Interview
Dr. Burkhard Luber : « Nous avons déjà
dépassé
le point de non-retour en ce qui
concerne
la destruction de la Terre »
Mohsen Abdelmoumen

Dr. Burkhard Luber.
DR.
Jeudi 16 janvier 2020 English version here
Mohsen
Abdelmoumen : Comment expliquez-vous
la montée de l’extrême-droite en Europe
et ailleurs dans le monde ?
Dr. Burkhard
Luber : Je vois trois explications.
Une première explication est que
beaucoup de gens ne sont pas capables
d’accepter que dans le monde global
moderne il existe un éventail de plus en
plus large de cultures, de croyances et
de valeurs différentes. Beaucoup de gens
n’ont pas appris la vertu de la
tolérance et l’importance de trouver des
intérêts communs avec des personnes, des
cultures et des pays différents. Les
personnes avec une tolérance et une
compréhension aussi limitées des autres
cultures sont toujours susceptibles de
considérer les étrangers comme une
menace pour leur lieu de travail, pour
leur culture, etc. Les partis de la
droite et leurs faiseurs d’opinion
exploitent ces craintes, simplifient les
problèmes et offrent des réponses
apparemment claires comme : les migrants
sont le problème, ils nous privent de
nos économies, ils menacent notre
culture, etc. Si les partis
traditionnels et même les partis de
gauche ne parviennent pas à résoudre ces
problématiques d’une manière
convaincante et qui ne soit pas
nationaliste, le discours de droite
pourrait même aller plus loin, ce qui
est dangereux pour l’avenir de la
tolérance dans les sociétés et pour la
cohérence des sociétés en général.
Une deuxième
explication est l’augmentation
simultanée des profits des grandes
entreprises et en même temps
l’augmentation de la pauvreté d’une
partie croissante des sociétés. Les gens
regardent les sièges sociaux
impressionnants et merveilleusement
construits des plus grandes entreprises
et les salaires exorbitants de leurs
patrons et ils s’interrogent sur la
différence flagrante avec leurs propres
petits salaires. Et ils voient aussi,
par exemple, qu’il est souvent devenu
tout bonnement impossible pour une
famille avec des enfants de trouver un
logement décent en ville. Pas étonnant
qu’ils se mettent en colère et
protestent contre le fait qu’ils gagnent
si peu par rapport à la classe
super-riche. Ce sont des sujets que les
partis de droite peuvent utiliser pour
leur propagande.
La troisième
explication est que l’extrême-droite
exploite la peur des gens face à la
montée de la mondialisation et de la
numérisation. Bien que de nombreuses
personnes utilisent des Smartphones et
dépendent de nombreux autres produits
numériques, il y a une crainte
croissante que la numérisation et la
mondialisation ne menacent leur travail,
leur culture originale, leurs valeurs
familiales. Exemple : lorsque j’ai
rencontré mon collègue Maart à Tallinn,
la capitale de l’Estonie, qui, en
véritable Estonien, avait participé à la
lutte de l’Estonie contre la domination
soviétique, il me montra – après que
l’Estonie soit devenue indépendante – la
magnifique place du marché de Tallinn et
tourna le doigt vers le bâtiment le plus
ancien et le plus beau, en soupirant :
« Bientôt McDonalds s’y installera ». Je
l’ai un peu taquiné : « Maart, pourquoi
es-tu si surpris qu’après l’indépendance
de l’Estonie, le capitalisme entre aussi
dans ton pays ? » C’est en un mot
l’ambivalence qui frappe beaucoup de
gens : Ils voient les nombreux avantages
de la numérisation et de la nouvelle
culture des technologies numériques.
Néanmoins, ils craignent que cette
culture numérique n’influence gravement
leur société et ils craignent qu’elle ne
modifie les valeurs et les habitudes
traditionnelles. Cette crainte est
aggravée par le fait que de plus en plus
de gens ne voient plus d’acteurs
individuels dans l’économie comme au
XXème siècle, mais des acteurs comme
Google, Microsoft, Amazon qui ont encore
des PDG au sens formel du terme mais
qui, en réalité, agissent comme des
conglomérats avec des intérêts mondiaux.
Encore une fois, l’extrême droite
exploite cette peur, prétendant que la
mondialisation et la numérisation sont
le nouvel ennemi et dans la mesure où ce
nouvel ennemi est souvent sans visage
personnel que vous pouvez rendre
responsable, l’extrême-droite fait front
contre « eux » : c’est-à-dire les
politiciens, les médias, les
exploiteurs, les riches.
Les Occidentaux
avec les États-Unis à leur tête
continuent à vendre des armes à l’Arabie
saoudite et aux Émirats arabes unis qui
ont massacré le peuple du Yémen. Où sont
les valeurs des « droits de l’homme » et
de la « démocratie » dont se targuent
ces pays occidentaux ?
L’exportation
d’armes des États-Unis – quelle que soit
son ampleur – n’est malheureusement
qu’un exemple parmi tant d’autres d’un
« marché de la mort » international
beaucoup plus vaste.
Le commerce
international des armes est l’une des
pires actions contre l’humanité, tout
aussi grave que la faim et la pauvreté.
Il est scandaleux que des entreprises
d’armement tirent profit de ce que des
États fournissent des armes à d’autres
pays pour faire la guerre. Elle rend le
monde et en particulier les régions en
crise de plus en plus instables,
notamment parce que beaucoup de ces
armes sont utilisées contre la
population à l’intérieur d’un pays. On
dit souvent que nous devons aider ces
gouvernements avec la livraison de nos
armes. C’est un argument complètement
faux. Plus on exporte d’armes, plus le
monde devient instable. Le
soi-disant État islamique terroriste
n’aurait jamais pu progresser à ce point
s’il n’avait pas réussi à s’emparer de
l’arsenal militaire américain en Irak.
Dans les États dits défaillants comme la
Libye, le Yémen, la Somalie ou le
Soudan, il n’y aurait pas de guerres
civiles aussi sanglantes si l’Occident
et la Russie ne fournissaient pas
continuellement de nouvelles armes aux
gouvernements et à l’opposition rebelle,
comme on le voit dans les méthodes par
procuration classiques.
Et les arguments de
la soi-disant « sécurité » pour la
livraison des armes sont
particulièrement hypocrites lorsque les
armes sont livrées à différents endroits
à différents moments. Ainsi, nous avons
d’abord aidé l’Irak dans sa guerre
contre l’Iran. Ensuite, l’Occident a
commencé sa guerre contre l’Irak, guidée
par le mensonge de propagande selon
lequel Saddam Hussein détiendrait des
armes nucléaires. Et ensuite l’État
islamique pouvait piller tout l’arsenal
américain en Irak.
Parfois, il y a des
arguments tels que : on ne peut pas se
soustraire aux contrats sur lesquels ces
marchés d’armes sont basés. Mais je
demande : qu’est-ce qui importe le plus,
que nous payions plusieurs milliers
d’euros pour annuler ces mauvais
contrats ou la vie de nombreuses
personnes qui sont tuées avec ces armes
?
Et les arguments
par lesquels les gouvernements
exportateurs d’armes justifient ces
exportations d’armes sont aussi
scandaleux que les exportations
elles-mêmes. Souvent, lorsque les
gouvernements justifient l’exportation
d’armes par l’argument qu’il est
nécessaire de stabiliser les
gouvernements, on ferme les yeux sur le
statut antidémocratique et les
violations des droits de l’homme du
destinataire, par exemple, l’Arabie
saoudite. Souvent, on exporte des armes
qui sont censées être conçues pour
lutter contre des ennemis extérieurs,
mais en réalité, ces armes sont un
potentiel de répression intra-sociétale.
Les gouvernements exportateurs d’armes
espèrent naïvement que les armes
exportées restent dans le pays
destinataire. Au lieu de cela, elles
circulent souvent peu de temps après
dans d’autres pays. En bref, non
seulement le volume du commerce
international des armes est un scandale,
mais les arguments sur la façon dont les
gouvernements légitiment ces
exportations d’armes sont tout aussi
scandaleux.
On pourrait
objecter que je suis trop idéaliste, les
exportations d’armes n’étant que des
moyens de realpolitik pragmatique. Mais
il existe un argument très réaliste
contre la folie des exportations d’armes
: le monde n’est pas à l’abri de
l’exportation d’armes, comme on peut le
voir au Moyen-Orient et en Afrique. Mais
nos exportations de défense nous ont
également frappés. Les régions dans
lesquelles nous livrons ces armes sont
justement les régions en crise d’où
viennent les réfugiés en Europe. On
soutient souvent qu’il faut s’attaquer
au problème des réfugiés là où il se
pose, c’est-à-dire dans les pays
eux-mêmes. Quiconque défend cette
position devrait suivre cet argument
jusqu’au bout et être contre les
exportations d’armes. Car lorsque nous
poursuivons nos exportations d’armes,
nous ne devrions pas être surpris que de
plus en plus de réfugiés fuient vers
nous.
Comment
expliquez-vous le fait que les
« démocraties » occidentales soutiennent
sans scrupules des despotes en Afrique
et ailleurs dans le monde tout en se
faisant les chantres des « droits de
l’homme » et la « démocratie » ?
Il existe un
décalage remarquable entre ce que
j’appelle « les sermons de vacances »
des politiciens (« liberté »,
« émancipation », « bien-être », etc.)
et leur comportement politique concret.
La raison pour laquelle je vois que les
politiciens ont toujours besoin
d’arguments et s’ils peuvent les trouver
dans les soi-disant « droits de l’homme
» ou d’autres arguments prestigieux, ils
sont tout à fait disposés à les
utiliser, dissimulant ainsi ce qu’ils
font vraiment et lavant le cerveau des
gens qui regardent leurs discours à la
télévision. L’autre point est que les
politiciens peuvent devenir trop naïfs :
ils pourraient, dans leur volonté et
leur cœur, essayer d’adapter leur action
politique aux normes idéalistes de la
Charte des Nations Unies ou de la
Constitution de leur pays, mais ils sont
loin d’être conscients de la difficulté
de mettre en œuvre une politique qui
soit conforme à ces normes. Ensuite, les
normes et la réalité politique se
heurtent inévitablement.
En Algérie, mon
peuple se bat seul contre un régime
soutenu par les Européens, les
États-Unis, les Émirats arabes unis, les
Saoudiens, etc. Ne pensez-vous pas que
les puissances mondiales et certains
pays arabes craignent que le peuple
algérien triomphe en instaurant un État
de droit et une véritable démocratie ?
Si le peuple algérien obtient gain de
cause par son abnégation, ne risque-t-il
pas de devenir un modèle à suivre pour
toutes les populations de la région, ce
qui nuirait aux intérêts des puissances
qui se partagent le monde ?
Tout mouvement
d’émancipation est une menace contre le
pouvoir existant et les acteurs qui se
trouvent derrière, par exemple
l’émancipation des pays d’Europe de
l’Est de l’Union soviétique ou des
anciennes colonies portugaises contre le
Portugal, et d’autres mouvements
d’émancipation. On peut remonter
jusqu’au premier soulèvement moderne, la
Révolution française et les personnes
qui sont venues d’Angleterre,
d’Allemagne, etc. en Amérique du Nord et
qui se sont un jour émancipées avec
succès de leurs dirigeants britanniques.
Un autre exemple encore est la
révolution qui a mis fin à la monarchie
et à l’ancienne hiérarchie politique en
Allemagne après la première guerre
mondiale.
Le point critique
dans ces bouleversements est ce que font
alors les oppresseurs : vont-ils se
maintenir au pouvoir avec une poigne de
fer le plus longtemps possible avec des
instruments violents et sanglants ? Ou
bien vont-ils coopérer avec les
émancipateurs pour trouver un bon
compromis dans le partage du pouvoir
afin de parvenir à une situation stable
et durable du pays et de la société
après le processus d’émancipation ? Je
pense que ce qui s’est passé en Afrique
du Sud vers 1990 est un bon cas où le
mouvement d’émancipation de Nelson
Mandela a rencontré une personne en
Frederik de Klerk qui était prête à
trouver un compromis sur le partage du
pouvoir en Afrique du Sud.
Les peuples du
Sud et du Nord n’ont-il pas le même
intérêt à combattre la minorité
oligarchique qui a fait main basse sur
toutes les richesses de la terre ?
La question va dans
la bonne direction mais le problème se
pose lorsque vous essayez de définir en
détail ce que signifient exactement
« peuples » et « intérêts ». « Les
peuples » du Sud et du Nord ne sont en
aucun cas une communauté homogène
composée de citoyens ayant tous les
mêmes intérêts. Dans les pays du Sud et
du Nord, on trouve une hiérarchie de
pouvoir élevée entre les élites du
pouvoir et les personnes marginalisées
dans les périphéries. Les « centres » et
les « périphéries » ont des intérêts
opposés. Au sein des pays du Sud et du
Nord, les classes de pouvoir ont intérêt
à maintenir leur niveau de pouvoir et à
contrôler les exclus, alors que
l’intérêt des exclus vise à s’émanciper
de cette domination et à partager
davantage le pouvoir. Mais en même temps
que cette opposition entre les élites et
les perdants dans un même pays, il
existe parallèlement un intérêt commun
des classes des élites des différents
pays du monde. Si vous observez
attentivement les diplomates, les hommes
d’affaires, les décideurs politiques
dans des pays qui sont considérablement
différents comme par exemple, la France,
l’Équateur, le Bangladesh ou le Kenya,
vous trouverez des intérêts
considérablement identiques entre ces
élites de haut niveau dans ces pays.
Bien que ces élites de haut niveau
vivent et agissent dans des pays très
différents, il existe néanmoins des
similitudes impressionnantes entre ces
élites de différents pays, la plupart
ayant suivi le même enseignement de haut
niveau dans des universités
prestigieuses, parlant couramment
l’anglais, utilisant les mêmes outils
électroniques et programmes
informatiques, la plupart d’entre eux
jouant au tennis ou au golf, ayant le
même code vestimentaire, et il y a un
trafic dense de communication et de
déplacements entre ces centres de
pouvoir de haut niveau. Il en résulte
une situation où « les peuples » du Sud
ou du Nord n’ont pas tous le même
intérêt dans un pays et, pour l’analyse
politique et l’action politique, il faut
analyser soigneusement quelles parties
de la population des différents pays du
Sud et du Nord sont concernées par quels
intérêts. Si vous faites cela, vous
trouverez bientôt une harmonie
considérable d’intérêts entre les élites
dirigeantes, quel que soit le pays dans
lequel elles se trouvent, et aussi une
grande quantité d’intérêts opposés entre
les élites et les opprimés, tant au
niveau international qu’à l’intérieur de
chaque pays et de chaque société. Ces
différences de pouvoir et d’intérêts
rendent les « combats » particulièrement
difficiles. En outre, les habitants des
régions périphériques du monde ont
beaucoup moins de capacités de
communication, de coordination et de
solidarité que les élites dirigeantes
avec leurs voyages fréquents et leur
communication bien établie qui leur
permettent de coordonner avec succès
leur politique et leur stratégie
commerciale. Ceux qui veulent
approfondir ce sujet devraient lire le
brillant essai de mon collègue, le
chercheur norvégien sur la paix Johan
Galtung « A
Structural Theory of Imperialism« .
Un bon exemple de
la simultanéité de différents statuts de
pouvoir (élites contre opprimés) et
d’intérêts opposés est ce qu’on appelle
l’ « Union » européenne. Une fois que le
Royaume-Uni aura quitté l’UE, il ne
restera plus que deux hauts responsables
dans l’UE : La France et l’Allemagne qui
sont en compétition l’une contre l’autre
pour déterminer qui aura le dernier mot
dans l’UE. Mais tous deux ont aussi des
intérêts communs comme la militarisation
de l’UE, pour faire de l’UE une
forteresse contre les immigrants et pour
imposer leur suprématie aux autres pays
de l’UE. La propagande raconte que l’UE
répond aux intérêts de ses citoyens,
bien que ceux-ci n’aient qu’un contrôle
très limité sur les institutions
européennes et leur politique. Et le
dernier produit phare de l’UE, l’Euro,
en tant que monnaie commune, prouve que
l’UE ne sert pas les intérêts des
citoyens. L’avantage de l’Euro pour les
grandes entreprises est en effet
important : l’Euro leur permet de
négocier plus facilement, donc de faire
plus de chiffre d’affaires et ainsi de
générer plus de profit. Contrairement
aux avantages de l’UE pour les
entreprises, l’avantage de l’euro pour
les citoyens de l’UE est en revanche
faible : un peu moins de problèmes pour
l’échange d’argent avant de commencer à
voyager dans d’autres pays. C’est
insignifiant par rapport à ce qui
intéresse les gens ordinaires. L’aspect
beaucoup plus important de l’Euro réside
dans les désavantages sous-jacents,
parfois non détectés, que cette monnaie
commune génère pour la population. La
politique de l’ancien président de la
Banque centrale européenne, Mario
Draghi, résumée dans sa devise « Nous
défendrons l’euro coûte que coûte »
montre l’importance de la monnaie
commune pour les élites dirigeantes de
l’UE. Et cette stratégie « coûte que
coûte » a abouti à une intervention
monétaire de la BCE jusqu’alors
inimaginable, évaluée en novembre 2019 à
2673 milliards d’euros que la BCE
détient en actions et en obligations
(contre seulement 116 milliards en mars
2015), créant ainsi une énorme dette
pour tous les citoyens de l’UE
(actuellement déjà 200 milliards d’euros
seulement pour les contribuables
allemands). Simultanément, cette
politique de la BCE a entraîné une
baisse massive des taux d’intérêt pour
les comptes épargne des particuliers.
Ainsi, la population se rend compte que
l’épargne (qui a été pendant des
décennies une vertu) n’est plus d’aucune
utilité dans la planification financière
de l’individu. Ainsi, par conséquent,
cette politique de la BCE génère plus de
consommation de la part des personnes et
tout produit acheté génère plus de
profit pour le vendeur. Et l’avis de la
BCE selon lequel les personnes qui sont
obligées – en raison de la politique de
sauvetage de l’euro de la BCE –
d’abandonner l’épargne (ce qu’elles
faisaient auparavant) devraient plutôt
maintenant acheter plus d’actions à la
bourse, répond directement à l’intérêt
des grandes sociétés cotées en bourse.
Dans ce contexte, on peut se demander
quel intérêt commun ont, par exemple,
quatre citoyens de l’UE comme une
infirmière polonaise, un pêcheur en
Sicile, un employé de banque à Budapest
et un ouvrier de montage automobile à la
chaîne en Espagne ? Pas grand-chose et
rien de vraiment spécial, je suppose,
au-delà des deux souhaits d’une vie
décente et d’un environnement paisible.
Mais pour atteindre ces deux objectifs,
nous n’avons pas eu besoin de l’euro
pendant les décennies qui ont précédé
son lancement en 2002.
Le « Green Deal »
de l’UE, présenté récemment par von der
Leyen et dont on a beaucoup fait
l’éloge, dévoilera les grands intérêts
divergents au sein de l’UE : les membres
de l’UE de l’Ouest par rapport à ceux de
l’Est qui dépendent du charbon, les
entreprises industrielles par rapport
aux ONG, l’UE par rapport aux
États-Unis, les riches par rapport aux
pauvres. Le « Green Deal » de l’UE est
un exemple classique du fait que pour
effectuer une analyse politique
approfondie et éclairante, il faut
aborder précisément la répartition du
pouvoir le plus souvent inégale et les
différents intérêts le plus souvent
opposés au sein des sociétés et des
entités politiques pour avoir un bon
aperçu de ce que l’on appelle souvent
simplement « le peuple » sans aucune
différenciation.
Et la prochaine
grande étape de la BCE est déjà en
préparation : sur base de la question du
sauvetage du climat, l’indépendance tant
vantée de la BCE, qu’elle a déjà perdue
avec sa politique de sauvetage de
l’euro, ne sera plus à l’avenir qu’une
formule vide sur le papier sans plus de
pertinence dans la pratique de la
politique économique, puisque la BCE se
réduira à n’être qu’un simple instrument
des gouvernements de l’UE. Cela
transformera la BCE en une agence sans
aucune autonomie ou indépendance servant
simplement d’instrument pour les
intérêts des gouvernements de l’UE. Plus
de détails à ce sujet :
https://news.gaborsteingart.com/online.php?u=bTEaOKt882
Enfin, il faut
observer que le comportement contre
l’exploitation et l’oppression ne
conduit pas nécessairement à une
résistance de la part des personnes
concernées mais peut aussi
éventuellement conduire à l’acceptation
et à l’adhésion. Les personnes qui
voient une entreprise riche ne penseront
pas nécessairement à la contrôler mais
peut-être plutôt à y postuler pour un
emploi et les personnes qui voient la
richesse de la classe supérieure ne
penseront pas nécessairement à une
répartition plus équitable de cette
richesse mais peut-être plutôt : je veux
aussi devenir un membre de la classe
supérieure.
Comment
expliquez-vous la montée des inégalités
dans le monde, que ce soit dans les pays
occidentaux ou dans les pays de
l’hémisphère sud ?
Je pense que le
schéma classique de Marx est encore
essentiellement valable : le capital
accumule plus de richesse (Marx
l’appelle « plus-value ») que ce que les
travailleurs reçoivent du produit. Et la
courbe d’inégalité n’est pas linéaire
mais exponentielle selon le proverbe qui
traite de l’accumulation de la richesse
: « la tâche la plus difficile est de
gagner le premier million, il est
ensuite beaucoup plus facile de gagner
le million suivant ». Les personnes qui
possèdent 3 maisons sont beaucoup plus
aptes à obtenir 3 autres maisons qu’une
personne qui veut changer d’une maison
louée pour devenir propriétaire.
À l’ère de
l’économie numérique, on constate un
autre phénomène nouveau : en raison de
la robotique, de l’IA et d’autres
approches d’informatisation,
pratiquement tous les produits et
services nécessitent toujours moins de
travailleurs, ce qui est bien sûr très
rentable pour les entreprises modernes.
Au cours des trois dernières décennies,
la productivité et les performances
économiques ont considérablement
augmenté dans les centres économiques du
monde mais dans la même période, le
niveau de revenu des familles est resté
le même car cette augmentation de la
productivité a été générée par
l’automatisation et l’informatisation et
non par le travail humain rémunéré. Et
tant que notre système fiscal est
toujours basé sur les impôts du travail
des salariés , les entreprises dont la
production est basée sur les
technologies de l’intelligence
artificielle doivent payer de moins en
moins d’impôts, ce qui signifie que
l’État reçoit de moins en moins de
revenus, de sorte qu’il est de plus en
plus incapable de s’attaquer à
l’injustice, à la pauvreté, aux
problèmes de santé, à l’éducation avec
son budget qui diminue.
L’entreprise
française Total est en train de se
livrer à un carnage écologique en
extrayant le gaz de schiste en Algérie,
dans le silence général. Ne pensez-vous
pas que les entreprises qui nuisent à
l’environnement devraient rendre des
comptes devant les tribunaux ? Est-ce
moral de se taire devant ce que fait
Total en Algérie ? Où sont les
écologistes et les partis progressistes
français qui prétendent défendre les
peuples contre le néocolonialisme et
l’impérialisme ?
Il est certain que
les entreprises qui génèrent de tels
dommages écologiques devraient être
tenues pour responsables. Il s’agit de
savoir où l’on peut trouver dans le
système juridique algérien ou dans la
constitution algérienne suffisamment de
dispositions légales pour de telles
actions en justice contre les activités
de Total en Algérie. Le manque de
soutien des acteurs progressistes en
France touche un peu à ce que j’ai dit
dans ma réponse ci-dessus sur les
harmonies et les disharmonies des
intérêts dans le monde. Je ne suis pas
un expert dans l’analyse de la
solidarité existante ou manquante des
partis français et des écologistes pour
l’Algérie, mais je suppose que les
préférences du mouvement vert en France
se concentrent avant tout sur les
questions écologiques en France et non
sur celles en Algérie. Ce n’est pas
encourageant pour les personnes
progressistes en Algérie, je le sais.
Pourquoi
l’extraction du gaz de schiste est-elle
interdite en France mais pas en
Algérie ? Pourquoi ce qu’ils ne
permettent pas chez eux est-il permis
chez nous en Algérie ? Ne pensez-vous
que cette attitude est néocolonialiste ?
Eh bien, ma
première question est la suivante :
pourquoi l’extraction du gaz de schiste
n’est-elle pas interdite en Algérie ?
Pas de réglementations légales adéquates
? Et si tel est le cas, pourquoi n’y
a-t-il apparemment aucun intérêt de la
part du parlement algérien à édicter des
règlements qui peuvent limiter
l’extraction du gaz de schiste ? Cela
entraînerait une analyse des intérêts au
sein du parlement algérien. Il faudrait
une étude de cas axée sur la question :
quels sont les intérêts politiques et
économiques algériens qui permettent que
l’extraction du gaz en Algérie se fasse
sans entrave ? Cette démarche dépasse
mes compétences dans le cadre de cette
entrevue, mais elle est certainement
essentielle pour répondre à votre
question.
D’après vous,
est-il possible de vivre l’écologie dans
ces sociétés de consommation ? Ne
pensez-vous pas que l’être humain a
détruit la nature par son besoin
irrépressible de domination et sa quête
illimitée de richesses ?
Ayant lu
attentivement le livre de Wallace-Wells
« The
Uninhabitable Earth » (La
Terre inhabitable) et le récent
essai de Jonathan Franzen « Et
si nous arrêtions de prétendre que
l’apocalypse climatique peut être
arrêtée ? », mon impression est
que nous avons déjà dépassé le point de
non-retour en ce qui concerne la
destruction de la Terre. Si l’humanité
veut néanmoins continuer à lutter contre
la catastrophe climatique, je ne vois
que la possibilité d’appliquer un
comportement qui suscite des
«changements structurels ». Qu’est-ce
que cela signifie ?
La question
essentielle est de savoir pourquoi et
comment les « changements » se
produisent. La révolution de 1789 en
France a commencé parce que le peuple
français ne tolérait plus les
circonstances qui prévalaient. Les
« révolutions » ultérieures ont
également été révolutionnaires, mais en
partie induites de l’extérieur (Russie
1917) ou ont réussi parce qu’elles
faisaient partie d’autres grands
processus politiques. Par exemple, les
« révolutions » de l’Europe de l’Est ont
été la conséquence de l’effondrement de
l’Union soviétique.
Une différence
essentielle entre la révolution du type
1789 et l’année 2019 est à mon avis que
dans les temps anciens les auteurs des
mauvaises conditions d’existence étaient
clairement définissables (et donc aussi
perçus comme personnellement
responsables). 2019 semble être plus
difficile : qui est à l’origine de
l’idéologie de la croissance
d’aujourd’hui ? Les banques ? Amazon ?
Google ? Facebook ? Et même si l’on
voulait essayer de rendre les gens
personnellement responsables
aujourd’hui, les PDG de ces entreprises
ne sont-ils pas des personnes facilement
interchangeables ?
Donc, mon argument
: Les manifestations et les appels
qui ne veulent s’adresser qu’à l’opinion
publique n’ont plus aujourd’hui d’impact
significatif pour des changements
« structurels ». Aussi positif que
soit le mouvement des Vendredis pour
le Futur dans son objectif de
sensibiliser l’opinion publique, les
vendredis sans école n’ont aucun impact
« structurel », ni dans le système
scolaire ni dans la société. Par
conséquent, le mot « grève » associé au
FFF (ndlr : Friday For Future =
Vendredi pour le Futur) est trompeur.
Les grèves avaient la vieille devise
syndicale classique « Tous les rouages
sont immobiles quand un bras fort le
veut ». Mais avec FFF dans son profil
actuel, rien ne s’arrête. Les leçons
manquées dans les écoles sont déjà
intégrées dans le programme de la future
année scolaire. On pourrait même
demander ironiquement : combien de
choses superflues figurent apparemment
dans l’éducation scolaire actuelle dont
environ 20 % peuvent être facilement
supprimées ? Je suppose aussi que
beaucoup de gens de FFF n’hésitent pas à
prendre des vols vers leurs destinations
habituelles de bien-être pendant les
vacances scolaires et continuent à
manger du fast food et à prendre
le taxi de maman (probablement un 4×4)
même quand il ne pleut presque pas. Je
peux l’observer de façon frappante quand
je regarde ce qui se passe à midi autour
des bâtiments scolaires dans ma ville
natale. Si FFF prenait la « grève »
vraiment au sérieux, la situation
changerait, par exemple si les élèves de
l’école se mettaient en grève pendant
une semaine entière ou plusieurs
semaines d’affilée. Cela obligerait les
parents à accepter et donc à « légitimer
» de telles grèves massives d’élèves. Si
200 000 élèves des écoles de Hambourg se
mettaient en grève pendant des semaines,
cela dépasserait le cadre de
l’application de la loi par l’État, car
le personnel de la police est tout
simplement trop petit pour imposer une
obligation de fréquentation scolaire à
tous les enfants des écoles.
Le fait que Greta
utilise délibérément la panique dans ses
propres mots ne me convainc pas. La
panique génère d’abord de l’anxiété,
puis de la défiance et, plus tard, des
actions rapides contre-productives.
Comme l’indiquent les résultats de la
psychologie collective.
Conséquences (ma
thèse) : parce que la cause de la
croissance meurtrière de l’économie ne
peut pas être combattue directement et
personnellement et parce que les agents
des sociétés de croissance sont
interchangeables, seuls des refus ayant
des impacts économiques notables peuvent
générer des changements structurels et
cela dépasserait largement le mouvement
actuel du FFF.
De la même manière
– comme argument secondaire mais
néanmoins instructif – si l’armée
allemande malgré toute sa propagande
intelligente pouvait recruter de moins
en moins de soldats, la démilitarisation
se ferait sans beaucoup d’appels au
désarmement.
De même, j’imagine
que des refus fructueux pourraient être
faits dans d’autres domaines, où les
gens peuvent calculer pour déterminer
combien de personnes seraient
nécessaires pour perturber une
entreprise afin que la décroissance
durable puisse être « appliquée ». Par
exemple : combien de temps un refus
complet d’acheter chez Amazon
mettrait-il Amazon en faillite ? Quand
les compagnies aériennes à bas prix
vont-elles faire faillite si les gens en
grand nombre ne veulent plus réserver de
vols ? Etc. Déjà maintenant, le patron
de H&M, la chaîne de mode, est très
préoccupé par la diminution de
l’attitude d’achat de la jeune
génération à cause des préoccupations
écologiques, ce qui diminue bien sûr le
profit de H&M.
La comparaison d’un
calcul coût/effet entre ces refus et les
formes traditionnelles de protestation
telles que les blocages de centrales à
charbon n’est pas facile et je ne peux
pas le faire ici. Il s’agit probablement
de questions d’évaluation telles que :
qu’est-ce qui est le plus spectaculaire,
qu’est-ce qui a des effets de masse plus
efficaces, qu’est-ce qui demande quels
efforts de mobilisation, qu’est-ce qui
frappe le plus « l’adversaire », etc.?
Dans cette approche
que je viens de soulever ici pour la
discussion, je ne peux pas aborder la
question de savoir comment de telles
actions de masse de refus peuvent être
efficacement organisées. Cependant,
c’est très clair pour moi : les refus et
les rejets (ici compris comme méthode de
« grève ») ne sont pas gratuits. De
telles « grèves » de refus ne se
produisent pas sans restrictions
personnelles et sans conséquences
individuelles.
Cela soulève la
question de savoir d’où peut provenir la
motivation d’une telle attitude de
refus. La religion ? À cet effet, les
églises, en tant qu’organismes
religieux, sont à mon avis trop
dominantes et trop conformes à l’État et
aux banques. Des arguments humanistes et
éthiques ? J’ai des doutes. Même en
observant la catastrophe climatique
actuelle, beaucoup de gens pensent :
« L’écologie ? Ce n’est pas mon
principal objectif. Ma voiture peut
aussi rouler sans forêt ». Mais (les
exemples suivants devraient illustrer
les conséquences pour une stratégie de
décroissance) combien de personnes sont
prêtes à payer 5 euros pour un litre
d’essence ou à payer un billet d’avion
de 2000 euros pour un vol de Francfort à
Majorque, combien d’entre eux
toléreraient une taxe supplémentaire
massive et drastique sur l’achat de
voitures, une loi de construction
contraignante qui exige obligatoirement
des panneaux solaires sur les toits de
tout bâtiment ? Peut-on imaginer en
Allemagne de fermer complètement tous
les aéroports régionaux et de ne laisser
que Berlin, Hambourg, Munich et
Francfort ?
Ces exemples
peuvent sembler absurdes, mais à mon
avis une société sans croissance doit
imposer de telles mesures, sans parler
d’autres comme l’application légale
d’une quantité maximale d’énergie
(électricité, eau, gaz) autorisée pour
la consommation individuelle. Se
pourrait-il qu’une société de
décroissance doive fonctionner avec de
telles mesures dirigistes (obligatoires)
par lesquelles, en comparaison, l’ancien
régime communiste en Allemagne de l’Est
apparaîtrait comme un adorable élevage
de poneys ?
Il est bon que la
question du climat figure désormais en
bonne place dans l’agenda politique et
que le public y soit davantage
sensibilisé. Mais je soupçonne que les
acteurs majeurs du capitalisme
utiliseront cette nouvelle orientation
pour poursuivre quand même leurs anciens
objectifs, comme d’habitude :
exploitation de la main-d’œuvre, évasion
fiscale avec les sociétés offshore,
propagande pour une consommation
croissante, etc. Les spécialistes du
capitalisme vont certainement appliquer
toute leur fantaisie à : « Comment
pouvons-nous faire comme si de rien
n’était dans le contexte de la crise
climatique ? Comment pouvons-nous
poursuivre notre politique comme nous
l’avons fait auparavant ? » Et leur
réponse est : « Le seul changement qu’il
nous reste à faire est d’ajouter un
nouveau « vert » à nos actions
traditionnelles. Avec le lavage de
cerveau vert, nous pouvons même
atteindre des objectifs que nous
n’aurions pas atteints autrement ». Le
déplacement de l’attention vers la
question du climat mettra par exemple
fin à l’indépendance de la Banque
centrale européenne. L’indépendance de
la BCE a été jusqu’à présent une pierre
angulaire de son mandat et a été un must
absolu pendant longtemps. Mais
maintenant, la BCE va être transformée
par l’UE d’une agence financière
indépendante en une agence qui jouera le
rôle de nouvel acteur financier actif
sur le marché de la finance
internationale et devra agir selon les
ordres de l’UE en investissant des
millions d’euros, tous imprimés en tant
qu’argent neuf par la planche à billets.
https://www.ft.com/content/61ef385a-1129-11ea-a225-db2f231cfeae
L’exemple le plus
absurde jusqu’à présent d’un tel lavage
de cerveau vert, je l’ai appris lors
d’une récente conférence d’un professeur
en Allemagne sur le thème « l’Armée et
le climat ». Lorsqu’on lui a demandé ce
que les militaires pouvaient faire pour
faire face à la crise climatique, il a
hésité un peu, puis il a répondu : « Eh
bien, je pense qu’il serait bon qu’à
l’avenir des armes plus respectueuses du
climat soient produites et utilisées par
l’armée ». Pas de commentaire…
Vous êtes dans
le comité de rédaction de deux
magazines,
Das
Milieu et
Rubikon. Selon vous, n’avons-nous
pas besoin, aujourd’hui plus que jamais,
d’avoir des informations vraies et des
médias alternatifs dans un monde dominé
par les médias mainstream au service des
puissances de l’argent ?
Nous avons
absolument besoin de cela et j’espère
que les outils remarquables de
l’Internet, où chaque personne peut être
journaliste et éditer son bulletin
d’information avec peu d’argent et le
publier pour un public international,
peuvent devenir de plus en plus une
véritable contre-force journalistique
alternative contre les fausses nouvelles
et les discours de haine.
Vous donnez des
conférences dans le monde et êtes
impliqué dans l’ONG
Wedu Empowerment Program. D’après
vous, certains pays sous-développés
n’ont-ils pas un grand besoin d’avoir le
soutien de personnes compétentes comme
vous ?
Il y a en effet un
grand besoin de travail des ONG dans le
Sud. Pour donner un exemple : je
travaille depuis quelques années au sein
de l’ONG suisse « Bowier
Trust Foundation (BTFS) ». BTFS a le
Libéria comme pays partenaire. Notre
travail consiste actuellement à répondre
aux besoins nutritionnels de la
population (par exemple en créant des
puits qui permettent d’obtenir de l’eau
potable), à fournir aux hôpitaux les
instruments nécessaires qui font défaut,
et à former le personnel de santé dans
les hôpitaux. Mon collègue et moi-même
allons organiser des formations de
renforcement des capacités pour les
travailleurs de la santé et les
étudiants en transition vers leur
premier emploi, dans lesquelles nous
travaillerons avec eux sur des sujets
comme la petite gestion, l’organisation
efficace, les relations publiques, etc.
Notre objectif est l’approche classique
de « l’aide au développement personnel »
afin que les personnes au Libéria
puissent plus tard continuer
indépendamment de nous et appliquer dans
leur travail ce qu’elles ont appris au
cours de la formation. Je pense que les
ONG ont un rôle essentiel à jouer dans
le monde entier. Elles collectent leur
argent en tant qu’agences indépendantes
sans subventions de l’État et elles sont
également indépendantes des élites
locales des pays dans lesquels elles
travaillent. Cela donne aux ONG un très
bon statut pour leur travail au sein
duquel elles peuvent également faire
part de leurs préoccupations, soumettre
des alternatives et aborder les
problèmes avec une critique
constructive. Un de mes meilleurs et
plus impressionnants domaines
d’apprentissage a été lorsque j’ai
travaillé pendant longtemps dans une ONG
allemande dans plusieurs « points
chauds » comme l’ex-Yougoslavie, le
Caucase, l’Afrique centrale, Bogota. Ce
travail sur le terrain a élargi de
manière intensive ma réflexion politique
et ma conceptualisation de la
construction de la paix et a constitué
un domaine de travail complémentaire
utile à mes études universitaires.
Ne pensez-vous
pas que les puissances hégémoniques ont
intérêt à ce que, nous, les peuples du
sud, restions sous-développés ?
La soif
d’exploitation des puissances
hégémoniques est immense en effet et
malheureusement l’intérêt du Nord pour
le Sud est orienté dans le sens des
intérêts des puissances du Nord. Il y a
encore des secteurs où l’intérêt du Nord
ne va pas complètement à l’encontre de
l’intérêt du Sud, comme par exemple un
certain niveau de santé et d’éducation.
Mais il est certain que l’antagonisme de
pouvoir entre le Nord et le Sud restera
un facteur très influent dans les
relations internationales mondiales.
Néanmoins, j’ai quelque espoir que les
nouvelles possibilités de l’Internet
ouvrent de nouvelles chances pour une
plus grande émancipation du Sud par
rapport à l’hégémonie du Nord. Dans ce
contexte, je pense surtout aux nouvelles
possibilités en matière de communication
et d’éducation. Par exemple, je donne
actuellement en ligne un cours à
distance pour environ 100 étudiants dans
une université de la République
Démocratique du Congo, une entreprise
très inspirante qui n’aurait jamais été
possible sans les possibilités de
l’Internet. Un penseur intelligent dans
ce débat sur les nouvelles chances du
Sud basées sur les nouvelles
technologies de l’information est
Richard Baldwin qui décrit dans son
livre fascinant « The
Great Convergence: Information
Technology and the new Globalization
» de nouvelles perspectives
remarquables pour l’Internet 2.0 où les
gens, en particulier les travailleurs du
Sud, auront de nouvelles
perspectives pour participer aux
opportunités d’emploi comme jamais
auparavant, ce qui peut également servir
de potentiel émancipateur pour le Sud.
N’avons-nous pas
besoin d’un monde multipolaire au lieu
de vivre sous l’hégémonie US ?
Je pense que
l’hégémonie américaine n’est déjà plus
aussi stable et fixe qu’elle aurait pu
l’être dans les années 80 et suivantes.
Là encore, j’espère que les possibilités
de l’Internet peuvent contribuer à une
plus grande harmonisation. Comme le
domaine du « logiciel », c’est-à-dire
l’information et la communication, est
devenu de plus en plus aussi important
que le domaine « matériel » avec ses
bâtiments, ses machines, son
infrastructure de trafic et ses armes,
l’influence hégémonique de pays comme
les États-Unis pourrait diminuer.
Quel est votre
opinion concernant une réélection de
Donald Trump ?
Pendant longtemps,
j’ai espéré que l’élite traditionnelle
du Capitole à Washington se rendrait
compte de toutes les choses parfois
ridicules, parfois laides et même
dangereuses que Trump a faites. Mais je
soupçonne que Trump résistera à la
destitution et, comme les Etats-Unis
sont complètement divisés dans leurs
convictions politiques, je pense qu’il
pourra être réélu. Pour moi, Trump n’est
peut-être pas le plus grand problème,
mais bien son parti qui lui a permis
d’accéder à la Maison Blanche. Je
n’arrive pas à croire que cela ait pu se
produire à Washington. Mais depuis que
cela s’est produit, nous ne pouvons
qu’espérer qu’il y a un certain nombre
de personnes dans l’administration qui
peuvent au moins un peu contrecarrer sa
pensée et son action.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est le Dr.
Burkhard Luber ?
Le Dr Burkhard
Luber a obtenu un doctorat en recherche
sur la paix à l’Université de Francfort
et un diplôme en politique
internationale de l’Université de
Pennsylvanie. Il a travaillé pendant
deux décennies pour une ONG dans
différentes zones de crise
(Ex-Yougoslavie, Caucase, Afrique
centrale, Bogota). Actuellement, il est
conférencier invité dans des universités
en Allemagne, en RD Congo et au Libéria
où il enseigne la politique
internationale et travaille au sein du
comité de rédaction de deux magazines
traitant de l’actualité.
Son site officiel
Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour
publication
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