Interview
Pete Dolack : « Il est plus que temps
que nous ayons
un front mondial
anticapitaliste et anti-impérialiste »
Mohsen Abdelmoumen

Pete Dolack. DR.
Samedi 29 février 2020 English version here
Mohsen
Abdelmoumen : Votre livre
passionnant It’s
not over: Learning From the Socialist
Experiment (Ce n’est pas fini :
tirer les leçons de l’expérience
socialiste) nous montre pourquoi on doit
dépasser le capitalisme et il fournit
aussi les outils de la manière de s’y
prendre. Pouvez-vous expliquer à notre
lectorat comment on peut lutter
efficacement pour détruire
définitivement ce système aberrant
qu’est le capitalisme ?
Pete Dolack :
C’est la question centrale, n’est-ce
pas ? Aucun d’entre nous n’a la réponse
individuellement ; c’est une question à
laquelle on ne peut répondre que
collectivement et, vu l’état actuel du
monde, peut-être qu’à l’heure actuelle,
on peut répondre plus dans l’abstrait
que concrètement, même si nous préférons
cette dernière solution. Je pense que ce
qui est indispensable maintenant, et qui
peut être fait maintenant, c’est de
briser le concept éculé de « il n’y a
pas d’alternative ».
« Il n’y a pas
d’alternative » est ce qui maintient le
capitalisme en place. Ce qui ne veut pas
dire que beaucoup de force est également
nécessaire. Mais lorsqu’un nombre
suffisant de personnes croiront qu’un
monde meilleur est possible et seront
prêtes à agir en conséquence, ce sera
effectivement possible. Cela sera
possible en organisant à l’échelle
mondiale, à travers les frontières
nationales et toutes les autres lignes,
en reliant ensemble la myriade de luttes
particulières et en comprenant les
connexions entre elles tout en nommant
le système, le capitalisme, qui est à
l’origine de tant de souffrances. Un
« mouvement des mouvements », comme
d’autres ont appelé un tel soulèvement
mondial, un soulèvement dans lequel les
gens comprennent que tous nos problèmes
ne seront pas résolus lors du
dépassement du capitalisme, mais que
l’humanité disposerait alors de la base
qui lui permettrait de résoudre
utilement les problèmes et de mettre fin
aux oppressions.
Une multitude
d’organisations populaires, reflétant
non seulement les différents sites de
lutte mais aussi les types de lutte
forcément différents, sera nécessaire.
Un mouvement réussi sera inévitablement
une coalition ; les expressions
politiques de celle-ci devraient
également être des coalitions. Les types
d’organisation de front populaire, les
coalitions de mouvements organisées pour
atteindre des objectifs spécifiques tout
en permettant aux groupes participants
d’exprimer leurs perspectives
particulières, sont des formes
susceptibles d’être nécessaires pour
créer le nombre suffisant d’activistes
indispensables pour réaliser des
avancées.
Un outil inutilisé
ne fait rien. Un outil utilisé
correctement multiplie la force. Un
mouvement sérieux a besoin d’une boîte à
outils complète et pas seulement d’un
outil.
Une telle boîte à
outils ne peut être utilisée que par des
organisations solidaires rassemblant des
mouvements au sein de larges alliances
qui permettent à des personnes
confrontées à des problèmes et à des
oppressions spécifiques de faire
progresser leurs objectifs simultanément
en les ancrant dans une compréhension
plus large de leurs causes structurelles
et des crises systémiques auxquelles il
faut s’attaquer. L’époque où l’on disait
aux gens qu’il fallait attendre son tour
et que, de toute façon, l’oppression
serait résolue une fois que nous aurions
fait une révolution doit être
définitivement révolue. D’autre part,
l’éclatement en une myriade de groupes
ne travaillant que sur des questions
spécifiques et isolés les uns des autres
est une garantie d’inefficacité.
Il n’est pas
nécessaire de choisir entre « politique
d’identité » et « politique de classe »,
car la malheureuse division entre les
militants nord-américains a formulé la
question comme s’il n’y avait aucun lien
entre les deux. Nous devons nous battre
sur tous les fronts, en utilisant à la
fois ce qui est important des luttes
passées et des nouvelles tactiques et
stratégies reflétant les conceptions
contemporaines découlant des conditions
actuelles. Il ne devrait pas non plus
être obligatoire d’accepter ou de
rejeter des structures
organisationnelles simplement parce
qu’elles sont anciennes ou nouvelles.
Une question qui ne
peut être évitée est celle de la
violence. Aussi pacifique que puisse
être un « mouvement de mouvements »,
l’histoire de la violence utilisée pour
maintenir le capitalisme en place et la
volonté de l’exercer des principales
puissances impérialistes au sommet du
système capitaliste mondial, ne peuvent
être occultées. Réduire la capacité de
l’État capitaliste à recourir à la
violence par le biais de ses forces
armées et de ses forces de police
militarisées serait essentiel. Il y a
des leçons positives du passé – comme
les ouvriers, les paysans, les soldats
et les marins qui ont retourné l’armée
et désarmé la police en 1917 en Russie –
et il y a des leçons négatives du passé
– comme la tactique tragique de mise au
pas des militaires au Chili de 1970 à
1973.
À l’ère du
travail précaire, de la digitalisation
et du capitalisme financier, comment
peut-on organiser la classe ouvrière ?
L’organisation sur
le lieu de travail était plus facile
lorsque les travailleurs étaient
rassemblés en grand nombre dans des
lieux uniques. Le défi consiste à
trouver de nouvelles formes de
solidarité entre travailleurs lorsque
nous sommes dispersés, et à relier les
organisations mises en place dans et
autour des luttes sur le lieu de travail
à d’autres luttes, tant sur une base
géographique qu’avec d’autres types et
lieux de lutte.
Le modèle
traditionnel du « syndicalisme
d’entreprise », selon lequel une
direction syndicale hiérarchique
travaille avec les cadres de
l’entreprise pour obtenir des gains
limités ou pour empêcher des pertes plus
importantes selon les circonstances et
le fait de le faire indépendamment non
seulement des autres lieux de travail
mais aussi de toutes les autres luttes –
comme si la détérioration constante de
nos conditions de travail et la
stagnation des salaires n’avaient aucun
rapport avec ce qui se passe en dehors
du bureau ou de l’usine – était une
impasse. Il n’y a pas d’alternative à
l’organisation de base pour construire
de nouvelles formes de syndicats et
d’autres organisations de solidarité des
travailleurs. Plutôt que d’être
organisée par lieu de travail ou par
entreprise, cette organisation doit se
faire à deux niveaux supérieurs : au
niveau de l’industrie et au niveau de la
ville.
Par industrie, tous
les employés d’une industrie
particulière, à travers un pays ou une
région. Par ville, tous les employés de
toutes les professions avec une
empreinte géographique donnée. Et par
« tous les employés », tous ceux qui
font partie du personnel permanent, à
temps plein ou partiel ; tous ceux qui
travaillent sur une base contractuelle
ou temporaire ; et ceux qui travaillent
en free-lance ou qui sont indépendants
d’une autre manière, avec l’objectif
central de faire en sorte que tout le
monde travaille à plein temps sans
contrat à plusieurs niveaux, dans le
cadre duquel les nouvelles recrues sont
beaucoup moins bien payées que les
travailleurs embauchés avant l’avènement
du contrat à plusieurs niveaux. Les
syndicats individuels ou d’autres
organisations peuvent appartenir à deux
fédérations – une pour son industrie et
une pour sa situation géographique, avec
des liens forts entre tous.
Rien de ce que je
suggère n’est possible sans une
organisation systématique sur le terrain
sur une longue période par des
organisateurs très motivés qui forment,
éduquent et organisent de nouveaux
organisateurs aussi rapidement que
possible. Une grande partie de cette
organisation devrait être clandestine
pour éviter que les organisateurs ne
soient licenciés à une époque où les
travailleurs sont peu protégés et pour
limiter la capacité des patrons et de
l’État à perturber le travail. Rien de
tout cela ne serait facile – il suffit
de rappeler la longue histoire de
l’organisation aux États-Unis et la
répression massive dont elle a fait
l’objet. De nouvelles tactiques, telles
que les sit-in, ont été développées dans
les années 1930, et d’autres nouvelles
tactiques seront sûrement nécessaires.
Peut-être plus
important encore, les nouvelles
organisations de travailleurs ne doivent
pas devenir hiérarchiques comme l’ont
été les syndicats afin de pouvoir
conserver leur flexibilité et leur
militantisme. Cette flexibilité et ce
militantisme contribueront à garantir
que les luttes sur le lieu de travail ne
soient pas considérées comme distinctes
des autres luttes, notamment celles pour
un logement abordable, l’accès aux soins
de santé et à l’éducation, et contre les
discriminations raciales, sexuelles,
nationales et autres. À son tour, la
nécessaire jonction des luttes
empêcherait le retour des idées étroites
et nuisibles de « syndicat
d’entreprises » selon lesquelles un
syndicat ne devrait se préoccuper que de
l’application d’un contrat tout en
ignorant les questions sociales externes
comme si elles étaient totalement
distinctes.
Pour revenir à la
notion de « il n’y a pas
d’alternative », nous devons avoir des
exemples d’alternatives. Je pense que
c’est une raison convaincante de
soutenir les coopératives et,
lorsqu’elles peuvent être créées, les
entreprises d’État qui sont sous le
contrôle démocratique de la main-d’œuvre
de l’entreprise et de la communauté. La
prudence s’impose ici – les coopératives
sont tout à fait compatibles avec le
capitalisme. Mais l’exemple des lieux de
travail démocratiques dans lesquels les
travailleurs bénéficient de meilleures
conditions de travail et de salaires
plus élevés, tout en étant ancrés dans
la communauté, démontrera une meilleure
alternative. Mais les coopératives à
elles seules ne nous mèneront pas au
socialisme ; seul un « mouvement des
mouvements » y parviendra. Un mouvement
coopératif en pleine expansion serait un
élément important, parmi d’autres, d’un
tel essor.
D’après vous,
n’est-il pas plus que vital d’avoir un
mouvement syndical combatif pour
défendre les travailleurs et surtout
mettre un terme à l’esclavage moderne et
à briser les reins du capitalisme ?
Absolument ! Cette
critique des syndicats ne signifie pas
que nous ne devrions pas avoir de
syndicats. Aussi imparfaites qu’elles
soient dans leur forme actuelle, les
organisations de travailleurs sont
nécessaires. Nous ne devons pas non plus
rejeter toute la responsabilité de la
stagnation des salaires et de la
dégradation des conditions de travail
sur les dirigeants syndicaux. Quatre
décennies de néolibéralisme, et la
capacité du capital multinational à
déplacer le capital d’investissement et
la production n’importe où dans le
monde, en recherchant continuellement
des endroits où les salaires sont plus
bas et où la réglementation est moins
stricte, ont abouti à notre monde
actuel.
Étant donné le
déséquilibre massif de force entre le
capital et les travailleurs, et
l’influence décisive du capital sur les
gouvernements, même un syndicat fort ne
peut souvent que juste atténuer les
pertes plutôt que de réaliser des
progrès. Plus un mouvement syndical est
fort et combatif, mieux c’est, mais nous
devons veiller à ne pas tout réduire au
militantisme ou à la force relative des
syndicats. Ceux-ci fonctionnent dans des
conditions spécifiques et, sans un
changement radical des conditions
socio-économiques générales et des
relations entre les forces sociales, les
réformes ne peuvent aller bien loin. Un
mouvement international militant qui
œuvre pour des réformes immédiates mais
dont l’objectif ultime est de remplacer
le capitalisme par un nouveau système de
démocratie économique, comporterait des
organisations de plusieurs types, mais
aurait besoin de syndicats forts comme
élément clé.
Vous avez déjà
traité du fascisme dans vos articles.
D’après vous, sommes-nous à l’abri d’un
nouvel ordre fasciste ? L’humanité
a-t-elle appris les leçons du passé ? Et
comment expliquez-vous la montée de
l’extrême-droite et des mouvements
fascistes dans le monde ?
Tant que nous
vivrons sous le capitalisme, nous ne
serons jamais à l’abri de la menace du
fascisme. Tant que le capitalisme
existe, la possibilité du fascisme
existe.
Il est utile de
comprendre ce qu’est le fascisme : à son
niveau le plus élémentaire, une
dictature établie et maintenue par la
terreur au nom des grandes entreprises.
Il dispose d’une base sociale, qui lui
apporte son soutien et les escadrons de
la terreur, mais qui est gravement
abusée puisque la dictature fasciste
agit de manière décisive contre
l’intérêt de sa base sociale. Le
militarisme, le nationalisme extrême, la
création d’ennemis et de boucs
émissaires, et, peut-être l’élément le
plus critique, une propagande enragée
qui suscite intentionnellement la
panique et la haine tout en dissimulant
sa véritable nature et ses intentions
sous le couvert d’un faux populisme,
font partie des éléments nécessaires.
Malgré les
variantes nationales qui entraînent des
différences majeures dans les apparences
du fascisme, le caractère de classe est
constant. Le grand capital est
invariablement le soutien fondamental du
fascisme, quel que soit le contenu de la
rhétorique d’un mouvement fasciste, et
il en est invariablement le
bénéficiaire. L’instauration d’une
dictature fasciste n’est pas une
décision facile, même pour les plus
grands industriels, banquiers et
propriétaires terriens qui pourraient
saliver sur les profits potentiels à
réaliser avec la destruction de toutes
les organisations de travailleurs. Car
même si cela est censé leur profiter,
ces dirigeants de grandes entreprises
renoncent à une partie de leur propre
liberté puisqu’ils ne contrôleront pas
directement la dictature ; c’est une
dictature pour eux, pas par eux.
Compte tenu de la
montée des gouvernements d’extrême
droite, comme ceux qui sont apparus au
Brésil, en Hongrie et en Pologne (même
s’il existe des différences importantes
entre eux en termes leurs bases sociales
et d’objectifs immédiats), et de la
menace que représentent les « hommes
forts » aux tendances fascistes et aux
objectifs clairs de devenir des
dictateurs bien qu’ils soient encore
limités par des barrières
institutionnelles (Erdoğan et Trump, par
exemple), il est clair que l’humanité
n’a pas tiré les leçons du passé.
Des mouvements
ouvertement fascistes et d’autres
d’extrême droite peuvent apparaître dans
deux circonstances. L’une d’entre elles
est lorsque les mouvements de gauche
deviennent puissants et que les
industriels et les financiers ne peuvent
arrêter ces mouvements qu’en mettant
violemment fin aux structures
démocratiques – aussi formelles
soient-elles, par opposition aux
structures réelles – et en instaurant un
système de terreur. Les gouvernements
fascistes classiques du XXe siècle
(Italie, Allemagne et Espagne) en sont
des exemples, tout comme la forme
différente de fascisme du Chili sous
Pinochet.
La deuxième
circonstance est lorsqu’il y a une
instabilité économique croissante et
continue conduisant à une instabilité
sociale accompagnée de l’absence d’une
gauche ou de mouvements de gauche. C’est
la situation actuelle. Lorsque la gauche
ne fournit pas de réponse, la droite
intervient et agit. Au sommet de cette
dynamique se trouve l’échec des partis
parlementaires traditionnellement de
centre-gauche. Nous observons les mêmes
tendances dans tous les pays du Nord –
les sociaux-démocrates européens, les
libéraux nord-américains et leurs
équivalents ailleurs ont cédé toutes les
initiatives économiques au « marché ».
Mais qu’est-ce que le marché dans une
économie capitaliste ? C’est l’ensemble
des intérêts des industriels et des
financiers les plus puissants.
Les conservateurs
voudraient nous faire croire que les
marchés sont des entités neutres qui
s’assoient là-haut, dans les nuages,
pour déterminer ce qui est valable et ce
qui ne l’est pas. Leurs adversaires
politiques supposés ont adopté
exactement la même attitude, ne voulant
que quelques réformes symboliques pour
atténuer légèrement les dégâts. Avec
toute l’économie sortie du domaine
politique, il est difficile de choisir
parmi les principaux partis politiques.
Combinés à une gauche affaiblie, les
médias solidement aux mains des
industriels et des financiers, et une
grande partie de la population abrutie
par un déferlement incessant de
propagande, les portes sont ouvertes à
un « homme fort » de l’extrême droite
qui ment et fournit des réponses simples
et des boucs émissaires aux problèmes
structurels.
Une autre
conséquence du fait qu’il y ait peu de
différence appréciable en matière
économique entre les principaux partis,
et que tout cela permet à la
mondialisation des entreprises de se
déchaîner sans contrôle et même de
présenter cela comme un phénomène
naturel comme les marées de l’océan, est
qu’il devient facile de mobiliser une
partie de la population par une
propagande manipulatrice se présentant
comme nouvelle, formant une base pour un
mouvement d’extrême droite ou carrément
fasciste. Il suffit alors d’un dirigeant
enclin à mentir en prétendant qu’il va
résoudre vos problèmes, même s’il est
évident pour ceux qui y prêtent
attention qu’un tel régime sera au
profit des capitalistes les plus
puissants de cet État. Il en a été ainsi
avec des fascistes comme Hitler et
Mussolini, et il en est ainsi avec ceux
qui rêvent de devenir un jour des
dictateurs fascistes comme Bolsonaro et
Trump.
À votre avis, la
classe ouvrière n’a-t-elle pas besoin de
ses propres relais médiatiques
alternatifs pour contrer la propagande
capitaliste relayée par les médias
mainstream au service du grand capital ?
La classe ouvrière
a très certainement besoin de ses
propres médias alternatifs. Étant donné
le quasi-monopole des institutions de
médias de masse par les intérêts des
entreprises et de ceux qui ont intérêt à
maintenir le système mondial actuel, et
la capacité de ces intérêts à diffuser
leurs opinions dans toute la société via
un réseau d’autres institutions –
notamment les écoles, les armées, les
lieux de travail, les fondations, les
organismes de recherche et les
institutions culturelles – nous avons
besoin de tous les médias alternatifs
que nous pouvons organiser et soutenir.
L’Internet sert et
dérange à cet égard. D’une part, il n’a
jamais été aussi facile de diffuser des
points de vue alternatifs à l’orthodoxie
dominante des entreprises. D’autre part,
il n’a jamais été aussi facile de
propager la désinformation et de la
diriger vers des publics spécifiques.
Comme la plupart des technologies, la
technologie des communications peut être
utilisée à de bonnes ou à de mauvaises
fins, et le pourcentage est déterminé en
grande partie par la personne qui
contrôle la technologie.
Tout comme les
ordinateurs et autres équipements de
haute technologie pourraient être
utilisés pour faciliter la journée de
travail en réduisant les tâches
ennuyeuses et répétitives et pour nous
permettre de travailler moins d’heures
grâce à la productivité accrue que
permet la technologie, au lieu de cela,
ils sont utilisés pour accélérer la
cadence de travail, augmenter la charge
de travail et nous surveiller. La
technologie des communications pourrait
être utilisée pour améliorer la
compréhension entre les peuples, mais
elle sert plutôt à fournir des
plateformes de désinformation et à
extraire de vastes quantités de données
personnelles au profit d’une poignée de
capitalistes.
Néanmoins, il est
impératif que nous trouvions des moyens
d’utiliser la technologie pour
construire des sources crédibles de
nouvelles et d’informations qui contrent
la propagande capitaliste omniprésente à
laquelle les gens sont continuellement
soumis.
Comme chaque
année, Oxfam a publié son rapport et
comme chaque année les inégalités
augmentent entre le 1% et le reste de la
population mondiale. Comment
expliquez-vous que malgré ce rapport qui
ne vient pas d’une organisation connue
pour être marxiste, il y ait des
pseudo-intellectuels ou spin doctors qui
veulent quand même nous vendre
l’illusion qu’on peut réformer le
capitalisme ? D’après vous, le
capitalisme n’est-il pas un système à
bout de souffle et irréformable ?
Je suis d’accord
sur le fait que le capitalisme ne peut
pas être réformé. Mais beaucoup de gens,
malheureusement, croient encore qu’il
peut l’être. En effet, comme l’a écrit
Fredric Jameson, il est plus facile pour
la plupart des gens d’imaginer la fin du
monde que la fin du capitalisme. La peur
de l’inconnu semble également à l’œuvre
ici. Le capitalisme nous est familier,
alors qu’un avenir inconnu n’est que
cela – inconnu. Sauter dans l’inconnu
est une proposition effrayante pour
beaucoup, sinon la plupart des gens, et
ils ne seront pas prêts à faire ce saut
tant qu’ils ne seront pas convaincus
qu’ils n’ont pas d’avenir sous le
capitalisme.
Un problème
fondamental est que les réformes sont
toujours temporaires. En effet, les
réformes sont le produit de mouvements
de masse qui deviennent suffisamment
importants pour imposer des concessions.
Nous ne pouvons pas rester dans les rues
éternellement, et lorsque les mouvements
se retirent parce qu’ils ont gagné
certaines de leurs revendications ou
lorsqu’ils disparaissent parce que le
rythme ne peut pas être soutenu ou en
raison de la déception face aux limites
des gains obtenus, les concessions
commencent à être annulées. Et étant
donné la mainmise du 1% sur les
gouvernements – et la capacité du 1% à
fermer leurs infrastructures de
production et à les déplacer dans le
monde entier – nous nous retrouvons avec
un recul en termes de salaires, de
conditions de travail, etc.
Ce déséquilibre de
forces a atteint des niveaux extrêmes,
expliquant une inégalité toujours plus
flagrante et nécessitant des arguties
toujours plus frénétiques pour
l’excuser. Mais rien ne dure
éternellement et le capitalisme ne fera
pas exception. On ne peut pas avoir une
croissance infinie sur une planète
limitée, et la croissance infinie
étouffe la planète. Qu’est-ce qui la
remplacera ? Peut-être quelque chose de
pire si un « mouvement des mouvements »
global ne se produit pas. L’avenir est
entre nos mains.
Le grand
patronat est uni à travers le monde pour
préserver ses intérêts alors que la
classe ouvrière ne fait que subir son
oppression. Ne pensez-vous pas qu’il est
temps qu’on ait un front mondial
anticapitaliste et anti-impérialiste ?
Je pense qu’il est
plus que temps que nous ayons un front
mondial anticapitaliste et
anti-impérialiste. La classe capitaliste
internationale – industriels et
financiers – est consciente de son
intérêt et s’organise. Les frontières
nationales sont pour eux des obstacles à
supprimer, c’est pourquoi les accords
dits de « libre-échange » sont devenus
si généralisés. Ces accords sont un
produit de la « logique » du capitalisme
: se développer ou mourir. Réduire les
coûts ou faire faillite. Les
capitalistes eux-mêmes n’ont aucun
contrôle sur le système qu’ils utilisent
; ils montent le tigre du mieux qu’ils
peuvent et ont bien sûr beaucoup plus de
ressources pour survivre que les
travailleurs.
Il n’y a pas de
meilleur moyen de réduire les coûts que
de déplacer la production là où les
salaires ne représentent qu’un
pourcentage infime de ceux que vous
aviez. Lorsque votre concurrent fait
cela, et peut donc maintenant produire à
moindre coût, vous devez faire de même
si vous avez l’intention de continuer à
être compétitif.
Lorsque vous devez
déplacer des matières premières et des
composants dans le monde entier, les
assembler dans un autre pays puis
importer le produit fini dans votre pays
d’origine, les droits de douane, les
barrières commerciales et autres mesures
protégeant l’industrie nationale sont
des obstacles à supprimer. Et lorsque
vous et vos collègues capitalistes aurez
accumulé tellement de richesse et de
pouvoir que vous pourrez non seulement
modeler l’opinion publique par le biais
des médias et d’une foule
d’institutions, mais aussi contrôler la
politique publique grâce au pouvoir de
l’argent que vous donnez aux
responsables publics, alors ces mesures
de protection nationales seront
supprimées. Les puissants ne
s’arrêteront pas là et continueront à
exiger que les règles en matière de
santé, de sécurité, d’environnement et
de travail soient également supprimées
en tant qu’« obstacles » au commerce –
en réalité, en tant qu’obstacles aux
profits les plus élevés possibles,
indépendamment du coût social. C’est
pourquoi les accords de
« libre-échange » ont de moins en moins
à voir avec le commerce et de plus en
plus avec l’ancrage dans la loi du
contrôle des entreprises sur le système
de réglementation.
Powered by
wordads.co
Seen ad many times
Not relevant
Offensive
Covers content
Broken
Report this ad
Powered by
wordads.co
Seen ad many times
Not relevant
Offensive
Covers content
Broken
Report this ad
Les industriels et
les financiers opèrent et s’organisent
au niveau international. Tout mouvement
de travailleurs doit également être
international.
Aujourd’hui
l’enjeu du climat est plus que jamais
vital pour la survie de la planète. Le
genre humain n’est-il pas en train de
creuser sa tombe en étant dans une
société de consommation frénétique
capitaliste ? Le moment de chercher une
alternative sérieuse à ce système
n’est-il pas arrivé ?
L’état de
l’environnement parle de lui-même, tout
comme l’incapacité du système
capitaliste mondial actuel à faire quoi
que ce soit pour y remédier. Le système
capitaliste exige une croissance
continue, ce qui signifie une expansion
de la production. Sa logique interne
signifie également que ses incitations
consistent à utiliser plus d’énergie et
de ressources lorsque l’on atteint une
plus grande efficacité – le paradoxe
étant que l’on consomme plus d’énergie
plutôt que moins lorsque le coût baisse.
Dans un système de concurrence intense
et implacable, la croissance est
nécessaire pour maintenir la rentabilité
– et l’augmentation continue de la
rentabilité est l’objectif réel. Si une
société ne se développe pas, son
concurrent le fera et la mettra en
faillite.
Cette expansion en
elle-même provoque plus de pollution et
de réchauffement climatique puisqu’il
faut plus d’énergie lorsque la
production est déplacée, car il faut
beaucoup plus de transport pour déplacer
les matériaux sur de plus longues
distances. Le capitalisme ne garantit
pas non plus un emploi à qui que ce
soit. Si le choix se situe entre la
famine et un emploi dans l’industrie des
combustibles fossiles, il est évident
que les gens vont accepter cet emploi et
résister à toute tentative de le
supprimer. Malgré notre intérêt commun à
préserver l’environnement et à inverser
le réchauffement climatique, la lutte
pour la survie que le capitalisme
inflige aux travailleurs signifie que
les intérêts immédiats – la nécessité de
survivre – sont en accord avec le
comportement destructeur de la
production capitaliste et non avec les
intérêts plus larges et à long terme de
leurs propres descendants et de leur
communauté.
Une économie
capitaliste moderne est fortement
dépendante des dépenses de consommation,
qui représentent généralement 60 à 70 %
de l’économie nationale du Nord ; d’où
l’effort toujours frénétique de la
publicité et l’obsolescence planifiée
extrêmement gaspilleuse qui fait que les
produits manufacturés, en particulier
l’électronique, tombent en panne bien
plus tôt qu’ils ne le devraient. Le
gaspillage est dans l’intérêt financier
des capitalistes, même s’il est
irrationnel du point de vue de
l’environnement.
L’humanité n’a pas
d’autre choix que de passer à une
économie basée sur la satisfaction des
besoins humains dans une économie
coopérative qui n’a pas besoin d’une
croissance autre que celle de la
population. La démocratie politique est
impossible sans démocratie économique,
et sans démocratie politique, il est
impossible d’inverser le réchauffement
climatique. Nous n’avons pas besoin de
chercher plus loin que les sommets
annuels sur le climat qui se terminent
par des déclarations des gouvernements
du monde entier qui « constatent » qu’il
y a un problème et qui promettent de se
revoir l’année prochaine. Nous avons
besoin d’action, pas de paroles.
Dans un de vos
articles, vous évoquez la question des
grandes entreprises capitalistes qui
sont exonérées d’impôts alors que le
citoyen croule sous les taxes. Ne
faudrait-il pas que la résistance contre
le capitalisme passe aussi par une
mesure concrète qui serait de ne plus
payer les impôts imposés par les diktats
du grand capital qui commande les
politiciens ?
Aussi tentant qu’il
puisse être de suggérer aux gens de
cesser de payer des impôts, je pense que
ce n’est pas une approche réaliste. Les
impôts sont le prix à payer pour vivre
dans une société civilisée. Sinon,
comment trouver les fonds nécessaires
pour les écoles, les services sociaux et
les infrastructures nécessaires ? Une
révolte fiscale pourrait amener une
administration particulière à
démissionner, mais le système serait
intact et une autre administration
similaire serait mise en place.
Un mouvement ayant
pour but de forcer les entreprises à
payer une part équitable des impôts
serait positif, et un succès dans ce
domaine serait une réforme bienvenue.
Mais il ne s’agirait que d’une réforme.
Une réforme qui pourrait être et serait
finalement retirée. Et même si ces
réformes fiscales pouvaient être rendues
permanentes, cela laisserait les
relations sociales intactes – les
industriels continueraient à extraire la
plus-value de leurs employés, les
financiers continueraient à appliquer le
fouet pour approfondir cette extraction,
et les industriels et les financiers
continueraient à se répartir le butin
entre eux tandis que les employés – ceux
qui font le travail et produisent ainsi
la plus-value qui est convertie en
profits des capitalistes –
continueraient à être exploités.
Un mouvement qui
veut sérieusement faire naître un monde
meilleur doit mettre fin à
l’exploitation et à la confiscation des
richesses par quelques privilégiés.
Bricoler les impôts, c’est grignoter sur
les détails.
Comment
jugez-vous la politique et le bilan de
Donald Trump ? Au sommet de Davos, il
s’est vanté d’avoir amélioré le sort des
Américains et en l’écoutant on avait
l’impression qu’il avait réglé tous les
problèmes économiques des USA. Ces
présidents-pantins qui dirigent le monde
sont-ils dignes de gouverner les
peuples ?
Trump a été un
désastre pour les travailleurs
américains, et un désastre pour tous les
peuples déjà attaqués par l’impérialisme
américain. Ce résultat était tout à fait
prévisible. Le Parti républicain
s’attendait à perdre en 2016 et
maintenant la tendance aux États-Unis se
retourne régulièrement contre eux. La
victoire de Trump a été un choc, mais
comme il donne rapidement et sans
remords au 1% tout ce qu’ils imaginaient
possible, les capitalistes et les
financiers se sont ralliés à lui malgré
la division importante de leurs rangs
lors de l’élection de 2016.
Je soupçonne que la
psychologie fondamentale des
capitalistes américains et des
politiciens qui les servent le plus
ouvertement au sein du parti républicain
veut que ce soit peut-être leur dernière
chance avant longtemps et qu’ils
feraient mieux d’imposer leur volonté
dans le plus grand nombre de domaines
possible et le plus rapidement possible.
Il faudra de nombreuses années pour
réparer les dégâts causés, même si Trump
est évincé en 2020 et qu’un président du
parti démocrate devra faire plus de
concessions que d’habitude par respect
pour les électeurs qui auraient remis
les démocrates à la Maison Blanche.
Trump agit dans son
intérêt personnel, et tant que cet
intérêt coïncide avec celui des
capitalistes et des financiers, il
bénéficiera de leur soutien. Une
propagande offensive encore plus en
décalage avec la réalité que par le
passé est nécessaire pour garder le
contrôle de la base, et malheureusement
les médias d’entreprise sont à la
hauteur de la tâche.
Pouvez-vous nous
parler de votre prochain livre ?
Mon prochain livre
« What Do We Need Bosses For? »
(Pourquoi avons-nous besoin de patrons
?) a été écrit pour promouvoir l’idée de
démocratie économique et de socialisme,
et pour fournir un texte permettant de
briser le concept de « il n’y a pas
d’alternative » qui fournit une grande
partie du ciment idéologique qui empêche
tant de gens de voir au-delà du
capitalisme alors même que de plus en
plus de gens sont critiques à l’égard du
système économique dominant. Le cœur du
livre est constitué de six exemples au
niveau national, trois historiques et
trois actuels, de sociétés qui ont
cherché à établir de nouveaux systèmes
de démocratie économique sur une base
nationale ou à l’échelle de la société.
Ces six exemples sont l’autogestion des
travailleurs en Yougoslavie, le contrôle
des travailleurs dans la Tchécoslovaquie
du printemps de Prague, la zone de
propriété sociale du Chili de l’ère
Allende, le confédéralisme démocratique
de la Rojava, les coopératives de Cuba
et les communes du Venezuela.
Ces efforts se sont
bien sûr heurtés à l’hostilité
implacable des capitalistes et des
gouvernements sur lesquels les
capitalistes exercent une influence
déterminante. J’aborde également
quelques autres exemples plus
brièvement, en analysant les
coopératives en Chine pendant
l’occupation japonaise et en
Grande-Bretagne dans les années 1970
dans le contexte des work-ins de
cette décennie ; en analysant la
cogestion à travers les exemples de la
Tanzanie de l’époque de Nyerere et
l’évolution du concept en Allemagne ; et
en déconstruisant l’effort avorté de la
Suède pour prendre le contrôle de ses
sociétés par l’achat d’actions.
L’étude de ces
exemples, passés et présents, est
essentielle pour créer un avenir
meilleur. Il est également essentiel
d’étudier les structures et les
organisations qui ont fait partie
intégrante de ces luttes, et de procéder
à une analyse réaliste de ce qui a
fonctionné, de ce qui n’a pas
fonctionné, des bonnes décisions prises,
des erreurs commises et du contexte
international difficile dans lequel
elles ont dû opérer. Le livre est une
étude comparative qui a délibérément
choisi les six exemples principaux pour
leurs caractéristiques, idéologies,
conditions, géographies et objectifs
divers.
La connaissance de
ce qui a été accompli dans les
tentatives passées et présentes de
construire de nouvelles sociétés, et des
forces capitalistes qui ont vaincu
celles du passé ou qui créent des
difficultés pour celles d’aujourd’hui,
ne peut que nous aider à nous préparer
aux luttes futures. Un monde meilleur
est à notre portée si nous sommes
suffisamment nombreux à agir en fonction
de cette conviction par le biais de
l’organisation. Dans les sociétés du
monde entier, les travailleurs ont lutté
pour surmonter leur position subalterne
dans la production capitaliste et pour
prendre en charge leur vie
professionnelle et leur lieu de travail.
Cette lutte se poursuivra.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est Pete
Dolack ?
Pete Dolack est
l’auteur de
It’s not over: Learning From the
Socialist Experiment, un livre
qui examine les expériences socialistes
du XXe siècle, écrit dans le but de les
améliorer au XXIe siècle. Il écrit
également sur la crise économique
actuelle et sur les questions
environnementales et politiques qui y
sont liées, pour plusieurs publications
en ligne, dont CounterPunch, ZNet,
et pour son blog
Systemic Disorder. Il est
également le chroniqueur du travail et
de l’économie pour le magazine imprimé
de CounterPunch. Il a terminé le
manuscrit de son prochain livre What
Do We Need Bosses For, une étude sur
les luttes pour la démocratie
économique.
En tant
qu’activiste, il a été organisateur de
plusieurs groupes, et est actuellement
au sein de Trade Justice New York Metro.
Parmi les groupes avec lesquels il s’est
organisé dans le passé figurent Amnesty
International, la National People’s
Campaign, New York Workers Against
Fascism, le New York State Green Party
et la No Spray Coalition.
Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Le dossier
Monde
Les dernières mises à jour

|