Interview
Maître Nabila Slimi : « Le Dr. Ghediri
fait de son incarcération une lecture
purement politique »
Mohsen Abdelmoumen

Me Nabila Slimi.
DR.
Mardi 4 août 2020 English version here
Mohsen
Abdelmoumen : Vous êtes avocate et
vous faites partie du collectif
d’avocats défendant le Dr. Ali Ghediri,
ancien candidat à la présidentielle de
septembre 2019 en Algérie, et que j’ai
interviewé en avril 2019.
Pourquoi le Dr. Ghediri est-il en
prison ? Que lui reproche-t-on au
juste ?
Maître Nabila
Slimi : Le Dr. Ghediri est incarcéré
dans la prison d’El Harrach depuis le 13
juin 2019 pour deux accusations, la
première s’agissant de trahison et
d’espionnage. En effet, on accuse le Dr.
Ghediri pour complicité (avec un accusé
principal qui est un certain H.G.,
ancien président d’un parti politique)
et pour avoir livré à une puissance
étrangère ou à ses agents sous quelque
forme et par quelque moyen que ce soit,
un renseignement, objet, document ou
procédé qui doit être tenu secret dans
l’intérêt de la défense nationale ou de
l’économie nationale. Cette accusation
est citée et punie de la peine de mort
conformément à l’article 63 du code
pénal algérien.
La deuxième
accusation pour laquelle est poursuivi
le Dr. Ghediri, c’est d’avoir participé
en connaissance de cause à une
entreprise de démoralisation de l’armée
ayant pour objet de nuire à la défense
nationale. Cette accusation est citée et
punie par la réclusion d’une à cinq
années.
Il faut dire que
depuis le 10 juin 2020, la Chambre
d’accusation a décidé d’abandonner la
première accusation (la trahison) pour
absence d’éléments, mais a maintenu la
deuxième accusation et a transféré le
dossier du Dr Ghediri au Tribunal
criminel pour être jugé lors de la
prochaine session, ce qui n’est plus le
cas après avoir entamé un pourvoi en
cassation devant la Cour suprême.
D’après vous, le
Dr. Ghediri n’est-il pas victime des
règlements de compte politiques suite à
sa candidature à la présidentielle ? Le
Dr. Ghediri n’est-il pas un détenu
d’opinion, ou plus exactement un
prisonnier politique ?
Nous sommes dans le
tiers monde où l’on ne peut pas faire de
la politique sans risquer des
désagréments. De là à dire qu’il s’agit
d’un règlement de compte, tout est
possible, quoi que s’agissant du Dr.
Ghediri, il a pris soin, lors de toutes
ses interventions, de ne froisser
personne en particulier. Il s’est
attaqué au système sans citer un seul
nom. S’il y a des gens qui se sont
sentis visés, ce n’est guère la faute du
Dr. Ghediri. Sur un autre plan, lorsque
l’on a passé 42 ans de service dans
l’armée, ce n’est pas sans se faire des
amis mais aussi des ennemis, telle est
la vie ! Ce qui fait mal, c’est
justement ce mélange de genres auquel
ont recours certains pour se faire
prévaloir aux yeux des décideurs, ce qui
semble être le cas, confondant les
questions d’ordre professionnel avec
celles à caractère politique ; et la
scène politique devient ainsi un espace
non pas d’idées mais de coups bas.
Comment le Dr.
Ghediri supporte-t-il son incarcération
sachant qu’il est atteint du Covid 19 ?
Et comment sa famille supporte-t-elle
l’injustice subie par le Dr. Ghediri ?
Le Dr. Ghediri fait
de son incarcération une lecture
purement politique. Il considère sa
détention arbitraire et relevant
exclusivement de considérations
éminemment politiques. Il refuse de
s’abaisser au niveau de ceux qui ont été
derrière toute cette cabale.
Quant à sa famille,
ses enfants continuent toujours à servir
sous les drapeaux avec engagement et
dévouement, et nourrissent des valeurs
qui leur ont été inculquées par leur
père.
Ceci étant, sa
famille n’est pas sans souffrir de cette
injustice qui frappe leur père qui a
toujours servi son pays avec abnégation.
En tant
qu’avocate, que pensez-vous de la durée
de détention provisoire du Dr. Ghediri ?
N’est-elle pas exagérément
longue sachant que son dossier est
vide ?
Le dossier du Dr.
Ghediri est vide. Nous avons attendu une
année pour que l’instruction arrive à sa
fin et que la Chambre d’accusation
prononce son délibéré. Mais,
personnellement, j’ai été surprise par
sa décision d’abandonner la première
accusation concernant la trahison, alors
que la deuxième a été maintenue sans
aucun fondement. Le pire, dans ce cas,
c’est que la Chambre d’accusation a
qualifié le fait comme étant un
« crime » alors qu’il était qualifié
comme « délit » pour tous les autres
détenus politiques qui sont aujourd’hui
en liberté provisoire !
Bien évidemment, le
Dr. Ghediri, et même nous ses avocats,
avons refusé cette décision non fondée
et avons fait un pourvoi en cassation
auprès de la Cour suprême, mais cela va
prendre des mois, voire une année, pour
que le dossier soit renvoyé encore une
fois à la Chambre d’accusation pour
revoir le dossier du Dr. Ghediri devant
une justice à laquelle ce dernier croit
fermement.
Quel est son
état d’esprit sachant qu’il a servi
l’Algérie comme un vrai patriote ? Le
Dr. Ghediri ne mérite pas ce qui lui est
arrivé, comme ce fut le cas du Général
Benhadid. Ne devrait-il pas être
réhabilité ?
Le Dr. Ghediri,
pour ceux qui le connaissent, a un sens
aigu de la politique en général et du
militantisme en particulier. Il
considère que le sacrifice fait partie
de l’exercice de la politique et
constitue le couronnement de l’action
militante. C’est dans cet esprit qu’il
appréhende son incarcération, ce qui
n’est pas sans impacter son moral pour
le rendre résistant aux dures conditions
de la prison.
Il ne faut pas
perdre de vue que c’est un militaire et
qu’il est de ce fait préparé à toutes
les formes de résilience. Il prend les
choses avec beaucoup de hauteur et de
philosophie, ce qui est conforme à sa
condition et à son rang.
Quant à sa
réhabilitation, on remarque tous le
début de l’élimination du système
mafieux qui a régné sur le pays depuis
plus de vingt ans, où beaucoup de
personnes, militaires ou politiques, ont
été écartées à cause de leur honnêteté
et de leur courage face à des corrompus
qui ont été la cause de la situation
dans laquelle ce pays se trouve
actuellement.
Ceci dit, pour
l’intérêt public, il vaudrait mieux
prendre des décisions fortes et libérer
tous les détenus d’opinion en général et
les détenus politiques plus précisément
afin que tous contribuent à la
construction d’une nouvelle Algérie.
Le Dr. Ghediri a
servi plus de 40 ans dans l’ANP (armée
algérienne) et a été major de promo à
l’Académie militaire de Moscou où son
nom est gravé dans le marbre et où a été
formé entre autres le président Poutine.
Ce grand Monsieur n’est-il pas plutôt un
modèle de droiture et de probité pour
tous les officiers et les sous-officiers
de l’ANP ? Sa place n’est-elle pas
ailleurs qu’en prison ?
Comme vous le
dites, le Dr. Ghediri a été récompensé
plusieurs fois au cours de ses 42 ans de
service par des pays étrangers dont la
Russie, la Syrie et les États-Unis, et
la triste réalité, c’est que cela n’a
pas été le cas en Algérie, car au lieu
de lui rendre hommage après sa retraite,
on le met en prison juste parce qu’il
voulait être président de la république
et avait promis la rupture avec le
système.
Contrairement aux
autres militaires qui ont pris leur
retraite, le Dr. Ghediri a fait des
études en sciences politiques et a même
obtenu son doctorat avec une très bonne
mention. Il a fait aussi des études de
management, il parle trois langues
étrangères, et a beaucoup d’idées qui
peuvent être utiles pour résoudre les
problèmes dans différents domaines. Je
pense qu’il est temps de mettre fin aux
règlements de comptes et d’investir dans
toute personne ayant la capacité de
donner un plus pour le développement du
pays. Et, en étant proche du Dr. Ghediri
depuis son incarcération jusqu’à ce
jour, je ne pense nullement que ce
dernier hésitera à servir encore le pays
avec dévouement.
Je dois vous
avouer que je ne comprends pas cette
accusation « d’atteinte au moral de
l’armée » alors que ce grand Monsieur a
servi l’armée algérienne toute sa vie. Y
a-t-il une explication juridique à cette
accusation ?
Les donneurs
d’ordre se sont basés sur la teneur de
l’interview parue dans le journal El
Watan du 25/12/2018 pour trouver
matière à incriminer le Dr. Ghediri. Je
vous invite d’ailleurs à lire l’article
et je vous laisse seul juge. L’intéressé
considère qu’il s’agissait d’un
subterfuge pour justifier son
incarcération et l’empêcher ainsi de
participer aux élections présidentielles
projetées.
Êtes-vous
optimiste pour la suite sachant que
plusieurs hauts gradés et autres
officiers incarcérés injustement sont
libérés en ce moment ?
Personnellement, je
crois aux mesures d’apaisement prises
par le Président de la République et
telle est l’opinion du Dr. Ghediri.
C’est la raison qui l’a mené à
s’adresser au premier magistrat du pays
avec une lettre ouverte au mois de juin
dernier. Monsieur Tebboune nous parle de
ses bonnes intentions mais on aimerait
voir cela sur le terrain en commençant
par rendre justice à tous ceux qui ont
été victimes du système, dont le Dr.
Ghediri.
Comment
expliquez-vous qu’un homme qui a servi
le pays avec dévouement, issu d’une
famille respectable, se fait traiter de
cette manière, alors que certains
malfrats jouissent d’une liberté totale
?
Le Dr. Ghediri,
contrairement à d’autres personnalités,
a fait face à un clan mafieux et a
promis la rupture avec ce dernier, il a
voulu aussi se présenter aux élections
présidentielles. En conclusion, il
« dérangeait » beaucoup parce qu’il
était au courant du complot du cinquième
mandat et de ce qui se passait dans les
coulisses de ce système mafieux. Ceci
dit, sa présence sur la scène politique
ne plaisait pas à certains qui avaient
un autre projet pour l’Algérie.
Avez-vous un
message à adresser à l’opinion publique
ou aux autorités algériennes concernant
l’affaire du Dr. Ghediri ?
Je pense que le
message est déjà passé dans les deux
lettres écrites par le Dr. Ghediri que
ce soit dans la première lettre ouverte
destinée à tout le monde mais en
particulier au premier magistrat du
pays, ou dans la deuxième lettre datée
du 6 juillet dernier et destinée à
l’opinion publique, lorsque le Dr.
Ghediri avait décidé d’entamer une grève
de la faim qui a été rompue 6 jours plus
tard suite à sa contamination au Covid
19 dans la prison d’El Harrach. En
lisant ces deux lettres, vous allez
certainement trouver beaucoup de
messages tels que l’incarcération
injuste du Dr. Ghediri qui nécessite
vraiment une réaction du Président de la
République en tant que premier magistrat
du pays, conformément à la Constitution
algérienne.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est Maître
Nabila Slimi ?
Maître Nabila Slimi
est une avocate algérienne, membre du
collectif d’avocats en charge de la
défense du Dr. Ali Ghediri, ancien
candidat aux élections présidentielles
de 2019. Fille d’un père commandant de
l’ANP (Armée Nationale Populaire) décédé
en martyr en 1994 dans un accrochage
avec les terroristes à Constantine,
alors qu’elle était enfant, elle a suivi
des études universitaires et a été
licenciée en droit en 2008 à
l’université de Benyoucef Benkhedda à
Alger et s’est inscrite au barreau
d’Alger en 2011. C’est en militant au
sein d’un parti politique qui soutenait
la candidature à la présidence du Dr.
Ali Ghediri, général major de l’ANP à la
retraite, qu’elle a rencontré celui-ci
et qu’elle a appris qu’il avait bien
connu son père. Elle a quitté le parti
lorsque celui-ci a cessé de soutenir le
Dr. Ghediri et milite depuis pour un
État de droit sous le seul drapeau de
son pays. Maître Slimi défend le Dr.
Ghediri depuis le début de son
incarcération en juin 2019.
Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Le
dossier Algérie
Les dernières mises à jour

|