Algérie Résistance
Ben Schreiner : « Vous ne pouvez
simplement pas avoir la démocratie à la
maison et l’impérialisme à l’étranger »
Mohsen Abdelmoumen
Ben
Schreiner. DR
Dimanche 7 février 2016
English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2016/02/07/ben-schreiner-you-simply-cant-have-democracy-at-home-and-imperialism-abroad/
Mohsen Abdelmoumen :
Pourquoi qualifiez-vous l’année 2016
d’année de la barbarie dans un de vos
articles ?
Ben Schreiner : En
réalité, nous avons vécu bien plus d’une
décennie de barbarie, depuis que les
États-Unis l’ont lâchée sur le monde
avec le lancement en 2001 de leur
“guerre globale contre le terrorisme”.
2016 semble cependant se diriger vers
une aggravation dangereuse de cette
barbarie. L’économie mondiale, jamais
complètement remise de l’accident de
2008, est une nouvelle fois grandement
en péril. Aujourd’hui, tous les voyants
de la récession clignotent pour
quiconque veut les voir.
Entretemps,
les tensions géopolitiques exacerbées
par la crise économique sont dans un
état précaire, sans précédent depuis
probablement bien avant les deux guerres
mondiales du XXe siècle. On ne peut pas
dissimuler sous un tapis que les
puissances nucléaires sont actuellement
à couteaux tirés dans des points
explosifs instables allant de l’Ukraine
à la Syrie, et dans la mer de Chine
méridionale. L’avenir, bien sûr, n’est
pas prédestiné, mais 2016 paraît
certainement se diriger dans une
trajectoire qui mène vers plus de
barbarie.
On constate que le débat des
présidentielles aux USA ne comporte pas
d’enjeux et voit l’apparition de
tartufes comme Donald Trump. Comment
expliquez-vous cette baisse de niveau
dans la qualité des débats ?
Je pense que le caractère caricatural
de la politique présidentielle des
États-Unis, plus évidente dans la montée
d’un personnage comme Trump, est le
reflet de la crise de l’impérialisme
américain. Avec son hégémonie économique
en déclin, Washington a dû
nécessairement se tourner de plus en
plus vers l’agression militaire à
l’étranger. Mais les guerres ne peuvent
jamais être entièrement contenues à
l’étranger, elles reviennent
inévitablement à la maison. Ainsi, nous
voyons des choses comme la
militarisation des services nationaux de
police américains, les coups de filet
internes de l’Agence de Sécurité
Nationale (NSA), et, bien sûr, la
corruption politique de plus en plus
éhontée. Ces développements ont
régulièrement lézardé la façade de la
démocratie américaine. Vous ne pouvez
simplement pas avoir la démocratie à la
maison et l’impérialisme à l’étranger.
Les effets de cette contradiction
inhérente à l’Amérique moderne peuvent
se vérifier non seulement dans la
qualité des candidats présidentiels,
mais dans le grand débat politique
aussi.
Après le scandale de
Benghazi, il y a eu le scandale des
emails d’Hillary Clinton. Comment Mme
Clinton peut-elle se permettre de se
présenter à l’élection présidentielle ?
Comment expliquez-vous ce comportement ?
Est-ce du mépris envers les Américains,
mise-t-elle sur la mémoire courte des
électeurs, ou bien est-elle le joker de
lobbies puissants ?
C’est probablement une combinaison
des trois. Mais son état de service
auprès des puissants lobbies (Wall
Street et l’AIPAC en particulier) influe
énormément sur la probabilité de son
accession à la présidence, en dépit de
ses scandales innombrables.
Les États-Unis et la France
appellent à une intervention contre
Daech en Libye et ils ont sollicité
l’Algérie pour les aider. Pensez-vous
qu’il soit dans l’intérêt de l’Algérie
de s’impliquer dans une guerre résultant
du chaos semé par les Français lors de
leur intervention militaire en Libye et
dans tout le Sahel ?
Je ne suis pas à même de dire ce qui
pourrait être dans l’intérêt de
l’Algérie ou pas. Mais les archives
historiques sont sans équivoque en
démontrant que les États qui s’engagent
dans un partenariat avec les puissances
occidentales dans leurs entreprises
impériales sont rarement bien servis.
Certaines de nos sources dans
le renseignement évoquent de plus en
plus un redéploiement stratégique de
Daech vers la Libye, pensez-vous que des
interventions via des bombardements
pourront régler le problème en Libye et
au Sahel ? Sur quelles forces au sol
peuvent compter les Occidentaux en cas
d’intervention ?
Je pense que si la « guerre contre le
terrorisme » des États-Unis a prouvé
quoi que ce soit, c’est que le
radicalisme islamique ne peut être
vaincu par la force militaire
américaine. Partout où les États-Unis
sont intervenus militairement sous
prétexte de lutter contre le terrorisme,
nous avons vu Daech, al-Qaïda, et des
groupes apparentés se renforcer. Le cas
le plus célèbre étant l’Irak, où les
États-Unis ont été la sage-femme
d’al-Qaïda dans ce pays en l’envahissant
en 2003. Compte tenu de cela, il faut un
acte de foi pour croire que la poursuite
de bombardements occidentaux en Libye et
au Sahel pourra être différente d’une
façon ou d’une autre.
Pensez-vous que l’accord sur
le nucléaire iranien ne sera pas revu en
cas de victoire d’Hillary Clinton ?
Quel que soit le prochain président,
il y aura des éléments au sein du
gouvernement des États-Unis qui
chercheront à défaire l’accord sur le
nucléaire iranien. Ces éléments
pro-israéliens se sont établis depuis
longtemps dans les deux principaux
partis politiques (démocrates et
républicains), s’assurant qu’ils sont
bien placés pour avantager leur ordre du
jour, peu importe les flux et reflux de
la politique partisane intérieure.
On a remarqué qu’Israël et
l’Arabie saoudite étaient contrariés par
la signature de l’accord avec l’Iran, le
rapprochement des Etats-Unis avec l’Iran
résistera-t-il aux réticences des
Israéliens et des Saoudiens ?
Cela vaut la peine de noter que
l’affaire nucléaire iranienne a divisé
l’élite de la politique étrangère
américaine. Une partie de l’élite
américaine est tellement pro-israélienne
que tout ce qui est contraire aux
intérêts israéliens est faussement
considéré comme contraire aux intérêts
américains aussi. Cette faction
néoconservatrice est évidemment plus
réceptive aux pressions d’Israël et de
l’Arabie saoudite en termes de recherche
pour un recul de l’accord nucléaire
iranien. Un deuxième élément de l’élite
de la politique étrangère américaine,
cependant, voit l’accord nucléaire
iranien comme un élément essentiel pour
les États-Unis de commencer le retrait
partiel du Moyen-Orient nécessaire à la
réalisation dudit pivot vers l’Asie.
C’est ce dernier groupe qui a pris le
dessus dans l’administration Obama.
Laquelle de ces deux factions rivales
prévaudra à l’avenir dépendra
probablement et dans une large mesure
des résultats de l’élection 2016.
La présidence d’Obama a été
caractérisée par le retour d’une sorte
de guerre froide avec la Russie,
notamment dans les dossiers de l’Ukraine
et de la Syrie. Pensez-vous que
l’administration américaine a intérêt
d’être en conflit permanent avec la
Russie ?
Sous une administration rationnelle
qui mise sur la promotion des intérêts
du peuple américain, il n’y aurait
certainement aucun intérêt à attiser un
conflit permanent avec une puissance
nucléaire comme la Russie. Mais aucune
administration américaine n’est
rationnelle dans ce sens. Au lieu de
cela, nous avons des administrations
redevables à de puissants intérêts
corporatifs, le premier étant
l’industrie de l’armement. Et pour le
complexe militaro-industriel, un état
perpétuel de guerre froide contre les
rivaux impériaux comme la Russie et la
Chine est une façon rationnelle de
poursuivre la quête de rentabilité
continue.
En tant qu’observateur
politique et intellectuel américain,
quel est votre avis sur le bilan de la
présidence d’Obama ?
En termes de politique étrangère, la
présidence d’Obama a été en grande
partie un troisième et quatrième mandat
de l’administration George W. Bush.
Rhétorique mise à part, les États-Unis
ont été tout aussi agressifs sous Obama
que sous Bush en employant la force
militaire à l’étranger. Considérez qu’Obama
a intensifié la guerre en Afghanistan, a
renversé Kadhafi en Libye, a réintroduit
les troupes américaines en Irak, a fait
la guerre à la Syrie, et a lâché une
nuée de drones tueurs. C’est un sacré
bilan. Dans un monde vraiment juste,
Obama, comme Bush avant lui, passerait
ses jours post-présidence dans une
cellule de prison à La Haye.
Les médias alternatifs
sont-ils en train de remplir un rôle
essentiel pour contrer les médias de
masse peu crédibles qui obéissent à
différents groupes d’intérêts ? Sont-ils
devenus incontournables ?
Les médias alternatifs sont, et ont
longtemps été, une source vitale
d’informations censurées et de
perspectives alternatives. Ils ont
toujours été indispensables, en d’autres
termes. Et ils continueront sans doute à
être ainsi à l’avenir.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est Ben Schreiner ?
Ben Schreiner est un écrivain
américain diplômé en politique à
l’Université Willamette de Salem, en
Oregon. Il écrit sur la politique
américaine et la politique étrangère. Il
est l’auteur de « Un Dictionnaire du
peuple de la « Nation Exceptionnelle ».
Ses travaux ont été publiés dans
al-Akhbar English (Liban), Asia
Times Online (Thaïlande),
Common Dreams, CounterPunch,
Dissident Voice,Global
Research, MRzine,
NYTimes Examiner, The Phoenix
(Irlande), Press TV(Iran),
Socialist Viewpoint, War Crimes
Times, Z Magazine, et
autres. Ses apparitions dans les médias
ont lieu notamment dans RT et
Press TV.
Published in English in American
Herald Tribune, February 6, 2016:http://ahtribune.com/opinion/472-ben-schreiner.html
In Oximity, February 7, 2016:https://www.oximity.com/article/Ben-Schreiner-Vous-ne-pouvez-simplemen-1
Reçu de l'auteur pour
publication
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