Middle East Eye
L’affaire Salah Hamouri, une occultation
française
Hassina Mechaï
Affiche du
documentaire « L’affaire Salah Hamouri »
de Nadir Dendoune
Jeudi 4 février 2016
Un documentaire
retrace le traitement médiatique et
politique français de l’affaire Salah
Hamouri, alors que son épouse vient de
se voir interdire le retour à Jérusalem.
« Connaissez-vous Salah Hamouri » ?
« Connaissez-vous
Salah Hamouri ? ». C’est par cette
simple question que le comédien français
François Cluzet avait pu, un jour de
novembre 2009, à l’heure du repas
dominical, interpeller à la fois les
médias et les politiques français.
Devant un blond
journaliste vedette médusé et un
Jean-François Copé, alors porte-parole
du gouvernement, passablement gêné, le
comédien avait rappelé que « depuis
quatre ans, un Français de mère [était]
en prison en Israël […] pour délit
d’opinion simplement parce qu’il a dit
qu’il était contre la colonisation.
Personne n’en parle, vous ne savez même
pas qui c’est, Monsieur Copé non plus ».
C’est par cette interpellation que
débute le
documentaire « L’affaire Salah
Hamouri » réalisé par Nadir Dendoune.
Le propos du film
n’est en rien de reprendre le procès
attenté à Salah Hamouri par Israël. En
2005, alors âgé de 19 ans, cet étudiant
en sociologie à l’université de Bethléem
est accusé d'avoir projeté de tuer le
rabbin Ovadia Yossef, alors leader du
parti israélien ultra-orthodoxe Shas.
Autre chef d’accusation, son
appartenance au Front populaire de
libération de la Palestine (FPLP). Seule
allusion à ce procès dans le
documentaire, l’intervention de Léa
Tsemel, avocate du jeune homme. Cette
figure reconnue de la défense des droits
des Palestiniens indique que « dès le
début, ses droits ont été bafoués ».
Après avoir été
détenu trois ans sans procès, Salah
Hamouri avait dû se soumettre à la
procédure particulière dite « du
marchandage » ou du plaider coupable
pour ne pas passer quatorze ans en
prison. Le tribunal militaire l’avait
alors condamné à sept ans
d’emprisonnement.
Nadir Dendoune
tente surtout de comprendre pourquoi le
sort de ce jeune franco-palestinien qui
a passé sept ans dans les prisons
israéliennes a si peu intéressé en
France. Une interrogation d’autant plus
vive qu’à la même époque, le sort du
soldat franco-israélien Gilad Shalit
avait fait l’objet d’une intense
campagne politique et médiatique pour sa
libération. Ce jeune soldat avait été
capturé le 25 juin 2006, à la lisière de
la bande de Gaza, par des combattants
islamistes. Nicolas Sarkozy, alors
président de la République, appellera en
2008 personnellement à sa libération
tandis que la diplomatie française le
considérera comme « le seul Français
détenu en otage dans le monde », alors
que dans le même temps, Salah Hamouri
croupissait encore en prison sans
procès. À l’initiative de Bertrand
Delanoë, maire de Paris à l’époque,
Gilad Shalit sera également fait citoyen
d’honneur de la capitale française et
son portrait sera affiché sur le fronton
de l’hôtel de ville. À sa libération, il
sera reçu à l’Élysée.
Gilad Shalit, Salah
Hamouri, comme l’illustration du tout et
du rien que le documentaire illustre
parfaitement, sans parti pris mais en
obligeant au questionnement. Deux
Français, l’un érigé en cause nationale,
l’autre ignoré dans un silence épais, le
visible contre l’invisible, le soldat
contre le prisonnier politique. Ironie
ou pirouette sarcastique de l’histoire,
Gilad Shalit retrouvera la liberté fin
2011 en échange de la libération d’un
millier de prisonniers palestiniens,
dont Salah Hamouri… lequel avait de
toute façon presque purgé sa peine.
Ce que montre bien
le film de Nadir Dendoune, c’est qu’au
final l’affaire Hamouri est une affaire
éminemment française, qui révèle comme
un palimpseste jauni les ressorts et
tabous du pays. C’est ce qu’explique
admirablement l’historien Dominique
Vidal dans le documentaire : « La France
est l’un des pays qui a participé au
génocide des juifs. Cela pèse encore
dans la réaction du corps politique
français […]. Cette culpabilité pèse
dans la manière dont les autorités
politiques et médiatiques se confrontent
au conflit israélo-palestinien ».
Pour Nadir Dendoune,
les difficultés mêmes qu’il a
rencontrées pour que son projet
aboutisse traduisent ce malaise
français. Il a dû d’ailleurs, pour le
financer, faire appel au crowfunding :
« Je savais que ce film ne serait pas
simple à faire, à montrer, mais je ne
pensais pas que ce serait aussi
difficile. J’ai du mal à le faire
diffuser ou même simplement à ce que les
journalistes à qui j’ai fait parvenir
une copie en parlent. C’est une
spécificité française. En Suisse ou en
Belgique, la question palestinienne est
moins épineuse. C’est dommage car je
suis persuadé qu’il n’y a rien de pire
qu’une parole frustrée », déclare-t-il à
Middle East Eye.
« Certains ont peur
que cela envenime les tensions entre
juifs et musulmans, alors que ce n’est
pas la question, poursuit-il. C’est une
simple question de justice et de liberté
d’expression. Mais je commence à me dire
que quand la liberté d’expression
concerne la Palestine, ce n’est jamais
le bon moment. Cette attitude est
contre-productive : plus on évite ce
genre de débat, plus on alimente la
haine et l’impression qu’il y a deux
poids, deux mesures. Les journalistes
français semblent tétanisés dès qu’ils
entendent le mot Palestine et Israël ».
Une situation
confirmée dans le documentaire par
l’intervention de deux journalistes.
Charles Enderlin, journaliste
franco-israélien, remarque ainsi que
certains sujets sur la situation imposée
aux Palestiniens peuvent déclencher en
France « des réactions très vives » du
Conseil Représentatif des Institutions
Juives de France (CRIF) et de
l’Ambassade d’Israël notamment,
concluant qu’« il est très difficile […]
de couvrir la situation palestinienne ».
Autre analyse, celle de la grand
reporter de France 3 Gwenaëlle Lenoir :
« Salah Hamouri avait été arrêté et
condamné par un État considéré comme
démocratique. […] C’est oublier que le
système judiciaire israélien pour les
Palestiniens est un système de tribunaux
militaires. Et puis Salah Hamouri est un
Arabe. On s’occupe moins des Arabes dans
les médias français ».
Et maintenant,
vers une affaire Elsa Hamouri ?
L’affaire Hamouri
est-elle désormais close ? Pas si sûr,
si l’on tient compte du fait qu’en mars
dernier, le Franco-Palestinien a fait
l’objet d’un ordre militaire israélien
qui restreint ses déplacements dans les
territoires occupés pendant six mois.
Une restriction qui empêche de facto cet
étudiant en droit à l’université de
Birzeit, près de Ramallah, de passer son
examen pour devenir avocat.
Récemment, c’est
son épouse, Elsa Hamouri, qui s’est vue
interdire le retour à Jérusalem après
des vacances en France. La jeune femme,
enceinte de sept mois, a dû revenir en
France après un séjour en détention à
l’aéroport Ben Gourion alors qu’elle vit
et travaille au consulat général de
France à Jérusalem : « Je disposais d’un
visa consulaire de service valable
jusqu’en octobre 2016. On m’a
questionnée sur les raisons de ma venue
en Israël et si j’étais mariée. Puis on
m’a annoncé que je devais rentrer sur le
territoire israélien avec un visa
d’épouse et non un visa de service »,
explique-t-elle à MEE.
Dans la cellule
sommaire où elle attendra son expulsion,
Elsa Hamouri indique avoir dû protester
pour avoir accès à des médicaments
qu’elle avait dans sa valise et qu’on ne
voulait pas lui donner. « Il a fallu
l’intervention du consulat pour que je
puisse aussi obtenir du savon et une
brosse à dents », ajoute-t-elle.
Un double
argumentaire a été avancé par les
autorités israéliennes pour justifier
cette expulsion : d’abord, Elsa Hamouri
aurait menti pour obtenir ce visa de
service. « Or ce visa est demandé par le
consulat auprès du ministère des
Affaires étrangères israélien à qui
j’avais fourni mon passeport. Le
consulat savait que mon époux est un
ancien prisonnier politique et que mon
visa d’épouse avait été rejeté »,
précise la jeune femme. Face à ce refus,
la Française avait interjeté un appel
suspensif, ce qui lui permettait de
circuler sur la base de son visa
consulaire de service.
Autre argument
avancé par les autorités israéliennes :
Elsa Hamouri constituerait une
« menace ». « Le ministère israélien de
l’Intérieur a fourni un rapport pour
justifier de ce rejet de visa d’épouse.
Selon ce rapport, je serais un danger
pour la sécurité de l’État d’Israël et
j’aurais des activités terroristes. Le
rapport est vague, monté de toute pièce
et vide », affirme-t-elle.
Et la jeune femme
d’énumérer les atermoiements et freins
administratifs qui avaient de toute
façon ralenti la demande de ce visa
d’épouse : pièces justificatives sans
fin, lenteur dans la réponse, etc.
Pour Elsa Hamouri,
pas de doute, la raison de cette
expulsion est une simple question
politique : « Ils font de moi un appât
pour que mon époux me rejoigne en
France. Ils font de moi une terroriste
pour l’obliger à partir et pour qu’il
perde ainsi sa carte d’identité
d’habitant de Jérusalem, laquelle est
conditionnée au fait d’y vivre. En
outre, si l’enfant ne nait pas à
Jérusalem, il n’aura pas ce statut de
Hiérosolymite et pourrait être expulsé
comme moi ».
Le Quai d’Orsay a
été saisi et Elsa Hamouri a interjeté
appel de la seconde décision de rejet de
son visa d’épouse. Elle dit ne demander
que la stricte application de son droit
à une vie familiale et à résider auprès
de son mari à Jérusalem. La jeune femme
en est convaincue : « Tout est fait pour
présenter la chose comme un problème
administratif alors que c’est un
problème politique ».
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