Libye
Trump, l’islamisme et la transition
libyenne
Moncef Djaziri *
Donald
Trump/Khalifa Haftar/Fayez Sarraj/Aguila
Salah.
Jeudi 6 juillet 2017
Trump considère l’islamisme comme
une forme d’extrémisme conduisant
nécessairement au terrorisme. Et cette
vision dicte une nouvelle approche de la
situation en Libye.
Le président Donald
Trump a souvent critiqué les engagements
américains de 2011 ayant créé le chaos
actuel en Libye. Il a aussi dénoncé la
politique de son prédécesseur Barak
Obama, qui a défendu d’intégration des
islamistes dans le pouvoir, position
qu’il juge néfaste.
Compte tenu du
poids des Etats Unis et de leur rôle
dans les affaires du monde, il importe
de savoir comment le président américain
voit la situation et qu’elle est sa
politique dans le bourbier libyen.
Trump et le
«Printemps arabe» en Libye
Loin d’avoir résolu
les problèmes des pays concernés, le «Printemps
arabe», selon Trump, n’a fait
qu’aggraver leur désarroi et les a
déstabilisés davantage, ce qui est le
cas de la Libye.
Le président
américain fait sienne les analyses du
Washington Institute for Near East
Policy(1) considérant que la Libye
post-Kadhafi souffre d’une grave
instabilité. Loin d’avoir permis au pays
d’entrer dans la démocratie, la révolte
de 2011 a détruit l’Etat, désorganisé et
déstabilisé dangereusement le pays.
Dans ces
conditions, la stabilisation de Libye
devient le premier objectif des
Etats-Unis, comme il l’est pour
l’Europe. Il n’est donc plus question
d’y promouvoir la démocratie comme l’ont
fait les présidents Bush et Obama.
Trump considère que
l’expérience démocratique libyenne de
2012 à 2014 n’a eu pour effet que
d’accentuer les divisions et nourrir
l’extrémisme islamiste, conduisant à une
guerre ouverte entre l’Est, l’Ouest et
le Sud, sans parler de l’implantation de
l’Etat islamique (Daech).
C’est la raison
pour laquelle, l’administration de Trump
estime urgent de reconstruire l’Etat, de
recréer une armée nationale solide et
structurée et de mettre en place un
gouvernement à même de contrôler le
territoire ainsi que les puits
pétroliers.
La position de
Trump se résume dans ce slogan : mieux
vaut un gouvernement fort et stable
qu’une démocratie conflictuelle, analyse
que plusieurs pays européens partagent
de plus en plus.
Lutte contre
l’extrémisme et criminalisation des
islamistes
Dès l’arrivée de
Trump au pouvoir, des voix aux
Etats-Unis se sont élevées lui demandant
d’adopter une position ferme à l’égard
des islamistes. Ainsi l’organisation
Justice et Développement du Centre
d’Etudes du Moyen Orient et l’Afrique du
Nord a-t-elle demandé, fin janvier 2017,
au président et au Congrès américains de
considérer les Frères musulmans, ainsi
que les différents courants salafistes,
comme organisations terroristes, et de
demander des comptes aux Etats qui les
soutiennent. C’est l’enjeu actuel des
sanctions imposées au Qatar par l’Arabie
saoudite, l’Egypte et les Emirats arabes
unies.
Contrairement à
Obama, qui avait joué la carte de
l’islamisme modéré, et s’appuyant sur
les analyses de Walid Phares(2), Trump
considère qu’il n’y a pas de différence
de nature entre islamisme et extrémisme
religieux et que, tôt ou tard, les
«islamistes modérés» se
radicaliseront et deviendront des
extrémistes. Dans son discours
d’investiture du 20 janvier 2017, il
s’était d’ailleurs engagé à combattre
l’extrémisme islamiste : «Nous
renforcerons les vieilles alliances,
nous en établirons de nouvelles et nous
unirons le monde contre le terrorisme de
l’islam radical».
En cohérence avec
cette analyse, le Parti républicain a
présenté, en février 2017, un projet de
loi visant à classer les Frères
musulmans en Libye comme organisation
terroriste entretenant des liens
criminels avec Ansar Charia, ainsi que
le Conseil de Choura de Benghazi (CCB).
Par ailleurs, un
projet de loi est actuellement à l’étude
au sein de la Chambre des Représentants
visant à imposer des sanctions aux pays
qui soutiennent politiquement et
financièrement les Frères musulmans.
Ces projets, dont
le premier avait été initié avant
l’installation du président Trump,
correspondent à une longue évolution de
la position des Républicains à l’égard
des événements en Libye. Après avoir été
d’ardents activistes de la destruction
du régime de Kadhafi et défenseurs zélés
de l’islamisme, ils se sont rendus
compte que l’action américaine en Libye
en 2011 a généré une grave instabilité,
préjudiciable aux Etats-Unis et aux pays
occidentaux.
L’assassinat à
Benghazi, en septembre 2012, de
l’ambassadeur américain Christopher
Stevens et de trois auteurs américains
par des membres d’Ansar Charia a été le
début dramatique du changement
stratégique.
Depuis cette date,
les décideurs américains pensent que les
islamistes radicaux constituent une
vraie menace pour les Etats-Unis.
Une Troïka devra
gouverner le pays en attendant des
élections
Donald Trump
constate que le Maréchal Haftar et
l’Armée nationale libyenne de l’Est
contrôlent le Croissant pétrolier et une
très grande partie du territoire.
Partant de là, il considère que les
Etats-Unis doivent soutenir l’homme fort
de Benghazi. Dans le même temps, il
continue à défendre l’Accord politique
de 2015 mais qui doit être revu et
amendé.
Trump soutient
également les républicains modernistes
qui constituent une composante non
négligeable en Libye.
Dans ce cadre, le National Council on
US-Libya Relations a organisé à
Washington, en mai 2017, une conférence
réunissant des leaders libyens comme le
vice-président du Conseil présidentiel
Ali Gatrani ainsi que l’ancien Premier
ministre du Conseil national de
transition (CNT), Mahmoud Jibril.
La solution vers
laquelle s’oriente l’administration
Trump est de sauver les apparences en
défendant l’Accord de 2015, tout en
appelant à réformer le Conseil
présidentiel. C’est tout l’objet des
tractations actuelles entre les
Etats-Unis, l’Egypte et, indirectement,
la Russie et des pays européens dans le
but d’amender l’Accord politique.
Il s’agit de
redimensionner le Conseil présidentiel
qui pourrait être composé de trois
présidents s’alternant pour gouverner le
pays pendant une période de transition
de deux ans devant conduire à de
nouvelles élections.
Dans la phase de
transition, une Troïka constituée de
l’actuel Premier ministre Faïez Sarraj,
du Maréchal Haftar, commandant en chef
de l’armée nationale libyenne, et de
l’actuel président de la Chambre des
représentants de Tobrouk, Aguila Salah,
devra gérer le pays, reconstruire une
armée solide et un Etat en attendant la
mise en place de nouvelles institutions.
Il est question aussi de réintroduire
Seif Al-Islam Kadhafi dans le jeu
politique.
Repli américain et
défi russe
L’administration
américaine semble vouloir opérer un
retrait. La réduction de 37% du budget
du Département d’Etat alors que celui de
la Défense a été augmenté de 60% sont le
signe de cette volonté.
Ce repli a été
annoncé en avril 2017 avec la
déclaration de Trump selon laquelle, en
dehors de la lutte contre l’Etat
islamique Daech dans la région, les
Etats-Unis n’ont pas l’intention de
s’occuper des affaires libyennes.
Cependant et pour
des raisons géostratégiques et de
sécurité nationale, des parlementaires
républicains ont demandé à
l’administration Trump que la Libye soit
placée sur écran-radar. Ils estiment que
la Russie a pris une trop grande place
en Libye, et tout en soutenant le
Maréchal Haftar, elle exerce une
influence accrue à l’Est comme à l’Ouest
du pays. Cette prise de position a été
relayée par le Général Thomas Waldhauser,
chef du Commandant armée américain en
Afrique (Africom).
Le soutien
américain de plus en plus perceptible au
Maréchal Haftar et aux Libyens
modernistes indique donc que Trump est
tiraillé entre sa volonté de repli et
l’impératif de contrecarrer la volonté
hégémonique de la Russie dans la région.
La politique
libyenne de Trump est en rupture avec
ses deux prédécesseurs. La sécurisation,
la stabilisation et la relance de
l’économie sont désormais prioritaires
par rapport à une démocratie
conflictuelle pour laquelle la Libye
n’est ni préparée ni équipée. Pour le
président américain, «l’islamisme
démocratique», que défendait Obama,
est une contradiction dans les termes
car le but des islamistes est
d’instaurer tôt ou tard une société
islamisée qui est la négation des
principes de la démocratie libérale et
de l’Etat de droit.
C’est la raison
pour laquelle, Trump considère désormais
l’islamisme comme une forme d’extrémisme
conduisant nécessairement au terrorisme,
d’où sa volonté de réduire l’influence
politique des Frères musulmans et faire
pression sur les pays qui, comme le
Qatar et la Turquie, les soutiennent et
les financent.
A n’en pas douter,
il s’agit là d’un changement profond de
la politique américaine dont on commence
à peine à entrevoir les conséquences.
*Maître
d’enseignement et de recherche de
l’Université de Lausanne (Suisse),
spécialiste de la Libye et membre du
Centre International de Géopolitique et
de Prospective Analytique (Paris).
Notes:
1 – « Policy
Notes For The Trump Administration »,
The Washington Institute for Near East
Policy, N° 31, January 2017.
2 – Walid
Phares, professeur de sciences
politiques, chrétien maronite t
conseiller du président Trump pour la
région Moyen Orient et Afrique du Nord,
voir son livre « The Lost Spring : U.S.
Policy in the Middle East and
Catastrophes to Avoid », 2014.
Transmis par l'auteur via GHS
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