Liban
« Le Grand Liban » à l’aube du second
centenaire :
Les divisions
confessionnelles ou
« La descente aux
enfers »
Marie Nassif-Debs

Marie
Nassif-Debs
Dimanche 27 septembre 2020 « Au milieu du
chemin de notre vie
je me retrouvai dans une forêt obscure,
dont la route droite était perdue. »
(Dante Alighieri)
Le recours du président de la République
libanaise, M. Michel Aoun, à la
comparaison entre notre proche avenir
avec «Géhennem» - l’enfer, si la classe
dominante dans notre pays échoue dans sa
tentative de former un nouveau
gouvernement, m’a remis à l’esprit le
premier livre de la « Divine comédie »
écrit, au tout début du XIVème siècle
par Dante Alighieri qui s’étendit sur la
description de l’enfer et ses différents
cercles afin de démontrer que celui qui
y pénètre doit abandonner toute
espérance.
Cependant, si Dante est descendu, de son
propre gré, en enfer afin de faire ample
connaissance avec sa structure et les
âmes damnées qui l’habitent, à savoir
les criminels de tous bords, à commencer
par les politiciens véreux ainsi que
tous les responsables corrompus et
corrupteurs ou, encre et surtout, ceux
qui ont trahi le peuple et la patrie,
« l’Enfer » évoqué par le président de
la République libanaise est tout autre.
En effet, « l’Enfer » dont parle notre
président n’a rien à voir avec celui
décrit par Dante où chaque responsable
est condamné selon les péchés commis
vis-à-vis du peuple ; c’est plutôt le
précipice sans fond dans lequel la
classe dominante libanaise va jeter le
peuple libanais affamé, mais toujours
divisé à cause du confessionnalisme,
d’une part, et par suite de la
domination des émirs des « taifas » sur
l’État et ses institutions qu’ils
utilisent afin d’empêcher, ou de
contrecarrer, toute possibilité de
soulèvement populaire, d’autre part.
Voilà pourquoi les réactions négatives
au discours de M. Michel Aoun sont loin
d’être finies…
Il faut dire que M. Aoun n’est pas
« n’importe qui ».
Il est, en principe, le président du
pays, et, à ce titre, le responsable de
la bonne application de la Constitution
et de la sauvegarde du peuple, et non un
expert étranger ou un journaliste qui
analyse la situation libanaise à travers
un article paru dans un quotidien. En
d’autres termes, il est responsable, non
pas seulement de présenter un
compte-rendu de la réalité, mais
d’avancer des solutions adéquates visant
à changer cette réalité et, surtout, à
empêcher la chute de la population
libanaise dans l’enfer de la famine
après être tombée dans l’indigence et le
dénuement à cause des politiques
économiques et financières pratiquées
pendant trois décennies. Ces politiques
ont abouti, comme chacun sait, à
l’effondrement des salaires et des
retraites, mais aussi à l’évaporation du
contenu de la Caisse nationale de la
sécurité sociale ainsi que de l’argent
des petits épargnants (les grosses
fortunes ayant pris la fuite, depuis le
début de 2019, vers les États-Unis,
l’Europe et d’autres paradis fiscaux).
Et, n’oublions pas la fermeture de
dizaines de milliers de PME et le
licenciement de quelques centaines de
milliers de travailleurs qui ne savent
pas comment joindre les deux bouts avec
leurs familles… A toutes ces calamités
est venue s’ajouter la catastrophe du 4
août, due à l’explosion du port de
Beyrouth qui tua plusieurs centaines de
personnes et éventra des dizaines de
milliers d’immeubles ; explosion suivie
quelques semaines plus tard par des
incendies dont les flammes ont mis fin à
des tonnes de produits alimentaires et
autres denrées stockés dans quelques
entrepôts voisins.
Et, afin de ne pas faire beaucoup de
digressions en essayant de présenter une
situation que le monde entier connait
déjà, et qui va coûter au Liban plus de
quarante nouveaux milliards de dollars
que nous devons ajouter à une dette
publique dépassant les cent milliards et
au transfert vers l’étranger de toutes
les fortunes colossales gagnées sur les
deniers publics volés, nous disons
clairement que le président de la
République libanaise ainsi que tous les
présidents qui l’avaient précédé sont
les premiers responsables de ce qui se
passe sur le territoire de notre pays,
et leur responsabilité est égale à
toutes celles des membres de la classe
dominante, que ce soient ceux qui nous
gouvernent actuellement ou ceux qui se
sont désisté à la suite du soulèvement
du 17 octobre 2019.
Oui, ils sont tous responsables des
malheurs qui nous tombent sur la tète,
tant à cause des politiques qu’ils ont
adoptées qu’à cause de la corruption et
du clientélisme qu’ils ont toujours
pratiqués et, surtout, des tutelles
étrangères, régionales et
internationales, qu’ils recherchent sans
cesse, allant même jusqu’à demander à
certaines puissances de venir nous
gouverner !!!
Le président Aoun est, donc, le premier
responsable de ce que nous vivons depuis
cinq ans. Et il ne suffit pas de répéter
qu’on lui a mis des bâtons dans les
roues pour se démarquer des autres,
parce qu’en tant que président de la
République il aurait pu, s’il l’avait
voulu, dévoiler ce qui se trame contre
les intérêts du pays mais aussi jeter
son gant à la face de ceux faisait
obstacle aux réformes et appeler à une
Conférence nationale constituante afin
de redessiner les grandes lignes d’un
nouveau régime démocratique et non
confessionnel et d’un État de droit…
Nous lançons ce défi bien que nous
soyons sûrs que ni le président de la
République ni aucun de ceux qui
partagent le pouvoir avec lui de par le
régime des quotas confessionnels
instauré au Liban n’est prêt à se
dessaisir « du fauteuil » qu’il occupe
en faveur de la sauvegarde de la patrie…
Nous lançons ce défi aussi pour attirer
l’attention de notre peuple sur le
danger d’une nouvelle guerre
confessionnelle qui se profile dans les
discours tenus par tous les émirs des
confessions religieuses du pays, dont
certains vont même jusqu’à poser le
problème de la résistance contre
l’entité israélienne tandis que d’autres
font barrage à tout changement au nom de
cette même résistance. Une guerre dont
l’enjeu réel est les richesses
découvertes dans les eaux territoriales
libanaises ; richesses qui peuvent, si
elles sont bien gérées, garantir le
développement du pays, mais qui,
malheureusement, suscitent l’appétit de
ceux qui tiennent les rênes du pouvoir
ainsi que les puissances internationales
et régionales.
Nous lançons ce défi tout en sachant que
l’image de Géhennem - l’enfer, dessinée
par le président Aoun le 21 septembre,
est très proche de notre vécu, surtout
que les réserves en dollars sont au plus
bas et que le gouvernement sortant de
Hassan Diab n’a rien fait ni pour
récupérer l’argent volé ni pour mettre
en œuvre les mesures nécessaires
capables d’arrêter la dépression
galopante. Cela veut dire que la livre
libanaise ne peut que poursuivre sa
chute libre face au dollar ; en même
temps, on prévoit la fermeture
d’entreprises, surtout dans le domaine
du tourisme, entrainant le chômage des
centaines de milliers de nouveaux
travailleurs(femmes et jeunes notamment)
qui viendront s’ajouter, ainsi que leurs
familles, aux deux millions de démunis,
et l’on s’attend à ce que l’État ne soit
plus dans la possibilité de payer les
salaires et les retraites… Tout cela, en
plus de la pénurie des denrées
alimentaires et des médicaments qui
deviennent de plus en plus chers, ne
manquera pas de provoquer l’extension
des maladies et de la mort parmi la
population.
Nous lançons ce défi tout en sachant
bien que si Moustapha Adib arrive à
former un nouveau gouvernement, ce que
nous en doutons*, ce gouvernement ne
sera pas meilleur que ses prédécesseurs
et il n’arrivera pas à trouver les
solutions aux crises aigües auxquelles
nous faisons face ; d’ailleurs, toutes
les aides proposées, à commencer par le
Fond Monétaire International (FMI) et
toutes les puissances capitalistes qui
le dirigent et à finir par la Turquie et
l’Iran, ont leurs agendas propres et
leurs objectifs qu’ils ne prennent pas
la peine de cacher. Et nous savons bien
que dans de pareils cas, pleurer sur les
ruines, à l’exemple des poètes de la
Djahiliya, est inefficace, tout comme
certains slogans creux brandis par des
forces dites « révolutionnaires », parce
que de telles manifestations verbales ne
peuvent ni éloigner notre peuple du
danger de « la descente aux enfers » ni,
surtout, pousser les corrompus et les
corrupteurs vers cet enfer qui nous est
destiné.
Que faire, alors ?
Des mesures rapides et concluantes
doivent être prises dans le sens du
rassemblement des représentants des
forces politiques, syndicales et
populaires radicales afin d’unir leurs
efforts pour tenir une Conférence
nationale constituante…
Le but d’une telle Conférence ?
L’élection d’un Comité démocratique
susceptible de diriger le pays, d’une
part, mais aussi de mettre au point un
programme minimum de sauvegarde
patriotique basé sur deux assises : la
première, la rédaction d’une nouvelle
Constitution mettant les institutions à
l’abri des quotas confessionnels (avec
ce que cela exige sur le plan de
l’instauration d’une nouvelle loi
électorale) ; la deuxième, la
proclamation de nouveaux statuts
personnels civils qui mettront fin aux
divisions intestines du peuple sur des
bases erronées parce que n’ayant rien à
voir avec la lutte de classe.
Ainsi, le Liban sera vraiment mis sur la
voie qui le mènera vers des horizons
radieux.
Marie Nassif – Debs
Article paru le 25 septembre sur
https://assakafat.blogspot.com/2020/09/blog-post_25.html
Traduit le 27 septembre 2020)
Le sommaire de Marie Nassif-Debs
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