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Les défis de l'Europe

La balance à peser la mort de l'Europe

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Vendredi 16 mai 2014

1 - Une Liberté vassalisatrice
2 - Psychophysiologie de la vassalité
3- Une leçon d'histoire
4 - Lavrov et le droit international
5 - La stupidité politique
6 - Le livre d'images de la démocratie mondiale
7 - Le mutisme de l'expérience
8 - Le tonneau de poudre de la sagesse politique
9 - La gérontologie expérimentale
10 - La spéléologie de la mort
11 - Les prémices d'un réveil
12 - La dignité des nations

1 - Une Liberté vassalisatrice

Qu'y a-t-il de plus fascinant dans la course des civilisations à l'abîme dont la gueule s'ouvre sous leurs pas? Regardez-les déambuler, le regard vague et l'esprit ailleurs, alors que tout le monde voit le précipice béant devant les Etats ! Personne ne songe à aiguiser l'acuité visuelle des nations, personne ne regarde droit dans les yeux la mort s'avancer à visage découvert, personne n'observe le rabougrissement du champ de vision des élites, personne ne calibre les mâchoires de la nuit.

L'Ukraine présente un exemple hallucinant de l' auto-vassalisation spontanée des cerveaux et des cœurs. On veut ramener l'horizon au pré-carré d'une raison politique artificiellement rétrécie, on veut localiser les évènements sur quelques arpents, alors qu'il s'agit d'un séisme appelé à faire date: un quart de siècle après la chute du mur de Berlin, le continent européen s'était sans cesse rapetissé davantage, et voici qu'il se trouve subitement rappelé aux responsabilités planétaires qui incombent aux Etats souverains. Alors, la perte du tranchant de leur intelligence politique se fait de plus en plus cruellement sentir aux gouvernements soudainement avertis de l'approche d'une tempête.

Le calme plat semblait pourtant se prolonger sur l'échiquier et favoriser pour longtemps encore le ratatinement de la rétine de l'Europe des dormeurs, lorsque les ministres des affaires étrangères du Continent européen se sont réunis à Vienne autour de M. Lavrov, mais en l'absence stupéfiante du maître d'outre-Atlantique, ce qui, d'un côté, paraissait d'une audace diplomatique ahurissante; mais, de l'autre, rendait soudainement aiguë la question de l'enfermement d'une union de petits Etats et de nations moyennes broyées dans l'étau d'acier de l'OTAN, donc rendus inaptes par nature à seulement évoquer la tragédie de leur écrasement sous les crocs d'une prétendue alliance avec leur César d'au-delà des mers. Qu'ont-ils à se raconter de leurs mâchonnements, ces malheureux mâchonneurs? Tout ce petit monde n'est-il pas condamné à perpétuer l'implantation de cinq cents places fortes, garnisons et camps retranchés de l'étranger incrustés à titre constitutionnel, donc à jamais, sur leur territoire? Regardez-les tout endormis autour de M. Lavrov, regardez-les, muets comme des carpes et la corde au cou. Qui l'emporte, du grotesque ou du comique, dans la croyance qu'un Etat à l'aise depuis trois quarts de siècle sur le sol d'un autre Etat tiendra son hôte pour souverain et le respectera à titre statutaire comme son égal ? Et voici que le destin vient ouvrir de force la bouche des esclaves. Regardez la tenaille qui leur desserre les dents.

2 - Psychophysiologie de la vassalité

Le 6 mai, M. Vladimir Poutine a demandé en vain aux séparatistes de l'Ukraine de l'Est de remettre à plus tard le référendum sur la souveraineté que réclame leur région. Dans la foulée, il a annoncé l'éloignement de ses troupes des frontières du pays et son plein accord pour que, le 25 mai, le suffrage universel porte un oligarque véreux à la tête d'un Etat condamné d'avance à la faillite monétaire et à l'effondrement de ses institutions. M. Hollande et Mme Merkel vont-ils en prendre acte, le remercier courtoisement de remettre entre leurs mains un industriel qui paiera ses impôts rubis sur l'ongle et dont le monde entier sera appelé à saluer la double stature de chef d'Etat et de grand chocolatier?

La pénétration d'esprit de Paris et de Berlin leur aurait-elle appris que Moscou joue sur le velours? Ne faites pas tomber au sol une pomme qui pourrit sur sa branche, ne hâtez pas la putréfaction d'un fruit qui n'attend que le panier qui le recevra - Machiavel enseigne que le temps est tantôt un jardin enchanté, tantôt le pourrissoir de la politique.

Mais, dans ce cas, pourquoi Paris et Londres demandent-ils instamment au généreux donateur qu'il leur livre en temps voulu la pomme en état de décomposition qui vient pourtant de se trouver accordée à leur impatience? Pourquoi menacent-ils le petit garçon des steppes d'une fessée magistrale s'il se montrait réticent? Parce que la vassalité est une maladie insidieuse, infiltrante et sournoise. Elle compénètre tous les membres de ceux qui en administrent les poisons. Les Latins disaient de la servitude: "Corpus ignavia perfunditur, le corps est compénétré de sa lâcheté". Mais il est impossible de traduire le mélange de la bassesse avec la servitude qu'exprime le mot ignavia.

Si vous voulez conquérir un semblant d'indépendance sur les terres de votre maître, vous le ferez sur le ton sévère du maître d'école qui menace un élève de lui frapper la pointe des ongles avec sa règle. C'est cela l'ignavia.

3- Une leçon d'histoire

En vérité, la Russie se trouve dans la situation de la France de 1814. L'Alliance des vainqueurs entendait châtier saintement la France d'avoir renversé la monarchie de droit divin, puis la punir non moins vertueusement d'avoir couronné de la tiare impériale un conquérant dont le glaive était censé déverser sur toute la terre les paniers de fleurs de la Liberté et de la Justice. Mais Talleyrand, qui se souvenait de son passé d'homme d'Eglise, avait emprunté le ton du prêtre pour apostropher les triomphateurs: "On ne met pas des nations au piquet de sa propre sainteté, c'est à Dieu seul de punir les méchants, c'est à lui seul de sévir."

Et Lavrov de mettre ses pas dans les pas du Prince de Bénévent:

"C'est à vous, dit-il à l'Europe, de saluer la légitimité du capitalisme que vous avez aidé à revenir en triomphateur au timon des affaires du monde. Votre droit à la vengeance ou à la revanche est nul et non avenu. Certes, la barbarie marxiste a conduit au goulag, mais la barbarie capitaliste livre le monde entier au chômage. Vous avez raison de légitimer l'argent - il vaut sans doute mieux mourir de faim que sous la torture. Mais, de grâce, ne faites pas d'une noble utopie un crime inexpiable, ne changez pas l'innocence trompée du peuple russe en une offense à la démocratie, ne condamnez pas l'espérance en un monde meilleur en naufrage politique - il est des formes infernales de la bonne conscience. Vous insultez la masse des pauvres que moissonne désormais votre culte international de la Liberté."

4 - Lavrov et le droit international

Et maintenant, le Talleyrand moderne prend fermement la relève de l'évêque d'Autun; et maintenant, il apostrophe vertement les démocraties de l'argent-roi dûment reconduites dans leurs prérogatives régaliennes d'autrefois.

" De quel droit, leur dit-il, prétendez-vous amputer l'empire de Catherine II, de quel droit notre Révolution pécheresse de 1917 et notre Waterloo de 1989 nous condamneraient-ils à la repentance perpétuelle, alors que nous avons solennellement redonné toute sa légitimité au droit de propriété dont nous profanions les bénédictions depuis soixante-douze ans?

" Relisez votre propre histoire et tirez-en les leçons d'humilité qui s'imposent à vos démocraties. Après dix-ans de règne, Louis XVIII a laissé le trône des Capétiens aux mains de Charles X; et six ans seulement plus tard, la Révolution de 1830 a jeté à nouveau votre Sainte Ampoule dans la poussière. Mais Louis-Philippe s'est affolé à tort: la France de 1789 était de retour, pensait-il. A votre tour de vous tromper: l'Union soviétique de 1917 n'est de retour que dans vos esprits. En 1830, votre roi des grands bourgeois avait envoyé à Londres un Talleyrand vieillissant, afin qu'il détourne les foudres imaginaires de la monarchie anglaise. Sachez que votre roi des parapluies de la Restauration se trompait sur le même modèle que vous-mêmes aujourd'hui: en 1830, l'épouvantail de la Révolution de 1789 et de la revanche des alliés en 1814 ne faisait plus fuir les moineaux.

Et Lavrov de poursuivre: "A force de vous démener en complices empressés de la Maison Blanche, vous êtes devenus des vassaux en retard de plusieurs générations sur l'histoire réelle de notre temps. Ne portez pas si allègrement votre licol. Vos harnais insultent votre propre avenir. Pourquoi tentez-vous d'humilier la Russie? Le droit international parle pour elle. Tout Etat est légitimé à retrouver l'intégrité de son territoire."

5 - La stupidité politique

Que penser de ce rappel au bon sens politique? Deux évènements en soulignent la pertinence. Premièrement, on croyait que la stupidité politique était de retour sur les planches de l'histoire et que ce vieil acteur de la mémoire du monde avait seulement retrouvé ses galons longtemps conservés dans la naphtaline des miracles et des prodiges du Moyen-Age. Mais les anciens subterfuges de la sottise ont changé de calibre et de nature - maintenant ils ne se contentent plus de braver les lois de la physique, ils frappent les plus grands Etats d'un ridicule international.

L'ex-Chancelier Helmut Schmidt avait qualifié de "machin idiot" la promulgation solennelle de sanctions bureaucratiques à l'encontre de personnes nommément désignées, tel le refus d'une chancellerie de valider passeport de quelques individus innocents. Deux mois plus tard, le grotesque administratif est venu chapeauter des châtiments tombés entre les mains des gratte-papier de la géopolitique. Mme Natalia Poklonskaia, une beauté ukrainienne élevée, à l'âge trente trois ans, au poste éminent de Procureur général de la Crimée a vu l'Europe imbécile des bureaux lui interdire de se rendre en Occident. Même l'inquisition est tombée dans le microscopique, parce que la prestation de serment de Mme Poklonskaia avait passé en boucle sur internet. Des millions de Japonais en étaient tombés amoureux et en avaient fait une héroïne de bandes dessinées.

Et voici l'image d'elle-même que la civilisation européenne a diffusée à cent vingt millions d'exemplaires, celle d'une Sirène aux beaux yeux noirs et aux faux-cils, mais flanquée d'une moustache et d'une barbe prolongée sous le menton jusqu'à la poitrine. Comment se fait-il que les civilisations sécrètent des symboles de leur dislocation psychique? Suétone nous révèle que, dans sa jeunesse, Néron était un gracieux travesti et que sa voix de femme était ravissante.

Méfiez-vous des civilisations biseautées. Néron adorait Poppée et l'avait épousée, mais elle était décédée d'un coup de pied de son époux dans le ventre alors qu'elle était enceinte de ses œuvres! Les radiologues du trépas des civilisations ne sont pas des moralistes de la religion juive, chrétienne ou musulmane, mais des anthropologues de la politique. A ce titre, ils observent que le culte effréné de la transgression sexuelle se veut parallèle à la glorification de la vassalité des nations. Il s'agit d'une pathologie de la soumission politique symbolisée par le dédoublement androgyne. Aussi est-elle expressément désirée et organisée avec le plus grand soin par des élites de l'Etat traquées par leur propre décomposition intérieure. Mlle Conchita Wurst et sa barbe n'auraient pas triomphé sur la scène si, dans les coulisses, les tireurs de ficelles du spectacle n'avaient pas décidé que sa bisexualité serait le vrai moteur de ses trilles.

6 - Le livre d'images de la démocratie mondiale

Tout le monde voit-il pour autant et à l'œil nu qu'il ne s'agit plus de jouer à colin-maillard dans la cour de l'école? Et pourtant les commentateurs actuels continuent de distribuer quelques fioritures, garnitures et enjolivures dont l'arrangement agrémentera la mise en scène de la pièce. Les décadences basculent de la tragédie dans la comédie. Pourquoi des dorures, des dentelles et des broderies passent-elles pour le tissu d'une intrigue digne de figurer dans l'histoire réelle du monde, alors que seule la fée Carabosse tire les ficelles d'un montage tout artificiel? La faute en incombe à Descartes et à Pascal, qui ont prétendu que le théâtre de l'entendement de l'humanité étofferait des évidences providentielles et que les feux célestes du sens commun guideraient des postulats incrustés dans la nature comme des perles dans les coquillages. Pis que cela: le châtelain de Ferney comparaîtra devant le tribunal de la philosophie de notre temps pour avoir enseigné jusque dans l'enceinte des écoles de notre République que les "imbéciles n'apprennent que par l'expérience".

Il se trouve, hélas, que ni les évidences, ni le bon sens ne sont les illuminateurs souverains de la physique classique et que ces rois du langage n'exercent aucune prise sur l'esprit de soumission et la peur. La preuve la plus éclatante de l'infirmité de ces faux monnayeurs a été apportée au lendemain d'un échec inespéré de l'Amérique: une guerre à mort contre la Syrie n'a été évitée qu'en raison de la précision de tir des missiles russes.

Certes, les froids entretiens en tête à tête de John Kerry avec Serguei Lavrov à Paris ont vexé le Quai d'Orsay et le Foreign Office. Mais Paris et Londres ne se sont pas risqués à réfléchir aux causes de leur absence humiliante de la table des négociations. Ces deux capitales de l'intelligence diplomatique ignoreraient-elles que les affaires sérieuses ne sont débattues qu'entre les puissants? Puis, les tractations glacées de Genève sur la Syrie ont illustré le spectacle d'une Europe reléguée sur son minuscule jardinet. Pourquoi cet étonnement apprêté et, quelquefois, cette indignation contenue des enfants de chœur de l'histoire, sinon parce qu'ils souffrent bien davantage de leur incompréhension du monde que de leur coupable incapacité de peser la cruauté des axiomes qui pilotent les neurones du genre humain? Pour rendre l'évidence politique intelligible, il faudrait le long apprentissage d'un regard d'adultes sur le temps ensauvagé des nations.

7 - Le mutisme de l'expérience

L'expérience politique est muette, sourde et aveugle. Si vous ne la rendez pas locutrice, ou bien elle demeurera bouche cousue, ou bien elle ne vous racontera que des balivernes. Mais comment rendre les évènements éloquents, comment enfoncer les boniments dans leur gorge, comment les éclairer à la lanterne de l'expérience? Votre intelligence gardera le silence aussi longtemps que vous ne lui retirerez pas les chaînes que votre propre servitude la contraint de porter. Votre raison a-t-elle des oreilles pour entendre le Président apostropher l'accusé à l'audience? "M. de Voltaire, levez-vous. Au nom de tout le genre humain, la cour vous accuse de légèreté d'esprit. Si vous n'avez pas de science de la cécité du monde, vous ne découvrirez jamais le filtre qui rendrait votre propre expérience loquace dans ce prétoire."

Que dit la ciguë de la raison à l'Europe asservie? Qu'un Etat européen qui n'aura pas noyé l'OTAN dans le poison de la pensée logique, qu'un Etat qui n'aura pas renvoyé l'occupant au-delà de l'Océan, qu'un Etat désarmé par sa piété démocratique méritera la peine de mort que son maître lui signifie, du reste, fort dévotement et depuis quelque soixante-dix ans. Comment l'Europe deviendrait-elle un interlocuteur rationnel sur la scène internationale, comment ce Continent jouerait-il dans la cour des grands si la science de l'histoire et de la politique n'est jamais gravée au jour le jour dans la sotte expérience des évènements, parce que le concept de causalité expliquante, dit Kant, n'est pas confusible avec la bancalité du train d'un monde - celui-ci chemine à petits pas et ne se rend capturable que dans l'enceinte de crânes nettoyés des toiles d'araignée qui en tapissent l'ossature. Vous vous demanderez donc gentiment pourquoi les causes ne sont pas visibles à l'œil nu et en tant que telles, vous vous demanderez sagement pourquoi l'histoire ne devient signifiante que si la pensée a vaincu la peur qui l'attachait à sa geôle.

Portez votre regard d'aiglons de la politique au-delà de la trame des heures, observez de haut et de loin les relations que l'effroi entretient avec l'intelligence, la terreur avec la raison et l'épouvante avec la lucidité, observez à la jumelle l'animal rationale d'Aristote. Comment la bête a-t-elle aménagé la prison dans laquelle sa cervelle craintive se sentira à l'aise?

8 - Le tonneau de poudre de la sagesse politique

Supposez qu'à la Conférence de Vienne, la France et l'Allemagne des ouragans auraient déclaré d'une seule voix et sans seulement élever le ton que le Vieux Continent appartient aux Européens, puis, tout uniment, que l'Amérique n'a que faire sur la surface du globe terrestre qui s'étend de Brest au Caucase, puis, tranquillement, que la seule difficulté à tisser la trame d'un solide règlement entre la Russie et le Vieux Continent sur l'Ukraine n'est autre que le joug militaire qui place les nations du Vieux Monde sous le sceptre d'un général étranger, puis, non moins paisiblement, que la dissolution d'une armée artificiellement rassemblée sous les murs du Kremlin ne sera rendue possible que le jour où les cinq cents camps militaires enracinés en Europe auront été désincrustés poliment ou de force.

Et maintenant, imaginez la stupeur, la colère et l'effroi, mais également l'incompréhension des vingt-sept vassaux européens accoutumés à parader dans le jardin d'enfants d'une démocratie en images; et maintenant, imaginez la leçon de bon sens qu'une science politique prisonnière des fausses évidences ne vous donnera jamais. Comment ne pas vous persuader d'une évidence sacrilège, à savoir qu'il faut connaître déjà les secrets de la politique et de l'histoire du monde pour que les évènements dévoilent leur sens à l'école des sacrilèges qui les éclaireront?

Mais alors, le bon sens se cache dans le laboratoire des blasphèmes qu'on lui apprendra à prononcer peu à peu, mais alors, Claude Bernard se révèle un iconoclaste averti, lui qui, en 1865, a colloqué l'hypothèse scientifique aux avant-postes de l'expérience de physique qui la mettra seulement après coup à l'épreuve de la vérification de sa pertinence. Pis que cela: si l'intelligence réelle précède l'expérience, c'est précisément parce qu'elle campe sur un échiquier et une problématique d'hérétiques. Comment ferons-nous derechef de l'Europe le forgeron de sa future grandeur sur l'enclume de ses profanations à venir?

Mais vous n'êtes pas quittes pour si peu, les enfants: si vous soumettez la géopolitique au banc d'essai du théâtre des nations, des Etats, des empires, vous découvrirez qu'il n'est pas de science de la politique postérieure à votre temps sans une philosophie des retards tragiques de l'histoire et pas de dramaturgie des lenteurs de la raison sans une anthropologie armée d'un regard abyssal sur les évadés partiels d'hier et d'aujourd'hui de la zoologie.

9 - La gérontologie expérimentale

Mais ne vous arrêtez pas si vite sur les chemins dangereux de votre évasion à venir du règne animal: par-delà la pesée des hypothèses actuelles de la science et de leur mise à l'épreuve d'une expérience que vous ne rendrez parlante que demain, une nouvelle difficulté méthodologique vous mettra à l'épreuve des souffrances de la raison. Car, d'un côté, votre apprentissage de la pensée rationnelle aura beau vous avoir appris qu'il n'a jamais existé d'empire durable et que Rome avait vainement apporté aux barbares des routes, des ponts et des aqueducs, la civilisation des Quirites s'est néanmoins évanouie sous la herse des peuples en retard cérébral sur les grands bâtisseurs de l'époque .

Puisse votre réflexion actuelle vous éclairer sur les causes les plus cachées de la vassalisation future de la civilisation européenne. Vous vous direz que nous ne sommes pas demeurés aussi frustes et agrestes que les ethnies et les peuplades soumises à la grandeur d'Athènes ou de Rome. Au contraire, nous précédons la science américaine des mystères de la matière et de la vie. Quel est donc le moteur universel de notre auto-vassalisation?

Pour le découvrir, un autre champ encore de l'anthropologie profanatrice, un autre territoire encore de l'épistémologie sacrilège, une autre géographie encore du mutisme des évidences et du bon sens attendent vos blasphèmes: il vous faut une gérontologie expérimentale de la politique et de l'histoire de l'Occident. Ce n'est pas seulement la peur innée de peser le monde sur la balance de la raison politique qui a interdit aux petits et aux grands Etats présents à la Conférence de Vienne de tenir le discours féroce de la lucidité, c'est l'accablement du grand âge. Elles sont cruelles, les évidences qui conduisent les civilisations au tombeau. L'Europe y descend à petits pas, trotte-menu et tremblante. Elle se meurt exténuée - et c'est son propre épuisement qui l'épouvante le plus.

10 - La spéléologie de la mort

Pour remédier à la fatigue cérébrale de l'Europe politique d'aujourd'hui, il ne suffira pas du sursaut de lucidité dont bénéficient les agonisants, il ne suffira pas que vous armiez l'intelligence du Vieux Continent de tout son courage un instant retrouvé, il ne suffira pas de votre recul intellectuel d'anthropologues résolument prospectifs et de psychanalystes spécialisés dans le scannage des décadences - il vous faudra conduire les sciences humaines au défrichage d'un champ nouveau, inconnu et immense de la science historique, celui d'une spéléologie de la mort.

Vous descendrez au sépulcre sur un modèle ignoré des Anciens. D'illustres sépulcres nous ont précédés; mais celui de l'Europe, vous en chercherez vainement l'effigie dans quelque musée des trépas d'autrefois. Car les anciennes plongées des nations dans l'oubli étaient dues à la carence soudaine dont les neurones de leurs élites se trouvaient frappées. Plus de toisons d'or, plus d'Argonautes du vertige! Mais nous produisons des Jason à la pelle. Nos grandes écoles ne jettent-elles pas chaque année sur le marché du travail force explorateurs patentés?

Tel est le paradoxe d'une Europe en attente de la mort: nous produisons des savoirs de haut voltage, mais nous manquons d'ouvreurs, d'éveilleurs, d'allumeurs. La conférence de Vienne est une bonne illustration du piétinement de notre intelligence de la politique et de l'histoire. Ces deux disciplines s'enlisent. Tout ce que capturent nos intellectuels se laisse cerner dans leur cirque à eux. Nos grandes écoles ne sont que des tamis; et ces tamis fabriquent sans relâche des tamis aux mailles plus serrées que les précédentes et de plus en plus fières de leurs triages.

Les civilisations d'autrefois ont péri du tarissement de leur enseignement. L'Europe ne tombera pas dans le gouffre de l'étroitesse de ses savoirs, elle ne connaîtra pas le naufrage de la mémoire qui a englouti les élites d'Alexandrie, d'Athènes et de Rome. Mais notre passé fera un entassement de moins en moins transportable: on n'alourdit pas indéfiniment la cargaison des siècles.

11 - Les prémices d'un réveil

A moins que… Voyez la pâle lueur, le maigre falot, la lanterne à demi éteinte qui trottine à l'horizon. Les peuples de l'Europe commencent de prendre leurs distances à l'égard de leurs dirigeants. Quelques hirondelles survolent le nid des moineaux. Toute la presse russe, y compris celle qui se montre critique à l'égard du Président Poutine est tombée à bras raccourcis, non seulement sur Mme Merkel, qui était l'hôte d'honneur du Kremlin le 9 mai de chaque année, mais sur le peuple allemand tout entier, parce que la Chancelière a condamné le passage en revue de la flotte de guerre russe dans le port de Sébastopol ce jour-là.

La Crimée retrouvée s'est révélée un nid d'aigle, celui du patriotisme russe revivifié. Qui est ce personnage oublié qu'on appelait la nation? Quand M. Barack Obama fronce le sourcil au spectacle du 9 mai sur la Place Rouge, les Russes commencent de se dire: "De quelle nation est-il, celui-là? De quel droit ce peuple surveille-t-il notre astéroïde? L'Allemagne héritière de Hitler a-t-elle un droit de regard sur nous?"

12 - La dignité des nations

Pourquoi l'Amérique fière de ses Universités les plus célèbres ne produit-elle pas une super élite de l'action politique? Les amphithéâtres de Harvard, de Columbia, de Stanford ou de Princeton ne produisent aucun peloton de têtes mieux faites que bien pleines et dont les diplômes trieraient les cerveaux cravatés des cerveaux déficelés. J'attends les quelques rieurs qui n'en croiront pas leurs oreilles d'apprendre que le Département d'Etat a sottement demandé à la Chine de se rallier aux sanctions contre la Russie et à la France de ne pas livrer à ce pays les Mistral promis et dûment payés. Un pays tout subitement hissé à la direction de la planète ne saurait apprendre les rudiments de l'histoire des nations en un seul demi-siècle; mais de le voir gesticuler dans le vide, c'est à se tordre de rire. Peut-être le spectacle de la sottise politique sera-t-il le grand délivreur de l'Europe en marche.

Face au ratatinement des élites et à la puérilité des classes dirigeantes d'une Amérique au petit pied, naîtra-t-il un Titan européen? Après tout, la politique est la science du possible; et le possible est d'une grande simplicité. C'est pourquoi le génie n'est jamais qu'un bon sens ressuscitatif.

Quel bon sens de placer le soleil au centre de la ronde des planètes, quel bon sens de faire tourner la terre sur son axe, quel bon sens de demander aux troupes étrangères campées sur nos terres depuis trois quarts de siècle de lever le camp, quel bon sens que de réveiller en sursaut les peuples dont les sentinelles se sont endormies, quel bon sens que celui des retrouvailles de l'Europe des vigies avec la solitude dont se nourrit la dignité des nations."

Le 17 mai 2014

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
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