Analyse
Le rêve des uns et le cauchemar des
autres
Michel Raimbaud
Michel
Raimbaud
Vendredi 24 janvier 2020
Il est dans l’air du temps de considérer
les épisodes troubles que nous vivons
aujourd’hui comme une réplique à ce que
furent hier les « années folles » de
l’entre-deux guerres. Ce n’est pas une
perspective encourageante, car cet
entracte convulsif de vingt ans tout
juste (1919/1939), loin d’être seulement
une explosion des libertés, un
foisonnement des innovations, une
envolée du progrès, allait déboucher sur
le festival de boucherie et d’horreur
que nous savons, suite logique de son
échec. Peut-on recréer un ordre
universel, alors que la moitié de la
planète reste sous le joug colonial ?
Rétablir la stabilité alors que quatre
empires viennent de disparaître, deux
d’entre eux, Russie et Allemagne, ne se
voyant nullement comme des vaincus, et
que le statut des deux « superpuissances
» coloniales est ébranlé par l’ascension
de l’Amérique ? Quand cette dernière
refuse d’adhérer à la Société des
Nations qu’elle a patronnée, comment
donc garantir la paix ?
Folles ou non, les
présentes années sont écervelées, ou
décervelées. Mais en 2020, l’heure n’est
plus à renifler un séisme attendu, car
celui-ci gronde déjà de toutes parts.
Pourtant, si le monde revisité est bien
devenu universel, l’Occident préfère
s’identifier à une « communauté
internationale » qui ne l’est pas. Le
refus de prendre en compte cette «
fracture » est à l’origine de la rage
et/ou de la démence de ses élites
pensantes, dirigeantes et rugissantes.
Pour ne parler que
de nos bons maîtres, nous dispensant
ainsi de parler de ses vassaux,
aimeriez-vous rencontrer au fond d’une
ruelle John Bolton, le schtroumpf
grognon, partir en croisière avec Pompeo,
le père fouettard de la diplomatie
étatsunienne, discuter des droits de
l’homme avec Nikkie Halley, la harpie du
Conseil de Sécurité ? Que feriez-vous si
Trump vous proposait de parler dans un
coin tranquille de la gestion de votre
plan d’épargne ? Ou d’écrire l’histoire
du Moyen-Orient avec Wolfowitz ?
Auriez-vous envie d’évoquer l’Irak avec
Mme Albright ou Dick Cheney, ou la
Palestine avec Jared Kushner ?
Pour comprendre
comment on en est arrivé à cette folie,
il est essentiel de répondre, quitte à
enfoncer les portes ouvertes, à
l’interrogation historique du génie qui
savait poser les bonnes questions, ce
George W. Bush, qui allait imprimer sa
marque indélébile à la Maison-Blanche,
de 2001 à 2009.
Tandis que Bill,
son frivole prédécesseur, avait fait du
bureau ovale un jardin secret, et que
Barack allait en faire une chaire d’où
il prêcherait la paix des Nobel tout en
faisant la guerre – par derrière - mieux
que quiconque, notre Debeliou (c’est le
nom de scène de Bush fils) transformera
les lieux en oratoire où l’on marmonne
entre bigots de pieuses oraisons avant
de prendre les décisions mettant à sac
la planète. Bien qu’il n’ait ni
découvert l’Amérique ni inventé la
poudre, il endossera la géostratégie
néoconservatrice du début de millénaire,
et le rôle de chef de file des « grandes
démocraties ».
Rattrapé sur ses
vieux jours par Alzheimer, Ronald
Reagan, premier à déclarer « la guerre
contre la terreur », ne se souvenait
plus avoir été Président. Retiré dans
son ranch, Debeliou, lui, consacre ses
loisirs à peindre de blancs moutons.
C’est un sain divertissement, dont le
choix témoigne d’une heureuse nature. Ce
« good guy » a manifestement la
conscience tranquille : n’a-t-il pas
accompli la mission qui lui avait été
confiée par le Ciel de guider l’Axe du
Bien au milieu de la cohorte des «
parias » ? Dans son cocon paisible,
comment aurait-il pris la mesure des
crimes qu’il a ordonnés et couverts, à
l’abri de toute poursuite de la Cour
Pénale Internationale ou de ses avatars,
le « monde civilisé » et ses succursales
n’étant pas de leur compétence. ? Il
n’aura jamais soupçonné, même en
cauchemar, la haine dont son Amérique
est l’objet, de l’arrière-cour
latino-américaine à l’Asie éternelle, en
passant par la complaisante Europe et ce
Grand-Moyen-Orient qui s’étend désormais
de la Mauritanie au Pacifique et du sud
de la Moscovie à l’équateur africain ?
Il mourra sans savoir que l’Amérique est
devenue sous son règne l’Etat-voyou par
excellence avant de sombrer dans le
banditisme « from behind » d’Obama,
puis carrément dans le gangstérisme
international de l’oncle Donald.
Notre propos d’aujourd’hui n’est pas de
faire, comme le veut la mode, une lettre
ouverte qu’ils ne liront pas à G. W.
Bush et ses ex-acolytes, ses
prédécesseurs ou ses successeurs. Il
n’est même pas de passer en revue les
fioretti du pape de l’Axe du Bien et
les florilèges de ses conseillers
neocons, dont le cynisme et
l’arrogance dépassent l’entendement.
Laissant Debeliou à ses petits moutons,
on essaiera de répondre in absentia
à l’angoisse métaphysique qui le
tenaille en 2001 alors qu’il s’apprête à
venger les attentats du 11 septembre en
semant mort, destruction et chaos dans
les sept pays programmés : l’Irak ; la
Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie,
l’Afghanistan, le Soudan.
C’est durant cette
phase particulièrement fébrile de sa vie
intellectuelle, le 20 septembre 2001,
que Debeliou, s’adressant au Congrès
sérieux comme un Pape, lance à la ville
et au monde la question « des Américains
» : « Pourquoi des gens peuvent-ils
nous haïr, alors que nous sommes si bons
? ». Il fallait y penser et aussi
l’oser, mais l’on sait depuis Audiard
que c’est à cela que l’on reconnaît les
gens que rien n’arrête. Puisqu’aux
Etats-Unis on est démocrate même quand
on est républicain, car c’est à peu près
la même chose, notre tribun répond, sûr
de son fait : « Ils haïssent ce
qu’ils voient dans cette salle : un
gouvernement élu démocratiquement. Leurs
chefs sont auto-désignés. Ils haïssent
nos libertés, de religion, d’expression,
notre droit de voter, de nous rassembler
et d’exprimer nos désaccords ».
Sans queue ni tête,
cet amalgame entre les « terroristes »
du 11 septembre (saoudiens pour la
plupart) et les sept pays précédemment
mentionnés, est évidemment arbitraire,
visant à justifier la « pensée
stratégique » qui va inspirer Debeliou
dans sa « guerre contre la terreur ». On
peut toutefois se demander si, visant
les « Etats préoccupants », il n’est pas
en train de dénoncer ses propres
impostures : « Nous ne sommes pas
dupes de leur feinte piété (…). Ce sont
les héritiers de toutes les idéologies
sanglantes du XXème siècle. (…) Ils
marchent dans la foulée du fascisme, du
nazisme et du totalitarisme. Ils
suivront ce chemin jusqu’à sa fin, dans
la tombe anonyme des mensonges répudiés
de l’Histoire ». Ne dirait-on pas
une condamnation des menées
néoconservatrices, dont la ceinture
verte arabo-musulmane est le théâtre
privilégié depuis un quart de siècle ?
Signe des temps et du ciel, des
Israéliens se poseront la même question,
comme Rishon Lezion dans le Yediot
Aharonot du 26 juillet 2006 :
Pourquoi nous haïssent-ils tant ?
On ne peut
s’empêcher de rappeler l’anecdote
rapportée en 2007 à la revue
Democracy Now par le Général Wesley
Clark, ex-commandant en chef des troupes
de l’Otan en 1999 en Yougoslavie, lors
de la dislocation de celle-ci par les
Occidentaux. Quelques jours après le 11
septembre, ce haut responsable se rend
au Pentagone, où sévissent alors Donald
Rumsfeld et Paul Wolfowitz. Il rapporte
un intéressant et surprenant dialogue :
- Nous avons
décidé de partir en guerre contre
l’Irak, lui dit-on.
- En guerre
contre l’Irak, mais pourquoi ?
demande W. Clark
- Je ne sais
pas. Je pense qu’ils ne savent pas quoi
faire d’autre.
- A-t-on trouvé
un lien entre Saddam et Al Qaeda ?
- Non…Rien de
neuf…Ils ont juste pris la décision de
faire la guerre contre l’Irak. Sans
doute parce qu’on ne sait pas quoi faire
des terroristes. Mais nous avons de bons
militaires et nous pouvons renverser des
gouvernements…
Trois semaines
après, on bombarde l’Afghanistan, et le
dialogue reprend : Toujours une
guerre en Irak ? Réplique : C’est
bien pire que ça. Voici un papier
expliquant comment nous allons nous
emparer de sept pays en cinq ans, l’Irak
d’abord, puis la Syrie, le Liban, la
Libye, la Somalie, le Soudan et, pour
finir, l’Iran. C’est ce programme
qui est suivi depuis vingt ans.
Paul Craig Roberts,
journaliste, ancien Secrétaire-adjoint
au Trésor de Ronald Reagan, économiste
inventeur de la Reaganomics,
l’affirme en janvier 2016 : « Le
gouvernement des Etats-Unis est
l’organisation criminelle la plus
achevée de l’histoire humaine ».
Robert Mac Namara parlera d’un « Etat
voyou »…Par leur présence militaire
(de 750 à 1200 bases dans tous les
recoins du monde), leurs implications
officielles passées (en Corée, au
Vietnam, en Yougoslavie, en Afghanistan,
en Irak) ou présentes (Irak,
Afghanistan, Pakistan, Somalie, Yémen,
Syrie), par leurs ingérences et leurs
intimidations secrètes ou avouées (au
Moyen-Orient, en Amérique Latine, en
Europe, en Asie), ils constituent la
plus grande menace contre la paix et la
sécurité. Sous la présidence de G. W.
Bush, les forces d’opérations spéciales
sévissaient dans 66 pays. En 2010, ce
nombre était passé à 75 selon le
Washington Post, et à 120 en 2011,
selon le Commandement de ces forces. En
2013, on en comptait 134, hormis les
guerres conventionnelles et les
opérations par drones (de plus en plus
fréquentes), le pacifique Obama ayant à
son actif une progression de 123%. En
2019/2020, les dépenses militaires US
devraient friser les 750 milliards de
dollars, soit environ 37 % du total
mondial : énorme mais, comme dirait
Picsou, « des cacahuètes » pour un pays
qui imprime lui-même ses billets !
Les opérations ne
sont pas forcément défensives (face à
des menaces contre la présence et les
intérêts de l’Amérique), ou
ponctuellement offensives (pour le
contrôle du pouvoir et l’accès gratuit
ou bon marché aux ressources, pétrole en
premier). Il s’agit de plus en plus
souvent, au Grand Moyen-Orient
notamment, de plans d’action préventive,
mis en oeuvre avec la couverture de
médias aux ordres qui se chargent de
justifier des crimes de guerre dûment
programmés en servant des narratives ad
hoc et des infos truquées. Ajoutons à ce
bilan les « sanctions » qui arrosent
tous les « régimes » qui déplaisent à
Washington, soit environ 120 pays de la
« communauté internationale ». C’est
beaucoup pour un axe du Bien.
Des millions de
victimes, de blessés, de réfugiés et
déplacés, des trillions de dollars
dépensés pour tuer ou détruire, le
résultat est accablant, mais il permet
de répondre à la question surréaliste de
Debeliou. Voilà pourquoi ils vous
haïssent tant, Mr Bush and Co.
L’invention
de l’Amérique
C’est par hasard
que Christophe Colomb débarque le 12
octobre 1492 sur une plage des Caraïbes
(dans les actuelles Bahamas, paradis
fiscal et centre de blanchiments
divers). Il pense être aux Indes, mais
on dira après coup qu’il a découvert
l’Amérique. Or, c’est déjà fait, des
Vikings ayant abordé et exploré ses
marges nordiques sept ou huit siècles
plus tôt. Et ce « nouveau monde » est
loin d’avoir une population clairsemée
ou d’implantation récente. Les
Amérindiens ont pour ancêtres des vagues
de migrants venus d’Asie… quelques
dizaines de millénaires plus tôt. Il
faudra attendre le 20ème siècle pour que
l’on admette qu’à la fin du 15ème les
Amériques comptent entre 45 et 80
millions d’habitants, autant que
l’Europe (environ 15% du total mondial).
Les autochtones seront moins de cinq
millions un siècle plus tard, rhume de
cerveau et varicelle ayant le dos très
large. Qu’est-ce donc si ce n’est pas un
génocide, le plus grand de l’histoire ?
Centre et sud confondus, c’est mal parti
pour les Amérindiens. Avant de n’y voir
qu’une lointaine réminiscence, il
faudrait interroger les descendants des
survivants, là où ils sont encore en
nombres conséquents, demander par
exemple à Evo Morales ce qu’il en pense…
On dira « oui mais
le Nord, ce n’est pas pareil ». En fait
un bon siècle plus tard, ce sera le même
scénario. Lorsque le « Mayflower » et
120 colons guidés par les « Pères
pèlerins » venus d’Europe y touchent
terre en novembre 1620, le territoire
est habité. Si la prise de contact est
pacifique, la prise de possession
ressemblera assez vite à un western
grandeur nature, où le tir à l’indien
sera le sport favori des « gardiens de
vaches », pour la distraction des
générations futures. Qui d’entre nous,
tapi dans l’anonymat des salles
obscures, n’a pas applaudi
frénétiquement les courageux cow-boys
quand ils abattaient à la chaîne des
Indiens emplumés tournicotant autour de
leurs chariots ?
Indomptables ou
denrée rare, les aborigènes seront
bientôt remplacés par des esclaves venus
d’Afrique. Pour ces derniers, les
décennies de supplice seront oubliées
sinon absoutes, grâce à la case de
l’Oncle Tom et au rêve de Martin Luther
King. La ségrégation est-elle pourtant
si ancienne qu’il faille l’oublier ?
Bref, le « rêve
américain » des immigrants européens se
traduira par un cauchemar pour les
Amérindiens comme pour les Africains
asservis. L’Amérique n’existerait pas
sans ce double cauchemar.
Le rêve
américain et le mythe de l’Amérique si
bonne
Intervenue dans le
cadre du rezzou de l’Occident sur la
planète, l’ascension irrésistible de
l’Amérique, dont le nom usuel illustre
l’annexion intellectuelle de deux
continents, a fait oublier qu’elle
devait son existence au génocide et à la
spoliation des Amérindiens, sa
prospérité en partie à l’esclavage, puis
au pillage des ressources d’autrui.
Qu’ils remontent à quatre siècles ou à
quarante ans, ces « souvenirs » ne sont
plus guère rappelés. Classés parmi les
faits accomplis selon la volonté divine
ou les miracles de la civilisation
européenne, il ne fait pas bon les
mentionner, sous peine d’être tenu pour
un redoutable pisse-vinaigre.
La diffusion
invasive du « rêve américain »,
génération après génération, est l’un
des résultats de l’accession de cette
fille de l’Europe au rang de puissance
dès la grande guerre. Dans la
mythologie, sinon dans la réalité, et à
en croire certains historiens,
l’intervention de l’Amérique aurait été
décisive dans la victoire de 1918, puis
dans l’organisation de la paix, avec la
création en 1920 de la Société des
Nations, ancêtre de l’ONU, grâce au
Président Woodrow Wilson.
Mais c’est surtout
à la faveur du second conflit mondial
que les Etats-Unis sont promus au rang
de superpuissance, libératrice, amicale,
ouverte et généreuse. Ce cliché aura la
vie dure, jusqu’à aujourd’hui, bien
qu’il soit battu en brèche. Il fera
oublier ce qui doit l’être :
-L’Amérique bonne
et pacifique reste le seul pays à avoir
trucidé à l’arme atomique trois
centaines de milliers de civils,
japonais en l’occurrence.
-Elle a une
tendance fâcheuse à bombarder avant de
libérer ou vice-versa, qu’il s’agisse de
l’Allemagne nazie ou des pays amis comme
la France.
-Elle est
impitoyable pour les vaincus ou ceux
tenus comme tels, voués à devenir des
AMGOT (Territoires Occupés par le
Gouvernement Américain). Notre pays
devra au Général De Gaulle d’avoir
échappé à ce statut peu flatteur.
-Elle est
volontiers hégémonique : après
l’Amérique (de l’Alaska à la Terre
de Feu) aux Américains de Monroe,
ce sera bientôt le Plan Marshall de
l’après-guerre, qui impose la
suzeraineté de Washington sur l’Europe
occidentale. Au prétexte d’aider à la
reconstruction, des armées de
fonctionnaires US établiront une tutelle
de facto sur l’ensemble des
administrations du vieux continent.
L’euphorie de l’époque et la crainte du
communisme feront gober cette sujétion à
notre Quatrième République…
Bien qu’elle se
soit présentée comme vertueuse et
protectrice face à l’URSS et au bloc
communiste, l’Amérique de la guerre
froide avait pourtant dévoilé certains
faux-semblants, une démocratie en
trompe-l’oeil malgré les alternances,
blanc bonnet et bonnet blanc,
autoritaire, oppressive et répressive,
n’ayant pas d’amis mais des intérêts,
pas de partenaires mais des vassaux, une
Amérique qui considère le monde comme
son arrière-cour. Mais elle préservait
l’essentiel de son aura, ses
défaillances restant des tabous.
L’accession à
l’hyper-puissance en 1991, à la fin de
la guerre froide, allait tétaniser la
planète, contraignant peuples et Etats à
un « choix » lapidaire entre la
soumission ou la destruction, la
prétention à l’hégémonie globale
débouchant sur un cauchemar pour ceux
qui refuseraient l’ordre imposé par
Washington et ses alliés…Voici donc le «
moment unipolaire américain » qui durant
vingt ans repoussera les limites de
l’arrogance et du cynisme.
Dès la chute de
l’URSS, on ne peut que noter ce mépris
croissant des institutions
internationales, du multilatéralisme,
des compromis, et cette tendance à peine
voilée à faire prévaloir la constitution
et les lois étatsuniennes sur la
légalité onusienne, des comportements
tels qu’on les dénonce sur les rives du
Potomac. Le vocabulaire travestissant
les mots et les concepts, les narratives
contrefaisant systématiquement faits et
réalités achèveront de rendre tout
dialogue insensé et toute diplomatie
illusoire. Simple exemple parmi
d’autres, la notion de Rogue State
qui, selon Avraham Shlaim, l’un des
« nouveaux historiens » israéliens,
professeur à l’Université d’Oxford, se
définit par les trois critères suivants
: (1) Violer régulièrement la légalité
internationale, (2) Détenir des armes de
destruction massive, (3) Utiliser le
terrorisme pour terroriser les
populations civiles. Destiné à cibler
Moscou ou Téhéran ou Damas, ce logiciel
dévoyé ne conduirait-il pas à
Washington, à Tel-Aviv, ou à telle
capitale « civilisée » ?
Dès la seconde
guerre d’Irak, les « grandes démocraties
» entameront leur longue dérive vers une
diplomatie du mensonge de plus en plus
insolente, prenant des libertés avec
règles et principes, en osmose avec leur
idole américaine et son coeur battant
israélien. Merci pour ce moment, dirait
un auteur contemporain.
Pourtant, à ce
stade, la pétulance de Bill, la pieuse
candeur de Debeliou, l’élégance
nobélienne de Barack ont un effet
anesthésiant sur les partenaires
occidentaux ou autres, réticents à voir
de la vilénie dans les postures de leur
bon suzerain. L’Amérique, Etat mafieux,
comploteur, peu fiable ? Tout mais pas
ça…On a pu se leurrer quant à l’ADN du
système américain, où se côtoient
l’esprit pionnier, la culture cow-boy,
le messianisme militant, le culte de la
réussite, les néoconservateurs
américano-israéliens étant les
gâte-sauces de ce cocktail détonnant,
degré zéro de la politique et de la
diplomatie. L’arrivée de l’oncle Picsou
aux affaires a eu le mérite de lever le
masque.
Pour l’Amérique
first, tout se vend tout s’achète,
rien n’est gratuit. Plus de
désinvolture, plus de discours bien
balancés, plus d’invocations célestes.
Mais des décisions brutales, un mépris
total de ce qui est autre, une ignorance
crasse des réalités du monde, une
approche éléphantesque, plus de
circonlocutions diplomatiques, plus
d’engagements internationaux, plus de
traités, mais des tweets provocateurs,
des pluies de menaces, des sanctions à
tous vents, des insultes à tout va.
Plus rien à
attendre de bon de l’Amérique si bonne.
Nixon doit se retourner dans sa tombe :
la théorie du fou est mise en pratique,
non plus comme un leurre, mais comme une
politique en soi, imprévisible,
insensée, violente, brutale. Ce n’est
plus un simple Etat sans-gêne, avec des
manières de mauvais garçons, mais un
Etat gangster, d’autant plus brutal et
menaçant qu’il n’a plus la maitrise des
situations. Chahuté et contesté, le
maître du monde ne sait plus où donner
de la tête, de la Syrie à l’Irak et
l’Iran et à la Russie, à la Chine, du
Venezuela à la Corée du Nord, de la
Turquie à l’Arabie et au Yémen.
Sommes-nous
tous des Américains ?
Raison de plus pour
apostropher les innombrables
propagandistes du « rêve américain »,
pour interpeller les multiples adeptes
et apôtres de cette « dame bêtise »,
Mère des gens sans inquiétude, Mère de
ceux que l’on dit forts, Mère des
saintes habitudes, Princesse des gens
sans remords, que stigmatise Jacques
Brel : Salut à toi Dame bêtise, toi
dont le règne est méconnu, Mais dis-le
moi, comment fais-tu, Pour avoir tant
d’amants, et tant de fiancés, Tant de
représentants et tant de prisonniers,
Pour tisser de tes mains tant de
malentendus, et faire croire aux crétins
que nous sommes vaincus.
On n’arrête pas ce
qui est en marche, qu’il s’agisse de la
république ou de la civilisation. Cinq
siècles et des poussières après la
découverte de l’Amérique par Christophe
Colomb, un certain Colombani allait
découvrir que « nous sommes tous des
Américains », assertion relevant de
la méthode Coué, aurait-on dit jadis. Il
n’en est rien. Malgré les efforts
ardents des beautiful people qui
gouvernent notre vieux pays, c’est
toujours du wishful thinking...
D’ailleurs,
serait-il vraiment sage pour un pays
aussi cartésien que la France de faire
comme si nous étions tous des
compatriotes de Debeliou, de Donald
Trump, John Bolton, Rumsfeld, Pence ou
Pompeo ? Si tel n’est pas le cas, quoi
qu’en pensent nos élites vol-au-vent, de
quel droit un gouvernement s’engage-t-il
au nom du peuple français, mais sans son
accord, dans des aventures dangereuses.
Pourquoi s’enferre-t-il sur des
positions injustes et illégales, au
mépris du droit international, des
principes de la charte onusienne,
violant les principes dont notre pays,
membre permanent du Conseil de Sécurité,
est censé être le gardien ?
Est-il nécessaire
de manifester une solidarité sans faille
aux pays agresseurs, l’Amérique et ses
complices orientaux, adeptes des «
frappes punitives », des crimes de
guerre, des occupations illégales de
territoires (syriens, irakiens ou
autres), des sanctions inhumaines ?
Est-il compréhensible que, dans
l’affrontement actuel entre Washington
et Téhéran, l’on choisisse d’appeler à
la retenue et au retour à la négociation
la partie, déjà sous blocus et sous
sanctions, dont un officiel vient d’être
assassiné ? Est-il honorable que l’on
marque sa solidarité avec un Etat qui
viole systématiquement lois
internationales et souverainetés, vole
ouvertement le pétrole syrien et
pratique l’assassinat ciblé au nom d’une
« doctrine Bethlehem d’autodéfense
préventive » ?
Non, décidément,
face aux évènements dramatiques qui
menacent à tout instant de faire
exploser la poudrière du Moyen-Orient,
mettant en péril une paix mondiale plus
fragile que jamais, la France n’a rien à
gagner à s’aligner systématiquement sur
des gouvernements sans foi ni loi ni
vergogne. Vingt ans après la question
idiote de Debeliou, dans nos pays où
l’on s’arroge « le droit de dire le
droit », tout se passe comme si penseurs
et décideurs n’avaient pas encore saisi
« pourquoi ils nous haïssent tant
». A l’heure de tous les dangers, ne
serait-il pas urgent d’accélérer la
réflexion et surtout d’en tirer les
leçons ?
Michel Raimbaud,
le 20 janvier 2020
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