Interview
Prof. Abderrahmane Mebtoul :
« Les
scandales financiers généralisés
touchant la majorité des secteurs de
l’activité nationale menacent
les
fondements de l’État algérien »
Mohsen Abdelmoumen
Professeur A.
Mebtoul. DR.
Dimanche 20 octobre 2019 English version here
Mohsen
Abdelmoumen : Quelle lecture
faites-vous de la situation économique
actuelle de l’Algérie ?
Prof. A.
Mebtoul : Pour comprendre la
situation économique , il est
intéressant de se référer au
classement annuel du The Global
Competitiveness Report, du World
Economic Forum (WEF), qui concerne les
contraintes du milieu des affaires et
l’efficacité économique dans le monde,
établi sur la base d’une centaine
d’indicateurs quantitatifs émanant des
États membres et des organisations
internationales (Banque mondiale, FMI,
UIT, CCI, Unesco…) ainsi que d’enquêtes
qualitatives réalisées par le WEF
lui-même. Pour rendre possible
l’agrégation de données hétérogènes,
tous les résultats sont convertis sur
une échelle de notes de 1 à 7. Ces 110
notes sont ensuite regroupées en 12
catégories appelées « piliers »,
eux-mêmes répartis entre grands «
sous-indices ». Dans son rapport de
2018, l’étude du WEF, réalisée auprès de
14 000 chefs d’entreprise de 137 pays,
fournit un classement mondial des pays
les plus compétitifs. Pour établir le
classement de compétitivité de
l’Algérie, le Forum s’est basé sur 114
indicateurs regroupés dans les 12
catégories suivantes : l’Algérie est
classée 88e, loin derrière le Maroc
(49e position) et la Tunisie
(80e position). Quant au niveau de
corruption, (85e place), l’Algérie est
très mal classée, la corruption étant le
deuxième plus grand écueil qui se dresse
sur le chemin des investisseurs. Pour la
performance du secteur public, le pays
arrive au 81e rang et en matière de
sécurité, il se trouve à la 54e place.
Concernant l’indice de l’ouverture de
l’économie algérienne à l’investissement
privé, le classement est la 128e place,
l’économie étant jugée trop peu
diversifiée et l’initiative privée est
l’une des moins compétitives du monde
arabe. Concernant les infrastructures,
malgré d’importantes dépenses, l’Algérie
est classée à la 93e place. Brièvement,
nous avons le classement suivant :
institutions : 88e rang
; infrastructures : 93e rang ;
environnement macroéconomique : 71e rang
; santé/éducation : 71e rang ;
enseignement supérieur et formation :
92e rang ; marchandises et efficacité du
marché : 129e rang ; efficacité du
marché du travail : 133e rang ;
développement du marché financier :
125e rang ; état de préparation
technologique : 98e rang ; taille du
marché : 36e rang ; sophistication
des affaires : 122e rang ; innovation :
104e rang. S’agissant des mesures
incitatives à l’investissement, le pays
se situe à la 98e position sur les 137
pays évalués, ce qui est une performance
qui se situe dans la moyenne.
Selon Bloomberg, l’Algérie, pour
remonter son déficit budgétaire au titre
de l’exercice 2019, « aurait besoin d’un
baril de pétrole à 116,40 dollars,
contre 95/100 dollars en 2017/2018 »,
soulignant que « la production
algérienne est restée relativement
stable à environ 1 million de barils par
jour ». Au vu des importantes dépenses,
la croissance tirée essentiellement par
la dépense publique a été faible : de
1,4% en 2018, contre 1,3% en 2017, selon
le rapport de l’Office national des
statistiques (ONS) et en valeur
courante, le PIB est passé de 18 575,8
milliards de dinars en 2017 à 20259
milliards de dinars. En 2018, le
déflateur du PIB a connu une hausse de
7,6% contre 4,7% en 2017 et par tête
d’habitant, le Produit intérieur brut a
atteint 4 080,7 dollars en 2018 contre 4
011,2 dollars en 2017. Selon le rapport
de la banque mondiale et le dossier
consacré aux perspectives économiques
mondiales, la croissance en Algérie
devrait être de 1,7 % en 2020,
l’assainissement des finances publiques
pesant sur l’activité non pétrolière,
alors que l’édition de janvier 2019
du rapport prévoyait une croissance de
1,8% en 2020 et 2021, cette projection
ayant été abaissée de -0,1 point
pour 2020 et de -0,4 points pour l’année
2021. Ce qui, forcément, entraînera un
accroissement du taux de chômage souvent
gonflé par les officiels incluant les
emplois rentes et les emplois
temporaires non productifs. La situation
politique actuelle avec l’emprisonnement
des oligarques accentue ce taux à la
hausse alors que la population active
est estimée à environ 12,463 millions
fin 2018 pour une population totale au
01 janvier 2019 de plus de 43 millions
d’habitants. Le chômage touche près de
29/30% des jeunes et, données
importantes, des diplômés de
l’enseignement supérieur qui avaient
atteint 17,6% au mois d’avril 2017, ont
atteint 27,9% en septembre 2018, selon
les statistiques de l’ONS.
Les déficits
budgétaires et commerciaux ne cessent de
se creuser ces dernières années, quelles
solutions, autre que le recours à
l’endettement extérieur, préconisez-vous
pour y faire face ?
Toute augmentation
ou baisse du cours des hydrocarbures
a eu des incidences à la fois
économiques et politiques comme en
témoignent les impacts politiques de la
crise de la baisse du cours entre
1986/1990. Le cours du pétrole a subi
une baisse brutale depuis le troisième
trimestre 2019, étant coté entre
59/61 dollars avant de remonter, suite à
l’attentat en Arabie Saoudite, à plus de
67 dollars mais ayant connu une
stabilisation par la suite, étant coté
le 21 septembre 2019 à 64,32 dollars et
celui de WTI, de 1,13% à 58,67 dollars.
Le cours sur le marché libre du gaz
naturel, qui représente 33% des
recettes de Sonatrach entre 2018/2019, a
été coté le 21/08/2019 à 2,53 dollars
le MBTU ayant fluctué ces 12 derniers
mois entre 4,93 et 2,06 le MBTU, où, à
ce cours, l’Algérie peinera à couvrir
les frais de production.
Concernant la
structure de la balance commerciale pour
2018, les importations ont été de 46,19
milliards de dollars US soit une très
légère hausse de 0,30 % par rapport aux
résultats de l’année 2017. Les
exportations ont été de 41,17 milliards
de dollars US, en augmentation de 16,98%
par rapport aux résultats de l’année
2017 grâce à un cours moyen de 70
dollars le baril. Cela s’est traduit par
un déficit de la balance commerciale
durant la période de l’année 2018 de
l’ordre de 5,03 milliards de dollars
US et un taux de couverture des
importations par les exportations de 89%
durant l’année 2018, contre un taux de
76% au cours de l’année 2017. Les
hydrocarbures ont représenté l’essentiel
des exportations à l’étranger durant
l’année 2018 avec une part de 93,13% du
volume global des exportations, les
exportations hors hydrocarbures ayant
été évaluées à 2,83 milliards de dollars
US. Pour le premier semestre 2019,
les tendances profondes n’ont pas changé
dans leurs structures. La balance
commerciale de l’Algérie a enregistré un
déficit de 3,18 milliards de dollars
durant le 1er semestre 2019,
contre un déficit de 2,84 milliards de
dollars à la même période en 2018, selon
les douanes algériennes. Pour les
importations, elles ont atteint 22,14
mds USD, contre 23,14 mds USD,
enregistrant une faible baisse malgré
toutes les mesures bureaucratiques
prises, avec, notons-le, une baisse de
la facture carburant mais qui pose avec
la forte consommation intérieure la
problématique des subventions
généralisées nécessitant un ciblage et
un nouveau modèle de consommation
énergétique. Les exportations
algériennes ont atteint 18,96 milliards
de dollars (mds USD) durant le 1er
semestre de 2019, contre 20,29 mds USD à
la même période de 2018, soit une baisse
de -6,57% ayant assuré la couverture
des importations à hauteur de 86%,
contre 88% à la même période de l’année
2018. Pour les exportations hors
hydrocarbures, y compris les dérivés
d’hydrocarbures, elles restent toujours
marginales, avec près de 1,31 mds USD le
1er semestre 2019 contre
1,45 mds USD à la même période en 2018,
c’est-à-dire moins de 350 millions de
dollars si l’on soustrait les dérivées
d’hydrocarbures. Les hydrocarbures
représentent toujours l’essentiel des
ventes algériennes à l’étranger au cours
du 1er semestre 2019 (93,10%
du volume global des exportations et
plus de 98% avec les dérivées, en
s’établissant à 17,65 mds USD, contre
18,84 mds USD à la même période 2018, en
baisse de -6,31%).
Au vu de la
tendance du premier semestre 2019, dans
l’hypothèse d’une moyenne annuelle
d’environ 60/65 dollars le baril pour le
pétrole et 3/5 dollars le MBTU pour le
gaz, Sonatrach ferait une recette
avoisinant les 30/35 milliards de
dollars. Mais le document de référence
est la balance de paiement, la
balance commerciale ayant une
signification limitée. Selon la banque
d’Algérie, au cours des 9 dernières
années, les importations de services ont
fluctué entre un bas de 10,776 milliards
de dollars (2013) et un haut de 11,696
milliards (2014) dont la facture fluctue
entre 2010/2018 entre 10/11 milliards de
dollars annuellement qui impacte
négativement la balance des paiements
dont le transport maritime (2,95
milliards de dollars en 2018), le BTP
(2,65 milliards de dollars en 2018) et
l’assistance technique (3,22 milliards
de dollars en 2018). Cela renvoie à
l’urgence d’une nouvelle orientation
gouvernementale et d’une mobilisation
générale citoyenne pour éviter de vives
tensions budgétaires en 2021/2022 avec
des incidences dramatiques à la fois
économiques, sociales, politiques, voire
sécuritaires, sauf miracle d’un cours de
baril de 100 dollars. Le retour au FMI
dans le courant 2022 aurait six
conséquences : premier impact, une
dévaluation du dinar avec comme
conséquence la diminution du pouvoir
d’achat des revenus fixes ; deuxième
impact, dégraissement de la fonction
publique avec notamment une diminution
des fonctionnaires, une réduction du
budget défense nationale/services de
sécurité dont la DGSN ; troisième
impact, flexibilité du marché du
travail ; quatrième impact, subventions
ciblées notamment du carburant et des
produits de première
nécessité ; cinquième
impact, privatisation, démonopolisation
et réduction du secteur d’État y compris
le secteur financier, et liquidation des
entreprises déficitaires ; sixième
impact, conséquences diplomatiques
vis-à-vis des prises de position
traditionnelles de l’Algérie au niveau
international, sans compter d’éventuels
impacts géostratégiques.
Les réserves de
change du pays fondent comme neige au
soleil. Quelles seront les retombées
significatives de cette tendance
baissière sur la situation du pays dans
un proche avenir ?
Bien que la dette
extérieure soit d’environ 1/2% du PIB,
nous assistons à la baisse drastique des
réserves de change. Rappelons que la loi
des finances 2019 qui fonctionne sur la
base d’un cours de pétrole supérieur à
105 dollars le baril, prévoyait, pour la
période 2019/2021, une baisse des
réserves de change à 62 milliards USD en
2019, puis à 47,8 milliards USD en 2020
pour atteindre 33.8 milliards USD en
2021. Or, avec la crise politique non
résolue qui paralyse l’économie, ces
prévisions risquent de ne pas être
concrétisées. En effet, nous avons eu
une baisse d’environ 7 milliards de
dollars entre janvier et avril 2019,
soit en quatre mois, et, à ce rythme, la
baisse fin 2019 serait de 21 milliards
de dollars. Les investissements directs
étrangers fléchissant à cause de la
crise politique et au rythme de
la dépense publique qui tire à plus de
80% la croissance, les réserves de
change risquent de fondre début de
l’année 2022. En effet nous avons
l’évolution suivante : -2012 :190,6
milliards de dollars –2013 :194,0
milliard de dollars -2014 :178,9
milliards de dollars -2015 :144,1
milliards de dollars -2016 : -114,1
milliards de dollars -2017 : 97,3
milliards -2018 : 79,88 milliards de
dollars -fin avril 2019 : 72,6 milliards
de dollars -fin 2019 : 58/60 milliards
de dollars au rythme d’une sortie de
devises de 21 milliards de dollars/an
(prévision), -fin 2020 : 36/38 milliards
de dollars (prévision) -fin 2021 : 16/18
milliards de dollars (prévision)
-premier semestre 2022 –hypothèse de
cessation de paiement (prévision).
Quel est
l’impact de la baisse des réserves de
change sur la cotation du dinar ?
Contrairement à
certaines déclarations hasardeuses
récentes comparant le non comparable
(pays développés), le cours du dinar
officiel 1990/2019, est corrélé aux
réserves de change, via les recettes
d’hydrocarbures à plus de 70%. Pour
toute comparaison, l’on devra se référer
non aux pays développés (réserves de
change faible, mais une structure
productive) mais à l’expérience
vénézuélienne. C’est que de 70 à
80% des besoins des entreprises
publiques et privées ainsi que des
besoins des ménages proviennent de
l’extérieur, le taux de croissance, le
taux d’emploi dépendant de la dépense
publique via les hydrocarbures. La
période antérieure n’étant pas
significative (cotation administrative
en 1970 avec 5 dinars pour un dollar),
récemment, de 2001 à juillet 2019, la
cotation est la suivante : -2001 : 69,20
dinars pour un euro et 77,26 dinars pour
un dollar ; -2002 : 75,35 dinars pour un
euro et 69,20 dinars pour un dollar ;
-2008 : 94,85 dinars pour un euro et
64,58 dinars pour un dollar ;
-2014 :106,70 dinars pour un euro et
80,06 dinars pour un dollar ; -2019 (21
septembre) : une cotation cours achat de
132,62 dinars pour un euro et de 119,96
dinars pour un dollar, et sur le marché
parallèle, l’écart avec le cours
officiel est d’environ 50% dépendant de
l’équilibre offre/demande.
Sur le plan
budgétaire, s’offrent trois solutions en
cas de non recours au financement non
conventionnel : une plus grande rigueur
budgétaire avec la lutte contre le fléau
de la corruption, l’endettement
extérieur ciblé et le dérapage du dinar
par rapport au dollar et à l’euro qui
permet d’augmenter artificiellement la
fiscalité hydrocarbures et la fiscalité
ordinaire, cette dernière accentuant
l’inflation supportée par le
consommateur final comme un impôt
indirect. En cas de baisse drastique des
réserves de change à 10/12 milliards de
dollars, qui tiennent la cotation du
dinar algérien à plus de 70%, la banque
d’Algérie sera contrainte de dévaluer le
dinar officiel à environ 200/220 dinars
pour un euro avec une envolée du cours
sur le marché parallèle qui fluctuera en
fonction du taux d’inflation entre
300/400 dinars pour un euro, ce qui
accélérera le processus inflationniste.
Il s’ensuit que la croissance devrait
ralentir très fortement dès 2020 en
provoquant une augmentation du taux de
chômage. Elle se traduira aussi par la
persistance des déficits budgétaires et
surtout des déficits externes qui vont
éliminer progressivement toutes les
marges de manœuvre dont dispose
l’Algérie. Comme je l’ai souligné dès sa
mise en œuvre, après des discours
euphoriques sur le bienfait du
financement non conventionnel de
certains experts organiques, ce mode de
financement risque de conduire le pays
vers une dérive inflationniste à la
vénézuélienne (il faut comparer le
comparable) avec des incidences
économiques, politiques et sociales
négatives, les slogans politiques
étant insensibles aux lois économiques
applicables dans tous les pays et
l’Algérie ne fait pas exception. Le
recours à la planche à billets pour
financer le déficit budgétaire aura un
impact négatif à terme tout en
favorisant, contrairement à certains
discours, la baisse des réserves de
change puisqu’elle met des dinars à la
disposition de certaines entreprises,
(70% des matières premières et des
équipements des entreprises publiques et
privées étant importées, le taux
d’intégration ne dépassant pas 15/20%),
ces dernières se porteront impératrices,
la poussée inflationniste n’étant pas
encore perceptible entre 2018 et
septembre 2019. Pour le FMI et l’Union
européenne, le gouvernement algérien se
limite aux mesures conjoncturelles sans
vision stratégique, le financement non
conventionnel représentant 23% du
PIB. Mais ce mode de financement aura
aussi atteint ses limites à partir de
2020 avec des taux d’inflation élevés.
Les mêmes projections sont reprises par
la note de conjoncture de la Coface
ainsi que plusieurs institutions
internationales.
Quelle est votre
lecture de l’avant-projet de loi de
finances 2020 ?
La PLF 2020 prévoit
une baisse de 9,2% des dépenses avec une
coupe sévère dans les dépenses
d’équipements (-20,1%) et une légère
baisse des dépenses de fonctionnement
(1,2%) et une baisse de 8,3% des
recettes fiscales globales. Ces
dernières, malgré une hausse prévue de
5,3% de la fiscalité ordinaire, seront
impactées par un recul de la fiscalité
pétrolière qui atteindra 2.200,3
milliards de dinars en 2020. Malgré ces
prévisions pessimistes, le projet de Loi
de finances 2020 serait élaboré sur la
base d’un financement conventionnel en
s’appuyant essentiellement sur les
recettes budgétaires ordinaires par le
renforcement des impôts et taxes sur
la fortune et les biens, en fonction des
signes de richesse mobilière et
immobilière. L’imposition d’un
impôt, allant de 1% à 3,5%, sur tout
patrimoine d’une valeur supérieure à 50
millions de dinars avait été introduite
dans le projet de loi de finances (PLF)
2018, avant sa suppression, sur
proposition de la commission des
finances et du budget de l’Assemblée
populaire nationale (APN). Le PLF 2020
propose dans son article 95 d’amender
l’article 109 de la Loi de Finances 2018
qui porte sur la contribution de
solidarité. Selon le texte, cette
dernière va passer de 1% à 2%,
s’agissant d’une taxe applicable
aux opérations d’importation de
marchandises mises à la consommation.
Elle est perçue et recouvrée comme en
matière de droit en douanes et est
destinée à alimenter la Caisse Nationale
des retraites (CNR). Les mesures visant
à imposer les propriétaires des quatre
roues concernent l’acquittement du droit
de la traditionnelle vignette
automobile, une nouvelle taxe sera
instaurée sur les véhicules et les
engins mobiles, la taxe variant entre
1500 Da et 3000 Da, payée par les
automobilistes lors du renouvellement ou
de l’établissement du contrat
d’assurance de leurs véhicules. Cette
taxe permettra à l’administration
fiscale de récolter l’équivalent de 12
milliards de dinars, en puisant dans un
parc automobile national qui connait une
sensible hausse ces dernières années, en
dépassant légèrement le seuil des 6
millions de véhicules : 70% des revenus
de cette taxe, soit plus de 840
milliards de centimes, seront destinés
au budget de l’Etat, tandis que 30% des
recettes, soit plus de 360 milliards de
centimes, iront à la Caisse de
Solidarité et de Garantie des
Collectivités locales.
Pour les touristes
non résidents, il y aura l’instauration
d’une taxe de 6000 dinars sur tout
véhicule qui entre dans le territoire
algérien au titre d’un séjour
touristique. Cette taxe sera directement
prélevée au niveau des Douanes lors de
la délivrance du permis de circuler. Le
motif de cette taxe est justifié par la
volonté de compenser la consommation du
carburant subventionné, ainsi que
l’utilisation des infrastructures de
base telles que les routes. Avec un
trafic de près de 150.000 véhicules,
cette proposition devrait générer
annuellement près d’un milliard de
dinars pour le Trésor public. Enfin il
est prévu des taxes sur les déchets
dangereux, produits pétroliers qui
seront versées au Fonds national de
l’environnement, ainsi qu’au fonds des
collectivités locales et au Trésor
public, l’opération devant se faire
progressivement, car moins de 3% de
différents types de plastique sont
recyclés quotidiennement, soit 200
tonnes par jour et 73.000 tonnes par an.
Le PLF2020 prévoit d’alléger la règle
dite 51/49 sur l’investissement étranger
avec une levée des restrictions qui
concernent les « secteurs
non-stratégiques », mais
l’exécutif ne fournit pas de précisions
sur les secteurs considérés comme étant
« stratégiques » qui resteront soumis à
cette règle. Par ailleurs, le PLF2020
n’écarte pas la possibilité de recours à
l’endettement extérieur pour financer
les projets économiques structurants.
L’avant-projet évoque également un
retour à l’importation des véhicules
d’occasion de moins de 3 ans pour les
résidents algériens, les modalités de
cette mesure n’ayant pas été précisées.
Il est à noter également qu’il est prévu
d’exonérer les start-up et les
investissements des jeunes porteurs de
projets « du paiement des différents
impôts et taxes » ainsi que de leur
octroi de « mesures incitatives », à
même de leur faciliter l’accès au
foncier aux fins d’extension de leurs
projets.
Y a-t-il
réellement un risque d’effondrement
économique, comme l’avancent certains
observateurs, si la situation de vacuité
politique que vit actuellement le pays
persiste ?
Entre 2019 et 2021,
je ne pense pas qu’il y aura
implosion mais de vives tensions
budgétaires et sociales. Au-delà, sans
réformes profondes, tout peut arriver.
En effet, la situation financière de
l’Algérie aujourd’hui est de loin
moins dramatique qu’à à la veille du
soulèvement d’octobre 1988. Entre 2020
et 2021, il y a quatre raisons de penser
que les revenus de l’État peuvent encore
servir de tampon social de façon
temporaire afin d’éviter l’implosion
sociale à l’horizon 2022.
Premièrement, l’Algérie n’est pas dans
la situation de 1986, où les réserves de
change étaient presque inexistantes avec
un endettement qui commençait à devenir
pesant. Cependant, en cas de non
résolution de la crise politique,
bien que la dette extérieure varie entre
½% du PIB, extrêmement faible, nous
aurons comme impacts une très grave
crise économique, sociale et politique
avec la perte de l’indépendance
politique, sécuritaire et économique.
Ces niveaux de réserves de change, si
elles sont bien utilisées, peuvent à la
fois servir de tampon social et
permettre la dynamisation du tissu
productif, à condition de changer de
politique économique et de résoudre
la crise politique pour attirer des
investisseurs potentiels.
Deuxièmement, avec
l’importance de la sphère informelle qui
joue comme tampon social, étant donné
qu’entre 30 et 40% de la population
active occupée et vu la crise du
logement, le regroupement de la cellule
familiale concerne une grande fraction
de la population et les charges sont
payées grâce au revenu familial global.
Mais il faut faire attention : résoudre
la crise du logement sans relancer la
machine économique prépare à terme
l’explosion sociale.
Troisièmement, grâce à leur travail mais
également aux subventions étatiques, les
familles algériennes ont accumulé une
épargne sous différentes formes.
Cependant, il suffit de visiter les
endroits officiels de vente de bijoux
pour voir qu’il y a « déthésaurisation »
et que cette épargne
est, malheureusement, en train d’être
dépensée face à la détérioration de leur
pouvoir d’achat. Cela peut tenir encore
deux ans. À la fin de cette période tout
peut arriver. Car pour qu’un ménage
vivant seul avec deux ou trois enfants
puisse subvenir à ses besoins, il lui
faut un revenu minimum net entre
50.000/60.000 dinars/mois, à condition
que ce ménage n’ait pas contracté de
prêts voitures ou de logements ou qu’il
ne paye pas un loyer exorbitant.
Quatrièmement, l’État, dans toutes
les lois de finances de 2019, et
certainement celle de 2020, continue à
subventionner les principaux produits de
première nécessité, encore que cela soit
injuste, puisque celui qui perçoit
30.000 dinars/mois bénéficie des
mêmes subventions que celui dont
le revenu dépasse 300.000 dinars. Il
faut aller, comme je le préconise depuis
2008, vers des subventions ciblées
budgétisées par le Parlement. Pour
2019, une enveloppe budgétaire de 1.763
milliards de DA a été allouée aux
transferts sociaux (contre 1.760
milliards de DA en 2018), soit près de
21% de la totalité du budget de l’État
de l’année 2019. Les crédits budgétisés
pour les transferts sociaux couvriront
notamment plus de 445 mds DA destinés au
soutien aux familles, tandis que près de
290 mds DA seront attribués aux
retraites, et auxquels s’ajoutera une
dotation d’appui de 500 mds DA à la
Caisse Nationale des Retraites (CNR).
Ces transferts sociaux comportent
également près de 336 mds DA pour la
politique publique de santé et plus de
350 mds DA pour la politique publique de
l’habitat auxquels s’ajouteront près de
300 mds DA mobilisés pour ce secteur par
le Fonds National d’Investissement
(FNI). En revanche, moins de 40% de la
population algérienne possède un
véhicule et le relèvement du prix du
gasoil et de l’essence est relativement
faible comparé au prix international.
De manière
générale, quel est l’impact de la
prédation et de la corruption et
ont-elles un effet néfaste sur la
croissance économique, le climat des
affaires et la redistribution des
richesses ?
Selon le Centre
d’analyse des opérations et déclarations
financières du Canada, « Le Devoir »,
qui surveille les télé-virements de
fonds de plus de 10 000 $ en provenance
de l’étranger, les chiffres des
transferts effectués depuis l’Algérie
uniquement vers le Canada entre janvier
et juillet 2019, ont été de plus de
78,6 millions dollars. Selon le
quotidien québécois et les analystes, du
fait de la crise politique en Algérie,
il s’agit de l’argent des « dirigeants,
de compagnies ou de particuliers » qui,
craignant la chute de la devise
nationale « cherchent à protéger la
valeur de leurs avoirs dans une monnaie
plus forte et plus stable ». Qu’en
est-il des transferts vers d’autres pays
démontrant que la crise actuelle porte
un coup fatal à l’économie et que les
règles économiques sont insensibles aux
slogans politiques ? Selon la plupart
des experts internationaux, la majorité
des institutions administratives et
économiques sont concernées par le
cancer de la corruption. L’on sait que
les auteurs de l’IPC considèrent qu’une
note inférieure à 3 signifie l’existence
d’un « haut niveau de corruption, entre
3 et 4 un niveau de corruption élevé, et
que des affaires saines à même d’induire
un développement durable ne peuvent
avoir lieu, cette corruption favorisant
surtout les activités spéculatives. La
sphère informelle produit des
dysfonctionnements du système, qui ne
peut pas la limiter par des décrets et
des lois mais par des mécanismes de
régulation transparents, des alliances
existant entre le pouvoir bureaucratique
et cette sphère contrôlant plus de 40%
de la masse monétaire en circulation,
alliances qui favorisent cette
corruption qui tend à se socialiser.
Selon le classement de Transparency
International, de 2003 à 2018, l’Algérie
connait une corruption élevée où,
en 2018, elle a eu la note de 3,5 en
figurant à la 105ème place
sur 168 pays. Ces indicateurs renvoient
à l’urgence de lutter contre les
transferts illicites de capitaux à
travers les surfacturations.
Qu’en est-il
justement du transfert illégal de
devises ?
Il faut
différencier les actes de gestion et les
pratiques normales par rapport à la
corruption, afin d’éviter la
démobilisation des managers, les
services de sécurité et les différents
organisâmes de contrôle devant vérifier
l’origine de ces montants de transferts
illicites de devises. L’objectif
stratégique est d’établir la connexion
entre ceux qui opèrent dans le commerce
extérieur soit légalement ou à travers
les surfacturations et les montants
provenant essentiellement d’agents
possédant légalement ou illégalement des
sommes en dinars au niveau local, non
connectés aux réseaux internationaux. Il
s’agira, par une analyse objective, de
quantifier sérieusement ces transferts
illicites de devises qui portent
atteinte à la sécurité nationale,
d’où l’urgence d’une nouvelle régulation
de l’économie nationale pour quantifier
objectivement l’impact de l’écart
d’environ 50% entre le cours du dinar
sur le marché parallèle et la cotation
officielle du dinar algérien. Les
subventions généralisées et sans
ciblages permettent le trafic des
marchandises aux frontières, ayant des
connexions avec le terrorisme via la
drogue. Il ne faut pas se tromper de
cibles, il faut différencier stratégie
et tactiques pour paraphraser le langage
des stratèges militaires, une
confusion existant souvent entre les
sorties de devises résultant des
importations de biens et services
d’environ 700 milliards de dollars entre
2000/2018 selon les statistiques du
gouvernement et le total des dépenses
d’environ 1100 milliards de dollars
(document officiel du FMI, budget
équipement et fonctionnement constitué
en grande partie de salaires). Il s‘agit
de différencier les surfacturations en
dinars (pour des projets ne nécessitant
pas ou peu de devises) des
surfacturations en devises, deux sphères
d’agents existant : ceux reliés
uniquement au marché interne (dinars) et
ceux opérant dans le commerce extérieur
(devises). Ce processus se fait en
complicité avec les étrangers, bien que
certains agents économiques opèrent sur
ces deux sphères.
Prenons l’hypothèse
d’un taux de 15% de surfacturation, ce
n’est qu’une hypothèse étant plus facile
pour les services où certaines
surfacturations peuvent atteindre plus
de 20%. Les sorties de devises de
biens et services entre 2000/2018 étant
estimées à environ 700 milliards
de dollars, cela donnerait un montant
total de sorties de devises de 105
milliards de dollars sans compter la
période 1970/1999 où bon nombre
d’estimations contradictoires ont été
données avec des montants faramineux
ramenés au pouvoir d’achat 2019. Ces
transferts illégaux de devises ne datent
pas d’aujourd’hui et pour des
comparaisons sérieuses, il faut prendre
en compte la valeur du dinar qui est
cotée en septembre 2019 à 119 dinars
pour un dollar alors qu’en 1974, nous
avions 5 dinars pour un dollar (fixation
administrative), et 45 dinars pour un
dollar vers les années 1974/1975. Ce
montant serait plus important si les
surfacturations étaient d’environ de
20/25% par rapport aux normes
internationales. Malheureusement nous
avons assisté à des discours creux
populistes de ceux qui devaient donner
l’exemple et dont les actions de justice
actuelles ont montré qu’ils étaient
guidés par leurs propres intérêts et
ceux leurs familles et non par les
intérêts supérieurs du pays, tous ayant
contribué à la dilapidation de
l’Algérie. Des actions urgentes pour
récupérer ces biens mal acquis tant au
niveau national qu’international sont
nécessaires et peuvent également jouer
comme tampon social. Mais il faut être
réaliste. Si les transferts illicites de
capitaux sont dans des paradis fiscaux
ou en actions ou obligations anonymes,
il sera difficile de les récupérer, ces
actions concernant uniquement des biens
ou placements réels tangibles tant en
Algérie qu’à l’étranger en cas où
l’Algérie a des accords internationaux
avec certains pays où les procédures
risquent d’être longues.
Comment lutter
contre la corruption ?
Il faut se demander
le pourquoi du faible impact de la
dépense publique entre 2000 et 2018 :
plus de 1100 milliards de dollars (part
dinars et devises) sur la sphère
économique et donc sur la sphère
sociale. Les études internationales
montrent que les autres pays de la
région MENA ont des résultats supérieurs
avec trois fois moins de dépenses que
l’Algérie avec ces dépenses dues à la
corruption, la surfacturation ou la
mauvaise gestion des projets. L’Algérie
a les meilleurs textes du monde mais
l’expérience montre clairement que les
pratiques sociales quotidiennement
contredisent le juridisme, renvoyant à
la démocratisation des décisions
politiques et économiques. Comment
mobiliser les citoyens au moment où
certains responsables au plus haut
niveau ou leurs proches sont impliqués
ou supposés impliqués dans les scandales
financiers et peuvent-ils encore avoir
l’autorité morale auprès de leurs
collaborateurs tant que de la population
algérienne ? J’ai eu à diriger le
dossier du bilan de l’industrialisation
entre 1965 et 1978 pour le
gouvernement de l’époque et j’ai
quantifié d’importants surcoûts par
rapport aux normes internationales, j’ai
aussi été en charge du dossier des
surestaries en 1983 en tant que
directeur général des études économiques
et haut magistrat comme premier
Conseiller à la Cour des comptes pour la
présidence de l’époque au moment du
programme anti-pénurie, et donc au vu
des importants montants
illégaux détectés à travers des
échantillons, j’avais conseillé à la
présidence de l’époque d’établir un
tableau de la valeur en temps réel,
reliant toutes les institutions
concernées aux réseaux internationaux
(prix, poids, qualité), tableau qui
malheureusement n’a jamais vu le jour du
fait que la transparence des comptes
s’attaquait à de puissants intérêts
occultes. Car si la corruption
existe dans tous les pays du monde,
comme en témoignent les scandales
financiers, s’il y a des corrompus, des
corrupteurs existent forcément, ce qui
implique autant une moralisation des
gouvernants internes que l’urgence d’une
moralisation des relations
internationales. Pour les pays
développés, la corruption est
relativement faible en rapport de la
richesse globale créée, ce qui n’est pas
le cas pour des pays ayant un faible
PIB, comme l’Algérie où la corruption
s’est socialisée, remettant en cause la
sécurité nationale du pays. La lutte
efficace contre la corruption passe par
l’impérieuse réforme des institutions et
du système financier, lieu de
distribution de la rente impliquant de
saisir les liens dialectiques entre la
production de la rente Sonatrach et sa
distribution à travers le système
financier, notamment les banques
publiques qui canalisent plus de 85% des
crédits octroyés expliquant que la
réforme profonde du ministère des
Finances doit être couplé avec celui
du ministère du Commerce, une seule DG
suffirait pour plus de cohérence, en
étant responsable de nombreuses
licences d’importation et autres
autorisations de complaisance.
La réforme du
système financier, intimement liée à la
démocratisation de la société et à la
liberté d’entreprendre sans contraintes
bureaucratiques, ne saurait se limiter à
la rapidité de l’intermédiation à
travers l’informatisation, pourtant
nécessaire, qui n’a jamais eu lieu
depuis l’indépendance politique, car
étant un enjeu crucial de luttes
de pouvoir et de redistribution de la
rente à travers des relations de
clientèles diffuses. Sans sa réforme
profonde autant que celle des
institutions (l’administration centrale
et locale) et de la justice, il serait utopique
de s’attaquer à l’essence de la
corruption, se limitant à des actions
conjoncturelles où demain les mêmes
causes produiront les mêmes effets de
corruption si l’on maintient les mêmes
mécanismes de régulation. La réforme
doit toucher toutes les structures du
Ministère des finances : toutes les
banques publiques et privées, notamment
les directions et sous-directions de
crédit avec leurs annexes régionales,
les caisses de garanties octroyant
parfois des garanties de complaisance
comme cela a été constaté récemment, la
Direction Générale de la fiscalité avec
ses annexes et ses antennes régionales,
avec des non-recouvrements faramineux
inexplicables – les seuls pénalisés
étant les salariés et fonctionnaires
dont la retenue est à la source -, les
domaines avec leurs annexes et antennes
régionales incapables d’avoir un
registre du cadastre transparent pour
éviter le bradage du patrimoine
national, la douane avec ses annexes
régionales, avec des tableaux de la
valeur reliés aux réseaux tant nationaux
qu’internationaux. La pleine
réussite de cette entreprise qui dépasse
largement le cadre strictement
technique, restera largement tributaire
d’un certain nombre de conditions dont
le fondement est la refonte de l’État au
sein d’une économie mondiale de plus en
plus globalisée. Alors que nous
assistons à la léthargie du conseil
économique et social dont la composante
n’a pas changé depuis des décennies
alors que la société a évolué, il s’agit
à l’avenir de favoriser le dialogue
productif, d’encourager des
contre-pouvoirs, d’insuffler plus de
dynamisme dans les institutions de
contrôle tant politiques que techniques
dont, notamment, le Conseil national de
l’Énergie et la Cour des Comptes, les
autres organes qui se télescopent
dépendant de l’Exécutif et étant donc
juge et partie, l’action des services de
sécurité ne pouvant être que ponctuelle.
En fait, la lutte contre la corruption
gangrénant le corps social implique un
véritable État de Droit et une nouvelle
gouvernance, si l’on veut la combattre
efficacement, car elle constitue le plus
grand danger, pire que le terrorisme
qu’a connu l’Algérie entre 1990 et 2000.
Quelles leçons
tirer du divorce État-citoyens?
Selon les données
du Ministère de l’Intérieur, le taux de
participation global aux élections
législatives du 4 mai 2017 au niveau
national et au sein de la communauté
nationale à l’étranger s`est établi à
37,09%. Les bulletins nuls qui se sont
chiffrés à 2.098.324, représentent
24,60% rapportés sur le nombre de
votants. Par rapport aux inscrits, nous
avons le taux de 9,02%, donc 28,07% qui
ont voté pour les partis ou
indépendants, donnant 71,93% des
inscrits qui ne font pas confiance à la
classe politique contre 64,70% en 2012.
Le taux de participation faible doit
tenir compte également de la
population réelle en âge de voter, donc
de ceux qui ne se sont pas inscrits. On
doit en tirer toutes les conséquences et
surtout agir pour remédier au divorce
entre l’État et les citoyens par
l’implication de la société civile. Il
y va de la crédibilité nationale
et internationale de l’Algérie et
l’avenir du pays est en jeu. Un
changement de trajectoire s’impose en
urgence car le statut quo serait
suicidaire. Aussi, face à cette
situation – tout en rappelant que le
discrédit qui frappe le système partisan
n’est pas spécifique à l’Algérie, car la
révolution mondiale des systèmes de
communications produit partout à
l’émergence de nouveaux comportements –
il y a urgence à adapter les partis
politiques, souvent déconnectés de la
société et présentant pour la majorité
d’entre eux la spécificité d’être liés à
des intérêts de rente. Il s’agit donc
d’introduire d’avantage de rigueur dans
la procédure relative à la création des
partis, sans pour cela verser dans
l’excès qu’induit inévitablement toute
approche bureaucratique de la chose
politique. Il est sans doute utile,
voire nécessaire, de s’intéresser à la
représentativité des partis avant de
décider de leur avenir. En tout état de
cause, il nous semble plus équitable, et
plus juste politiquement, de raisonner
en termes de marché électoral et de
laisser, dès lors, les règles du jeu
politique et le nombre d’acteurs qui s’y
adonnent, se fixer de manière
concurrentielle. Le rôle des pouvoirs
publics consistera alors à mettre en
place les garde-fous indispensables et à
veiller au respect strict des lois et
des règles qui régissent le
fonctionnement de ce marché.
Quant à la société
civile, force est de
constater qu’elle est impotente. La
confusion qui prévaut actuellement dans
le mouvement associatif national rend
malaisée l’élaboration d’une stratégie
visant à sa prise en charge et à sa
mobilisation. L’implication de la
société civile dans les affaires de la
cité est un acte éminemment
civilisationnel, qui intègre les
changements d’une société en pleine
mutation, et une manière d’aboutir à un
projet de progrès. Sa diversité, les
courants politico-idéologiques qui la
traversent et sa relation complexe à la
société et à l’État ajoutent à cette
confusion, rendant impérative une
réflexion collective. En raison de la
très grande jeunesse de la société
civile, des conditions historiques qui
ont présidé à sa naissance et des
événements tragiques qu’a connus notre
pays et auxquels elle a été directement
ou indirectement associée, la question
qui touche à sa mobilisation doit être
traitée avec une attention et une
vigilance soutenues. Constituée dans la
foulée des luttes politiques qui ont
dominé les premières années de
l’ouverture démocratique, elle reflète
les grandes fractures survenues dans le
système politique national. Sollicitée à
maintes reprises et à l’occasion
d’échéances parfois cruciales, cette
dernière manifeste souvent sa présence
d’une manière formelle et ostentatoire,
impuissante presque toujours à peser sur
le cours des choses et à formuler
clairement les préoccupations et
les aspirations de la société réelle. Il
est ainsi urgent d’engager une action
vigoureuse de réorganisation et de
redynamisation qui ne pourra être que
salutaire pour elle. Cette action
permettra, entre autres, d’offrir un
cadre adéquat d’expression collective à
des centaines de milliers de jeunes et
de moins jeunes qui ne sont pas
structurés et qui ne demandent qu’à être
utiles et à mettre au service de la
communauté leur bonne volonté et leur
générosité. Dans cet ordre d’idées, la
création d’associations dans des
secteurs qui sont porteurs mais qui
restent vierges et complètement ignorés
du mouvement associatif contribuerait à
un encadrement des forces vives qui
agissent dans la société de manière
dispersée et constituerait un levier
puissant de leur mobilisation en vue de
leur implication active dans l’œuvre de
redressement national. Mais cette
politique n’a de chance de réussir que
si le mouvement associatif est assaini
et si les associations qui le composent
ne sont pas au service d’ambitions
personnelles inavouables et parfois
douteuses. D’où l’urgence de profondes
réformes.
Le développement
ne passe t-il pas avant tout par la
résolution de la crise politique ?
L’Algérie sera ce
que les Algériennes et les Algériens
voudront qu’elle soit, loin de toutes
immiscions étrangères. Car avec la
corruption combinée à la détérioration
du climat des affaires, selon la
majorité des rapports internationaux, il
est utopique de parler d’une véritable
relance économique. L’Algérie souffre
avant tout d’une crise de
gouvernance et non d’une crise
financière. Mais cette crise de
gouvernance risque de se
transformer dans deux années en
crise financière, économique et
politique avec l’épuisement des réserves
de change. Si l’Algérie veut
dépasser la crise multidimensionnelle à
laquelle elle est confrontée au sein
d’un monde turbulent et instable
préfigurant d’importants bouleversements
géostratégique, son futur défi, et elle
a les potentialités de sortie de crise
qui sont énormes, sera d’avoir une
visibilité dans la démarche des reformes
structurelles indispensables conciliant
efficacité économique et une très
profonde justice sociale, avec une
nouvelle architecture institutionnelle
reposant sur de véritables
contre-pouvoirs démocratiques.
L’élection présidentielle devra être
transparente et reposer sur trois
axes : une commission de surveillance
des élections totalement transparente et
indépendante de l’exécutif et des
actuels élus centraux et locaux, la
révision du fichier et du code électoral
afin que les pratiques du passé (fraude
massive) ne se renouvellent pas.
Il s’agit impérativement d’aller
rapidement vers une élection
présidentielle dans des délais
raisonnables mais avec comme condition
qu’elle soit transparente, loin des
pratiques occultes du passé où l’on a vu
la majorité de la population bouder les
urnes à plus de 70-75% lors des
dernières élections législatives en
tenant compte des bulletins nuls,
traduisant le divorce État-citoyens.
Cela implique forcément, comme cela a
été retenu en conseil des ministres du
9/09/2019, la révision du fichier et du
code électoral, la création d’une
instance indépendante de supervision des
élections où ni l’exécutif (gouvernement
– surtout le ministère de l’Intérieur et
les Walis), ni les députés/sénateurs et
représentants des APC actuels dénoncés
par Al Hirak, ne seront parties
prenantes, étant donné qu’il appartient
aux candidats et à la société civile de
désigner ses représentants. On devra
être attentif à sa composante nationale
ainsi qu’à travers ses réseaux des 48
wilayas, avec des personnalités morales
et neutres. L’administration centrale
et locale n’a jamais été neutre du fait
de ses pratiques occultes datant depuis
l’indépendance politique, et non pas
seulement depuis la période actuelle.
L’actuel gouvernement composé en
majorité d’anciens hauts fonctionnaires
impliqués directement dans la gestion du
passé et donc responsables de la
situation actuelle, dont s’est fait
l’écho la presse, et qui seraient
compromis pour certains dans des
malversations ou du trafic dans les
élections passées, est rejeté
massivement par la population, qui
l’assimile à tort ou à raison à la
fraude, du fait de sa composante.
Un nouveau
gouvernement de techniciens « neutres »
est nécessaire, compromis entre le
pouvoir, l’opposition et Al Hirak, tant
pour crédibiliser l’action de la
justice que pour favoriser la réussite
du dialogue, le président par intérim
actuel de l’État continuant à assurer le
fonctionnement de l’État sans s’immiscer
dans les élections afin d’éviter la
déstabilisation de l’institution suprême
du pays. Seul un président légitime élu
sur la base d’un programme transparent,
incluant les revendications légitimes
d’Al Hirak, peut amender la Constitution
et mener les profondes réformes tant
politiques qu’économiques pour arrimer
l’Algérie au nouveau monde, en faire un
pays émergent – et elle en a les
potentialités. Les axes directeurs
devraient être la refondation des
institutions et du système politique
(reconnaissance de l’opposition), la
restructuration du système partisan et
de la société civile loin de toute
injonction administrative, l’État de
droit et la bonne gouvernance centrale
et locale (décentralisation avec cinq
pôles régionaux voir propositions
concrètes A. Mebtoul
http://www.google.2004), la lutte
contre la corruption, la
dé-bureaucratisation, la bonne gestion
des institutions (grands ministères
homogènes), des entreprises,
la valorisation du savoir, une nouvelle
politique économique tant énergétique
(subventions ciblées et Mix énergétique)
qu’hors hydrocarbures par la refonte de
tout le système financier (douane,
fiscalité, domaine, banques et aussi
revoir la règle des 49/51%), de l’école
du primaire au supérieur se fondant sur
les nouvelles technologies et
l’intelligence artificielle, du couple
eau et foncier/agricole/industriel, de
la santé, une nouvelle politique de
l’emploi pour éviter l’implosion des
caisses de retraite, une
nouvelle politique des affaires
étrangères et de la sécurité en réseaux,
tenant compte des nouveaux enjeux
du monde.
Quels sont les
axes du redressement économique de
l’Algérie ?
J’émets quatorze
propositions, en précisant que toute
politique économique est forcément
portée par des forces sociales,
politiques et économiques, tout en
n’oubliant pas les facteurs
géostratégiques, sachant que nous sommes
à l’ère de l’interdépendance mondiale
des économies.
Premièrement, la
condition fondamentale, c’est un
lien dialectique entre la sécurité et le
développement, condition de la
stabilisation de l’Algérie qui
d’ailleurs détermine la stabilité des
régions méditerranéenne et africaine.
Nous devons éviter le retour au drame
qu’a connu l’Algérie entre 1990 et 1999
et, récemment, les drames irakien,
syrien ou libyen, ce qui implique la
mise en place d’un minimum de revenu
social. Il faut aussi que les
différentes sensibilités puissent
dialoguer dans un cadre organisé se
basant sur la tolérance et le droit à la
différence, et s’adaptant à la quatrième
révolution mondiale fondée sur
l’intelligence artificielle et le
digital.
Deuxièmement., il y
a lieu de se poser la question centrale
de la mise en place d’un État de droit
et de véritables contrepoids politiques.
En effet, les partis actuels et leurs
satellites suscitent une méfiance
généralisée auprès de la population
algérienne. Ils sont incapables de
mobiliser et de susciter l’adhésion, ce
qui influe négativement sur l’économie
et favorise la corruption socialisée.
Troisièmement, sachant qu’elle a un
impact tant sur le fonctionnement du
système politique qu’économique, il faut
poser la question concernant la place de
la sphère informelle sur la bureaucratie
en fonctionnant dans un espace qui est
le sien avec des organisations
informelles (une société civile
informelle dominante) et expliquer la
dualité institutionnelle drainant plus
de 40% de la masse monétaire en
circulation, et plus de 50% de la valeur
ajoutée et de l’emploi total : comment
donc l’intégrer par des mécanismes
transparents loin des mesures
administratives autoritaires de peu
d’effets ? Ces objectifs doivent
se fonder sur une société plurielle plus
participative, avec des partis
politiques, avec la promotion de la
femme signe de la vitalité de toute
société, permettre la
responsabilisation pleine et entière de
l’ensemble de la société civile,
conciliant la modernité et la
préservation de notre
authenticité, contrairement à la
léthargie, l’activisme et le populisme
qui conduisent à la régression, car en
ce nouveau monde n’existe pas de statut
quo, toute Nation qui n’avance pas
recule forcément.
Quatrièmement, la
nouvelle politique économique devra
s’inscrire, comme je l’ai démontré dans
plusieurs contributions internationales,
dans le cadre de l’espace
Europe/Maghreb/Afrique et plus
globalement de l’espace économique
Méditerranée/Afrique.
Cinquièmement, améliorer
le fonctionnement des marchés et poser
la problématique du futur rôle de
l’État dans le développement économique
et social, et poser forcément les
relations dialectiques des rôles
respectifs et
complémentaires État-marché. Loin des
discours, il faut avoir une nette
volonté politique d’aller vers une
économie de marché à finalité sociale,
conciliant l’efficacité économique et la
nécessaire cohésion sociale, en évitant
que les relations marchandes ne
détruisent les liens de solidarité.
Sixièmement, il est
indispensable d’éviter la politique
économique utopique du passé, notamment
la politique industrielle. La nouvelle
politique économique devra être
caractérisée par l’adaptation à
l’universalisation de l’économie de
marché, en tenant compte des
spécificités sociales, où la dominance
sera le consommateur et l’arbitre, les
marchés financiers.
Le véritable patriotisme, à ne pas
confondre avec le nationalisme
chauviniste étroit, source
d’intolérance, se mesurera par la
capacité des Algériens à améliorer leur
niveau de vie grâce à leur contribution
à la valeur ajoutée locale et mondiale.
Septièmement, soutenir le
développement par une administration
centrale et locale rénovée
(e-administration) et une lutte contre
la bureaucratisation centrale et locale
par une rationalisation des choix
budgétaires des entreprises
(réévaluation permanente,
surcoûts) notamment au niveau
administratif, et les services
collectifs dont les modes de gestion
datent encore du début des années 1970,
et établir un tableau de la valeur relié
aux réseaux internationaux pour lutter
contre les surfacturations. Donc, muter
progressivement les services collectifs,
qui deviennent de plus en plus créateurs
de valeur ajoutée (éducation, santé,
télécommunication, transport,
infrastructure) en introduisant les
paramètres marchands pour tester de leur
efficacité, tout en encourageant la
mixité pour améliorer les prestations
fournies aux consommateurs.
Huitièmement, sous
réserve d’objectifs socio-économiques
précis datés dans le temps, une réelle
décentralisation doit avoir lieu autour
de cinq pôles régionaux, ainsi que
revoir le fonctionnement des wilayas et
des APC en mutant les collectivités
locales providences en collectivités
locales managers créatrices de
richesses et citoyennes afin de
rapprocher l’État du citoyen à travers
une véritable décentralisation.
Neuvièmement,
établir une nouvelle organisation
institutionnelle gouvernementale par la
création de grands Ministères, surtout
ceux de l’Économie et de l’Éducation,
avec des Secrétaires d’État techniques,
et ce afin d’éviter les télescopages.
Ensuite, dynamiser les secteurs santé,
travaux publics-transport, énergie,
agriculture-eau, tourisme, nouvelles
technologies où l’Algérie peut avoir des
avantages comparatifs.
Dixièmement,
revoir les politiques industrielles
globales dépassées et imaginer une
nouvelle politique, non de l’industrie
globale, mais de l’entreprise qui ne
soit pas calquée sur les anciennes
organisations hiérarchiques
bureaucratiques et qui soit fondée sur
la souplesse des organisations basées
sur la décentralisation des décisions
économiques, la gestion
prévisionnelle des compétences, le
travail en groupes, tout en tenant
compte des nouvelles technologies.
Onzièmement,
réformer le système financier dont les
banques (cœur des réformes) et dynamiser
la bourse des valeurs, booster d’une
manière cohérente le partenariat
public/privé, les ouvertures de capital
et la privatisation, en évitant le
bradage du patrimoine national.
Douzièmement, définir une nouvelle
politique de l’emploi en fonction du
développement des entreprises créatrices
de richesses si l’on veut éviter
l’implosion des caisses de retraite dont
le fonctionnement doit être revu en
levant toutes les contraintes de
bureaucratie, du système financier, du
système socio-éducatif non adapté, du
foncier, en cessant de créer des emplois
par décrets, en renvoyant à une nouvelle
politique de formation adaptée aux
nouvelles technologies, en conciliant
flexibilité et sécurité, enfin en
faisant un bilan sans complaisance de
tous organismes chargés de l’emploi et
en les regroupant en un centre unique
pour plus de cohérence.
Treizièmement,
réduire les inégalités sociales par une
nouvelle politique des subventions
ciblées intra- socioprofessionnelles et
intra-régionales et revoir le système
fiscal par la combinaison de l’équité
verticale, et réaliser une lutte contre
la corruption, à ne pas confondre avec
l’acte de gestion pour ne pas pénaliser
les managers et les initiatives
créatrices.
Quatorzièmement, ne
jamais oublier la diaspora qui possède
d’importants moyens financiers mais
surtout intellectuels dans le management
stratégique et qui, à l’instar d’autres
pays, peut permettre de contribuer au
développement national pour peu que les
entraves bureaucratiques soient levées.
Quelle est votre
conclusion concernant l’avenir de
l’Algérie ?
Après plusieurs
décennies d’indépendance politique,
c’est toujours le cours du pétrole qui
détermine l’évolution des réserves de
change. Vu la pression démographique
(plus de 50 millions d’habitants en
2030), il faudrait créer minimum 300.000
à 400.000 postes de travail nouveaux par
an, ce qui nécessite sur plusieurs
années un taux de croissance annuel de 8
à 9% en termes réels. Il faut être
réaliste : en ce mois de septembre 2019,
Sonatrach, c’est l’Algérie, et
l’Algérie, c’est Sonatrach. Avec une
plus grande rigueur budgétaire, une
meilleure gouvernance, un changement de
cap de la politique économique actuelle,
même avec un baril à 60 dollars,
l’Algérie peut s’en sortir. Pour
paraphraser les militaires, on devra
s’attaquer à l’essentiel et non au
secondaire. Il existe une loi en
sciences politiques : 20% d’actions bien
ciblées ont un impact de 80%, mais 80%
d’actions mal ciblées ont un impact
seulement de 20%. Les décennies qui ont
marqué la vie politique et économique de
bon nombre de pays du Tiers monde et
qui, malgré des ressources naturelles
considérables, n’arrivent pas à asseoir
une économie diversifiée dans le cadre
des valeurs internationales, dont
l’Algérie, me confortent aujourd’hui
dans ma conviction. Le développement
n’est pas une affaire de quincaillerie
industrielle ou de signes monétaires.
Quelle que soit l’importance des
réserves de change et des dépenses
monétaires, le développement ne peut
avoir lieu sans se soucier de la bonne
gestion, sans la démocratisation, et en
dépensant sans compter. L’Algérie ne
peut revenir à elle-même que si les faux
privilèges sont bannis et si les
critères de compétence, de loyauté et
d’innovation sont réinstaurés comme
passerelles de réussite et de promotion
sociale. L’Algérie n’a pas d’autre choix
que d’accélérer les réformes
structurelles, microéconomiques et
institutionnelles, conditions de la
stabilité macroéconomique, sociale et
politique et donc de rétablir le travail
et l’intelligence comme symboles de la
réussite. L’Algérie, avec des
détournements qui dépassent
l’imagination humaine par leur ampleur
et qui conduisaient le pays droit au
mur, a besoin d’une nouvelle stratégie
loin des slogans creux populistes, et
doit s’adapter au nouveau monde qui sera
dominé par le savoir (l’intelligence
artificielle). L’Algérie a besoin d’un
retour à la confiance pour sécuriser
son avenir.
Impérativement, il
faut s’éloigner des aléas de la
mentalité rentière en réhabilitant la
bonne gouvernance. En cette période
difficile de tensions budgétaires,
personne n’a le monopole de la vérité et
du patriotisme. Il s’agit là de l’unique
voie que doivent emprunter les Algériens
afin de transcender leurs
différence et de trouver de nouvelles
raisons de vivre harmonieusement
ensemble afin de construire le destin
exceptionnel que nos glorieux aînés de
la génération du 1er Novembre 1954 ont
voulu pour eux. Comme l’a souligné le
grand sociologue Ibn Khaldoun il y a de
cela plusieurs siècles, «lorsque le
pouvoir est atteint d’immoralité, c’est
la décadence de toute la société». Les
scandales financiers généralisés
touchant la majorité des secteurs de
l’activité nationale menacent les
fondements de l’État algérien. Avec la
situation géostratégique de la région,
la menace est encore plus grande. Les
dernières élections législatives et
locales ont déjà montré un taux de
non-participation très élevé. D’où
l’urgence d’un renouveau de la
gouvernance centrale et locale, de plus
de moralité dans la gestion de la Cité,
et d’instaurer un État de Droit qui
s’impose pour des raisons de sécurité
nationale. Il ne peut y avoir un État de
droit si l’État n’est pas droit,
c’est-à-dire immoral.
L’après-hydrocarbure est à ce prix avec
l’épuisement inéluctable des réserves du
pétrole et du gaz conventionnel à
l’horizon 2030 et d’un bas prix pendant
de longues années. Or, la population
algérienne qui est de 43 millions
d’habitants au 1er janvier 2019 sera
d’environ 50 millions en 2030 avec
une demande d’emplois additionnelle qui
varierait entre 300.000 à 400.000
personnes par an, nombre d’ailleurs
sous-estimé puisque le calcul de l’ONS
applique un taux largement inférieur
pour les taux d’activité à la population
féminine, représentant la moitié de la
population active et dont la
scolarisation est en forte hausse, qui
s’ajouteront au stock de chômage.
Nous ne pouvons pas
ne pas reconnaître le décalage qui
existe entre les potentialités que
recèle l’Algérie, et elles sont énormes,
et le niveau de développement proprement
dérisoire que le pays a atteint après
plusieurs décennies d’indépendance,
malgré des dépenses monétaires
colossales. Les réformes
indispensables nécessiteront des
stratégies d’adaptation tenant compte de
la projection de notre environnement qui
est un bien commun, où le dialogue des
cultures fondée sur la tolérance sera
déterminant, pour éviter le
sous-développement, la misère et des
conflits préjudiciables à l’avenir de
l’humanité. Il s‘agira
impérativement d’éviter de différer les
réformes de structures, de prendre en
compte ce désir de changement des deux
tiers de la population, de combattre la
corruption qui devient une menace pour
la sécurité nationale et un facteur de
démobilisation des citoyens,
et également de lutter contre toute
forme de xénophobie et d’intolérance.
Méditons Voltaire : « Monsieur je ne
suis pas d’accord avec ce que vous
dites, mais je me battrai de toutes mes
forces pour que vous puissiez le dire ».
Du fait des importants bouleversements
géostratégiques mondiaux qui s’annoncent
entre 2020 et 2030, l’Algérie qui
traverse une phase cruciale de son
histoire a besoin qu’un regard critique
et juste soit posé sur sa situation, sur
ce qui a déjà été accompli et sur ce
qu’il s’agit encore d’accomplir au
profit exclusif d’une patrie qui a
besoin de se retrouver et de réunir tous
ses enfants autour d’une même ambition
et d’une même espérance.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est le
Professeur Abderrahmane Mebtoul ?
Le Professeur
Abderrahmane Mebtoul est docteur d’État
en sciences économiques et membre de
plusieurs organisations internationales.
Il est l’auteur de 20 ouvrages sur les
relations internationales et sur
l’économie algérienne et de plus de 700
contributions nationales et
internationales. Il a été directeur
d’études au Ministère de l’Énergie –
Sonatrach (de 1974 à 1979 – de 1990 à
1995 – de 2000 à 2007) et a dirigé le
premier audit sur Sonatrach. Il a été
Directeur général et haut magistrat à la
Cour des comptes (premier Conseiller) de
1980 à 1983, expert indépendant au
Conseil économique et social de 1997 à
2008, président du Conseil national des
privatisations de 1996 à 1999 au rang de
Ministre Délégué, expert indépendant
auprès de la présidence de la République
de 2007 à 2008, et expert indépendant
non rémunéré auprès du Premier ministre de
2013 à 2016. Le Professeur Mebtoul a
été en charge de plusieurs
importants dossiers pour le compte des
gouvernements successifs algériens de
1974 à 2019 et des institutions de
l’État et a dernièrement été le chef de
file de la délégation algérienne pour le
forum de la société civile des 5+5 en
2019.
Le Pr. Mebtoul a
dirigé le premier Audit sur Sonatrach
entre 1974 et 1976, le bilan de
l’industrialisation 1977 à 1978, le
premier audit pour le comité central du
FLN sur le secteur privé entre 1979 et
1980. Il a dirigé les audits sur les
surestaries et les surcoûts au
niveau BTPH en relation avec le
Ministère de l’Intérieur, les 31 Walis
et le Ministère de l’Habitat en 1982, a
réalisé au sein de la Cour des Comptes,
l’audit sur l’emploi et les salaires
pour le compte de la présidence de la
République en 2008, l’audit face aux
mutations mondiales et les axes de la
relance socio-économique de l’Algérie à
l’horizon 2020/2030 pour le Premier
ministère en février 2014,
l’audit assisté des cadres de Sonatrach,
d’experts indépendants et du Bureau
d‘études Ernest Young « le prix des
carburants dans un cadre concurrentiel »
pour le Ministère de l’Énergie à Alger
en 2008, et l’audit « pétrole et gaz de
schiste, opportunités et risques » pour
le Premier ministère à Alger en janvier
2015.
Annexe
Évolution des
exportations et importations de 2012 à
2018, prévision 2019
Nous avons les
évolutions suivantes.
Pour les
exportations : -2012 : 71,7 milliards de
dollars ; -2013 : 64,8 milliards de
dollars ; -2014 : 60,1 milliards de
dollars ; -2015 : 34,5 milliards de
dollars ; -2016 : 29,3 milliards de
dollars ; -2017 : 32,9 milliards de
dollars ; -2018 : 41,17 milliards de
dollars ; -2019 : entre 30 et 32
milliards de dollars, hypothèse cours
moyen 60/62 dollars et gaz 4/5 dollars
le MBTU (prévision).
Pour les
importations : -2012 : 51,5 milliards de
dollars ; -2013 : 54,9 milliards de
dollars ; -2014 : 59,6 milliards de
dollars ; -2015 : 52,6 milliards de
dollars ; -2016 : 49,7 milliards de
dollars ; -2017 : 48,7 milliards de
dollars ; -2018 : 46,19 milliards de
dollars US ; -2019 : 45 milliards de
dollars (prévision, montant
incompressible).
Mais pour une
appréciation objective, pour 2018, il y
a lieu d’analyser la structure ou les
hydrocarbures qui, avec les
dérivés, représentent plus de 98% des
recettes en devises. En effet, selon les
statistiques officielles, les engrais
minéraux ou chimiques azotés
représentent 917 millions de dollars
soit 32,42% ; 613 millions de dollars
pour les huiles et autres produits
provenant de la distillation des
goudrons soit 21,68%, 446 millions de
dollars pour les ammoniacs anhydres soit
15,79%, 51 millions de dollars pour le
phosphate de calcium soit 1,80% et 38
millions de dollars pour l’hydrogène,
les gaz rares soit 1,34%, soit au total
73,03%, moins de 27% pour les autres
produits nobles soit 764 millions de
dollars en 2018, dont le ciment pour 25
millions de dollars soit 0,96%. C’est
la même tendance pour le premier
semestre 2019. Nous sommes loin de
l’euphorie des déclarations du ministère
du commerce. Concernant la période du
premier semestre 2019, elle a été
caractérisée par un cours moyen du
baril entre 65 et 67 dollars et un cours
du gaz qui représente 33% des recettes
de Sonatrach entre 4 et 5 dollars le
MBTU.
Indice de
corruption 2003/2018
Selon le classement
de Transparency International de 2003 à
2018, l’Algérie connaît une corruption
élevée : en 2003 : 2,6 sur 10 et 88e
place sur 133 pays ; en 2004 : 2,7 sur
10 et 97e place sur 146 pays ; en 2005 :
2,8 sur 10 et 97e place sur 159 pays ;
en 2006 : 3,1 sur 10 et 84e place sur
163 pays ; en 2007 : 3 sur 10 et la 99e
place sur 179 pays ; en 2008 : 3,2 sur
10 et 92e place sur 180 pays ; en 2009 :
2,8 sur 10 et 111e place sur 180 pays ;
en 2010 : 2,9 sur 10 et 105ème place sur
178 pays ; en 2011 : 2,9 sur 10 et
112ème place 183 pays ; en 2012 : 3,4
sur 10 et 105e place sur 176 pays ; en
2013 : 105e place sur 107 pays ; en
2014 : note 3,6 et 100e place sur 115
pays ; en 2015 : note 3,6 et 88e place
sur 168 pays ; en 2016 : note 3,4 et 108e
place sur 168 pays ; en 2017 : note 3,3
et 112e place sur 168 pays ; en 2018 :
note 3,5 et 105e place sur 168 pays.
Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour
publication
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