Syrie
Présidentielles syriennes : Voter ou
mourir
sous les « canons de l'enfer » ?
Mouna Alno-Nakhal
Lundi 2 Juin 2014 : « Oui,
les cadeaux empoisonnés continuent à
tomber du ciel, plus souvent qu’ils ne
nous explosaient à la figure, du ventre
de la terre. Oui, comme par miracle,
nous sommes toujours entiers, alors que
peu de quartiers d’Alep et de ses
environs sont épargnés. Après Midane,
Mayssaloun, Jabriyé, Mogambo… beaucoup
d’autres quartiers sont désormais dans
le collimateur des ingénieux « opposants
modérés » férus de démo-crassie à coups
de canons !
Va regarder sur le Facebook d’untel et
d’untel… tu verras qu’il ne leur manque
plus que les fameuses armes « non
létales » de Hollande, d’Obama, de
Cameron, et de tous les satanés
démocrates de cette planète, pour nous
achever à petit feu le jour comme la
nuit ! Ils appellent cela les « canons
de l’enfer »…
Regarde bien, il paraît qu’ils poussent
le vice jusqu’à les associer à toutes
sortes de ferrailles pour augmenter
leurs performances. Rien qu’hier, il y a
eu 23 morts et des dizaines de blessés
côté ouest, et je ne te raconte pas les
destructions matérielles. On me dit
qu’ils sont bien installés sur les
hauteurs de Bani Zayd et que de là, ils
peuvent continuer à s’en donner à cœur
joie ! Remarque, Erdogan n’est pas en
reste. As-tu entendu qu’il aurait décidé
de nous assoiffer, plus efficacement
encore que ses sbires terroristes, en
nous coupant l’eau de l’Euphrate [1] ?
Ah, elle est belle cette Europe qui le
manipule avec des « je t’aime, mais va
voir ailleurs si j’y suis » !
Aujourd’hui, c’est la première fois que
les rues sont vides de monde, alors que
ces jours derniers étaient complètement
surréalistes. D’un côté, la liesse, les
drapeaux, les klaxons, les slogans
patriotes à l’image de tous ces Syriens,
résidant à l’étranger,
qui ont massivement voté pour
l’amour de notre patrie, au grand dam de
tous nos ennemis. De l’autre, la
désolation, les sirènes, l’immense
douleur de ceux que le hasard a choisi
de frapper plus durement que les autres
en fauchant la vie d’un ou plusieurs de
leurs proches. Je ne sais pas si tu
entends, mais ça continue… ce n’est plus
très loin de nous.
Plus que jamais, ils cherchent à nous
intimider, comme si les gens d’Alep ne
savaient pas qui sont leurs prétendus
« opposants modérés » et qu’ils
n’avaient pas vu, de leurs propres yeux,
leur soi-disant ASL [Armée Sioniste
Libre] pactiser avec les terroristes
pour nous montrer les étoiles de midi,
alors que DAECH [EIIL : État Islamique
d’Irak et du Levant] n’était pas encore
né !
Plus que jamais, ils cherchent à nous
déraciner, comme s’ils n’avaient pas
suffisamment surfé sur le dos des
réfugiés syriens, qu’ils ont eux-mêmes
dispersés, pour parfaire leur sinistre
complot et tenter de nous humilier. Et
voilà que le gouvernement libanais s’y
met lui aussi en décrétant, à l’occasion
des élections présidentielles,
l’interdiction de retour pour tout
réfugié syrien qui se rendrait en Syrie
à partir du 1er Juin courant [2]… Alors,
tu comprends quand je ne cesse de te
répéter : nous sommes chez nous et nous
y resterons morts ou vifs !
Tu ne connais pas la dernière ? En
parfait accord avec les démocraties
occidentales sur la prétendue
« illégitimité des élections
présidentielles syriennes », les
terroristes sous bannière noire,
viennent de déclarer Damas « zone
militaire » pour toute la durée des
élections [3] et que tous les centres de
vote seront des cibles légitimes !
Inutile de te dire que nous savons déjà
ce que cela signifie. Maintenant, reste
à savoir si nous serons logés à la même
enseigne ou si nous aurons le droit de
goûter à des armes plus sophistiquées et
« moins létales » venues de France, des
USA, d’Israël, de Libye, d’Ukraine… via
la Jordanie, ce cher pays frère…
Mais rassure-toi, nous prenons les
choses comme elles viennent. Nous avons
préparé et nos testaments, et nos pièces
d’identité, pour aller voter très tôt
demain matin. Nous n’aurons pas à aller
très loin. Il se trouve qu’un bureau de
vote a été installé dans notre rue.
Chance, ou malchance ? Tu le sauras
bientôt ! »
Mardi 3 juin, 11 H :
Le téléphone sonne de nouveau : « J’ai
la chance d’avoir une ligne sécurisée…
sans cela je ne pourrais pas t’appeler…
C’est difficile de ne pas sombrer dans
le désespoir en voyant Alep « se
disloquer »… je ne trouve pas d’autre
mot. Jusqu’où iront-ils et jusque quand
résisterons-nous ? Qui se soucie de
notre sort ? Qui est au courant de ce
qui nous arrive ? J’ai écouté les
nouvelles… presque rien sur notre réelle
situation !
Hier, vers 17 H, juste après que nous
nous soyons parlé, toute la ville a
tremblé de nouveau. Cette fois-ci,
l’explosion venait des souterrains du
quartier al-Midane… Il mérite son nom,
car c’est bien l’« arène » des
agressions les plus violentes contre les
civils coupables de ne pas plier
l’échine devant la coalition de tous les
criminels hystériques déguisés en
démocrates… Idem, pour le quartier
Sleimaniyé, et celui de l’Hôpital al-Razi…
un terrifiant cauchemar dans lequel
« ils » nous enfoncent jour après jour !
Après le calme très relatif de cette fin
de nuit, les bonbonnes de gaz se sont
remises à pleuvoir de tous les côtés.
« Ils » nous ont promis 2000 de ces
« cadeaux » pour la journée !
L’aviation militaire a bien surgi dans
le ciel, mais ça n’a duré que quelques
secondes. Comment veux-tu qu’elle puisse
les atteindre en épargnant la
population, alors qu’ « ils » sont
partout, parmi nous, et que les gens se
sont réfugiés dans les caves et les
escaliers des immeubles éventrés ?
C’est un déluge de « canons de l’enfer »
depuis 7H ce matin. Écoute… écoute les
sirènes des ambulances ! Tiens là, tu
entends, deux explosions proches de là
où je suis. Comme c’est simple ! Que
c’est ingénieux ! Toute cette
résistance, tous ces succès militaires
de notre Armée, et nous voilà à la merci
de bonbonnes de gaz trafiquées !
J’oubliais, comble du comble,
électricité et eau sont de nouveau
coupées. La totale ! Mon mari vient de
faire un tour du côté de ce qui reste
des hôpitaux… Il me décrit l’horreur de
cette guerre de voyous sanguinaires
soutenus par d’autres voyous en cravate,
sûrs de leur impunité, et qui arpentent
les couloirs de l’ONU, de la Maison
« noire », sans oublier les palais de
l’UE et de l’Élysée… Avec le « Croissant
rouge », il aide autant qu’il peut. Mais
comment soulager les blessés
dégoulinants de sang et entassés, par
dizaines, entre les murs encore debout
de certains de nos hôpitaux ? Comment
soigner les blessures physiques et
morales, des uns en état de choc, des
autres hurlant les noms leurs enfants ou
de leurs parents perdus de vue ? Où
enterrer, pour ne pas dire « stocker »
les cadavres de ceux qui ne diront plus
jamais rien, sinon que nous leur devons
de ne pas céder et de nous rendre au
bureau de vote le plus proche, malgré
tout ?
Non, je n’ai pas encore voté. J’attends
le retour de mon mari. Si j’ai peur ? Ce
serait te mentir que de te raconter que
je suis zen. J’ai mal au ventre et à la
gorge… c’est sans doute la colère qui
monte… qui monte ! De là où je suis, je
vois le bureau de vote fin prêt. Mis à
part les militaires, en apparence
imperturbables, je ne vois aucun civil…
Vont-ils gagner ? Ont-ils gagné ?
Avant de te quitter, je te demande
d’aller voir la photo que notre amie… a
posté sur son Facebook… ça s’est passé
devant chez elle. Tu vois les dégâts
causés par un seul de ces projectiles de
l’enfer ? Elle a quand même voté !
Combien auront son courage ? Je
t’appellerai après 19H pour te le dire.
Je t’appellerai, si je suis encore de ce
monde…
D'ici là, je prie et n'arrêterai pas de
prier ! Et toi, sais-tu encore prier ? »
Notes :
[2] Zohbi : La décision de Machnouk est destinée à
empêcher les Syriens de voter
http://www.lorientlejour.com/article/869841/zohbi-la-decision-de-machnouk-est-destinee-a-empecher-les-syriens-de-voter.html
[3] Traduction du communiqué
« militaire » des opposants modérés :
En-tête sous bannière noire :
Chambre des opérations - Damas - Notre
décision est le fait de l’Oumma.
Au nom de Dieu le très miséricordieux,
Dieu
n'avait fait cela que
pour vous
apporter une
bonne nouvelle et qu'avec cela
vos cœurs se rassurent, car la victoire ne
vient que de Lui, le très vénéré et le
très sage.
Communiqué militaire
La chambre des opérations de Damas
déclare ce qui suit :
1.
La deuxième étape de la bataille contre
les Kabt al-Khaïbine [les perdants] a
commencé
2.
Damas est une zone militaire pendant
toute la sale période électorale qui se
déroule malgré le sang et les
destructions
3.
Tous nos parents prisonniers de Damas
doivent rester à domicile pendant toute
la période électorale
4.
Tous les centres de vote sont des cibles
légitimes pour nous
Damas le 01/06/2014 [3/Chaabane/1430 h]
Mouna Alno-Nakhal
02/06/2014, vers 15 H
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