Syrie
Alep : cachez-moi cette ville martyre
que nous ne saurions voir
Michel Raimbaud
Ruines à
Alep - afp.com/Dimitar Dilkoff
Paris 12 Mai 2014
La Syrie est confrontée à une guerre
sauvage, cruelle, impitoyable: 150 000
morts, des centaines de milliers de
blessés, des millions de déplacés et de
réfugiés (un habitant sur trois), la
destruction des habitations, des écoles,
des hôpitaux, des usines, des
infrastructures, le pillage du
patrimoine archéologique et culturel.
L’opposition prétendument pacifique que
soutiennent nos dirigeants et leurs amis
islamistes de Turquie, d’Arabie et du
Qatar a longtemps réussi à faire
illusion et à escamoter son écrasante
responsabilité dans ce bilan. Maintenant
que les langues se délient, nul ne peut
plus ignorer que la dite opposition n’a
pas attendu d’être submergée par les
djihadistes sauvages que nous voyons à
l’œuvre depuis deux ans pour prendre les
armes, ayant eu recours dès les premiers
jours de la crise à la provocation, à la
violence et au terrorisme. On ne perçoit
donc pas ce qui la prédestinait à
devenir la représentante légitime du
peuple syrien, mais les subtils
personnages qui nous gouvernent, se
prenant pour les petits maîtres du
monde, en ont décidé ainsi. Ils vont
d’ailleurs plus loin dans le cynisme en
gardant le silence sur les horreurs
commises par les djihadistes modérés et
les terroristes démocrates et en
attribuant au «régime» la responsabilité
du calvaire que vivent les Syriens.
Or ceux-ci, dans leur
grande majorité -il suffit d’écouter les
innombrables témoignages pour s’en
convaincre- ne voient qu’une issue pour
sortir de l’enfer: l’armée nationale,
dont l’intervention - n’en déplaise aux
tricheurs qui camouflent les réalités
dérangeantes - est souhaitée et non pas
redoutée, représente seule le salut.
Recrutée par conscription, elle est le
symbole de l’unité du pays. Avec le
Président Bachar al Assad, elle est la
garante de la pérennité de l’Etat et de
ses institutions. Les habitants des
quartiers touchés par la disgrâce de la
«révolution» font spontanément la
différence entre l’armée régulière et
les mercenaires sauvages qui prétendent
leur imposer un ordre d’un autre âge, et
il n’y a pas photo.
Ou, si photo il y a,
c’est pour immortaliser l’accueil fait
aux soldats venus les délivrer de leurs
soi-disant «libérateurs», comme
dernièrement à Homs. La mystification
n’a que trop duré. Il faut arrêter de
mentir aux Français et de s’enliser dans
la défense d’une cause pourrie. La
France, déjà partie prenante au
démantèlement de la Libye, ne peut
rester complice de la destruction de la
Syrie en y soutenant les terroristes
d’Al Qaida qu’elle prétend combattre en
Afrique, traquer Boko Aram au Nigéria et
fermer les yeux sur le martyre infligé à
la ville d’Alep par ses amis
djihadistes. Cette schizophrénie est
indécente.
Alep est un cas
d’école. Voilà deux ans déjà que la
capitale économique de la Syrie est
assiégée et en partie occupée par une
«opposition armée» infréquentable, sa
population étant punie de ne pas avoir
adhéré à la «révolution» islamiste.
Vigoureusement et ouvertement aidés par
un régime turc qui a levé le masque et
perdu toute raison, djihadistes,
terroristes, mercenaires (souvent venus
du Caucase et de l’Asie Centrale)
s’efforcent de briser la résistance des
Alépins.
On le sait
maintenant, les «grandes démocraties» ne
sont pas très chatouilleuses sur le
choix de leurs alliés et l’on constate
qu’elles assimilent volontiers le djihad
à une guerre pour la liberté et les
droits de l’homme (et/ou de la femme).
«Les gars du «Jabhat al Nosra»»,
succursale d’al Qaida dans la région,
«font du bon boulot», a osé dire un
ministre qui restera dans les annales.
Cette fine remarque,
que l’on excuserait à la grande rigueur
dans la bouche d’un pilier de café du
commerce, ne serait-elle pas déplacée
dans celle du chef de la diplomatie
d’une «grande démocratie» donneuse de
leçons ?
«Nous ne savions
pas», diront tous ceux qui n’ont pas
voulu savoir. L’expression rappelle des
souvenirs. Savoir quoi ? Que les
habitants d’Alep sont systématiquement
affamés et assoiffés par les rebelles
qui les ont pris en otages ainsi que par
leurs parrains turcs, déjà instigateurs
du pillage et du démontage de leurs
usines ? Qu’ils sont privés d’eau
potable, d’électricité, de
ravitaillement, de médicaments, au gré
des caprices de leurs «libérateurs»,
sans que la fameuse «communauté
internationale» (qui rassemble les
Européens et les Américains de l’Axe du
Bien) ne pipe mot, toute à sa fébrilité
dans la recherche de lycéennes enlevées
au Nigéria. Pas un mot des ONG, de la
Croix-Rouge, du HCR, de Navy Pillay
(l’ineffable du Conseil des
Nations-Unies pour les Droits de
l’Homme), du placide M. Ban, des
caciques de l’humanitaire méchant, pour
dénoncer ce blocus couvert par des Etats
qui se disent grands. Nous ne savions
pas ? Pas besoin d’être président,
ministre, responsable politique,
intellectuel, journaliste, pour se
renseigner et percer le mur de béton de
l’indifférence sélective, de la
désinformation massive, du mensonge
collectif. Il suffit d’être
raisonnablement honnête. L’espèce
serait-elle en voie de disparition dans
nos pays si contents d’eux-mêmes et si
confits en dévotion s’agissant des
droits et libertés chez les autres ?
Les victimes de la
guerre universelle menée en Syrie (la
moitié d’entre elles appartenant
d’ailleurs à l’armée, aux forces de
sécurité et aux comités de défense)
seront mortes victimes de la barbarie,
du mensonge, de l’indifférence. Nous ne
savions pas, diront-ils. Eh bien si, ils
savaient. Ils savaient même si bien
qu’ils ont sciemment, systématiquement,
enfumé leurs concitoyens dans un nuage
opaque de fausses affirmations, de
contre-vérités, de valeurs factices, de
tromperies. Qui osera donc leur demander
des comptes?
Resteront-ils impunis
comme c’est souvent le cas, tant il est
vrai qu’ils sont si puissants et si
nombreux ? Si un seul d’entre eux dans
le vaste monde était pris pour cible par
la Cour Pénale Internationale, comme un
africain ou un arabe du commun, cela
nous redonnerait espoir dans les valeurs
que nous voyons chaque jour bafouées,
bafouées par ceux-là mêmes qui les
brandissent afin de mieux cacher leurs
turpitudes.
Michel
Raimbaud
Ancien Ambassadeur de France
et professeur et conférencier au
Centre d’Etudes Diplomatiques et
Stratégiques (CEDS).
Ambassadeur en Mauritanie (1991-1994),
au Soudan et au Zimbabwe, Ministre
conseiller au
Brésil, 1988-1991.Officier de
l’Ordre National du Mérite Chevalier de
la Légion d’Honneur
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