direction de la Résistance devenue le
cauchemar de Washington et de Tel Aviv.
Par conséquent, elle est venue confirmer
que le revirement n'était pas dû au seul
effort de la France. Chose acquise, que
cette entente ait précédé ou suivi
l’explosion du port de Beyrouth et la
première visite de Macron [1][2] ;
lequel a saisi l'opportunité d'une
ingérence positive au service des
intérêts occidentaux dans le bassin
méditerranéen, justement à partir du
Liban et tout près de la Syrie où
s’accumulent les éléments d'une défaite
majeure de l'OTAN ayant pesé de tout son
poids dans une guerre directe et
indirecte, usant de ses énormes
potentialités tout au long des dix
dernières années.
Troisièmement : Les
Libanais ordinaires, fatigués, ont
tendance à adopter le mythe de
l’empathie française. Certains se sont
précipités avec empressement à la
rencontre du président visiteur, tandis
que d’autres ont témoigné d’une
disposition culturelle flagrante au
Syndrome de Stockholm en souhaitant le
rétablissement du mandat étranger ; les
promesses de Monsieur Macron leur
apparaissant comme une lueur d'espoir
qui les mènerait à sortir de la crise
qui les étrangle, en dépit du fait
qu’elles sont restées dépendantes des
conditions exigées par le Front
monétaire international. Pour ceux-là,
toute critique de tels comportements est
ressentie comme une privation frustrante
quant à l’espoir qu’ils ont imaginé.
Et
alors que ceux qui avaient parié sur une
action contre la Résistance libanaise et
ses alliés recevaient la gifle
retentissante du « pragmatisme » de
Macron expliquant l’obligation de
reconnaître les forces politiques en
présence et de dialoguer avec elles,
tous ceux qui s’étaient élevés contre la
suggestion de se diriger vers l’Est se
sont mis à vociférer contre les
propositions des Chinois, des Iraniens
et des Irakiens, tout en bloquant l'idée
de revitaliser les relations avec la
Syrie par des injections répétées de
leur inimitié.
De
même, les prétendus jaloux de leur
souveraineté et de leur indépendance
n’ont rien trouvé qui puisse égratigner
leurs nobles sentiments, ni dans
les paroles de Macron
témoignant d’une ingérence directe dans
les affaires intérieures du Liban, ni
dans les comportements de dirigeants
politiques libanais lui présentant leurs
propres projets de réforme, fin prêts à
subir tous les tests de qualification
afin de participer à l’atelier de
sauvetage animé par le président
français, non sans chercher à arranger
leurs dossiers d'investissement et leurs
cahiers de règlements de telle sorte que
soient qualifiées les entreprises
françaises ; d’où des transactions
lucratives et rentables dans un pays
effondré et épuisé au moindre coût.
Le
Libanais modeste crie « où est le mal
tant que le cycle de la vie peut
reprendre et que ses conditions peuvent
s’améliorer ? ». Entretemps, les
programmes nationaux disparaissent,
tandis que les orateurs et les
théoriciens attendent l’occasion de se
voir catapultés au poste de ministre ou
tout autre poste leur permettant
d’établir des contrats, vu que la France
a gardé une part parmi les « élites »
libanaises, malgré l'attaque
anglo-saxonne qui a néanmoins éclaté
depuis « l'Accord de Taëf ». Et voilà
que d’autres frustrés crient à nouveau :
« C’est cela le Liban ! ». Une
expression sur laquelle nous
reviendrons…
Ghaleb Kandil
03/09/2020
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : New orient
news
http://neworientnews.com/index.php/news-analysis/83315-2020-09-03-08-03-08
Notes :
[1][Déclaration
du Président Emmanuel Macron à son
arrivée au Liban deux jours après
l'explosion au Port de Beyrouth (6 août
2020)]
[2]Liban
- Conférence de presse du Président
Emmanuel Macron depuis Beyrouth (6 août
2020)]
[3][Notre
Méditerranée gronde. Écoutez le message
du Président Emmanuel Macron au Forum
Moyen-Orient Méditerranée de Lugano (29
août 2020)].
[4][Conférence
de presse du Président de la République
à la Résidence des Pins (1er
septembre 2020]
[5][Pompeo
: le gouvernement libanais doit
poursuivre un « vrai changement », (2
septembre 2020)]
Monsieur Ghaleb Kandil est
le Directeur du Centre New Orient News
et membre du Conseil national de
l’audiovisuel au Liban (CNA) chargé des
relations arabes et internationales.
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