Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Que dirait le
Général de Gaulle
aux Français
d'aujourd'hui ?
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 24 novembre 2017
Français,
Françaises, nous avons deux voisins.
L'un se trouve à portée de voix: la
Russie; l'autre habite un continent
d'au-delà des mers, distant de six mille
kilomètres de nos rivages, mais qui,
depuis soixante douze ans, a planté cinq
cents garnisons armées jusqu'aux dents
sur nos terres et qui manifeste la ferme
intention de ne jamais repartir.
Notre tâche est
donc aussi claire qu'évidente: il nous
faut retrouver la souveraineté de notre
patrie et celle du continent de
Copernic, de Descartes et de Voltaire.
La question n'est plus que de savoir
quel rôle la Russie jouera dans la
configuration nouvelle du globe
terrestre qui s'ouvre devant nous, mais
de tracer clairement les premiers
contours d'une civilisation dont le
centre de gravité serait franco-russe.
Le premier devoir
d'un chef d'Etat informé de l'histoire
réelle des nations est de réfuter la
prédéfinition de la nature même des
relations internationales que l'on tente
de faire triompher. Qu'en est-il du
concept "d'ingérence" si
artificiellement contrefait? Imaginons
une France du XVIIe siècle qui n'aurait
pas consacré toutes les forces de sa
diplomatie afin de tenter de faire élire
un pape favorable à ses intérêts
nationaux par le cénacle des cardinaux,
à l'heure où l'Eglise traçait les lignes
de force du gallicanisme. Certes, le
pape élu était censé se trouver
expressément choisi par la volonté
souveraine de la divinité en personne,
mais il fallait lui prêter une main
vigoureuse, comme il faudra trois
siècles plus tard, prêter non moins
énergiquement la main au fameux "processus
historique" du marxisme afin qu'il
voulût bien porter au pouvoir une classe
dirigeante issue de la sainte volonté du
prolétariat mondial.
Or, la Russie n'est
pas seule : à ses côtés, la Chine et
l'Inde dressent déjà leur immense
silhouette. Il nous faut donc nous
demander de la manière la plus pressante
comment nous ferons du monde de demain
une civilisation de la pesée des âmes
vives et de la pesée des âmes mortes de
Gogol.
Il apparaît de plus
en plus clairement que la Chine entend
exercer une souveraineté pleine et
entière sur l'Asie centrale et que
l'heure sonnera donc inévitablement où
la Russie aura besoin de l'Europe pour
fonder avec elle un duumvirat à
l'échelle planétaire. Si, entre temps,
nous n'avions pas clairement pris
conscience de cette situation et si nous
ne l'avions pas théorisée dans tous ses
détails, comment pourrions-nous
seulement rêver d'un réembarquement pour
les Etats-Unis des cinq cents bases
militaires qui occupent l'Europe depuis
1945 et, avec plus de fermeté encore,
depuis 1949, date du déclenchement de la
guerre froide?
Nous nous trouvons
donc d'ores et déjà placés à un tout
autre carrefour de l'histoire du monde,
celui d'une mutation du regard du genre
humain sur lui-même et sur son destin.
Cette situation n'est pas nouvelle: au
IVe siècle, un ancien préteur romain,
saint Ambroise, avait tenté d'apposer le
sceau du christianisme sur l'histoire du
monde - mais la langue de l'empire
romain était empreinte de la lourdeur,
de la lenteur et des solennités du
temporel. Elle n'était pas en mesure de
christianiser l'univers. Il a fallu
attendre sa mutation interne pour que
saint Augustin pût entrer dans le combat
de christianiser la langue de Cicéron.
Avec Les Confessions de cet évêque, le
latin a acquis une sensibilité, une
douceur, un souffle spirituel, une aura
inaccessibles aux Salluste, aux Pétrone
ou aux Quintilien.
C'est ce nouveau
diapason de la langue française qu'il
s'agit de conquérir. De nos jours, on
voit des auteurs briser le rythme du
français classique, afin de semer
partout des surprises et de l'inattendu.
Andocide pour les Grecs, Pétrone pour
les Romains ont tenté de comprimer et de
donner un pas hyper-pressé à l'éloquence
latine; mais celle-ci n'y était
nullement préparée. C'est l'âme et la
tonalité du français qu'il faut donc
porter à un autre niveau, et cela ne se
fera que dans la continuation de la
métamorphose du latin sous la plume de
l'auteur des Confessions.
Rousseau avait
compris cela d'instinct: il était allé
porter de nuit ses propres
Confessions sur l'autel de la
cathédrale Notre-Dame de Paris. Mais les
temps n'étaient pas mûrs et son génie
était trop épris d'un spectaculaire
superficiel pour qu'il pût porter le
génie français à une nouvelle
souveraineté intérieure de la pensée
occidentale et étendre le champ de son
regard à une lucidité transcendante aux
grigris collectifs planétaires qu'on
appelle des théologies.
Dès les jeux
olympiques d'hiver de Stochi en 2014, il
était devenu bien évident que la Russie
entendait placer cette compétition
internationale sous le signe de
relations prospectives entre
l'internationalisme de la culture
française et l'internationalisme
immanent à la culture russe. Depuis
lors, il est devenu encore plus évident
que l'espèce humaine ressortit à une
animalité cérébralisée et prospective et
que seules la Russie et la France
bénéficient d'une disposition innée à
faire entrer une anthropologie critique
en mesure de forger une intelligentsia
scientifique capable de comprendre la
signification d'une religion chrétienne
construite sur le mythe d'une divinité
censée se subdiviser en trois
"personnes", un "père", un "fils" et un
"Saint esprit".
Cette construction
familiale de l'origine, de la finalité
et des intentions du cosmos ne devient
intelligible au sens psychophysiologique
du terme que si l'une ou l'autre
civilisation dispose de moyens virtuels
de comprendre la Trinité sur le terrain
psychogénétique, donc anthropologique.
Car toute divinité repose évidemment sur
une symbolique et un Dieu symbolique ne
saurait se donner une progéniture
physique, ce qui signifie que le Père et
le Fils sont tous deux des personnages
symboliques et que le Saint Esprit qui
les soutient ou les chapeaute se révèle
symbolique à son tour.
Pour préciser la
nature et l'avenir d'une civilisation
franco-russe, il nous faut donc une
réflexion capable de décrypter les
fondements anthropologiques de ce mythe
de la trinité, puisque c'est du vêtement
de ce mythe-là que le christianisme
s'enveloppe depuis vingt siècles. Quand
deux civilisations s'entendent sur un
cadrage aussi fondamental, elles ne
peuvent que s'approfondir ensemble. Or,
si l'Occident catholique attelle le Père
et le Fils à la charrue de l'histoire,
l'orthodoxie russe les subordonne tous
deux à un personnage insaisissable,
réputé les chapeauter de haut et censée
avoir débarqué sur la terre avec la
Pentecôte.
Fonder une
anthropologie critique capable de
radiographier ce mythe, c'est se donner
l'arène d'une réflexion fidèle à la fois
au "connais-toi" socratique et aux
Confessions d'Augustin qui, pour la
première fois, a élevé le genre humain
au rang d'un interlocuteur de lui-même
et de personne d'autre.
L'approfondissement
de la connaissance scientifique sur
l'anthropologie d'une divinité
trinitaire, met donc nécessairement la
France et la Russie en dialogue sur le
mode le plus originel possible, celui de
la définition de la hauteur et de la
bassesse, de la grandeur et de la
petitesse, d'un aristocratisme des
sommets et des ruptures de l'ignoble.
Qu'on le veuille ou
non, il faudra donc forger des âmes
capables de féconder la civilisation
franco-russe à partir de l'évidence
qu'aucun démiurge ne s'est attardé à
créer des plaines, des montagnes, des
mers et des fleuves. Il faudra bien
forger une humanité qui acceptera qu'il
n'y ait personne dans son dos, qui
acceptera comme une évidence qu'il
existe des milliards de soleil en feu et
des vermisseaux acharnés à ramper sur
une petite boule instable. Une
civilisation du néant est à nos portes -
à nous d'apprendre à féconder le vide et
le silence de l'éternité. Pour cela, il
nous faudra, comme l'écrivait Balzac, à
"arracher des mots au silence et des
idées à la nuit".
Mais ne sommes-nous
pas déjà en route sur ce chemin-là,
puisque nous retrouvons, à ce carrefour
l'homme qui savait qu'il ne savait rien
et qui avait fait de la science de son
ignorance, l'objet même de la
philosophie occidentale? Déjà nous
observons comment l'étau de l'OTAN se
referme sur elle.
24 novembre 2017
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