Accueil Luc Michel Dossiers Auteurs Communiqués Agenda Invitation à lire Liens Ressources
Dernières mises à jour Les rapports du CPI Le Hamas Les vidéos BDS Ziad Medoukh Centre de la Paix Gaza Université al-Aqsa Gaza Qui? Pourquoi?

Google
sur le web sur Palestine Solidarité

 

 
Centre Palestinien
d'Information



 
Invitation à lire





BDS



Solidarité



Produits palestiniens



Eurasie-Afrique


 
En direct d'Iran



Agence syrienne



Agence Russe


 
Radio Chine

Internationale
 
Palestine Solidarité
sur Facebook



 


   


Algérie Résistance

Dr. Kim Scipes : «Le capitalisme est littéralement
en train de tuer la vie sur la planète»

Mohsen Abdelmoumen


Dr. Kim Scipes. DR.

Mercredi 13 septembre 2017

English version here

Mohsen Abdelmoumen : Votre livre Building Global Labor Solidarity in a Time of Accelerating Globalization est un manifeste pour l’unification du mouvement syndical à travers le monde. Selon vous, cette idée est-elle une exigence dans la résistance face à l’offensive ultralibérale ? L’idée d’un front syndical mondial est-elle réalisable ?

Dr. Kim Scipes : Je crois que nous devons penser à l’idée d’une organisation syndicale mondiale. Je pense certainement que les travailleurs devraient dialoguer respectueusement et, peut-être plus important, s’entendre. Un front syndical mondial – sur le long terme – pourrait être une bonne chose, mais il faudrait qu’il soit construit, pas seulement revendiqué sur l’existence des syndicats aujourd’hui. Si nous disons qu’un front mondial du travail est un objectif souhaitable à long terme, quelles sont les valeurs sur lesquelles il se construit ? Certes, la non-oppression des autres mouvements ouvriers est une nécessité. Mais il y a aussi un partage des ressources, surtout entre les plus grands syndicats (principalement dans le Nord global) avec ceux du Sud global.

Mais pour moi, toute organisation syndicale doit être construite sur la démocratie des membres, où les membres contrôlent le syndicat et pas seulement les leaders officiels. Je pense que ce fut un grand échec du mouvement ouvrier établi. Mais je soutiens que les syndicats – et cela est particulièrement vrai aux États-Unis – DOIT aller au-delà de ce qu’on appelle le «syndicalisme d’entreprise» – par lequel ils n’agissent que pour faire avancer les intérêts de leurs membres dominants. Je plaide pour une conceptualisation plus large du syndicalisme que j’ai appelé «le syndicalisme de la justice sociale» par lequel le syndicat favorise les intérêts de tous ses membres (ou du moins la grande majorité) au travail ET dans leur communauté, société, etc. Il est clair que tout syndicalisme qui se limite au lieu de travail est voué à la disparition.

Cependant, ma vision est plus grande que cela. Victoria Bonnell dans son livre de 1983 : « Les racines de la rébellion : la politique et l’organisation des travailleurs à Saint-Pétersbourg et Moscou, 1900-1914 », un livre sur les travailleurs russes avant 1917, a soutenu que les syndicats étaient nécessaires pour protéger et promouvoir les intérêts sur le lieu de travail, ET qu’ils devaient représenter les intérêts des travailleurs, de leurs familles et de leurs communautés dans la société ; que c’est seulement par l’organisation que les travailleurs pourraient créer une source de pouvoir qui pourrait résister aux sociétés et aux gouvernements dans la société, et que c’était le mouvement ouvrier (c’est-à-dire que la conceptualisation est plus large, plus complète que le mouvement syndical). En d’autres termes, les travailleurs doivent créer des organisations pour faire avancer leurs intérêts non seulement en tant que travailleurs, mais en tant que membres de la société.

Maintenant, certains pourraient dire que ça a été essayé en Europe – nous n’avons pas eu cela aux États-Unis, sauf peut-être il y a longtemps dans l’IWW (travailleurs industriels du monde) au début des années 1900, mais cela s’est limité en grande partie à l’Europe, et cela a fonctionné dans la mesure où ça s’est concentré au niveau de l’État-nation. Il a également accepté l’existence du capitalisme (en Europe) et de l’impérialisme dans le monde entier. Mais si on analyse si le capitalisme peut répondre aux besoins des travailleurs du monde entier, il est clair qu’il ne peut pas. Point barre. Il ne peut même pas atteindre l’objectif de fournir des emplois – n’importe quel travail, pas seulement des «bons» emplois – au niveau national. Faut-il étaler les taux de chômage actuels? En même temps, la collaboration avec l’impérialisme sous quelque forme que ce soit n’est pas seulement répréhensible et une trahison des valeurs que le travail dit qu’il favorise et soutient – de sorte qu’il se trahit lui-même – mais cela sape, sabote et vainc les luttes ouvrières dans les pays soi-disant développés. Aucune organisation ne peut soutenir l’impérialisme et prétendre se battre pour la libération.

Et je n’ai même pas mentionné le changement climatique mondial et la destruction de l’environnement.

Il est clair pour moi que les travailleurs (et leurs alliés et partisans) doivent penser «à l’extérieur de la boîte» pour tenter de comprendre quels sont les programmes et les projets qui favorisent les meilleurs intérêts des travailleurs, pas dans un pays ou même le nord global, mais à travers le monde. Nous devons pouvoir dire : «Sœurs et frères – c’est notre meilleure réflexion sur les problèmes vraiment importants auxquels sont confrontés les travailleurs ici et partout dans le monde. Nous vous avons donné le meilleur. Quel est à votre avis la meilleure solution ?». Nous devons ouvrir des discussions dans chaque organisation syndicale, dans tous les pays, dans toutes les régions du monde.

Vous un grand chercheur de l’histoire du mouvement ouvrier américain et dans d’autres pays. Comment expliquez-vous la régression croissante que vivent les mouvements syndicaux aux USA et ailleurs ?

Je pense que c’est simple : les mouvements syndicaux partout dans le monde ont accepté les paramètres de la pensée, des possibilités, tels que définis par les dirigeants d’entreprise et gouvernementaux qui acceptent la continuité du capitalisme. Ils n’ont aucune vision avant-gardiste. Je pense que c’est désastreux.

Et je veux dire que je ne suis pas arrivé à cette conclusion parce que j’ai lu Marx, Gorz ou autre : pendant des années, j’ai été ouvrier d’usine, un imprimeur mettant de l’encre sur du papier, puis j’ai enseigné à l’école secondaire, ensuite, j’ai travaillé dans des bureaux pour les entreprises, y compris les sociétés de conseil en gestion et les banques d’investissement : j’ai été dans le ventre de la bête. Pour mieux comprendre tout cela, je suis retourné à l’université, obtenant mon doctorat à l’âge de 52 ans. J’ai également servi dans le corps des Marines des États-Unis de 1969 à 1973, heureusement, je n’ai jamais été envoyé au Vietnam, mais je suis passé de celui qui pensait que la guerre était nécessaire pour changer complètement d’avis et rejeter le corps des Marines et l’impérialisme US pendant mon service actif.

Donc, mes expériences, mes lectures et mes réflexions sur mes expériences provenant d’une perspective globale me disent qu’il n’y a pas de solutions nationales, il n’y a que des solutions mondiales. Et cela signifie que nous devons rejeter presque toute la réflexion à ce jour qui ne comprend pas la nécessité de cela.

La délocalisation industrielle, l’émergence des métiers de service, des start-up et autres phénomènes propres au capitalisme n’ont-ils pas contribué à la disparition du travail productif tel qu’on le connaît, à la précarité de l’emploi, et à la disparition d’un encadrement révolutionnaire des forces du travail ?

Délocalisation industrielle, préjudice aux travailleurs, etc. Aucun doute, mais nous devons nous demander POURQUOI cela a-t-il été fait ? Il y a deux raisons étroitement liées. (1) La reprise des pays industrialisés pendant la Seconde Guerre mondiale les a mis en concurrence avec les États-Unis, puis une concurrence supplémentaire de sociétés a émergé dans des pays en développement comme le Brésil, la Corée du Sud, Taiwan, etc. Ainsi, les sociétés américaines de production à forte intensité de main-d’œuvre se sont délocalisées à des endroits où les travailleurs étaient payés presque rien et maintenus sous contrôle par leurs gouvernements respectifs, comme au Mexique et en Chine. Dans le même temps, lorsque les entreprises à gros capital ont acheté de nouveaux équipements, elles ont acquis du matériel qui utilisait de moins en moins de travailleurs. Cela a permis aux États-Unis – et c’est arrivé dans d’autres pays – de pouvoir rivaliser avec de nouveaux concurrents. Mais (2), les grandes entreprises ont senti qu’elles devaient briser le mouvement syndical, et elles essayaient de le faire depuis les années 1940. La tragédie est que le mouvement ouvrier américain – celui que je connais le plus – n’a rien fait pour relever ces défis ; ils n’ont aucune vision, aucune détermination, etc.

Vous parlez du «cadre révolutionnaire» pour les forces de travail, mais je ne sais pas de quoi vous parlez, surtout aux États-Unis. La plupart des syndicats américains n’ont même pas d’encadrement social-démocrate, et bien moins encore, quel que soit le nom qu’on lui donne.

AFL-CIO’s Secret War against Developing Country Workers, ce livre est à la fois une histoire du mouvement ouvrier à travers le monde et une analyse profonde et pertinente du mouvement ouvrier US dans sa spécificité. Le concept « impérialisme du travail » a spécialement retenu mon attention, pouvez-vous expliquer ce concept  à notre lectorat ?

Fondamentalement, «l’impérialisme du travail» est l’effort d’une organisation syndicale – dans ce cas, l’AFL-CIO (ndlr : American Federation of Labor – Congress of Industrial Organizations) – pour dominer et contrôler les mouvements ouvriers dans d’autres pays, en particulier dans les pays dits en développement. Ils utilisent le mot «solidarité», j’utilise le mot «sabotage». Comme je l’ai expliqué dans mon livre, l’AFL-CIO a aidé à renverser des gouvernements démocratiquement élus, comme au Guatemala en 1954; au Brésil en 1964; et au Chili en 1973. Ils ont également soutenu des dictateurs dans des pays tels que l’Indonésie, les Philippines, la Corée du Sud, l’Afrique du Sud (une dictature blanche) – ainsi que des dictateurs après les coups d’État mentionnés ci-dessus – et ont soutenu les problèmes occasionnés aux gouvernements progressistes en République Dominicaine, en Guyane, au Nicaragua, au Venezuela. Dites-moi comment ces activités aident les organisations syndicales dans ces pays ? Aux Philippines, à la fin des années 1980, la plus grande filiale de leur allié dans ce pays, a travaillé avec un escadron de la mort – je n’exagère pas, ceci est documenté grâce à ma recherche personnelle sur le terrain – contre la filiale progressiste du Kilusang Mayo Uno Labor Centre (Centrale syndicale du 1er Mai).

Maintenant, l’AFL-CIO s’est beaucoup amélioré et a été utile dans quelques cas limités depuis 1995. Mais ils sont encore affiliés à la National Endowment for Democracy (la NED), une organisation réactionnaire gouvernementale, financée par le gouvernement et qui opère à l’échelle mondiale. En outre, plus de 90 % du travail international de l’AFL-CIO est financé par le gouvernement des États-Unis, ce qui était vrai sous Obama et Bush.

Et ils n’ont jamais donné – en plus de 100 ans – un compte rendu honnête de leurs opérations à l’étranger à leurs membres affiliés. Ainsi, ces opérations se font derrière le dos et sans être connues de la plupart des syndicalistes aux États-Unis, elles sont faites à l’insu de la plupart des dirigeants syndicaux. Pourtant, ils agissent au nom des travailleurs américains. Et le Centre de Solidarité AFL-CIO opère dans plus de 60 pays à travers le monde : pourquoi 60, pourquoi CES 60 et à quelle fin ? Ils ne l’ont jamais dit.

Le truc à propos de l’impérialisme du travail est que, évidemment, il porte préjudice aux travailleurs qui sont contrôlés, mais cela nuit également à ceux qui exercent le contrôle dans le pays. Si nous voulons changer le monde, nous avons besoin des travailleurs du monde entier pour créer, s’unir et agir sur cette vision plus large. Mais si les travailleurs du pays impérialiste n’adoptent pas ceux des pays en développement comme «alliés», comme «frères et sœurs», et s’ils ne travaillent pas ensemble de manière respectueuse et égale, alors ils ne peuvent pas retirer la botte qui est sur leur propre cou.

Vous êtes un éminent sociologue. En plus de vos activités académiques à l’université, vous êtes membre de plusieurs organisations telles que les mouvements du travail, les mouvements sociaux, et les sections de sociologie mondiale et transnationale de l’Association américaine de sociologie et membre élu du Comité de Recherche 44 de 2006 à 2010. Pouvez-vous nous parler des missions de cet organisme RC44 ?

Je ne sais pas si je suis « éminent », même si je suis prolifique. Outre trois livres, vous n’avez pas mentionné mon premier, qui est intitulé «KMU: Construire un véritable syndicalisme aux Philippines, 1980-1994» (Quezon City: New Day Publishers, 1996), j’ai publié quelque chose comme 11 articles évalués par des pairs, plus de 200 articles pour les revues spécialisées, les organes touchant le grand public et les syndicats, comme certains sites Web. Si quelqu’un est intéressé, vous pouvez voir ma liste de publications – avec des liens vers la plupart des articles – à cette adresse : https://faculty.pnw.edu/kim-scipes/publications/#2 .

RC 44 (Comité de recherche 44) de l’Association internationale de sociologie est composé de sociologues qui étudient le travail à travers le monde. Il n’a pas vraiment de «mission» ou de «missions», mais nous sommes un réseau de chercheurs qui partageons nos écrits et pensons au comité de recherche, et nous nous réunissons tous les deux ans et quatre ans lors de réunions internationales. Nous essayons de nous soutenir mutuellement pour faire progresser la qualité de notre recherche et encourager l’étude des organisations syndicales à travers le monde. Nous pensons que les travailleurs et leurs organisations sont importants.

Ne pensez-vous pas que face à l’offensive ultralibérale, la combattivité des organisations syndicales à travers le monde s’amenuise, voire disparaît peu à peu ? Comment l’expliquez-vous ?

Si vous parlez des syndicats établis qui se battent, surtout dans le Nord global, je n’en vois pas grand-chose. Il pourrait y en avoir un peu ici, un peu là-bas, mais il semble que cela se situe spécifiquement dans des circonstances particulières, dans les endroits où les militants peuvent mobiliser des membres pour demander à leurs syndicats de se battre. Ce n’est pas systématique, ni déterminé. Beaucoup ont peur de se battre et sont prêts à collaborer pour tenter de survivre. Le problème est que ce qui représente un syndicat qui ne veut pas lutter, c’est de nombreux membres qui se disent « Je peux collaborer et ne pas avoir à payer les cotisations syndicales ! »

Vous pouvez voir plus de ces luttes dans le Sud global, mais les conditions sont tellement pires. Le KMU des Philippines lutte depuis 37 ans, mais quelle autre option, autre que la reddition, ont-ils ? Il y a des syndicats qui se battent dans des pays tels que le Brésil, l’Afrique du Sud et en Inde, et des travailleurs qui se battent en Chine, au Vietnam, pour créer de véritables syndicats. C’est en fait plus important que cela : les travailleurs veulent avoir le pouvoir de contrôler leurs vies. Et les travailleurs du monde entier tentent de créer des syndicats qui les aideront à vivre la vie qu’ils recherchent. Leurs situations sont difficiles, sans aucun doute. Mais les gens continuent d’essayer, les gens veulent une vie meilleure et prennent souvent des risques énormes pour créer des organisations qui vont faire avancer leurs intérêts.

Nous avons besoin de syndicats, ils sont importants. Mais ils doivent développer une vision qui aborde les vrais problèmes des travailleurs réels du monde entier. Et cette vision, j’insiste, doit être fondée sur les principes d’égalité et de solidarité. Et cela signifie que nous ne pouvons pas nous limiter au capitalisme, parce que le capitalisme ne peut pas fournir une bonne existence, mais beaucoup moins d’emplois pour la plupart des gens. Le capitalisme est littéralement en train de tuer la vie sur la planète. Il ne peut pas être réformé, il doit être remplacé. Mais pour ce faire, nous devons ne pas avoir peur de regarder, de penser, de discuter, d’organiser en dehors des limites du capitalisme. Si nous nous limitons aux possibilités sous le capitalisme, nous sommes foutus. (Je suis poli : j’ai besoin d’un mot avec la compréhension nécessaire de la violence qui est faite et qui continuera à être faite contre les travailleurs).

Mais cela signifie aussi que nous devons rejeter le consumérisme qui nous a été poussé dans la gorge par le capitalisme – c’est plus que juste des rapports de production. Je viens de passer deux mois cet été à enseigner dans une université à Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam. Et il y a beaucoup de nouvelles constructions, en particulier des immeubles d’appartements, partout dans la ville. Mais lorsque vous regardez les représentations visuelles qui accompagnent beaucoup d’entre elles, vous voyez la Lexus, les BMW, les plus fines liqueurs, les parfums les plus chers, toute cette merde capitaliste à l’échelle mondiale qu’on nous fourre dans la gorge chaque fois que nous voyageons à l’international.

La réalité est que, d’abord, la plupart des Américains ne vivent pas à ce niveau de consommation, et que le monde ne peut pas supporter que chacun vive à ce niveau de la norme dans laquelle vivent beaucoup d’Américains – nous aurions besoin de 5 autres planètes Terre – et, bien sûr, la plupart des gens ne peuvent pas vivre selon cette norme de consommation élitiste. Nous devons la rejeter !

Nous devons arriver à comprendre comment vivre à un niveau où chaque personne de la planète peut avoir une bonne vie. Cela ne peut pas inclure pourchasser les bourgeois.

D’après vous, si le capitalisme vit au rythme des crises et que cela est dans sa nature même, les mouvements syndicaux à travers le monde ne vivent-ils pas aussi une crise à l’image du capitalisme ?

La réalité est que le capitalisme domine une grande partie du monde. Les gens doivent faire attention, apprendre ce qui se passe réellement et arriver à comprendre avec les amis, les camarades de travail, les associés, les amoureux, tous ceux qui peuvent se réunir, ce qu’ils veulent faire pour créer un monde pour nous tous, puis étendre leurs connexions à travers leur pays, leur région, leur continent, leur globe et se battre pour ce monde meilleur.

Un grand défi, bien sûr ! Mais si nous ne le faisons pas, qui va le faire pour nous ? Je dirai une chose avec certitude : les «grands de ce monde», les élites et leurs laquais, ne le feront pas pour nous. Notre avenir est entre nos mains : est-ce que nous agissons ou est-ce que nous nous contentons de retourner dormir ?

Mais je vais vous dire une autre chose : je me concentre de plus en plus sur le changement climatique mondial et l’environnement. Une chose qui devient claire : si nous ne faisons pas de changements majeurs – et je parle de changements MAJEURS – d’ici 2030, selon la meilleure prévision scientifique d’aujourd’hui, nous verrons le début de l’extermination des humains, des animaux et de la plupart des plantes au tournant du siècle (cela signifie l’année 2100). Que cela se produise réellement ne peut pas encore être déterminé, mais si les tendances actuelles se poursuivent, cela semble presque certain à ce stade.

Dans vos travaux et vos recherches, vous faites des propositions concrètes qui se basent souvent sur une étude approfondie des mouvements syndicaux. Quelle est selon vous la leçon majeure à retenir du long combat du mouvement ouvrier contre la nuit capitaliste ?

Je pense que la principale leçon à tirer est que les travailleurs ne sont pas des saints. Il y a des gens merveilleux parmi nous, et il y en a certains, dirons-nous, qui ne le sont pas. Mais lorsque de bonnes personnes s’unissent, obtiennent des informations précises et ensuite décident d’agir, elles peuvent déplacer des montagnes.

Je vais vous donner un exemple personnel : j’étais aux Philippines en janvier et début février 1986. Marcos était le dictateur, et il a appelé une élection «anticipée» pour que les États-Unis lui foutent la paix. La rumeur dans la rue était qu’il allait réinstaurer la loi martiale lors de sa réélection. J’avais parcouru une grande partie du pays, et j’étais en train de visiter les travailleurs et les leaders ouvriers littéralement en première ligne de la résistance anti-Marcos. Nous avons eu beaucoup de discussions au cours de mon séjour là-bas. Aucune de ces personnes avec lesquelles j’ai parlé, pas une seule, n’a eu l’espoir réel de se débarrasser de Marcos dans un avenir prévisible ; leur objectif était de mobiliser autant de résistance que possible, pour le ralentir, pour se construire au cours des années à venir afin de se débarrasser de lui. Je suis parti le 5 février, heureux de sortir de ce chaudron bouillant. Les gens ont voté, les travailleurs électoraux sont allés au devant des journalistes et ont détaillé la fraude et la tromperie qu’ils avaient connues, les dirigeants de l’Église catholique – beaucoup qui avaient soutenu Marcos auparavant – ont appelé leurs fidèles dans les rues, les gens ont répondu, les militaires se sont divisés, les gens ont soutenu les «renégats», et les États-Unis ont dit à Marcos qu’il devait partir et lui ont offert asile à Hawaï, Ferdinand Marcos a quitté les Philippines le 25 février 1986, 20 jours après mon départ. Personne avec qui j’avais parlé n’avait même rêvé que cela pouvait arriver, et encore moins que cela arriverait.

Maintenant, il faut comprendre que ce n’était pas sorti de nulle part, comme beaucoup de personnes l’ont affirmé. Cela a été construit sur des années et des années d’organisation politique par la gauche. Organisé dans les bidonvilles, les écoles, les syndicats, parmi les organisations ecclésiastiques, etc. Ça n’est pas «juste arrivé».

Ce potentiel me donne de l’espoir. La question est : pouvons-nous mobiliser?

La spécificité de la lutte dans chaque pays dans le monde n’est-elle pas un handicap à la construction d’un front ouvrier mondial ?

Nous devons construire à partir des conditions auxquelles nous sommes confrontés. C’est aussi simple que ça. Mais nous pouvons voyager, nous pouvons nous rencontrer, nous pouvons parler de nos valeurs, de ce que nous aimerions voir. Il existe de nombreux chemins pour nous amener à l’endroit où nous voulons être. Si nous sommes déterminés à atteindre notre destination, celle qui «fonctionne» vraiment pour les gens, nous y arriverons. Mais nous devons commencer le voyage maintenant.

Quel est votre regard sur les dernières élections présidentielles américaines ? Comment analysez-vous la sociologie de ces élections avec la dualité entre l’Amérique rurale qui a voté pour Trump dont le slogan est « American first » et l’Amérique urbaine qui a voté pour Hillary Clinton ?

Personnellement, cela me rend malade de parler de cette dernière élection. Hillary Clinton peut être qualifiée de criminelle de guerre. Elle est supporter de Wall Street. C’était une candidate épouvantable, après Obama qui avait peu fait ou rien pour la plupart des gens, et elle a dit que nous continuerions à faire ce qu’avait fait Obama. Elle n’a pas inspiré les gens, elle n’avait rien à offrir. Elle n’avait non plus aucune idée de ce que beaucoup d’Américains traversent. Selon certaines recherches que j’ai faites et que je me prépare à soumettre pour publication, ceux qui sont économiquement dans les 20 % inférieurs de notre population ont seulement vu leurs revenus diminuer en termes absolus depuis 1973 ; ceux des 21e aux 40e percentiles ont vu leurs revenus augmenter de moins de 10 % sur une période de 40 ans (1973-2013) ; et ceux des 41e aux 60e ont vu leurs revenus augmenter de plus de 28 % sur 40 ans. En d’autres termes, les 60 % de notre population ont perdu leur revenu ou ont vu leurs revenus augmenter de moins de 1 % par année au cours de cette période. Elle n’a pas abordé cela.

Bernie Sanders a abordé la situation des gens, et il a obtenu un formidable soutien. Cependant, les gens de Clinton dans le Comité national démocratique ont trompé le jeu afin qu’il ne puisse pas gagner, et il n’a pas gagné.

Cela laisse Trump. Je pense que tout ce que vous avez entendu de mauvais au sujet de Trump est vrai. Mais ce qu’il a fait avec succès, c’est reconnaître la souffrance qui a eu lieu au cours des 40 dernières années, et il a affirmé qu’il «résoudrait» ce problème. Il ne peut pas – c’est un problème structurel, non cyclique, et qui ne peut être corrigé. Mais il a convaincu les gens qui étaient blessés, et blessés sérieusement, qu’il était de leur côté, qu’il avait des solutions, qu’il résoudrait leurs problèmes. Je pense que le lapin de Pâques aurait été un meilleur choix. Mais au sein de notre système électoral limité et antidémocratique aux États-Unis, assez de gens pensaient qu’il pourrait résoudre leurs problèmes et ils ont voté pour lui. Et les Américains et les autres personnes dans le monde devront traiter avec cet homme terriblement inadéquat pour les quatre prochaines années, et huit si nous ne faisons pas attention.

Mais où était l’AFL-CIO ? Pas de plan, pas de vision, choisissez simplement un autre démocrate d’entreprise. J’ai vu des sondages qui suggèrent que la majorité des électeurs syndicaux n’ont pas accepté cela. De toute évidence, nous avons besoin d’un nouveau type de mouvement syndical aux États-Unis.

Votre parcours de militant contre le racisme s’est forgé lors de votre incorporation dans  le corps des Marines des USA. Le racisme que vous avez combattu en tant que militaire existe-t-il toujours dans l’armée américaine ?

Je ne doute pas que le racisme existe toujours dans l’armée américaine, mais je n’en ai aucune expérience directe. Je sais que des vétérans d’Irak et d’Afghanistan ont projeté un racisme extrême sur les gens de ces sociétés. À certains égards, l’armée a mieux traité le racisme intra-organisation que d’autres parties de la société américaine. Rappelez-vous ceci, cependant : leur mission n’est pas un changement social ou une vie meilleure pour les gens, c’est tuer et détruire l’«ennemi», tel que défini par les leaders gouvernementaux et les médias traditionnels. Ils ne veulent pas que le racisme soit une façon d’accomplir leur mission.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est le Dr. Kim Scipes ?

Le Dr. Kim Scipes est professeur agrégé de sociologie à Purdue University Northwest, campus régional de l’Université de Purdue, à Westville dans l’Indiana. Il est membre de l’Association américaine sociologique, avec adhésion aux mouvements du travail, comportements collectifs et mouvements sociaux, et aux sections de sociologie mondiale et transnationale. De plus, il est membre de longue date du RC 44, le Comité de recherche sur le travail, de l’Association internationale de sociologie, et a été élu et nommé au conseil d’administration de RC 44 de 2006 à 10. Dr. Scipes est membre du Syndicat national des écrivains et militant de longue date dans le mouvement ouvrier américain.

Dr. Scipes écrit depuis 1984 sur les questions liées au travail, même s’il a également écrit sur un certain nombre de problèmes connexes. Ses 200 articles ont été publiés aux États-Unis et dans 14 autres pays – en version papier et sur Internet. Son écriture va des écrits théoriques à la description / analyse jusqu’aux articles d’opinion dans les journaux locaux.

Il a voyagé dans le monde entier et a fait des recherches aux Philippines, au Venezuela et en Afrique du Sud. Il a beaucoup voyagé en Europe de l’Ouest, en particulier en Angleterre, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne.

Dr. Scipes a une maîtrise en études de développement de l’Institut d’études sociales de La Haye, des Pays-Bas (1991) et un doctorat en sociologie de l’Université de l’Illinois à Chicago (2003).

Il a publié trois livres : KMU: Building Genuine Trade Unionism in the Philippines, 1980-1994 (New Day Publishers, 1996) (KMU: Construire un véritable syndicalisme aux Philippines, 1980-1994 [New Day Publishers, 1996]) ; AFL-CIO’s Secret War against Developing Country Workers: Solidarity or Sabotage? (Lexington Books, 2010)  (La guerre secrète de l’AFL-CIO contre les travailleurs des pays en développement: la solidarité ou le sabotage? [Lexington Books, 2010]) ; Building Global Labor Solidarity in a Time of Accelerating Globalization (Chicago: Haymarket Books, 2016) (Construire la solidarité mondiale du travail à l’ère de l’accélération de la mondialisation [Chicago: Haymarket Books, 2016]).

Pour une liste de ses publications organisées par sujet et liées chaque fois que possible à des versions en ligne, rendez-vous sur : https://faculty.pnw.edu/kim-scipes/publications/#August18

Published in English in American Herald Tribune, September 12, 2017: https://ahtribune.com/economy/1891-dr-kim-scipes-%E2%80%9Ccapitalism-is-literally-killing-life-on-the-planet%E2%80%9D.html

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Le dossier Monde
Les dernières mises à jour



Source : Mohsen Abdelmoumen
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/...

Abonnement newsletter: Quotidienne - Hebdomadaire
Les avis reproduits dans les textes contenus sur le site n'engagent que leurs auteurs. 
Si un passage hors la loi à échappé à la vigilance du webmaster merci de le lui signaler.
webmaster@palestine-solidarite.org


Ziad Medoukh

Analyses et poèmes
 
Toumi Djaidja

Analyses

René Naba

Analyses
 
Manuel de Diéguez

Analyses

Fadwa Nassar

Analyses et traductions

Bruno Guigue

Analyses

Chems Eddine Chitour

Analyses

Mikhaïl
Gamandiy-Egorov

Afrique-Russie
 
Luc Michel

Analyses

Robert Bibeau

Analyses
 
Salim Lamrani

Analyses
 
Manlio Dinucci

Analyses
 
Mohsen Abdelmoumen

Analyses