Sputnik -
Interview
Lebel N’Goran : antiterrorisme en
Afrique,
« la coopération russe est un
modèle »
Mikhail Gamandiy-Egorov
© Sputnik
Mardi 30 janvier 2018
Source:
Sputnik Mondialisation,
terrorisme, relations avec les anciennes
puissances coloniales, crises
politiques… l’Afrique subsaharienne fait
face à de nombreux défis, qu’analysent
pour Sputnik Lebel N’Goran, spécialiste
en stratégie et consultant en sécurité.
Pour y répondre, nombreux sont les
Africains qui misent sur une coopération
renforcée avec la Russie.
Lebel N'Goran
est analyste politique ivoirien. Il est
spécialiste des questions stratégiques
internationales, notamment en lien avec
l'Afrique et est par ailleurs le
représentant pour l'Afrique de l'Ouest
de l'entreprise russe Global Security.
Sputnik: En
qualité de citoyen de
Côte d'Ivoire, comment évaluez-vous
en tant qu'analyste la situation
politique et économique de votre pays,
ainsi que de l'Afrique
de l'Ouest en général?
Lebel N'Goran:
Merci pour l'occasion que vous me donnez
de partager mon point de vue sur mon
pays, la Côte d'Ivoire et l'Afrique.
Depuis 2011, la Cote d'Ivoire est
politiquement en arrêt. Une majorité
issue de deux partis anciennement
adversaires (PDCI et RDR) se partagent
le pouvoir sans réelle vision politique
et de développement. L'opposition,
divisée et inconséquente, est
inexistante ou pire carrément en
déconfiture programmée. L'après-guerre
présente une fracture politique due à
une justice absolument incompréhensible,
à une réconciliation en panne ou non
voulue. Politiquement, ce pays est en
arrêt. Économiquement, la croissance de
8% annoncée n'est pas ressentie par les
Ivoiriens. Une croissance non inclusive
dit le gouvernement. Un concept qui
signifie que le pays avance, mais
personne n'en voit les retombées. Nous
sommes dans un poker menteur. C'est
triste.
En Afrique de
l'Ouest, la bande sahélienne est menacée
par le terrorisme, tout comme le nord du
Nigeria. Il y a eu des attentats au
Burkina et en Côte d'Ivoire, une grande
première. Le Togo vit une situation
embarrassante politiquement avec un
président contesté, le Liberia donne des
lueurs d'espoir avec l'élection de
George Weah. Le Ghana poursuit une bonne
tradition démocratique et développe
surtout une économie locale structurée.
Elle a gagné le procès contre la Côte
d'Ivoire dans le golfe de Guinée et avec
les réserves de pétrole, elle va être un
pays qui compte.
Le Nigeria a du mal
à suivre les réformes de
l'administration Buhari. L'inflation
fait mal à l'économie et ce géant a
toujours du mal à se stabiliser.
Globalement, l'Afrique de l'Ouest est
statique économiquement et politiquement
depuis 5 ans. L'économie est tributaire
de la politique, c'est un cercle
vicieux. On a toujours les mêmes élans
des instances internationales: FMI, BAD,
BM… mais la réalité est toute autre.
Nous faisons du surplace.
Sputnik:
Nombre d'activistes africains, surtout
d'obédience panafricaniste, crient au
manque d'indépendance et de souveraineté
de plusieurs de pays de votre région.
Pour autant, les solutions proposées
pour y remédier diffèrent d'un acteur à
l'autre. Quelle est votre vision sur
cette question?
Lebel N'Goran:
Les indépendances sont de façade depuis
1960. Il faut être clair. Nous avons
encore des bases militaires étrangères
(françaises) en 2018. Une monnaie qui
dépend du trésor français. Oui, nous ne
sommes ni indépendants ni souverains.
Nous sommes de facto des banlieues, ou
des sous-préfectures. La faute est
partagée. Nos leaders n'ont aucune
vision stratégique, politique et, pire,
sollicitent l'ancienne puissance
coloniale dans la gestion des choses de
l'État. Nous sommes des pays, mais pas
des nations, ni des républiques puisque
les lois sont toujours subordonnées à la
violence dans bien de cas.
Il faut que les
Africains prennent en mains leur destin,
définissent leurs priorités, agissent
exclusivement pour le bien de leurs
populations. Il faut arrêter la
politique de la main tendue, se mettre
au travail avec des nations exemplaires
et modèles. Les Africains doivent
comprendre que la charité n'existe pas
dans les relations internationales. On
doit s'unir et travailler à rattraper
notre énorme retard. Il faut penser
l'Afrique de demain ensemble, entre
Africains. Et bien sûr accepter le
concours des nations amies,
véritablement amies.
Sputnik:
L'un des principaux défis du monde
contemporain est celui du terrorisme. La
lutte contre ce fléau est aujourd'hui la
priorité d'un grand nombre de pays,
pratiquement sur tous les continents.
Surtout lorsqu'on sait que certains pays
pensent que l'utilisation des groupes
extrémistes afin d'atteindre des
objectifs géopolitiques et
géoéconomiques est amplement justifiée.
Depuis les événements en Syrie, la
Russie est vue comme une sorte
d'avant-garde de la lutte
antiterroriste, surtout depuis
l'anéantissement à plus de 95% de Daech
en terre syrienne —dans lequel la Russie
a joué un rôle de premier plan. Comment
entrevoyez-vous la coopération
Russie-Afrique subsaharienne dans ce
domaine, sachant par exemple que
certains pays d'Afrique du Nord
collaborent déjà très activement avec la
Russie sur cette question?
Lebel N'Goran:
Les dispositifs antiterroristes sont
encore trop lourds en Afrique. Face à
une action terroriste légère, rapide et
dévastatrice, il faut une réponse
adaptée. C'est une guerre différente,
donc elle doit procéder avec un
dispositif différent. Tant qu'il y aura
de bons et de mauvais terroristes comme
au Mali, tant qu'il y aura des forces
étrangères occidentales positionnées
dans nos États, le terrorisme va grandir
et se renforcer. Nous allons assister à
une radicalisation des actions
terroristes. Nous importons de fait une
guerre dans laquelle nous n'avons aucun
intérêt, où nous ne sommes que
protagonistes par défaut. C'est une
erreur stratégique que de laisser de
développer ce cancer et ces bases
militaires étrangères. Nous allons
reproduire délibérément un écosystème
propice du terrorisme en Afrique.
A contrario, la
coopération russe est un modèle du
genre. Elle donne de l'autonomie et de
la compétence aux forces nationales. Il
ne s'agit nullement d'implanter des
bases à tout va, mais de permettre aux
forces locales de monter en puissance et
de gérer les situations en toute
indépendance. C'est cela, une
coopération efficace. Les Africains
doivent gérer leur sécurité en toute
autonomie.
Sputnik:
Professionnellement parlant, vous
représentez en Afrique de l'Ouest une
société russe spécialisée dans les
questions de sécurité. Localement, quels
sont vos principaux domaines d'activité?
L'expérience russe est-elle nécessaire
dans le domaine des livraisons de
technologies et celui de la formation?
Entrevoyez-vous aussi de faire venir des
spécialistes russes sur place pour des
stages de qualification, si cela ne se
fait pas déjà?
Lebel N'Goran:
Global Security («Global'naya
Bezopasnost») intervient dans tous les
domaines militaires, sauf pour les
questions d'armement et munitions. Nos
domaines d'activité sont le
contre-terrorisme, la surveillance
électronique et spatiale (scanner,
détection, drones..), la fourniture de
véhicules blindés militaires et civils,
les transmissions cryptées, le matériel
opérationnel pour les forces spéciales
et les unités d'intervention, les
matériels volants et navigants, les
hôpitaux militaires de campagne… et
surtout la formation en gestion des
forces armées, police, dans toutes les
composantes de leurs missions.
Nous aurons cette
année des visites d'experts venant de
Moscou. Il s'agit de voir les forces en
présence, de comprendre les
problématiques sur places et d'offrir
des services à la carte. Le domaine
sécuritaire demande une offre très
solide et complète, car les enjeux sont
très sensibles.
Il y a déjà des
contacts sur lesquels je ne peux pas
m'étendre pour des questions de
confidentialité.
Sputnik:
Vous appartenez à cette jeunesse active
africaine résolument tournée vers le
concept multipolaire du monde. Que
représente concrètement pour vous ce
concept? Quel avenir souhaitez-vous pour
les relations Afrique-Russie? Et
pourquoi selon vous l'exemple russe est
de plus en plus cité aujourd'hui comme
modèle de développement et
d'indépendance au sein de la jeunesse
africaine?
Lebel N'Goran:
Ces deux dernières décennies nous ont
démontré qu'un monde unipolaire est un
danger pour la stabilité du monde. Nous
avons en exemple l'Irak, la Libye,
l'Afghanistan, la Syrie… Le monde
multipolaire renvoie à un monde de
conciliation, à des décisions
collégiales sur la marche du monde. Il
ne s'agit plus de faire la guerre à des
pays sans mandat, sans tenir compte du
droit international ni de la
souveraineté. L'exemple de la Syrie est
édifiant. Comment peut-on armer des
terroristes contre un pays souverain? Et
prétendre offrir la liberté et la
prospérité?
La Russie revient
de loin. Depuis l'époque des Tsars
jusqu'à la Révolution d'octobre 1917, de
la Seconde guerre mondiale à la chute de
l'URSS, le peuple russe a toujours été
souverain et fort. La Russie est revenue
à sa place à force de travail. La Russie
est un exemple de nation qui se bat, qui
s'organise, qui s'impose et dit
fièrement au monde: nous avons gardé
notre héritage de peuple souverain. Je
suis personnellement admirateur des
maréchaux Gueorgui Joukov et de Vassili
Tchouïkov et surtout de la bataille de
Stalingrad. On peut vaincre, même quand
tout semble perdu.
La Russie est le
meilleur exemple historique et récent
pour la jeunesse africaine. Le cas de la
Syrie est un exemple de loyauté et
d'efficacité. La Russie est leader dans
de nombreux domaines: technologie,
informatique, éducation, agriculture,
énergie, aéronautique… L'exemple russe
est mieux adapté à notre culture et je
le rappelle les Russes n'ont jamais
colonisé de pays africain. Logiquement,
on ne tombe pas amoureux de ses
bourreaux! Nous sortirons du syndrome de
Stockholm bien plus vite que certains ne
le croient…
Sputnik:
Après la chute de l'URSS et une période
de reflux de l'influence russe,
on assiste dorénavant à un retour de
plus en plus évident de la Russie en
Afrique. Les élites
politico-économico-médiatiques d'un
certain nombre de pays le voient d'un
bien mauvais œil. En tant que partisan
des relations russo-africaines,
saurez-vous résister aux pressions qui
ressortent logiquement des opposants à
ces relations?
Lebel N'Goran:
Les temps changent. Les pressions sont
effectives, la perception des Russes
savamment entretenues, présente un
tableau effrayant pour dissuader la
connexion. La propagande a atteint ses
limites. Personne ne pourra empêcher ces
relations. Grâce à Sputnik, RT et autre
médias alternatifs, les barrières
s'évanouissent. Personne ne pourra
empêcher ces relations, la dynamique est
lancée.
Il faut que les
jeunes Africains et les Africains en
général révisent l'histoire. La Russie
est certes méconnue, mais elle est un
pays avec lequel on peut compter, une
nation amie.
Personne ne pourra
dicter le choix des amis et des alliés.
La Russie a toujours fait preuve de sa
fiabilité. Nous irons à la rencontre du
peuple russe et des intérêts russes.
Ni shagou nazad:
plus un pas en arrière.
© 2018 Sputnik
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Publié le 31 janvier 2018 avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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