Algérie Résistance
Allen M. Hornblum : « Une démocratie
saine et dynamique dépend d’un électorat
instruit et impliqué »
Mohsen Abdelmoumen
Allen M.
Hornblum. DR.
Samedi 11 février 2017
English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2017/02/11/allen-m-hornblum-a-healthy-vibrant-democracy-depends-on-an-educated-and-involved-electorate/
Mohsen Abdelmoumen : Votre livre «Acres
of Skin: Human Experiments at Holmesburg
Prison» décrit les expériences
médicales menées sur des prisonniers
dans la prison de Holmesburg sous la
direction du dermatologue Albert
Kligman. Vous avez aussi écrit
«Sentenced to Science: One Black Man’s
Story of Imprisonment in America». «Against
their will: The Secret History of
Medical Experimentation on Children in
Cold War America» décrit d’autres
expériences pratiquées sur des enfants
et des nourrissons. Comment ces
expériences criminelles ont-elles pu
avoir lieu aux USA ? Les criminels
ont-ils été punis ?
Allen M. Hornblum : Comme je l’ai
dit à mes collégiens pendant de
nombreuses années, l’Amérique n’a pas
toujours été un phare sur une colline ou
un exemple brillant d’une société bonne
et juste. Bien qu’ayant beaucoup de
qualités et d’attributs très admirables,
les États-Unis ont également des
épisodes extrêmement tristes et
désagréables dans leur histoire. Notre
traitement brutal des Amérindiens et la
longue période de l’esclavage et des
politiques racistes sont deux des
exemples les plus flagrants et
inexcusables de comportement obscur de
l’Amérique. L’héritage des deux continue
à hanter la politique et la société
américaine.
Sans
surprise, d’autres aspects de l’histoire
américaine montrent des signes
semblables de traitement cavalier à
l’égard de ceux qui sont moins bien
nantis, moins influents et moins avisés.
Malheureusement, dans le domaine médical
et scientifique, certains de nos
meilleurs médecins et chercheurs formés
et instruits ont trouvé qu’il était
pratique d’utiliser les membres les
moins puissants de la société comme
matière première pour l’expérimentation.
Comme j’ai été témoin de première main
en ayant travaillé dans un système
carcéral urbain au début des années 70,
que j’ai ensuite répertorié dans mes
livres, des dizaines de médecins
éminents des institutions d’élite ont
trouvé facile d’organiser des recherches
scientifiques dangereuses sur les
prisonniers et les enfants placés dans
des instituts. Les meilleurs d’entre
nous incluant ouvertement les plus
faibles d’entre nous dans des recherches
potentiellement dangereuses n’est pas
quelque chose dont nous devrions être
fiers, mais trop souvent c’est
exactement ce qui s’est passé. Bien que
les chercheurs aient fait de grands
progrès dans la lutte contre les
maladies et aient découvert des remèdes
contre des maladies comme la polio, la
syphilis et l’hépatite, l’utilisation de
personnes faibles et sans défense comme
matériel d’essai devrait donner à
réfléchir à tous ceux qui défendent une
société libre, avancée et progressive.
En
fait, des médecins remarquables comme
les docteurs Koprowski, Southam, Kligman
et Salk non seulement n’ont été pas
punis – ou n’ont même pas reçu des
sanctions mineures pour leur utilisation
des populations vulnérables – mais ont
été célébrés pour leurs réalisations
scientifiques. Beaucoup d’Américains, il
est vrai, ne savaient pas que des
enfants sans défense, des prisonniers et
des résidents d’asile faisaient partie
intégrante de ces études, mais d’autres
le furent et n’y trouvèrent rien de mal.
Ils avaient en partie acquis un état
d’esprit d’eugénisme qui a trouvé
acceptable d’utiliser ceux qui étaient
considérés comme «inférieurs»,
«irrécupérables», «faibles d’esprit» ou
«criminels» pour être utilisés comme
rats de laboratoire pour le progrès
scientifique.
Le
docteur Jonas Salk, par exemple, le
virologiste notoire qui a été l’un des
premiers à vaincre la polio, a effectué
des expériences sur des enfants à
l’École Publique Polk pour Attardés
mentaux et à l’École D.T. Watson pour
enfants handicapés avant de donner le
vaccin aux enfants soi-disant « normaux
». Peu connaissent le sacrifice de ces
enfants placés, mais tous louent Salk et
les autres médecins comme lui pour leurs
découvertes.
Vous avez été fonctionnaire de la
justice pénale et vous avez dirigé un
programme d’alphabétisation notamment
dans la prison de Holmesburg. Selon
vous, les prisons américaines ne
déshumanisent-elles pas l’être humain ?
Par
définition, les prisons sont conçues
pour punir. On n’y trouve très peu
d’éveil spirituel ou d’instruction.
Lorsque les premiers Américains de
Philadelphie, dans les années 1820, ont
construit le Pénitencier d’État de l’Est
pour mettre fin aux châtiments corporels
et créer une méthode nouvelle et plus
humaine de punition, l’expérience
sociale a été louée et étudiée à travers
le monde. Bien que de nombreux États et
pays aient pris connaissance et adopté
des institutions similaires, peu a
changé depuis le 19e siècle. Les
délinquants sont isolés et éloignés de
la bonne société. On espère que les
prisonniers reconnaissent leurs erreurs
et décident d’aller directement à leur
libération. Pour certains, ça marche;
pour beaucoup d’autres, cela ne
fonctionne pas. La déshumanisation est
certainement un sous-produit du système
punitif et impitoyable qui incarcère les
êtres humains à travers le monde.
Le
secteur correctionnel – un euphémisme du
plus haut ordre – n’attire pas les
esprits les plus créatifs. Les sociétés
du monde entier semblent avoir reconnu
qu’il y a peu de choses à faire au sujet
du crime, sauf à jeter plus de gens
derrière les barreaux. Les politiques et
les programmes ont peu varié au fil des
décennies, le grand public et les
décideurs étant généralement
indifférents à la situation. Un saut
dans le taux de criminalité d’une
communauté entraîne généralement plus de
policiers, des peines plus longues et
des conditions de détention plus
sévères. Peu d’élus connaissent ou ont
la conviction de défendre des solutions
de rechange. Ce scénario semble peu
susceptible de changer à court ou à long
terme.
Votre livre très documenté «Acres of
Skin» a été publié en 1998 et s’est
imposé même aux médias mainstream comme
CBS, CNN, BBC, et a
fait a première page du NY Times.
Peut-on dire qu’Allen Hornblum a été un
whistleblower avant même que ce concept
existe ?
Je ne
sais pas quand l’expression
«whistleblower» est née, mais je ne suis
pas sûr d’être qualifié puisque je ne
peux pas réclamer le crédit d’avoir mis
fin aux expériences médicales de la
prison de Holmesburg. Bien que j’aie été
témoin, posé des questions, et des
années plus tard essayé de construire
leur genèse et leur évolution, je n’ai
pas joué un rôle dans leur fin au milieu
des années 1970.
Cependant, j’ai souvent reçu des éloges
pour avoir permis la connaissance des
transgressions éthiques, la chronique de
l’histoire, et l’assurance que le public
américain sait ce qui s’est passé à
Philadelphie et dans toute la nation au
sujet des tests de prison. Bien que
j’apprécie les éloges que je reçois
périodiquement, il y a une question plus
importante que le public néglige :
pourquoi tant d’employés des prisons qui
ont vu ce qui se passait sont restés
silencieux ? Cette
question est d’une importance
primordiale car les expériences
médicales de Holmesburg n’étaient pas
uniques. Ces épisodes d’excès de
recherche se sont répétés à plusieurs
reprises au cours des années à travers
l’Amérique avec peu d’individus prêts à
parler. La plupart ont suivi le
programme sans se sentir concernés. Ce
phénomène de voir quelque chose
d’éthiquement troublant et de rester
silencieux est probablement ce qu’il y a
de plus problématique au sujet de
l’étude de Tuskegee sur la syphilis qui
a fonctionné pendant quarante ans avant
que quelqu’un ne soulève des questions à
ce sujet. Il y aurait beaucoup à
apprendre de cette indifférence
individuelle et publique.
En
lisant vos livres, je n’ai pas pu
m’empêcher de penser à Dostoïevski qui a
décrit le monde carcéral et celui du
crime dans sa complexité, notamment dans
«Crime et châtiment». Pensez-vous que la
prison soit la seule voie contre le
crime ?
L’emprisonnement devrait faire partie
d’un mélange de peines pour ceux qui
transgressent les lois de la société.
Tous les crimes ne justifient pas
l’emprisonnement, mais trop souvent les
systèmes de justice pénale dans le monde
ne voient qu’une seule alternative et
condamnent les gens à des peines de
prison. L’approche unilatérale est
intellectuellement paresseuse, coûteuse,
déshumanisante et contre-productive. Les
sociétés progressistes désireuses
d’explorer des méthodes plus rentables
et productives auront généralement des
taux de criminalité plus faibles et
moins de difficultés budgétaires.
Malheureusement, peu de fonctionnaires
américains ont le courage ou le
savoir-faire pour défendre une telle
option politique difficile.
À
votre avis, la peine de mort est-elle
justifiable ?
Je
suis contre la peine de mort. Mon point
de vue est assez simple: s’il est mal de
prendre une vie, alors il est mauvais
pour un gouvernement de prendre une vie.
Au cours de mes nombreuses années de
travail dans le système de justice
pénale, j’ai connu de nombreux criminels
qui ont commis des infractions
extrêmement brutales et violentes.
Certes, dans les moments d’indignation
morale, on voudrait tuer les méchants
criminels, mais une société juste et
équitable qui valorise la vie ne devrait
pas exécuter les gens qui commettent des
crimes horribles.
Les
cas de Mumia Abu-Jamal et Leonard
Peltier emprisonnés depuis plus de 30
ans ne sont-ils pas contraires aux
droits humains ?
Je
connais personnellement Mumia Abu Jamal.
En tant que directeur d’une organisation
politique au début des années 1980, j’ai
été interviewé par Mumia, journaliste à
temps partiel et connu sous le nom de
Wesley Cook. Quelques années plus tard
et après une sorte de programme
d’auto-radicalisation, Mumia a attaqué
et tué un officier de police de
Philadelphie qui avait tiré sur son
frère pour une infraction routière.
J’ai
suivi l’affaire et le procès assez
étroitement et j’ai peu de doute que
Mumia ait tué l’officier de sang froid.
Même si ses défenseurs soient loyaux,
forts et tenaces, Mumia a de la chance
d’avoir échappé à la peine de mort. Pour
les militants progressistes et les
réformateurs des prisons, il y a
beaucoup plus de braves personnes
derrière les barreaux dignes de soutien
que Mumia Abu Jamal.
Selon vous, y a-t-il une justice de
classe aux États-Unis ?
On
peut certainement argumenter que plus on
a de l’argent, plus on recevra une
meilleure justice. Pendant mes années de
travail dans un grand système carcéral
urbain, la population était d’une
pauvreté écrasante, noire et sans
formation. La plupart des délinquants
étaient des Afro-Américains, décrocheurs
dans le secondaire et nageant dans la
pauvreté. Tout au long de ces années, je
suis entré en contact avec très peu de
prisonniers riches et instruits. Ceux
qui ont été arrêtés pour crimes et qui
disposaient de ressources économiques
pour se payer des avocats compétents et
verser une caution ont été rapidement
libérés en attendant le procès. Les
coupables qui ont de l’argent ont
tendance à recevoir des peines plus
courtes. Plus on a de l’argent, plus on
a de la justice. Je pense que c’est un
phénomène universel qui nous suivra
toujours.
Quand on lit vos livres, on voit une
autre Amérique que celle décrite par
Hollywood et ses supermans. Peut-on
encore évoquer des valeurs telles que
les droits de l’homme, l’État de droit,
etc. aux USA ?
Comme
avec la plupart des choses d’importance,
le maintien de la justice et un système
d’équité est une lutte sans fin. Tant
qu’il y aura des bonnes personnes qui
respectent la loi et un idéal de justice
pour tous, nous aurons un semblant de
société juste. Trop souvent,
malheureusement, les bonnes personnes
ont tendance à éviter de prendre des
risques. Les gens ne veulent pas
s’impliquer. Mais une démocratie saine
et dynamique dépend d’un électorat
éduqué et impliqué.
L’Amérique se targue d’être un État de
droit, mais ce principe est souvent
écarté ou rejeté complètement. Il existe
de nombreux exemples de décisions et de
comportements injustes dans notre
système de justice pénale, mais dans
l’ensemble, le système a tendance à
fonctionner. Pour l’une des plus grandes
nations du monde, l’Amérique a
probablement l’un des systèmes de
justice les plus équitables et les plus
efficaces. Cela ne signifie pas qu’il ne
peut pas être amélioré et qu’une plus
grande importance soit accordée aux
droits de l’homme et à un traitement
juste pour tous, et pas seulement pour
les personnes aisées.
Ne
pensez-vous pas que des politiciens
comme Bush, Kissinger, etc. ont leur
place dans les prisons à cause de leurs
guerres contre les peuples à travers le
monde ou bien sont-ils au-dessus des
lois ?
Il
existe certainement des preuves
considérables pour étayer l’argument
selon lequel l’invasion du président
Bush en Irak est l’une des pires et les
plus coûteuses de l’histoire américaine.
Un homme peu compétent, manquant de
curiosité intellectuelle et dépendant
d’acteurs politiques plus véhéments et
sournois, a déstabilisé une partie du
monde déjà fragile. Il est difficile de
comptabiliser les dégâts immenses qui
ont été causés aux gens de la région
aussi bien qu’à la réputation de
l’Amérique à travers le monde. Le
désordre sanglant qui a résulté de notre
effort pour chasser Saddam et ensuite de
s’engager dans une campagne
d’édification d’une nation a contribué à
ce que Bush quitte le bureau comme l’un
des présidents les plus honni de la
nation.
Bien
que l’emprisonnement soit justifié dans
l’esprit de certains, un tel résultat
est très peu probable. Même le président
Richard Nixon, considéré par tous comme
ayant commis des crimes dans le scandale
du Watergate, n’a jamais fait une
journée derrière les barreaux. Bien
qu’il y ait quelques exceptions
notables, il est généralement vrai que
plus il y a d’argent et de pouvoir –
surtout les hauts fonctionnaires du
gouvernement – moins il y a de chances
qu’un tel individu fasse un jour de
prison.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui
est Allen M. Hornblum ?
Allen
M. Hornblum est un journaliste, un
ancien fonctionnaire de la justice
pénale et un organisateur politique basé
à Philadelphie. Il est aussi un écrivain
qui aborde des sujets controversés
historiquement dissimulés dans les
domaines du crime organisé, de
l’espionnage soviétique et de l’éthique
médicale. Ses livres sont :
Acres of Skin Human Experiments at
Holmesburg Prison (1998);
The Invisible Harry Gold: The Man Who
Gave the Soviets the Atom Bomb
(2001);
Philadelphia’s City Hall (2003);
Confessions of a Second Story Man:
Junior Kripplebauer and the K & A Gang
(2006);
Sentenced to Science: One Black Man’s
Story of Imprisonment in America
(2007);
Against Their Will: The Secret History
of Medical Experimentation on Children
in Cold War America(2013).
Avant
de devenir un écrivain, Allen Hornblum a
eu une carrière variée comprenant
l’organisation politique, l’enseignement
au collège, et de nombreuses années dans
les différents secteurs du système de
justice pénale. Il a été chef
d’état-major du bureau du shérif de
Philadelphie, membre de la Commission de
la criminalité et de la Commission de la
criminalité et de la délinquance de
Pennsylvanie, entre autres. Le crime et
la punition, et l’histoire de
l’emprisonnement sont devenus des
intérêts permanents pour lui et il a
visité des institutions telles que les
pénitenciers de Strangeways, Mountjoy,
Le Sante et Regensdorf.
Allen
Hornblum est diplômé de l’Université
Penn State et a obtenu des diplômes de
troisième cycle des universités de
Villanova et de Temple. Ses recherches
et ses livres ont été largement couverts
par les médias et ont été présentés dans
Good Morning America, CBS
Evening News, CNN, la BBC,
dans de nombreuses émissions de radio et
à peu près tous les journaux dans le
pays, y compris les premières pages du
New York Times et de
Philadelphia Inquirer. Allen
Hornblum est souvent invité à donner des
conférences sur ses recherches et il a
présenté son travail à des institutions
telles que: the National Institutes of
Health, la British Medical Association,
le FBI, de nombreuses écoles de
médecine, ainsi que les universités
Brown, Columbia, et Penn State.
Site d’Allen M. Hornblum
Published in English in American Herald
Tribune, February 10, 2017:http://ahtribune.com/in-depth/1500-allen-m-hornblum.html
In
Oximity:https://www.oximity.com/article/Allen-M.-Hornblum-Une-d%C3%A9mocratie-1
Reçu de l'auteur pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Les dernières mises à jour
|