Algérie Résistance
Noureddine Boukrouh : « L’Algérie
se trouve actuellement à la croisée des
chemins »
Mohsen Abdelmoumen
Noureddine
Boukrouh. DR
Mardi 19 septembre 2017
English version here
Mohsen
Abdelmoumen : Votre livre « L’islam
sans l’islamisme : vie et pensée de
Malek Bennabi » est un livre pertinent
et nécessaire pour comprendre l’islam et
l’islamisme. Selon vous, peut-on dire
que l’islamisme est la négation de
l’islam ?
Noureddine
Boukrouh : Il fut un temps, du
XVIIIe au XXe, où ces deux mots étaient
des synonymes dans les langues
européennes parce qu’ils désignaient une
seule et même chose, la religion de
l’islam.
Dans la langue
arabe, le mot « islamisme » n’existait
pas parce qu’il n’avait pas de raison
d’être. L’islam était à peu de choses
près partout le même et, plus important
encore, les musulmans ne s’entretuaient
pas pour des raisons religieuses quels
qu’aient été leurs clivages : ethniques
ou doctrinaux (sunnites-chiites,
sunnites entre eux…). Son apparition est
récente sous des déclinaisons comme « ouçouliya »
(fondamentalisme), « salafiya »
(orthodoxie liée en particulier au
hanbalisme, la plus rigoriste des quatre
écoles juridiques sunnites les plus
connues), ou « islamawiya » qui est un
terme composé de la racine « islam » et
de l’équivalent arabe du suffixe « isme »
qui révèle la tendance à l’hégémonisme,
à la suprématie, au totalitarisme…
L’adoption d’un
terme consensuel et unique demeure
problématique, mais les musulmans ont
fini par admettre la réalité de la
nuance entre les deux mots et
l’existence effective en leur sein d’un
courant théologique et politique tendant
à réduire l’islam à lui-même, à
l’enfermer dans sa lettre et son
histoire originelle, à en faire presque
une religion ethnique ayant son centre
de gravité dans la péninsule arabique.
Depuis, ils cherchent comment isoler ce
courant du reste de l’islam historique,
de l’islam coranique qui est par essence
ouvert, éclairé, tolérant et tourné vers
le bien du genre humain.
Partant de là, on
peut en effet conclure que l’islamisme
qui veut inscrire l’islam dans une
opposition frontale avec le reste du
monde, avec les autres cultures,
civilisations et religions, qui rejette
les apports de l’humanité à l’histoire,
à la science et au mode de gestion
démocratique des nations, est une
négation de l’esprit coranique.
J’ai donné ce titre
générique à mon livre sur le penseur
algérien Malek Bennabi (1905-1973) pour
le situer d’emblée dans la pensée
islamique contemporaine où sont mêlés
tous ceux qui ont écrit sur l’islam,
qu’ils appartiennent à l’islam ou à son
premier adversaire, l’islamisme,
qu’incarne aujourd’hui dans toute son
horreur « DAESCH ».
Bennabi est l’homme
qui citait dans ses premiers ouvrages à
la fin des années 1940 le livre de
Wendell Wilkie (1892-1944), « Le monde
est un » et qui, dès qu’il a commencé à
écrire, a placé le destin de l’islam
dans le processus de mondialisation du
monde, de l’économie, du savoir et des
valeurs humaines.
Pourquoi n’y
a-t-il pas une pensée critique dans le
monde musulman ?
À toutes les
époques de l’histoire de l’islam, en
dehors de la période de décadence et de
l’occupation étrangère où régnait un
silence sépulcral (du XIVe au XIXe
siècle), sont apparus en très petit
nombre, ici ou là dans le monde
musulman, des cerveaux qui ont eu le
courage d’affronter le rigorisme de
l’orthodoxie et ont appelé à la
« réouverture des portes de l’ijtihad »,
autrement dit l’introduction de la
rationalité et de l’esprit critique dans
la réflexion sur l’état de l’islam, sa
situation intellectuelle, politique,
sociale, économique et culturelle, et
les perspectives de son retour à
l’histoire active.
Ces hommes ont
entretenu la flamme de la liberté de
pensée au temps des Mûtazilites
(VIIIe-XIIIe siècle), de l’esprit
critique au temps d’Ibn Khaldoun (XIVe
siècle), du renouveau et de la
renaissance (Nahda) entre le XVIII et le
XXe siècle, jusqu’à nos jours avec les
courants appelés « tanwiriste »
(philosophie des Lumières) et coranistes
(recherche sur les signifiants
fondamentaux du Coran en dehors de
l’exégèse traditionaliste) dans lesquels
je me reconnais.
En ce début de
troisième millénaire le contexte est
devenu, grâce aux réseaux sociaux,
favorable à l’interconnexion des efforts
intellectuels apparaissant dans les pays
arabo-musulmans et à leur amplification
qui peut donner lieu à la formation d’un
courant de pensée structuré comme les
ruisseaux, rivières et fleuves se
déversant dans un même confluent.
L’intellectuel
américain, le Dr. Kevin Barrett, nous
disait dans une récente interview que le
penseur algérien Malek Bennabi était
l’un des penseurs-clés de la renaissance
islamique. Vous qui êtes son disciple le
plus connu, celui qui a le plus écrit
sur lui dans le monde et qui avez reçu
des mains de sa famille et héritiers son
journal intime, ses manuscrits et ses
ouvrages inédits, que pensez-vous de
cette déclaration ?
Je connaissais déjà
deux intellectuels américains, le
professeur Allan Christellow de
l’université d’Idaho qui m’a fait
l’honneur de préfacer mon livre
« L’islam sans l’islamisme », et le
révérend David Johnston. Je les ai
d’ailleurs fait connaître entre eux par
correspondance.
Un curieux hasard a
fait que tous les deux ont découvert
Malek Bennabi par hasard, mais en
relation avec moi : M. Christellow en
achetant en 1972 un magazine où je
publiais des extraits de l’œuvre de
Bennabi, et M. Johnston en achetant en
1976 un livre de Bennabi que je venais
d’éditer en l’accompagnant d’une préface
et de notes.
En ce qui me
concerne, j’ai découvert les écrits de
Christellow en 1992, et fait la
connaissance du pasteur-universitaire en
2003 à Alger. Ce dernier m’a envoyé un
an plus tard une copie de son exposé
devant la conférence annuelle de
l’« American Academy of religion »
intitulé « Les frontières indistinctes
entre les mouvements réformiste et
islamiste : les pensées de Malek Bennabi
et de Rachid Ghanouchi sur la
civilisation ». Ghanouchi, que j’ai
connu à Alger au début des années 1990,
tient ses idées sur la civilisation en
totalité de Bennabi ainsi qu’il le
revendique publiquement.
J’aimerais bien que
le Dr Kevin Barrett se penche sur les
publications du Dr Christellow, il y
trouvera la confirmation de son jugement
sur Bennabi qui, un an avant sa mort,
avait fait une tournée de conférences
aux Etats-Unis. Parmi les études
réalisées par Allan Christellow je peux
citer : « Un humaniste musulman du XXe
siècle, Malek Bennabi » in « The Maghreb
Review », 1992 ; « Malek Bennabi et les
frontières culturelles de l’ère
globale » (Colloque international sur la
pensée de Malek Bennabi, Alger, octobre
2003) : « Malek Bennabi et deux visions
mondiales anglophones : les cas de
Arnold Toynbee et Wendell Wilkie »,
septembre 2005).
J’ajouterais à la
déclaration du Dr Barrett que la
particularité de Bennabi ne réside pas
dans la « renaissance islamique ». Il
est l’unique penseur musulman de tous
les temps à avoir exclu une renaissance
du monde musulman « en vase clos », en
tant qu’ensemble spirituel, humain,
culturel, politique ou économique, mais
en la plaçant dans une dynamique
historique qui n’a pas encore vu le
monde dans sa plénitude, c’est-à-dire un
processus d’intégration humaine sur tous
les plans, y compris spirituel,
intellectuel et culturel, ce qui est
autrement plus difficile à réaliser que
l’intégration géographique, économique
et politique. Voilà ce que personne n’a
encore saisi dans la pensée de cet homme
et que j’ai essayé d’expliquer dans mon
livre sur lui.
Bennabi n’est-il
pas un éternel incompris, un visionnaire
qui a devancé son temps ? Pourquoi les
Algériens préfèrent-ils les ulémas de
palais, les charlatans des
télé-poubelles, plutôt que la pensée
critique et clairvoyante d’un homme
comme lui ?
Je viens de vous
donner la raison pour laquelle ce
visionnaire qui a vu ce que la pensée
humaine n’a encore imaginé nulle part
dans le monde et à aucune époque de
l’histoire, n’a été, ne pouvait être
compris ni par la pensée universelle qui
l’ignore, ni par les intellectuels
musulmans qui ne peuvent se représenter
la perspective dans laquelle il se
place. Car il est le théoricien non pas
de la « renaissance islamique », mais de
la renaissance humaine dans son
universalité.
Je crois que
lui-même avait peur de l’ampleur de sa
vision et qu’il l’a « adoucie »,
« camouflée » pour ne pas effaroucher
ses contemporains et s’exposer à
l’ostracisme. Moi-même en découvrant
l’étendue dans les notes figurant dans
son journal intime (les carnets) j’en ai
eu le vertige. Cet homme qui est mort il
y a près d’un demi-siècle a encore un
demi-siècle au moins d’avance sur la
pensée humaine dans son ensemble.
Comment
expliquez-vous que des siècles après
l’avènement de l’islam le monde musulman
soit devenu la maison de la guerre (« Dar
al-Harb ») et que des pays entiers
soient menacés de disparition ?
Je crois que des
formules comme « le monde musulman »,
« l’islam » et « le monde arabe » dont
ont usé et abusé le langage courant et
les études académiques et orientalistes
jusqu’ici ne valent plus et ne
correspondent plus à la réalité qu’on
découvre plus nuancée qu’il n’y
paraissait.
Le « monde
musulman » n’a presque jamais existé
comme ensemble politique et religieux
uni, centralisé, homogène ou fédéré à
l’image des États-Unis d’Amérique par
exemple. Sur le plan religieux, il s’est
divisé en sunnisme et chiisme un quart
de siècle à peine après la mort du
Prophète.
Sa capitale
politique n’a cessé ensuite de se
déplacer au fil des luttes intestines
pour le pouvoir, passant de l’actuelle
Arabie saoudite (Médine) au temps des
quatre premiers califes, à Damas avec la
dynastie omeyyade, puis à Bagdad avec la
dynastie abbasside avant de se
fragmenter en plusieurs califats et
dynasties non-arabes géographiquement
éloignés et autonomes les uns des autres
(Mongolie, Chine, Egypte, Afrique du
nord, Espagne, Iran, Turquie, Asie
centrale, Afrique noire, sous-continent
indien…). Puis, enfin, à Istanbul avec
la dynastie ottomane.
Le monde arabe
n’est pas moins hétérogène, comprenant
des Arabes proprement dits dans la
Péninsule arabique, des Amazighs en
Afrique du Nord, des Kurdes en Turquie,
Iran, Syrie et Irak, des Druzes au
Liban, des Noirs en Afrique, et aussi
des religions autres que l’islam
(diverses branches du christianisme et
autres dérivés de l’islam…).
Le colonialisme,
l’impérialisme et les deux guerres
mondiales ont donné à l’ancien « monde
musulman » le visage qu’il avait à la
fin du XXe siècle, c’est-à-dire une
cinquantaine de pays où l’islam est
majoritaire mais que ne rassemblent ni
des positions communes en matière de
politique internationale, ni des projets
d’union économique à l’image de l’Union
européenne. Le plus petit dénominateur
commun qui restait à ces pays, c’était
la culture religieuse traditionnelle,
non renouvelée depuis mille ans et
charriant une vision du monde obsolète.
Elle était entretenue par les
universités islamiques du monde arabe,
principalement l’Égypte (al Azhar) et
l’Arabie Saoudite.
C’est de ce résidu
culturel qu’est né l’islamisme dans la
première moitié du XXe siècle avec les
écrits de l’Indo-pakistanais Mawdudi et
de l’Egyptien Sayyid Qutb qui lui ont
donné les apparences d’une conception du
monde nouvelle s’appliquant à la
politique, à l’économie et au « way of
life », et capable de restaurer le
« monde musulman » dans son ancienne
grandeur. Mais pour cela, il fallait
prendre le pouvoir.
Voilà comment s’est
formé, en grossissant comme les ouragans
et les typhons et en balayant un pays
après un autre, le fléau idéologique qui
a précipité les pays musulmans dans un
engrenage d’autodestruction qui a enrayé
les acquis mentaux, intellectuels et
sociaux difficilement conquis au cours
du XXe siècle. Le retour au religieux
pour interpréter le présent et élaborer
les solutions du futur ne pouvait que
réveiller les querelles religieuses
apparues à l’aube de l’islam entre
sunnites et chiites, entre Arabes et
Perses.
Tant et si bien que
le « monde musulman » est effectivement
devenu une zone de guerres civiles où
plusieurs pays ont déjà été gravement
affaiblis selon des modalités
différentes mais visant toutes à leur
destruction : Irak, Syrie, Libye,
Somalie, Afghanistan, Pakistan, Mali,
Nigeria., et peut-être de nouveau
l’Egypte et l’Algérie dans l’avenir.
Que pensez-vous
de cette dialectique qui établit
l’évidence que ce sont les dirigeants
politiques qui sont les artisans de
l’échec dans les pays musulmans, échec
qui a ouvert la voie à l’intervention
étrangère ? Les dirigeants
arabo-musulmans ne sont-ils pas les
alliés objectifs de leurs ennemis ?
Les premiers
États-nations qui se sont formés dans
l’histoire sont apparus en Europe et
sont le fruit d’un processus de
mutations intellectuelles provoquées par
de nouveaux ferments comme la
Renaissance, la Réforme, l’humanisme, le
cartésianisme, la philosophie des
Lumières et la notion des « droits de
l’homme » créée par Thomas Payne
(1737-1802) qui a été l’inspirateur de
la révolution américaine et de la
révolution française à la fin du XVIIIe
siècle et auxquelles il a
personnellement pris part. L’Amérique
doit beaucoup à cet homme (un
Britannique) et à son livre, « The
common sense », alors que la France lui
doit sa fameuse « Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen ».
Les pays musulmans
sont revenus à l’histoire au XXe siècle
sans avoir réalisé aucune mutation
intellectuelle ou culturelle, se
contentant de plaquer sur leur ancienne
culture les idéologies libérales ou
marxistes qui étaient alors en vogue
dans le monde. Monarchies rétrogrades et
républiques soi-disant progressistes ont
entrepris de développer leurs pays sur
le plan matériel, économique et
militaire sans toucher à la psychologie,
à l’esprit et aux valeurs sociales de
leurs peuples. Les dirigeants, familles
régnantes ou juntes militaires, ont
improvisé des États en copiant les
Occidentaux, sans penser à en couler les
fondations dans l’âme de leurs peuples,
sans forger en eux les valeurs civiques
et citoyennes qui les prémuniraient et
les immuniseraient contre des intrusions
idéologiques néfastes.
Lorsque Mawdudi et
Sayyed Qotb pour le sunnisme, et
l’ayatollah Khomeiny pour le chiisme,
théorisèrent l’idéologie islamiste et en
firent une technique de prise du pouvoir
par tous les moyens, celle-ci ne tarda
pas à emporter les faux États modernes
bâtis en Iran (1978), en Afghanistan
(1979), en Somalie (1990), en Algérie
(1992), en Tunisie, en Egypte, en Libye,
en Syrie et au Yémen (2011), sans parler
de l’Irak, de la Turquie et du Liban. Il
est remarquable que ce sont les
républiques dites progressistes qui ont
été touchées par l’islamisme, et non les
monarchies moyenâgeuses.
Le discours
islamiste a réussi à discréditer et à
saper les dynamiques de développement
national qui étaient suivies dans ces
pays en leur reprochant d’aller à
l’encontre des « valeurs islamiques ».
Malheureusement, ces dynamiques étaient
conduites par des dirigeants
incompétents, despotiques et corrompus
qui prêtaient idéalement le flanc à
cette critique systémique.
Pour mieux
protéger l’islam et les musulmans, ne
faudrait-il pas mettre des frontières
entre les théologiens (les « ulémas »)
et les politiciens et hommes de pouvoir,
qu’ils soient rois ou présidents ?
Là est le problème
car on constate avec le recul que ni la
laïcité préconisée par l’idéologie
baathiste (Irak-Syrie), ni les
politiques de libéralisation à
l’occidentale menées en Turquie
(Atatürk), en Iran (Pahlavi), en Tunisie
(Bourguiba), ni les politiques
« révolutionnaires » suivies en Egypte
(Nasser), en Algérie (Boumediene) et en
Libye (Kadhafi), n’ont donné de
résultats satisfaisants. Seules ont
réchappé les monarchies archaïques et
réactionnaires. Est-ce un paradoxe ?
Non, de mon point
de vue, le problème a été mal posé dès
le départ, avant même l’accession des
pays musulmans au statut de
nations-États, et il le reste jusqu’au
moment où nous discutons vous et moi.
Il est une
constante dans les monarchies
arabo-musulmanes que le pouvoir est
réparti entre la famille régnante et les
ulémas. Les premiers s’occupent de
politique, et les seconds des âmes.
Cette complicité entre le sabre et le « ilm »
(savoir religieux) a protégé les
systèmes monarchiques de la contestation
sociale et politique parce qu’ils sont
censés être conformes à l’archétype
islamique, alors que dans les régimes
dits progressistes, la religion a été
éloignée des affaires publiques et
abandonnée à la rue qui s’en est emparée
pour la retourner contre le pouvoir.
Les pays musulmans
devaient produire leur propre
« laïcité », avec leurs outils
cognitifs, en tenant compte des
résonances culturelles et psychologiques
des idées et des mots, mais ils ne l’ont
pas fait car ils n’ont pas trouvé à ce
jour le chemin intellectuel qui y mène,
le trou de souris par lequel passer.
Vous vous
inscrivez dans une lignée de
réformateurs constituée principalement
de Mohamed Abdou, Abderrahman al-Kawakibi,
Ali Abderraziq et Malek Bennabi. Que
doit-on comprendre de l’expression
« réforme de la weltanschauung
islamique » récurrente dans vos écrits,
et qu’apporte-t-elle de nouveau au juste
?
C’est ce à quoi je
faisais allusion à l’instant justement :
le chemin, le trou de souris, la piste
qui n’a pas encore été trouvée par la
pensée islamique ancienne ou
contemporaine pour réaliser la réforme
de l’islam, je veux dire la
transmutation des valeurs islamiques et
leur adaptation au sens du monde, à la
poursuite de l’histoire humaine.
Dans mon livre
« L’islam sans l’islamisme », j’ai
montré la filiation intellectuelle
existant entre les quatre hommes malgré
des nuances dans leurs pensées
respectives. Des quatre, seul Bennabi
n’est pas le produit du savoir religieux
traditionnel, d’où une plus grande
audace chez lui et un horizon universel.
« Les caractères du
despotisme » écrit par al-Kawakibi a
certainement influencé Abderrazik dans
l’inspiration qui l’a conduit à écrire
« L’islam et les fondements du
pouvoir », comme « Rissalat at-Tawhid »
a marqué Bennabi qui y fait référence
dans son ouvrage central, « Vocation de
l’islam ».
Ces quatre penseurs
ont beaucoup souffert, ils ont été
persécutés, emprisonnés, exilés, et l’un
d’entre eux est mort assassiné (al-Kawakibi)
parce qu’ils luttaient contre un courant
trop fort, celui de l’alliance entre le
pouvoir et les ulémas qui défendre un
intérêt commun vital pour eux : le
maintien des peuples dans des
conceptions fatalistes pour mieux les
instrumentaliser et les éloigner de
l’esprit critique qui peut tourner à la
contestation de leur pouvoir.
C’est en étudiant
leurs œuvres pendant des décennies que
j’ai découvert la piste sur
laquelle je travaille depuis quelques
années et dont le but est de proposer
une méthode de rénovation complète de la
pensée islamique, de sa représentation
du monde, de sa « weltanschauung ».
Mahathir bin
Mohamad, surnommé Docteur M, ancien
Premier ministre de la Malaisie et qui
s’est notoirement inspiré de la pensée
de Malek Bennabi, a dit un jour « Quand
je veux prier, je me tourne vers la
Mecque et quand je veux développer le
pays, je me tourne vers le Japon ».
Pourquoi les dirigeants algériens
sont-ils tournés vers le néant ?
Pourquoi Malek Bennabi est-il respecté
partout sauf dans son pays et pourquoi,
en Algérie, méprise-t-on nos savants et
nos intellectuels ?
Ce que je sais du
lien souvent fait entre les idées de
Malek Bennabi et les succès économiques
réalisés par la Malaisie, c’est qu’entre
avril 1956 et juillet 1963 Bennabi
vivait au Caire et qu’il animait chez
lui des séminaires auxquels assistaient
des étudiants de diverses nationalités,
dont un groupe de Malaisiens dont
pourrait avoir fait partie le futur
Premier ministre Mohamed Mahathir ou des
amis proches de lui qui lui en auraient
parlé par la suite, sans être en état de
vous fournir des éléments de preuve dans
un sens ou l’autre. Je crois savoir
aussi qu’un colloque sur la pensée de
Bennabi a été organisé dans les années
1990 à Kuala Lumpur.
Ce que je peux dire
aussi, c’est que la citation que vous
évoquez recoupe parfaitement par son
esprit les propres vues de Bennabi dont
les références à l’expérience japonaise
abondent dans son œuvre. Il a confronté
la renaissance civilisationnelle réussie
du Japon (Meïji) à l’échec désolant de
la renaissance musulmane (Nahda) alors
qu’elles se sont déclenchées presque au
même moment, dans les années 1860, et en
a tiré des conclusions pour se replacer
dans l’axe des solutions.
Il est un fait
auquel il faut réfléchir c’est pourquoi
ces pays, qu’ils soient musulmans ou
non, ont réussi, alors qu’aucun pays
arabe (si l’on devait retirer le facteur
représenté par le pétrole) n’a réussi sa
renaissance. Ils ont certes créé
certaines apparences de richesse dans
leurs pays, mais pas le développement
humain et durable. Car il n’y a pas que
la Malaisie, le succès a touché d’autres
pays de la région comme Singapour, Hong
Kong, la Chine, la Corée du sud,
l’Indonésie, etc.
Revenons à la
question de l’islamisme. Tous les pays
occidentaux et leurs services de
renseignement sont préoccupés par le
radicalisme islamique, et notamment par
les djihadistes revenus des zones de
combat en Syrie et en Irak comme ce fut
le cas en Algérie avec le retour des
djihadistes algériens partis combattre
en Afghanistan contre l’URSS dans les
années 80 et qui ont semé la terreur en
Algérie pendant la « décennie noire ».
L’expérience algérienne dans la lutte
antiterroriste n’est-elle pas une clé
pour les pays occidentaux afin de mieux
comprendre les returnees (les
terroristes occidentaux partis combattre
en Syrie) ?
C’est possible,
mais à deux conditions. Premièrement que
cette expérience et cette clé servent
d’abord à protéger l’Algérie et les
Algériens qui sont loin d’en avoir fini
avec le terrorisme puisque deux
attentats-suicides revendiqués par « Daech »
ont eu lieu ces dernières semaines dans
une ville de l’est et une autre de
l’ouest. Deuxièmement, que les services
de renseignement algériens et les autres
parties prenantes au problème
(enquêteurs, magistrats, avocats,
criminologues, sociologues, journalistes
spécialisés, etc..) se soient intéressés
au versant psychologique et intellectuel
du radicalisme islamiste et du
terrorisme et qu’ils en aient tiré les
enseignements permettant d’affiner leurs
stratégies et tactiques pour l’extirper
du cerveau de candidats potentiels.
Je crois que ce
volet a été négligé par les services en
charge de la lutte contre le terrorisme
à travers le monde qui, bien sûr,
doivent faire face à l’urgence, aux
effets, à l’aspect opérationnel, mais
ils ne parviendront jamais à l’éradiquer
tant qu’ils n’auront pas neutralisé ses
causes qui sont religieuses,
intellectuelles, culturelles et
accessoirement politiques, sociales et
économiques. La solution selon moi est
dans la piste dont je vous ai parlé,
dans le trou de souris par où passer
pour réaliser la transformation et la
pacification de la vision islamique du
monde. On en reparlera ensemble, je
l’espère.
L’Algérie n’a
pas de président en ce moment alors
qu’elle est en pleine crise économique.
Le lobby de l’argent qui s’est formé
autour du frère cadet du président (Saïd
Bouteflika) et son ami, l’homme
d’affaires Ali Haddad, ne
représente-t-il pas une menace pour
l’Algérie ? Surtout après le renvoi il y
a quelques semaines d’un Premier
ministre, moins de trois mois après sa
nomination, qui voulait « séparer
l’argent de la politique ». L’évènement
a choqué le pays et vous a incité à
rédiger plusieurs articles virulents
contre la présidence et l’Armée au sujet
de laquelle vous avez écrit qu’« elle
était devenue l’Armée du président », ce
qui vous a valu un lynchage médiatique
et une réponse officielle du ministère
de la Défense…
L’Algérie se trouve
actuellement à la croisée des chemins.
Elle peut aller vers le meilleur comme
elle peut sombrer dans le pire. Le
meilleur proviendrait d’une alternative
à l’impasse politique et économique qui
a résulté de l’insistance du président
Bouteflika à ne pas quitter le pouvoir
alors qu’il n’a plus les moyens
physiques et intellectuels de l’exercer.
C’est en pensant à
cette issue que j’ai écrit dernièrement
quelques articles dans lesquels je
demandais aux anciens militaires qui ont
ramené cet homme et l’ont imposé au pays
pendant bientôt vingt ans de le
convaincre par les voies de la sagesse à
se retirer ou, à tout le moins, à ne pas
postuler pour un cinquième mandat en
2019.
C’est en observant
les conditions scandaleuses dans
lesquelles il a renvoyé un Premier
ministre parce qu’il s’était accroché
avec un patron proche du palais
présidentiel que j’ai écrit ces articles
justement. Depuis, je subis des attaques
violentes et ordurières ordonnées par la
présidence et exécutées par le Premier
ministre et son parti qui vient de
demander publiquement et officiellement
à la justice de me poursuive et de me
punir pour me faire taire.
Vous estimez que
l’armée qui a installé Bouteflika en
1999 doit se situer dans le processus de
sortie de crise, et non couvrir un
régime finissant. D’autres acteurs de
l’opposition pensent que l’institution
militaire doit piloter une période de
transition et amorcer ainsi un début de
sortie de l’impasse politique dans
laquelle se trouve l’Algérie…
L’armée algérienne
représente la colonne vertébrale du pays
et de l’État parce que le pouvoir n’a
jamais voulu émanciper la société et
l’entraîner à participer à la vie
politique et électorale. Ces dernières
années, Bouteflika a opéré d’importants
remaniements au sein de l’armée et placé
sous sa coupe directe les services de
renseignements pour les utiliser à se
maintenir au pouvoir alors qu’il n’en a
plus les moyens physiques ou mentaux.
Il a verrouillé le
pays dans une non-gestion et une absence
de gouvernance au moment où l’État est
fragilisé par la perte de plus de la
moitié de ses ressources d’exportation
qui proviennent du pétrole.
Le nouveau Premier
ministre vient de déclarer que le
déficit du budget de l’État a atteint un
niveau tel qu’il ne pourra pas payer les
salaires du mois de novembre.
Qu’arriverait-il alors ? Ce serait le
chaos. Et qui fera face à ce chaos ?
Forcément la police et l’armée, comme
actuellement au Venezuela.
Je ne suis pas et
n’ai jamais été partisan du coup d’État
militaire, mais il est impossible de
nier que l’armée a une grande
responsabilité dans le maintien du
pouvoir finissant de Bouteflika qui
persiste à vouloir encore rester après
la fin de son mandat en 2019. Elle ne
peut pas ignorer que la détérioration de
la situation économique aura des
conséquences sur le plan social et
politique.
Comment
imaginez-vous le processus politique qui
mènerait l’Algérie vers un État de droit
?
Depuis son
accession à l’indépendance, l’Algérie
est demeurée constamment sous l’emprise
d’un pouvoir despotique. Sur les six
chefs d’État qui l’ont dirigée, un seul
est parti de son plein gré, deux ont été
renvoyés par l’armée, un est mort de
mort suspecte, un a été assassiné et le
sixième a perdu ses fonctions motrices
et intellectuelles mais ne veut pas
quitter le pouvoir.
Le temps est venu
pour l’Algérie de se libérer du
despotisme et de se reconstruire sur des
valeurs démocratiques. Quelque chose est
en train de bouger dans la conscience du
peuple qui est fatigué des échecs du
pouvoir et rêve d’une vie politique et
économique régie par des paramètres
rationnels.
Si le président ne
veut pas démissionner et donner leur
chance aux Algériens de partir d’un
nouveau pied, on est obligé d’attendre
l’échéance de la prochaine élection
présidentielle en avril 2019. Mais cette
fois, il faudra que l’élection soit
sincère et transparente.
Les puissances
occidentales ont-elles intérêt à
continuer à soutenir le régime des
frères Bouteflika, de plus en plus
impopulaire ? Ne jouent-ils pas elles
avec le feu en cautionnant l’impasse
politique en Algérie, un pays qui risque
de s’effondrer avec des conséquences
telles que le flux migratoire et le
terrorisme sans frontières ? N’y a-t-il
pas un risque de déstabilisation du
bassin méditerranéen, voire du monde ?
Les puissances
occidentales ont d’importantes
responsabilités dans la destruction de
plusieurs pays soit parce qu’elles en
soutenaient les dirigeants contre leurs
peuples, soit parce qu’elles ont voulu
imposer des dirigeants à ces peuples.
Chez elles, elles
croient à la souveraineté populaire et à
la démocratie, mais chez les autres
elles s’accommodent de régimes
dictatoriaux et corrompus avec qui elles
font des affaires jusqu’à ce que des
troubles ou des révolutions éclatent. On
dit depuis longtemps que l’Algérie est
la « chasse gardée » de la France dans
le partage des zones d’influence, ce qui
ne plaît pas aux Algériens qui tiennent
à leur indépendance de toute influence
extérieure même si le pouvoir fait tout
pour complaire aux puissances qui
comptent.
Personnellement je
suis contre toute influence extérieure
visant à soutenir le régime ou à
encourager une révolte populaire. Si
l’Algérie venait à connaître de nouveaux
troubles, évidemment qu’il y aura des
répercussions sur les pays du bassin
méditerranéen. J’espère qu’on n’y
arrivera pas car l’Algérie possède tous
les atouts pour devenir une grande
nation. Ce sont ses dirigeants qui n’ont
jamais été à la hauteur.
Votre expérience
de ministre dans plusieurs secteurs
a-t-elle été une plus-value dans votre
parcours, ou bien en concluez-vous que
la participation à un gouvernement dans
un pays comme l’Algérie n’est d’aucune
utilité, les décisions importantes se
prenant ailleurs, dans d’autres
sphères ?
J’ai occupé au sein
du Gouvernement pendant les cinq années
que j’y ai passé des postes économiques
et je suis satisfait de l’expérience
acquise et de ce que j’ai appris surtout
en matière de négociations
multilatérales. Comme dans tous les
gouvernements du monde, je suppose,
toutes les décisions ne se prennent pas
en conseil de gouvernement ou des
ministres. Mais cela est plus vrai dans
des pays comme l’Algérie où ce ne sont
pas des règles démocratiques qui sont
systématiquement appliquées à la gestion
des affaires publiques. Trop de zones
d’ombre favorisent les abus et les
aberrations.
Vous avez un
parcours atypique : économiste,
chercheur dans la pensée islamique,
écrivain prolifique, ministre… Vous avez
connu des personnages tels que Bennabi,
Ferhat Abbas et même l’ayatollah
Khomeini, etc. et Redha Malek qui était
notre ami commun. À vingt ans, vous avez
polémiqué avec Maxime Rodinson, et bien
d’autres anecdotes jalonnent votre vie.
Cela fait de vous le témoin d’une
époque. Êtes-vous satisfait de vos
expériences ou bien votre exigence
intellectuelle vous pousse-t-elle
toujours plus loin ? La quête de la
lumière est-elle dans l’infini chez
vous ?
Ma particularité
dans la classe politique algérienne est
que j’ai été dès mon jeune âge un acteur
de la vie intellectuelle, d’abord,
ensuite politique car l’Algérie était un
pays à parti unique et à économie
administrée jusqu’en 1989. Mes écrits de
1970 à 2017 avaient pour objet trois
thématiques principales : la politique
algérienne, le rôle et la place de
l’islam dans le monde musulman et les
évènements internationaux. C’est ce qui
m’a ouvert des portes et fait rencontrer
de grandes personnalités algériennes et
étrangères. Je continue d’écrire sur ces
trois centres d’intérêt et je vous
remercie de m’avoir donné l’opportunité
de parler au lectorat occidental et
arabo-musulman à travers votre grand
journal.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est
Noureddine Boukrouh ?
Ancien ministre du
Commerce, Noureddine Boukrouh est un
intellectuel algérien né le 5 mars 1950
à El Milia, dans la région de Jijel. Il
est titulaire d’un Diplôme d’études
supérieures (DES) en finances. Il a
travaillé dans le secteur économique
public et a dirigé une entreprise
privée. En 1989, il a fondé le Parti du
Renouveau Algérien (PRA) qu’il a présidé
jusqu’en 1999. Il a été l’un des quatre
candidats à la première élection
présidentielle pluraliste le 16 novembre
1995 qui s’est déroulée en pleine
période de terrorisme lors de la
décennie sanglante. Il a publié dans la
presse un grand nombre d’analyses
critiques des politiques suivies dans le
processus d’édification de l’Algérie.
Ces écrits ont été regroupés en quatre
volumes : « Critiques au temps du parti
unique: 1971-1989 », « Les Algériens
dans la tourmente: 1989-1999 », « Que
faire de l’islam ? 1970-2013 », «
Réformer peuple et pouvoir : 2011-2013
».
Noureddine Boukrouh
a écrit plusieurs livres dont: « Que
faire de l’islam ? », « L’Algérie
entre le mauvais et le pire »,
« L’Islam
sans l’Islamisme Vie et pensée de Malek
BANNABI ».Il a préfacé
plusieurs ouvrages de Malek Bennabi :
Problème des Idées Dans le Monde
Musulman,
Vocation de l’Islam
INITIATIVE
POLITIQUE DE M. NOUREDDINE BOUKROUH
APPEL AUX
ALGERIENS ET ALGERIENNES POUR UNE
REVOLUTION CITOYENNE PACIFIQUE
L’Algérie
s’achemine lentement mais sûrement vers
un tournant critique de son histoire qui
peut déboucher sur son salut ou son
basculement dans l’inconnu.
Les deux options
sont ouvertes devant elle et ont des
chances égales de s’imposer, à moins
qu’une puissante volonté populaire ne
tranche résolument en criant : ce sera
le salut !
L’ÉTAT DE LA
NATION
Un demi-siècle
après la reconquête de sa souveraineté
nationale grâce à la révolution du 1ernovembre
1954 déclenchée par 22 jeunes Algériens,
le peuple algérien, renouvelé par
l’arrivée à maturité de nouvelles
générations, est en capacité de
revendiquer son statut de source de tous
les pouvoirs et son droit constituant
que lui ont reconnu les constitutions
algériennes depuis 1962 mais que ses
dirigeants imposés ne lui ont jamais
permis d’exercer.
L’Algérie est
devenue indépendante sans savoir ce
qu’elle allait faire de son
indépendance, sans répondre à des
questions fondamentales comme celle de
l’identité, sans impliquer le peuple et
ses élites éclairées dans la prise de
décision à travers des institutions
véritablement démocratiques et
opérationnelles. Elle fut soumise
pendant tout ce temps à une longue série
d’essais et d’erreurs qui ont conduit à
l’impasse économique et politique
actuelle.
Notre pays et son
économie ont été placés dans une totale
dépendance des hydrocarbures, une
richesse non renouvelable. Les mois et
années qui viennent vont être difficiles
alors que le pays n’est plus gouverné
sur la base de la raison et de l’intérêt
général, mais d’un attachement maladif
au pouvoir et d’intérêts personnels.
Notre devoir est de
réagir intelligemment et dans la
légalité devant la dérive qui est en
train de nous conduire à la catastrophe,
en ayant à l’esprit la fidélité aux
idéaux pour lesquels les « chouhada »
sont morts. Le moment est venu de donner
à ces idéaux les formes concrètes d’un
État de droit « démocratique et social »
selon les termes de la Déclaration du
1er novembre 1954.
À QUI S’ADRESSE
CET APPEL ?
Cet appel s’adresse
à la conscience algérienne, à tous les
actionnaires de la maison Algérie qui se
trouvent sur le territoire national ou
en n’importe quel endroit du monde, à
toutes les générations d’hommes et de
femmes engagées ou non dans l’activité
politique ou associative, dans toutes
les institutions ou à la retraite, à
toutes les catégories sociales, dans
toutes les régions, de toutes les
langues et de toutes les confessions.
QU’EST-CE QU’UNE
REVOLUTION CITOYENNE ?
Une révolution
morale est la prise de conscience, quand
tout va mal et de travers, quand on sent
qu’on est cerné par le danger et qu’on
est sur une mauvaise route, qu’on doit
changer sa vision des choses et de
direction. C’est une prise de conscience
collective et simultanée. On ressent
alors le besoin de faire mieux, d’aller
vers mieux, de construire un autre
modèle de vie que celui qui a été
sanctionné par l’échec.
Une révolution
citoyenne est le mode opératoire qu’on
adopte pour changer pacifiquement l’état
de choses en question. La communion dans
un sentiment commun s’accompagne de
l’évidence que nul ne peut à lui seul
créer le changement, qu’il doit être
l’œuvre du plus grand nombre possible,
et avoir pour finalité le bien de tous.
SE LEVER ET NON
SE SOULEVER
Le défi que nous
devons relever est d’agir en contournant
les risques d’exposer notre pays à une
nouvelle tragédie alors que les
séquelles de celle des années 1990 sont
encore visibles. Nous devons nous
réveiller à notre devoir envers notre
patrie et ne pas attendre que la
catastrophe soit là pour nous révolter
dans l’improvisation et l’anarchie, nous
attaquant aux services publics, aux
forces de l’ordre ou aux biens publics
et privés.
Nous pouvons agir
chacun à partir du lieu où il se trouve.
D’autres voies et moyens que la
violence, les troubles à l’ordre public,
les manifestations dans la rue ou la
désobéissance civile sont proposés par
les nouvelles technologies de
l’information et de la communication
(réseaux sociaux, médias électroniques,
vidéos, courriels, smartphones…) On peut
agir de concert sans se connaître, sans
se rencontrer, sans se réunir et par des
procédés uniquement légaux et
démocratiques. Il existe aujourd’hui des
techniques plus efficaces que les armes,
l’action clandestine ou les tracts pour
faire connaître sa cause, convaincre les
autres de sa justesse, en débattre et
mobiliser autour d’elle.
SE LEVER POUR
QUOI FAIRE ?
Nous devons
converger vers un but commun qui est de
dire « Non ! » à la situation actuelle
en attendant le moment de le faire par
les urnes. L’élection présidentielle
prévue à l’échéance d’avril 2019 offre
l’opportunité historique d’en finir avec
le « système », mais il ne faut pas
exclure qu’elle soit précipitée par une
cause quelconque. Le délai qui nous en
sépare suffira à peine pour donner à
cette révolution citoyenne pacifique
toutes ses chances de succès car il
s’agit de remplacer un mode de pensée
par un autre pour enfin arriver à
remplacer le « système » par un État de
droit.
Tout Algérien ou
Algérienne doit marquer une pause de
réflexion, procéder à son examen de
conscience et se dire : « Je dois
cesser de penser comme avant ! Je dois
faire quelque chose pour mon pays et mes
compatriotes ! Mon exemple sera suivi
par d’autres ! Je vais le faire parce
que l’autre va le faire aussi et que
j’en profiterai ! ».
Au sentiment de
résignation qui nous paralysait
jusqu’ici, à l’attitude démissionnaire à
laquelle nous étions acculés, à la
passivité justifiée par la formule
populaire (« takhti rassi !»),
opposons avec force une autre formule
populaire (« rassi w rassek fi
chachiya wahda ! »).
Il faut vaincre
notre inertie car elle est le principal
obstacle à notre libération mentale. Il
faut libérer la volonté algérienne du
fatalisme véhiculé par le charlatanisme
et l’esprit du douar. Chacun doit
effectuer un travail de proximité dans
sa famille, son quartier, son lieu de
travail ou d’étude, sur les réseaux
sociaux pour généraliser l’éveil et
élargir la résolution d’agir pour
changer notre état et notre État.
PAR QUOI
COMMENCER ?
Une cause, une
nation, naît dès le moment où un idéal
soude ses membres et les met en
mouvement vers un objectif commun.
Focalisons-nous dans une première étape
sur ces quatre mots d’ordre que chacun
et chacune doit répercuter par tous les
moyens accessibles :
– Non au recours
à la planche à billets pour payer les
salaires !
– Non à un
cinquième mandat !
– Non à une
succession arrangée d’en haut !
– Non à
l’instrumentalisation de l’ANP, des
collectivités locales, des services de
sécurité et de la justice pour
pérenniser un pouvoir devenu illégitime
et nuisible à l’intérêt du pays !
Les Algériens et
Algériennes qui veulent construire une
nouvelle Algérie doivent proclamer dans
leurs échanges, leurs commentaires et
leurs écrits que le temps de la
cooptation d’un candidat à l’élection
présidentielle par des forces occultes,
puis sa « consécration électorale » par
la fraude est terminé. Nous ne
l’accepterons plus, nous sommes assez
mûrs pour décider par nous-mêmes, pour
nous-mêmes et pour nos enfants.
Ensemble, et avec l’expertise nécessaire
dont il faudra s’entourer le moment
venu, nous travaillerons à la mise au
point d’un dispositif capable de
garantir la transparence totale et la
sincérité absolue des résultats des
urnes.
Nous devrons,
enfin, prendre à témoin le monde qu’en
Algérie une lutte pour la liberté, la
démocratie et le libre exercice de la
souveraineté populaire s’est ouverte et
qu’elle ne cessera pas avant d’avoir
atteint ses objectifs : la conquête de
notre citoyenneté et de notre dignité.
PROTEGER CETTE
INITIATIVE
La meilleure façon
de garder un secret est de ne pas en
avoir. Cette initiative est publique,
ses objectifs clairs, son mode
opératoire pacifique et son but
l’intérêt de l’Algérie et des Algériens.
Pour la protéger, il faut d’abord
partager la matière postée sur ma page
Facebook avec des milliers d’autres
pages et sites.
QUELLE SERA LA
SUITE ?
Cet Appel est en
soi un lieu de rassemblement. Il faut
lui assurer la plus large diffusion en
arabe, tamazight, français et anglais.
Il est aussi un lieu de réflexion, de
débat et de propositions sur les actions
à préparer à partir de maintenant pour
réaliser la convergence populaire en vue
de construire une nouvelle Algérie avec
un esprit et des institutions rénovés.
Il sera suivi d’autres, en fonction de
l’évolution des évènements.
Published in
American Herald Tribune: https://ahtribune.com/world/africa/1903-noureddine-boukrouh.html
Reçu de l'auteur pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
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