Interview
Dr. François-Bernard Huyghe : « Je ne
serais pas étonné que Daech, après la
perte de la Syrie et de l’Irak, continue
à essaimer dans d’autres pays »
Mohsen Abdelmoumen
Dr.
François-Bernard Huyghe. DR.
Lundi 9 juillet 2018
English version here Mohsen
Abdelmoumen : Les gouvernements
occidentaux sont-ils impuissants face au
terrorisme ?
Dr.
François-Bernard Huyghe : Nous avons
des attentats terroristes en Occident
depuis la fin du XIXe siècle. Il y en a
eu pour diverses raisons, tantôt par des
anarchistes, tantôt par des
indépendantistes, tantôt
l’extrême-gauche, l’extrême-droite, etc.
et personne n’a trouvé la solution
miracle. En ce moment par exemple, en
France, nous vivons une situation où en
dépit de l’écrasement militaire de
Daech, il y a tous les deux mois un
attentat ou une tentative d’attentat se
réclamant du califat mené avec plus ou
moins de moyens, donc il y a une sorte
de routine terroriste qui s’installe.
Évidemment, on a pris des tas de lois,
je crois qu’en France on a du prendre
vingt lois contre le terrorisme et bien
sûr, la lutte a des limites et d’abord
des limites quantitatives car il y a
plusieurs dizaines de milliers
d’individus susceptibles d’être
djihadistes ou d’être absorbés par le
djihadisme en France, donc cela pose des
problèmes de surveillance d’autant plus
difficiles que ces djihadistes dans leur
vision stratégique ont le droit de
s’attaquer à n’importe quelle cible.
C’est évidemment différent de l’époque
où il fallait protéger les présidents de
la République, les magistrats ou les
généraux mais pas le citoyen au coin de
la rue.
Que pensez-vous
de la restructuration de Daech et
notamment de la naissance du groupe
Khorasan ?
Toute la stratégie
de Daech et tout son discours étaient
basés sur le fait qu’on allait enfin
établir le califat au pays de Sham et
qu’il rayonnerait dans le monde entier.
Bon, il a été écrasé mais on voit
maintenant qu’il y a une phase 2 avec
des groupes se réclamant de Daech qui
viennent venger l’écrasement de ce
califat, il y en a de Khorasan, et on a
vu des attentats en Afghanistan, on en a
vu aussi en Indonésie, etc. Donc, il est
très possible qu’un certain nombre de
groupes continuent à prospérer et à
mener des actions de manière
décentralisée après la perte du califat
qui tenait une place centrale. Après
tout, je vous rappelle que l’on combat
Al-Qaïda depuis le début des années
1990. On a mis d’énormes moyens
militaires pour l’écraser et elle
sévit toujours aujourd’hui et je ne
serais pas étonné que Daech, après la
perte de la Syrie et de l’Irak, continue
à essaimer dans d’autres pays.
Le gouvernement
Macron a lancé un 3eplan pour
lutter contre la radicalisation. Vous
maîtrisez bien ce sujet. Ces mesures
s’en prennent-elles vraiment à la
racine, à savoir l’idéologie takfiriste
ou non ?
Personnellement, je
suis très très sceptique sur les
méthodes de déradicalisation. Ce mot ne
veut pas dire grand-chose. Empêcher les
gens de retourner à leurs racines,
qu’est-ce que cela veut dire vraiment ?
On a fait plusieurs tentatives en France
sous le gouvernement précédent et sous
le gouvernement Macron, menées par des
associations qui essayaient de réadapter
les jeunes tentés par le djihadisme, on
les traitait un peu comme des
alcooliques ou des drogués et cela a
échoué lamentablement. On a l’exemple
presque comique d’un centre de
déradicalisation qui avait coûté une
fortune, il y avait une seule personne
qui y allait et encore, je pense que
c’était parce qu’elle avait le chauffage
et la douche gratuits. Donc, ces
méthodes-là ont échoué.
Telles que
caresser un hamster et utiliser un bâton
japonais…
Par ailleurs, on a
bien vu qu’on ne sait pas mener un
contre-discours contre les djihadistes
parce qu’on a fait plusieurs campagnes
sur internet en disant « c’est affreux,
on tue des gens, vous allez mourir ».
Mais justement, les gens vont là-bas
pour tuer et pour mourir, donc ça ne
marche pas très bien. Il y a donc une
faiblesse dans ce domaine-là. Comme
solution, il y aurait une part de
travail de l’école, certainement. Je
souhaiterais en effet que l’école rende
aux petits citoyens la fierté de leur
pays et des valeurs républicaines. Mais
est-elle capable de le faire au moment
où, en France, on n’est même pas capable
de leur apprendre à lire et à
compter correctement ? Donc, on a de
vrais problèmes et beaucoup de gens
cherchent une solution dans une action
des autorités islamiques pour dire que
ce que fait Daech, ce que fait le
califat, n’est pas dans le Coran, que
c’est une déviance, une hétérodoxie, une
interprétation délirante. C’est bien, et
j’ai déjà vu passer des textes de
religieux sunnites condamnant d’un point
de vue théologique et dogmatique ce que
fait le califat avec ses déviances. Le
problème est que l’on voit que cela n’a
pas vraiment atteint les capacités de
recrutement de Daech qui disqualifie
toutes les autorités musulmanes
traditionnelles comme étant des
hypocrites dans leur système mental, ce
qui veut dire des mauvais sunnites qui
en réalité coopèrent avec les sionistes,
les chrétiens, les athées, etc.
Je reviens
toujours au mot qui m’a frappé dans vos
travaux. Ne pensez-vous pas qu’il y a
une impuissance des gouvernements
occidentaux face à la problématique des
returnees (ndlr : les
djihadistes qui reviennent d’Irak et de
Syrie)?
Oui, on a également
un gros problème de ce côté-là, on le
voit déjà en France avec le retour de
plusieurs centaines d’entre eux. C’est
un problème en partie juridique : de
quoi faut-il les inculper ? À partir du
moment où l’on n’utilise pas contre eux
une incrimination pénale du genre
« coopération avec une puissance
étrangère », « avoir porté les armes
contre la France », etc., il faut les
juger au cas par cas pour ce qu’ils ont
fait et ce qui est prouvé et,
évidemment, c’est long, car il est
difficile de trouver des preuves. Par
ailleurs, nous avons un système pénal
qui n’est pas extraordinairement
répressif, ce qui fait que certains
djihadistes qui sont revenus après avoir
combattu en Syrie, pourront sortir de
prison vers 2020. Sans parler évidemment
du recrutement qui pourrait se faire
dans les prisons. Il y a dans la loi
française l’idée de les regrouper dans
un seul endroit, c’est probablement
mieux que de les disperser partout où
ils vont faire du prosélytisme, mais
effectivement, on est face au problème
des returnees ou des foreign
fighters avec tout ce que cela
comprend : les femmes qui vont revenir,
qu’il sera difficile de condamner aussi
sévèrement…
Et les enfants
soldats de Daech
Et les enfants bien
entendu. J’ai vu des vidéos abominables
où il y avait des petits français, des
gamins de moins de dix ans, qui
égorgeaient des gens ou des choses
similaires. Je ne sais pas quel est le
psychologue qui saura les soigner et les
ramener gentiment à l’école. C’est un
véritable problème, ce qui fait qu’une
grande partie de l’opinion française n’a
pas très envie de voir revenir les
foreign fighters.
J’ai évoqué le
sujet avec l’ambassadeur d’Irak à
Bruxelles qui m’a dit qu’il y a eu des
contacts pour notamment rapatrier les
foreign fighters. Vous pensez qu’il
faut qu’ils soient jugés sur place ?
Oui, il y a
sûrement eu des contacts. Nous sommes
dans une situation juridiquement un peu
embarrassante parce que, après tout, ce
qu’ils ont fait, s’ils ont tué des gens,
commis des crimes, c’est en Irak, et
nous, la France, nous sommes censés
soutenir le gouvernement irakien et
faire partie d’une coalition de soutien
qui considère le gouvernement irakien
comme un gouvernement démocratique. Nous
sommes un peu dans une situation
schizophrénique. C’est vrai que notre
système de droit réclame qu’on les
rapatrie en France où ils ne risqueront
pas la peine de mort, où les conditions
de la défense sont mieux respectées,
etc. De leur côté, j’imagine bien que
les Irakiens n’ont pas une forte envie
de les épargner, et ça me paraît normal.
Nous sommes donc dans une situation un
peu schizophrénique et embarrassante. Je
vous rappelle que la ministre des Armées
en France avait dit dans une interview,
qu’après tout, si ces gens ne revenaient
pas en France, ça ne lui ferait pas
énormément de peine.
Ne pensez-vous
pas que ces gens-là utilisent votre
démocratie, c’est-à-dire le système
démocratique occidental, pour mieux vous
abattre ?
Bien évidemment. La
réponse est oui.
Ils deviennent
procéduriers, ils connaissent la
procédure, le droit, ils utilisent les
failles juridiques, etc. pour mieux
vous égorger. Ils s’appuient sur votre
propre « démocratie », vos « droits de
l’homme », etc. pour se retourner contre
vous.
Oui, évidemment.
Dans la mesure où ils affichent le plus
grand mépris pour la démocratie, où,
dans leur tête et dans la littérature
djihadiste, ils passent leur temps à
raconter que la seule loi est la loi de
dieu, qu’il faut punir, et quand ils
parlent entre eux, ils ne reconnaissent
pas notre système juridique, notre
démocratie, notre État, notre armée,
etc. Et bien entendu, quand ils sont
pris, ils font de la taqiya (ndlr :
art de la dissimulation), de la
dissimulation, ils gagnent du
temps et utilisent le système juridique,
les avocats, les droits de l’homme, etc.
Je vous donne un exemple qui est très
simple : on n’interviewe pas tellement
les djihadistes revenus en France mais
en revanche quand ils se font prendre
par les Kurdes, par exemple, souvent les
Kurdes les interrogent en français – il
y a des tas de combattants kurdes
français, car beaucoup de Français sont
allés rejoindre leurs frères là-bas, ils
ont un passeport français et parlent
parfaitement français -, et donc ils ont
fait parler 4 ou 5 djihadistes qu’ils
avaient pris et évidemment ils disent
« je me suis trompé » ou « on m’a
trompé » « je voulais faire de
l’humanitaire ».
Ils font ce que
l’on appelle soi-disant « des
révisions » mais en fait c’est de la
taqiya, de la dissimulation.
Oui, c’est
exactement de la dissimulation.
Ils s’adaptent.
Ils ont une faculté d’adaptation
incroyable à toutes les situations, vous
ne trouvez pas ?
Ceci dit, le
problème s’est toujours posé pour tout
terroriste, pour toute personne accusée
d’un attentat et qui sont des gens
qui sont contre le système et qui vont
être obligés de jouer avec les
mécanismes du système.
Pensez-vous que
l’on peut combattre ces gens-là avec des
outils juridiques ? Peut-on combattre un
terroriste avec l’arsenal juridique d’un
État de droit ?
Non, parce que l’on
voit très bien qu’ils vont utiliser
toutes les faiblesses de notre système
et sauf peut-être pour des cas
extrêmement graves, ils ne vont pas être
condamnés à des durées très longues.
J’aimerais parler d’un autre facteur
très inquiétant, je ne sais pas si vous
connaissez un livre remarquable qui
s’appelle « Les revenants »…
Oui, le livre « Les
Revenants » de David Thomson.
Voilà. Il montre
très bien que maintenant il y a une
deuxième génération, qu’il y a des gens
qui étaient déjà engagés du temps
d’Al-Qaïda, qui étaient déjà engagés du
temps du GIA algérien, qui ont fait de
la prison et qui sont toujours
djihadistes. Donc, je ne voudrais pas
être pessimiste, mais ceux qu’on prend
maintenant seront peut-être toujours
djihadistes dans dix ans.
A-t-on appris,
en France, la leçon du drame algérien et
du combat du peuple algérien contre les
terroristes ? Lorsque j’ai parlé à
l’Ambassadeur d’Irak, il m’a dit
qu’Al-Qaïda, Daech, GIA, étaient des
noms différents pour une même matrice.
Effectivement,
c’est la même idéologie, ce sont des
djihadistes salafistes qui se réclament
de la même tradition et de la même
stratégie.
Oui, le corpus
idéologique est le même.
Bien sûr, il y a
des petites différences stratégiques, le
GIA voulait combattre en Algérie,
Al-Qaïda voulait frapper l’ennemi
lointain et le califat voulait créer le
califat tout de suite. Ce sont des
différences stratégiques mais pas des
différences idéologiques. On est bien
d’accord là-dessus. Avons-nous appris
les leçons ? Eh bien, j’espère qu’on va
les apprendre. Bien sûr c’est autre
chose, parce qu’en Algérie, vous avez eu
des forces de guérilla et on ne peut pas
vraiment comparer militairement.
Effectivement, ce ne serait pas mal
qu’on retienne un peu ces leçons-là d’un
pays qui a payé un prix du sang élevé.
Certains experts
bien sourcés que j’ai interviewés m’ont
affirmé que Daech a repris ses positions
de 2013 en Irak alors que les médias
nous présentent la défaite militaire de
Daech. Ne pensez-vous pas que
contrairement à ce que les médias
disent, il n’y a pas eu de défaite
militaire mais un repli tactique en Irak
et que l’idéologie reste intacte ?
Je pense que vos
experts ont probablement raison en ce
sens qu’il faut se souvenir
qu’effectivement, vers 2013 – 2014, peu
de gens avaient réalisé le danger.
C’était une petite scission d’Al-Qaïda
et donc il s’agissait de gens qui
n’occupaient pas de villes et qui
n’essayaient pas de conquérir des
territoires. Ils ont quand même subi des
pertes considérables, mais ils ont
probablement une capacité de survie en
situation de guérilla dans des pays où
le contrôle du territoire est très
difficile et où il y a des tas de
groupes armés. Effectivement, qu’ils se
soient repliés est très possible. Après
tout, pendant des années ils ont échappé
à l’aviation, à l’armée, etc. Ils ont
certainement du garder une grande
capacité à survivre. Je vois
plusieurs scénarios : il y a ceux qui
vont repartir dans d’autres pays pour
aller combattre, par exemple en
Afghanistan…
En Europe ?
Au Maroc, c’est
possible, pour ceux qui vont partir
faire le djihad ailleurs. Peut-être que
certains passeront des accords et
rejoindront des groupes d’Al-Nosra, etc.
Et puis il y a ceux qui reviendront en
France…
En Europe ?
En Europe, en
général. Je pense qu’il y en a un
certain nombre qui continueront à être
sur place. Ça me paraît logique.
Dans votre livre
très important et très riche en
documentation notamment concernant la
communication chez Daech « Daech
: l’arme de la communication dévoilée »,
ne pensez-vous pas que Daech a gagné la
bataille de la communication ?
Ils ont été très
bons en tous cas. Il est vrai qu’ils ont
réussi à produire un appareil de
propagande par l’image, par le texte,
par les réseaux sociaux, qui a été
fantastique. On ne savait pas faire
grand-chose face à cela. Ce qui a changé
maintenant, c’est qu’il est
techniquement de plus en plus difficile
de trouver la propagande djihadiste car
ils ont moins de moyens de production et
ils ne peuvent plus faire des films
d’exécutions avec 15 caméras, des moyens
de montage, et des super-caméras. Il y a
un autre facteur qui joue, c’est que les
réseaux sociaux ou plus exactement les
grands d’internet, les GAFA, sont
intervenus pour changer les algorithmes
des moteurs de recherche, pour retirer
des comptes, pour chiffrer les contenus,
et très honnêtement, il est très
difficile maintenant de trouver des
contenus djihadistes pro-Daech sur
internet. En tous cas, c’est infiniment
plus difficile qu’au moment où j’ai
écrit ce livre.
Vous pensez que
votre livre a eu de l’impact ?
Oh lala ! Je ne
suis pas si immodeste. Je ne me prête
pas un rôle aussi important (rires). En
revanche, sur le plan technique, ils
continuent à communiquer. Je vous donne
un petit exemple : l’autre jour, on a
arrêté en France un Égyptien qui
préparait un attentat avec un poison
très dangereux. Je ne sais pas jusqu’à
quel point il aurait eu les
connaissances techniques pour réaliser
ce projet, mais lui, il communiquait sur
l’application cryptée Telegram qui est
une application très sécurisée. On l’a
quand même arrêté et la police n’a pas
expliqué ce qu’il a fait, peut-être que
les policiers se sont infiltrés dans sa
page de diffusion Telegram, peut-être
qu’ils ont pris son téléphone et qu’ils
ont pu regarder ses messages. Mais en
tous cas, les djihadistes sont devenus
très très prudents sur la communication
et, si j’ose dire, le secret est très
difficile à concilier avec la publicité,
donc c’est plus difficile de trouver
leurs messages si vous n’êtes pas
initié.
Ne pensez-vous
pas qu’ils peuvent revenir à des
méthodes de communication plus
artisanales, telles que l’ancienne
méthode du bouche à oreille ?
Bien sûr. Le bouche
à oreille a toujours fonctionné en ce
sens que les loups solitaires qui
deviennent djihadistes en regardant des
groupes terroristes commettre des
attentats, moi je n’en connais pas. Cela
n’existe pas. Il y a toujours des
copains, il y a des frères, des
camarades, il y a des mentors. Souvent
d’ailleurs, on voit que ce sont des
groupes d’une localité, ils connaissent
les gens, les copains d’enfance, ils se
sont rencontrés à l’école, à la mosquée
ou au centre de loisirs, donc le facteur
humain est très important pour permettre
aux gens de communiquer entre eux.
Dans votre livre
cosigné avec Alain Bauer « Les
terroristes disent toujours ce qu’ils
vont faire » dans lequel on
trouve bien des questions, vous attirez
l’attention sur le corpus idéologique
qui est fondamental pour devenir
terroriste. Or, j’ai fait une petite
recherche et j’ai trouvé que dans de
nombreuses bibliothèques municipales des
pays européens, on trouve des livres des
théoriciens du takfirisme, du genre
Sayyid Qotb ou Ibn Taymiyya. Comment
expliquez-vous que les pays occidentaux
tolèrent ces ouvrages ?
Effectivement, mais
je ne sais pas si les djihadistes vont
les consulter à la bibliothèque…
Ils les
échangent dans les prisons, en tous cas.
Alors là,
effectivement, ce n’est pas une très
bonne idée d’autoriser cela (rires). Je
suis d’accord avec vous. On sait qu’il y
a un très grand effort de traduction et
de diffusion de ces livres. Les textes
d’Abdelwahhab, etc. sont édités par
l’Arabie saoudite. Il y a des tas de
théologiens qui sont djihadistes et les
salafistes saoudiens les lisent et les
diffusent aussi.
Comment
expliquez-vous que l’Arabie saoudite
soit un allié stratégique des Américains
et des Français, avec lesquels elle fait
du business, sans parler du Qatar, alors
que ces pays génèrent le terrorisme ?
Ne faudrait-il pas revoir vos
alliances ? J’ai parlé avec un expert du
renseignement européen qui me disait que
les enjeux économiques étaient
prépondérants.
J’ai peur qu’il
n’ait un petit peu raison et qu’en fait,
il y a d’énormes intérêts économiques
qui sont engagés dans tout cela – et là
on parle de très gros business avec
l’Arabie saoudite. Soyons honnêtes, vous
voyez bien que les médias et l’opinion
s’indignent beaucoup moins de ce que
fait l’Arabie saoudite que ce que font
d’autres pays.
Donc, les
contrats économiques passent avant la
sécurité des citoyens, si je comprends
bien ?
D’une certaine
façon, oui. Il est clair qu’il y a des
gros intérêts économiques en jeu.
Vous avez
beaucoup travaillé sur les médias et la
communication de Daech, comment
expliquez-vous que sur un réseau social
comme Twitter ou Facebook on trouve des
comptes inféodés à Daech ou Al Qaïda ?
Ne pensez-vous pas que les États et
leurs services doivent intervenir pour
mettre ces médias sociaux face à leurs
responsabilités ?
Ils l’ont un petit
peu fait, et d’ailleurs il y a de temps
en temps des reproches à ce sujet. Il y
a eu des modifications des algorithmes
sur Facebook, Google, etc. Il y a eu des
mesures qui ont été prises mais le
problème est aussi largement quantitatif
et je vous assure que rechercher des
groupes djihadistes sur Google, c’est
beaucoup plus difficile maintenant qu’il
y a quelques années.
Personnellement,
j’ai trouvé quelques comptes sur
Twitter, notamment un groupe en
Afghanistan.
C’est une question
d’algorithmes et de recréation très très
rapide de ces comptes.
Ne pensez-vous
pas qu’en jouant sur le conflit entre
les Chiites et les Sunnites comme on l’a
vu au Moyen Orient, les Américains ont
ouvert la boite de Pandore ? Ne
risquent-ils pas de dévaster ce qu’il
reste de cette région martyrisée ?
Je ne peux répondre
que oui à une telle question. Bien sûr,
c’est évident. Ils ont joué avec le feu,
avec une ignorance incroyable de la
situation. Vous savez le mot qu’on
rapporte quand Bush avait lancé la
guerre d’Irak, on lui avait dit qu’il
fallait tenir compte des Chiites, et il
avait répondu « les Chiites, les
Chiites, je croyais que tout le monde
était musulman là-bas » (rires). Vous
voyez le degré d’ignorance. C’est sûr
qu’il y a eu un déclanchement de la
poudrière après 2004. On peut aussi
discuter de ce qu’on a fait en Libye.
Que pensez-vous
du retrait de Trump de l’accord sur le
nucléaire iranien ? Ne pensez-vous pas
que Donald Trump est en train de jouer à
un jeu très dangereux pour l’humanité ?
Oui, et il joue
avec une alliance objective avec
Netanyahu, avec l’Arabie saoudite, et il
ridiculise accessoirement l’Europe dans
cette histoire. Là encore, on ne peut
qu’être d’accord sur le danger de
déconstruire ce qui a été construit.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est
François-Bernard Huyghes ?
François-Bernard
Huyghe est un docteur d’État français,
directeur associé à l’IRIS (Institut de
relations internationales et
stratégiques), spécialisé dans la
communication, la cyberstratégie et
l’intelligence économique, et
responsable de l’Observatoire
Géostratégique de l’Information.
Docteur en Sciences
Politiques, le Dr. Huyghe dirige des
études doctorales au Cerege (Icomtec de
Poitiers). Il enseigne la sociologie des
médias et l’infostratégie au CELSA Paris
IV Sorbonne et à l’École de Guerre
Économique. Il fait de fréquentes
Interventions à HEC, à l’ENA, au Centre
de recherche sur les Menaces Criminelles
Contemporaines DRMCC, à l’IRIS, pour
l’ANVIE. Il dirige des recherches à
l’IR2I (Institut de Recherche en
Intelligence Informationelle).
Il est membre
scientifique du Conseil Supérieur de la
Formation et de la Recherche
Stratégiques et mène des recherches en
médiologie parallèlement à une activité
de consultant. Il a été fonctionnaire
international au secteur « Culture
Communication » à l’Unesco de 1984 à
1987.
Il est l’auteur de
nombreux ouvrages dont
L’information, c’est la guerre (2001)
;
L’ennemi à l’ère numérique
(2001) ;
Ecran / Ennemi Terrorismes et guerres de
l’information (2001) ;
Quatrième guerre mondiale Faire mourir
et faire croire (2004) ;
Comprendre le pouvoir stratégique des
médias (2005) ;
ADN et enquêtes criminelles ;
Maîtres du faire croire (2008) ;
Les armes non létales (2008) ;
Contre-Pouvoirs (2009) ;
Les écoutes téléphoniques
(2009) ; avec Alain Bauer
Les terroristes disent toujours ce
qu’ils vont faire (2010) ;
Terrorismes Violence et propagande
(2011) ;
Think tanks (2013) ;
Gagner les cyberconflits : au-delà du
technique (2015) ;
Désinformation Les armes du faux (2016)
;
Daech : l’arme de la communication
dévoilée (2017) ;
Fake news : la grande peur
(2018).
Son site
officiel
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Le
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