Qu'est-ce que
philosopher ?
Le combat de la raison
II - Le sacré semi-animal
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 16 janvier 2015
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1 - L'éphémère
couronnement du sens commun
2 - L'agonie de nos évidences
3 - La logique de l'aréopagite
4 - Le ahanement d'un "
déconstructeur "
5 - Abélard
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1 - L'éphémère
couronnement du sens commun
La pesée des
composantes semi zoologiques du divin -
donc celle de l'animalité spécifique et
de plus en plus cérébralisée du sacré au
sein de notre espèce - bouleversera nos
définitions anciennes et magiques de la
pensée simiohumaine, parce que la
réfutation de la signification que nos
philosophes donnaient à l'histoire de
leur embryon de raison changera les
coordonnées anciennes de la notion même
d'objectivité dont les sciences
humaines faisaient usage depuis la
découverte platonicienne du concept,
donc de l'abstraction.
Primo, nos
successeurs mettront en évidence que les
premiers pas d'une intelligence en
gésine de notre transanimalité nous
conduisaient déjà à démantibuler les
bâtisses de nos savoirs langagiers -
simplement, nos démolitions provisoires,
partielles et au rabais de notre
vocabulaire nous armaient d'instruments
aussi instables et branlants que les
précédents - les nouveaux vices de
fabrication nous conduisaient seulement
à édifier des temples fragiles à la
gloire de nos illusions les plus
massives, celles dans lesquelles nous ne
manquions pas de choir de siècle en
siècle.
Secundo,
nous découvrirons que Platon
déconstruisait un savoir collectif et
éphémère dont l'assise unanime
s'appelait la doxa - l'opinion
publique; mais il y employait un outil
de la pensée inédit en son temps, qu'il
appelait l'idée et que nous avons
réduite au concept. Seule l'idée
pure, pensait Platon, nous permettait de
réfuter les songes universels attachés à
notre intelligence encore superficielle
et toute pratique - celle des
civilisations en bas âge et qui ignorent
nécessairement les sortilèges nouveaux
qu'enfante le déchaînement des
abstractions.
Puis le prudent
Aristote a cru faire périr de conserve
le Graal du langage concentré avec les
tables calcinées et réduites en cendres.
Nous étions naïfs, certes, de loger en
toute hâte nos idées pures dans
notre langage plus ramassé, puis dans
les morceaux dispersés d'une matière
muette et inanimée; mais ce premier
divorce d'un monde disparate et
hétéroclite d'avec nos mots pseudo
unificateurs n'en était pas moins un
grand pas en direction d'une
radiographie de nos corps d'un côté et
du contenu tout verbal de nos encéphales
de l'autre.
Puis nous avons vu
un certain Descartes jeter résolument au
feu le fatras des billevesées et des
balivernes théologiques de notre
première philosophie du langage, que
nous avions sacralisée à l'école de nos
bavardages sacrés. Mais ce grand homme
substituera candidement au verbiage
saugrenu de nos gosiers d'enfants le
règne solitaire - et qu'il croira
irréfutable - d'une grammaire du cosmos
aussi fallacieuse que nos grognements
antérieurs et construite sur le triomphe
de notre sens commun le plus
sottement partagé. C'était légitimer à
nouveaux frais le sentiment
d'évidence que les bêtes consomment
à nos côtés.
Comment la physique
d'Aristote et la géométrie d'Euclide
engendraient-elles les mêmes évidences
immédiates dans nos têtes que dans
celles de tous les "autres animaux",
comme disait Salluste? Et pourtant, il
s'agissait bel et bien d'une enjambée
décisive hors de nos premiers pâturages.
Certes, l'étude de la cervelle du
simianthrope pseudo cogitant demeurait
tâtonnante et titubante entre nos
pattes. Mais le singulier avait débarqué
dans notre champ de vision. Nous étions
tous devenus des particuliers.
2 - L'agonie de nos
évidences
La pesée de la
course folle des premiers fuyards de la
zoologie en direction de leurs terres
promises - leurs oasis évidentielles -
exige une métazoologie encore
rudimentaire; puis cette discipline
plongera ses antennes dans une
anthropologie dotée d'un regard de
l'extérieur sur notre sens commun le
plus élémentaire. Mais une
simianthropologie qui installerait
ensuite son télescope hors de l'enceinte
semi-animale de nos évidences sera
nécessairement un cratère ouvert sur
l'abîme.
Il est revenu à
David Hume de descendre en premier de
cordée dans le gouffre d'une
psychobiologie du concept de
causalité expliquante. Ce mot
magique trônait depuis des millénaires
au cœur de notre espèce de raison
naturelle - celle que nous avions
bâtie à l'école du pif que tous les
animaux olfactifs se partagent, mais
dont le génial Anglais a dessiné avec
exactitude les contours. Le simianthrope,
dit ce patrouilleur, jette, un filin
ténu et invisible, qu'il appelle le
lien de causalité, dans la gueule
insondable qui s'ouvre entre deux
évènements accolés l'un à l'autre dans
la glu du temps. Il voit seulement des
évènements se succéder régulièrement et
à un rythme constant au sein du gouffre
de la durée. Ces observations lui
suffisent, croit-il, pour fonder
l'intelligibilité du monde sur la
prévisibilité, donc pour brancher le
compréhensible sur l'exploitable. Sitôt
que la bête et l'homme sont tombés
ensemble dans le piège de cette
confusion mentale, les deux espèces
commencent de se débattre et de
s'empêtrer chacune de son côté dans des
embarras cérébraux qu'ils se partageront
longtemps.
Dans ce duo, la
bête humaine sera la plus emprisonnée:
elle s'imaginera que le prophétisable
serait parlant en soi - et cela, du seul
fait, se dira-t-elle, que le continuel
incarcère nécessairement le profitable
dans son enceinte. Mais quelle est la
psychophysiologie commune à tous les
animaux et qui les condamne tous à
s'imaginer que la nature les aurait
préconstruits de telle sorte qu'ils
mêleront d'instinct la ponctualité de
l'univers à une parole censée habiter
les atomes et qui doterait la matière
d'une intention bienveillante à l'égard
de leurs viscères. Les hommes et les
animaux s'imaginent coude à coude que la
machinerie du cosmos serait tellement
charitable qu'elle leur fournirait sans
relâche leur picotin cérébral!
3 - La logique de
l'aréopagite
Cette fois-ci,
l'observatoire de la psychophysiologie
qui commande en amont les neurones
collectifs des primates loquaces permet
aux astronomes de la zoologie
d'apercevoir du dehors l'encéphale de
tous les mammifères rendus pseudo
réflexifs à l'école de leurs taupinières
parlantes; et le regard que leurs
télescopes ont commencé de porter sur
leur carcasse débarque sans tarder dans
la première définition unanime qu'ils se
risquent à donner de leur espèce de
philosophie, celle dont les animaux se
réclament sitôt qu'ils ont toisé leurs
"frères inférieurs" - comme ils disent
maintenant - pour se jeter les uns aux
autres des regards surpris et
condescendants. Car voici que le
simianthrope sommital commence de
disséquer l'intelligence issue du
répétitif qui abreuvait l'encéphale des
primitifs.
Kant examinera de
plus près les rouages et les ressorts
infatigables de la logique mécanique
d'Aristote qui pilotait l'encéphale des
habitants de Königsberg et qui
fonctionne encore de nos jours dans le
monde entier. De plus, ce fils de
cordonnier a mis de l'ordre dans nos
premières échoppes cérébrales : il a
étiqueté les catégories a
priori, donc les axes mentaux que
nous qualifions de consubstantiels à
notre sens commun. Nous nous trouvons
donc emprisonnés de naissance dans nos
jugements appréciatifs des rencontres
pseudo rationnelles de la matière avec
ses propres ritournelles. Mais nous
commençons de peser la geôle de la
psychobiologie dans laquelle nous nous
trouvons incarcérés par nos neurones.
Quelle est, nous demandons-nous
maintenant, la nature de notre
incarcération dans la cage cérébralisée
par nos lumières naturelles,
qu'en est-il du cosmos qui nous soumet à
la meule de ses redites?
Montaigne avait
observé le premier que nous partageons
nos raisonnements et nos fourrages avec
ceux du renard. Voyez comme ce flatteur
du corbeau de Jean de la Fontaine tâte
la glace d'une patte répétitive et
prudente. Ce disciple d'Aristote
s'avance sur un étang gelé qu'après
avoir vérifié sa solidité. Mais
l'intelligibilité du monde se
laisse-t-elle garantir par nos pattes de
flatteurs des us et coutumes de la
nature? Comment jugerons-nous l'abruti
qui nous a encadenassés de cette façon?
4 - Le ahanement
d'un " déconstructeur "
Un exemple
instructif de la métazoologie manquée
dans laquelle s'égarent nos
épistémologues de la matière inanimée
nous a été fourni tout récemment par la
pseudo "déconstruction" de
Jacques Derrida, dont l'échec se rendra
précieux à l'anthropologie critique de
demain, parce que les apories dans
lesquelles ce philosophe du durcissement
cérébral des animaux est tombé nous
éclairent sur les causes abyssales, donc
anthropologiques, du naufrage des
renards de la philosophie, tellement
toute la candeur d'une humanité privée
d'une généalogie de ses échiquiers
mentaux se dévoile au seul spectacle
d'une erreur de perspective globale des
animaux d'Aristote. Car ces bêtes sont
devenues des séductrices adroites des
masques derrière lesquels elles se
cachent; et elles affublent le cosmos
des auréoles du répétitif qu'elles ont
forgé dans leurs ateliers.
Derrida a négligé
de se demander ce qui attend, au juste,
les déconstructeurs manqués de
leur langage. Quel est l'inconscient
semi animal qui pilote les couturiers
des redites du cosmos ? Qu'en est-il des
conglomérats épistémologiques qui
pilotent les animaux et quels pièges de
la zoologie faut-il apprendre à éviter
pour cesser de tourner en rond dans la
cage de la logique d'Aristote? Car dès
lors qu'il ne recourt nullement à une
connaissance métazoologique de la
zoologie, le regard animal ne porte
jamais sur l'évolution des cerveaux
successifs que nous nous sommes
construits. Du coup, nous ne disposons
en rien d'un instrument d'observation
fiable de la cervelle piégée des
insectes simiohumains. Il nous faut donc
observer, la loupe à l'œil, comment la
bestiole est trompée par la réussite
même de ses expériences.
Une espèce en
évolution, donc inachevée par
définition, se trouvera nécessairement
hiérarchisée non seulement par
l'inégalité des capacités cérébrales
dont disposeront ses divers spécimens,
mais par une différence de nature entre
ses conques osseuses aux multiples
dimensions. L'assise même d'une
connaissance de plus en plus
métazoologique de l'histoire de notre
encéphale en devenir exige donc que nous
portions un regard prospectif sur
l'évolution heureuse ou manquée de notre
embryon d'encéphale d'avant-garde. S'il
s'agissait seulement de faire ouvrir un
large bec à la nature et de faire tomber
son fromage dans la gueule du renard,
Maître Goupil serait déjà devenu un
connaisseur estimable des mâchoires
grandes ouvertes du cosmos.
Derrida manquait
non seulement d'une connaissance
généalogique des rouages et des ressorts
d'une philosophie enracinée dans la
zoologie, mais également d'une
connaissance raisonnée de la logique
anthropologique qui a commandé la
généalogie de cette discipline et qui la
régit depuis Platon. Seul un regard qui
porterait sur la nature même de l'espèce
de déraison semi-animale que sécrète la
bête à la patte raisonneuse a permis de
découvrir que le concept utilitaire de
causalité n'est qu'un flatus
vocus du renard et nullement
l'instrument d'une connaissance
métazoologique de la généalogie du
concept de causalité - donc encore moins
de la détection de l'intelligibilité en
soi de l'objet que le fil d'Ariane du
causalisme est censé dérouler.
5 - Abélard
Puisque c'était à
Hume qu'il aurait fallu remonter pour
apprendre que le vocabulaire simiohumain
est pseudo heuristique par nature, le
XIe siècle se rappelle à l'attention des
pontonniers de l'histoire de la
philosophie. Car Abélard avait commencé
d'effeuiller l'idée pure de Platon: plus
le savoir animal s'étend, plus il
s'appauvrit, plus il embrasse, moins il
étreint, plus Socrate se dilue dans le
concept d'homme, plus un fantôme le
remplace - et ce fantôme verbal
appellera l'humanité à s'agenouiller
devant une idole vocalisée, la Liberté.
La postérité d'Abélard - le malheureux
était en avance d'un millénaire sur son
temps - nous instruit en outre de la
signification anthropologique de
l'histoire planétaire de l'encéphale de
la bête que la nature a placée sur
l'échiquier d'une métazoologie.
Derrida se
vaporisera à l'école de son langage, car
il s'appuie sur les béquilles du concept
abstrait de trace et de
l'adjectif insaisissable de spectral,
qui sont seulement des esquisses d'un
"sujet de conscience" absentifié par son
propre discours. De quelle pensée
s'agit-il et sur quel territoire les
instances lexicales d'une raison
congédiée creusent-elles leur sillon? L'Essai
sur l'entendement humain du
grand Anglais exercera une autorité de
plus en plus focale dans l'histoire
psychogénétique du vocabulaire de la
philosophie de Platon à nos jours, parce
que, le premier, Abélard a démythifié la
parole, mais pour retrouver
l'individualisme.
Une exploration
métazoologique de la signification qu'il
faudra donner au terme d'évolutionnisme
cérébral - puis à tout le continent de
l'inconscient proprement intellectuel de
l'humanité - s'inscriront tellement dans
la fécondation de la postérité de Hume
et de Kant que la prétendue
déconstruction derridienne n'illustrera
jamais qu'une erreur de parcours - mais
significative - d'un individualisme
demeuré dans les vapeurs d'une
philologie déracinée et décérébrée. Et
pourtant, cet itinéraire sans pilote ni
géographie, mais localisable dans
l'errance d'une logique interne privée
d'échiquier anthropologique, nous aidera
à dévoiler et à circonscrire la nature
de la pensée philosophique de demain et
de son destin de spéléologie du
"connais-toi" transanimal.
Le 16 janvier 2015
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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