Actualité
CETA : « Il n’y aura ni commerce ni
parts de marché
sur une planète morte »
Amélie Canonne, Maxime Combes
Mardi 23 juillet 2019
Source :
Basta
L’écologiste suédoise Greta Thunberg
s’exprimera à l’Assemblée nationale ce
23 juillet pour dénoncer l’insuffisance
des politiques climatiques. Le même
jour, le gouvernement français appelle
les députés à voter en faveur de la
ratification du traité de libre-échange
entre l’Union européenne et le Canada
(CETA). Un « terrible symbole de
l’aveuglement climatique », selon
les opposants à ce traité. Tribune.
Coïncidence du calendrier parlementaire
et/ou sombre ironie. Ce 23 juillet
l’Assemblée nationale recevra Greta
Thunberg, la jeune militante suédoise
initiatrice des grèves mondiales du
climat. La jeune femme visite les
capitales européennes pour alerter les
Parlements et les responsables
politiques des manquements
catastrophiques de leurs politiques de
lutte contre les dérèglements
climatiques, et pour les appeler au
sursaut, au nom de la jeunesse.
Or c’est ce 23
juillet que le CETA, accord de
libéralisation du commerce et de
l’investissement entre l’Union
Européenne et le Canada, sera soumis au
vote solennel des député.e.s. Quel plus
terrible symbole de l’aveuglement
climatique que cet accord qu’Emmanuel
Macron s’acharne à faire ratifier ?
Le CETA, une
« calamité climatique »
La Commission
Schubert, installée en juillet 2017 par
le gouvernement pour conduire une
analyse indépendante du CETA, avait
souligné le « manque d’ambition
environnemental » du traité, et mis
en évidence l’absence de dispositif
sérieux à même de répondre aux
impératifs de protection du climat,
telle que la limitation du commerce des
énergies fossiles ou l’existence d’un
mécanisme légal à même d’interdire les
pratiques de commerce ou
d’investissement dommageables au climat.
La nocivité du CETA
pour le climat et pour la planète
apparaît indiscutable : augmentation des
émissions liées au fret transatlantique,
encouragement des pratiques
d’agriculture et d’élevage les plus
intensives, incitation à la production
et l’exportation de carburants fossiles
ultra-polluants et émetteurs, emprise
accrue des lobbies industriels sur les
mécanismes d’élaboration des lois et des
normes relatives au climat et à
l’environnement, via les dispositions de
« coopération réglementaire »... Qu’ils
soient réels ou inventés, les bénéfices
du traité (restreints, et concentrés sur
quelques niches économiques) dont se
targue le gouvernement, et les éléments
de langage que mobilisent ses membres
depuis deux semaines, n’y changent
rien : le CETA est une calamité
climatique.
Les décideurs
nient que l’économie mondiale réchauffe
la planète
Or le traité signé
entre l’UE et le Canada n’est que la
pointe émergée d’un iceberg gigantesque,
dont il devient urgent de tout faire
pour s’éloigner : la politique de
commerce et de l’investissement de l’UE
et des grandes puissances, au service
d’une globalisation économique et
financière elle-même motrice de la
dégradation des équilibres écologiques
et climatiques mondiaux. Les signaux
d’alerte ne manquent pourtant pas, et la
visite de la jeune suédoise militante de
la cause climatique en plein cœur du
second épisode caniculaire de l’été
exacerbe dramatiquement l’ironie.
Car officiellement,
à Bruxelles comme à Matignon et à
l’Élysée, il n’existe aucun rapport
entre commerce et investissement d’une
part et climat d’autre part : on y
promeut l’un tout en prétendant
combattre l’autre.
Aucun rapport entre
l’accroissement du transport de
marchandises et l’augmentation des
émissions de CO2. Entre la déforestation
massive organisée par l’agro-industrie
et la réduction des moyens naturels de
capture du carbone, entre la
bétonisation opérée par la grande
distribution et la multiplication des
épisodes de chaleur extrême…
Officiellement aucun lien non plus entre
le pouvoir croissant conféré aux acteurs
industriels privés, via l’arbitrage
investisseur-État par exemple, et
l’impossibilité chronique à réglementer
en faveur de la transition énergétique
au plan local, national ou
international…
Comme si une forme
nouvelle de négationnisme climatique
s’était emparée des décideurs politiques
et économiques : il ne s’agit
bien-entendu plus de nier le
réchauffement climatique lui-même, mais
de nier que ce sont les règles qui
organisent cette formidable machine à
réchauffer la planète qu’est l’économie
mondiale qu’il importe aujourd’hui de
repenser.
Enclencher la
fonction « pause »
La science du
climat documente pourtant clairement le
lien de causalité existant entre
l’approfondissement des dérèglements
climatiques et la multiplication des
épisodes météorologiques extrêmes, dont
les canicules et les sécheresses.
Des parlementaires
lucides et responsables devraient se
rendre à l’évidence du seul choix qui
s’impose à eux : enclencher la fonction
PAUSE et se donner le temps de la
réflexion.
Les fondements et
les paradigmes inspirant la politique de
commerce et d’investissement de l’UE
datent de l’après-guerre, quand
l’expansion industrielle, l’urbanisation
et la globalisation des transports et
des échanges devaient jalonner le
cheminement de l’humanité toute entière
vers la prospérité ultime. Soixante ans
plus tard, il est temps de réinterroger
nos concepts, et de mettre à jour un
logiciel manifestement défaillant, bâti
sur la logique du moindre coût, et conçu
pour enrichir une minorité.
Le commerce
survivrait à un éventuel rejet du CETA
Il ne s’agit pas
d’en finir avec le commerce, à
contre-pied des caricatures fabriquées
par nos détracteurs : le commerce entre
l’UE et le Canada préexistait largement
au CETA, et il survivrait à un éventuel
rejet du traité, en France ou dans un
autre pays. Rappelons que la
structuration d’échanges commerciaux
entre nations a largement précédé
l’édification des premiers accords de
libre-échange, quand, il y a trois
siècles, les ancêtres des
multinationales d’aujourd’hui ont
entrepris de confisquer le droit
international, alors à ses prémices,
pour servir leurs intérêts immédiats.
La radicalisation
de cet effort politique, au lendemain de
la seconde guerre mondiale, s’est opérée
via la multiplication des accords
bilatéraux d’investissement dès la fin
des années 50 puis la sédimentation d’un
droit commercial aujourd’hui verrouillé
par l’OMC et sa douzaine d’accords, qui
constitue la base de tout accord
bilatéral de commerce signé par ses
membres.
Pas de commerce
sur une planète morte
Mais ces règles
n’ont rien d’inéluctables, elles
procèdent de choix politiques que la
France s’honorerait de questionner,
pour, par exemple, que la discrimination
entre énergies propres et énergies
fossiles soit désormais possible, ou
encore qu’un bien produit localement,
sans externalité climatique, puisse être
favorisé par rapport à son équivalent
transporté depuis l’autre bout du monde.
Quand les
promoteurs du traité la jouent « la
liberté [du commerce] ou la mort »,
oubliant sans doute qu’il n’y aura ni
commerce ni parts de marché sur une
planète morte, l’enjeu historique face
auquel les parlementaires français
doivent se déterminer est tout autre :
persister dans le modèle économique qui
détruit la planète, empoisonne des
millions de personnes et génère des
inégalités colossales, ou engager la
rénovation des règles internationales du
commerce et de l’investissement ?
Amélie Canonne [1]
et Maxime Combes [2]
Notes
[1] Membre d’Attac,
Amélie Canonne a conduit en France la
campagne européenne d’opposition au
traité transatlantique en tant
qu’experte en politique commerciales et
climatiques.
[2] Maxime Combes
est économiste spécialiste de
l’environnement et membre d’Attac. Il a
publié Sortons de l’âge des
fossiles ! Manifeste pour la transition
(Seuil, 2015).
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