Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
L'histoire, cette inconnue
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 9 février 2018
Sous les yeux des
spectateurs français sidérés, la
planisphère change rapidement de
configuration : nos moyens de
communication devenus instantanés ne
cessent de nous entretenir de deux
religions étrangères au territoire
national, le judaïsme et l'islamisme.
Or, plus des deux tiers des Français
laïcisés ne croient plus en l'existence
d'aucune divinité et relèguent la
croyance en un créateur mythique du
cosmos parmi les récits à raconter aux
enfants en bas âge et quasiment au
niveau de la croyance au Père Noël. Les
Français laïcs et relativement cultivés
qui forment l'immense majorité de la
classe dirigeante du pays en éprouvent
un sentiment de dépossession et de
frustration de leur identité naturelle,
comme si l'élite du pays se trouvait
privée de son compagnonnage culturel et
politique habituel.
Qu'est-ce qu'un
véritable chef d'Etat? Quelles sont les
caractéristiques d'un faux chef d'Etat ?
En quoi un chef d'Etat authentique
est-il un acteur et à quel moment ce
genre d'acteur incarne-t-il son
personnage? A quel moment le Général de
Gaulle est-il devenu son personnage
historique? Et peut-on encore parler
d'un véritable homme d'Etat comme d'un
acteur seulement plus grand que les
autres, ou bien faut-il étudier cet
acteur nouveau de l'histoire?
Comment redresser
des erreurs incrustées dans les têtes?
Nos ancêtres ne s'appelaient pas les
Galli - les coqs - comme le croyait
Jules César - mais les Gali, les
Gaulois, ce qui, dans leur langue
celtique, signifiait les
jaillissants, les vaillants. Comment
le savons-nous, alors que les
découvertes de ces historiens centraux
tiennent en quelques lignes et ne
rencontreraient pas un lectorat
suffisant pour intéresser l'édition
papier? La plupart d'entre eux ont
trouvé un tremplin sur internet et
notamment sur Wikipedia dont
l'encyclopédie est devenue une fontaine
d'Aréthuse de l'historien moderne.
L'ultime
incarnation des historiens qui se sont
fait une idée sentimentale du concept
même d'historicité n'est autre que
Pierre Nora qui jalonne le temps à
l'aide de "lieux de mémoire"
assignés à jouer le rôle d'oracles
delphiques.
D'où, aujourd'hui,
un sentiment de stupeur et de révolte
face à l'abîme de l'ignorance et de la
superstition dont on s'était largement
retiré et dans lequel le pays semble sur
le point de retomber. Tout se passe
comme si la sottise originelle qui
faisait dire que la sentence cujos
regio eos religio retrouvait une
manière de droit de cité.
Mais comment
paraître légitimer de nouveau un
démiurge qui se présente en tueur
universel, puisqu'il est censé passer le
temps de sa sainte éternité à soumettre
les morts à des tortures éternelles, à
l'exception d'une frange de rescapés
bienheureux. Et puis, il semblait devenu
évident que si chaque région est censée
bénéficier d'une révélation particulière
et précisément pliée d'avance aux mœurs
et coutumes de l'endroit, alors toutes
les théologies se réfutent par leur
localisation même et leur soumission
d'avance à des rituels toujours
strictement locaux.
Ainsi les
trappistes de la Grande Trappe de Rancé
près de Soligny disent qu'ils se lèvent
tous les jours à deux heures du matin
pour "faire exister Dieu", comme
je l'ai déjà évoqué ailleurs. Certes,
ils croient que Dieu existerait sans
eux, mais dans le même temps, ils disent
tout le contraire, car ils savent très
bien que les dieux en lesquels personne
ne croit plus et dont plus personne ne
salue les apanages et tout l'apparat
liturgique, révèle, qu'en réalité, ils
n'ont jamais existé ailleurs que dans
l'esprit de leurs adorateurs.
C'est à partir du
moment où les Français ont passé par une
scolarité censée les avoir initiés à la
pensée rationnelle et à la philosophie -
le bac philo demeure unique au monde -
que le moment est venu de rabâcher des
évidences primaires au sein d'une
immense masse de cerveaux à nouveau
théologisés dès le berceau.
Mais il se trouve
que toutes nos découvertes
philosophiques ou scientifiques se
révèlent d'avance articulées avec nos
progrès dans la connaissance et la
compréhension du fonctionnement
pertinent ou trompeur de notre
encéphale. C'est pourquoi l'histoire
véritable de notre espèce est celle
d'une vingtaine seulement de cerveaux
supérieurs qui ont engendré les millions
de cerveaux à la manière dont un aimant
attire la limaille de fer . Je n'en
donnerai que quelques exemples: quand
Pizarre ou Christophe Colomb découvrent
l'Amérique, ils se révèlent déjà les
bénéficiaires d'une époque à laquelle
les Copernic et les Galilée ont fait
découvrir la rotondité de la terre et sa
course autour du soleil. Les conquêtes
terrestres se heurtaient déjà à un monde
soustrait en profondeur au type de
compréhensibilité qu'un créateur du ciel
et de la terre était censé dispenser à
quelques auditeurs privilégiés.
A l'origine du
nucléaire, quand la découverte des
atomes a fait entrer notre science de la
nature dans la connaissance du mystère
de la danse de la matière cosmique, nous
étions déjà entrés en profondeur dans la
mutation de la connaissance de l'espace
et du temps qui nous avait placés dans
un univers tri-dimensionnel. Et Einstein
était sur le point de nous informer que
le temps lui-même est une forme de la
matière.
Comment, dans ces
conditions, les progrès de nos
connaissances philosophiques et
scientifiques n'auraient-ils pas été
confusibles avec les débuts de l'ère
nucléaire et ne nous auraient-ils pas
fait connaître les premiers pas de
l'énergie atomique? Mais c'est dire que
tous les progrès de nos connaissances
scientifiques et philosophiques ont
commencé de nous faire connaître les
secrets du fonctionnement et des
disfonctionnements de nos cerveaux de
sorte que nos têtes devenaient la plaque
tournante de tout progrès réel de notre
connaissance de nous-mêmes.
Du coup, comment
une anthropologie réellement
scientifique ne se serait-elle pas
focalisée sur une connaissance de plus
en plus vertigineuse de la dizaine de
cerveaux de génie qui n'ont cessé de
féconder les cerveaux insulaires ? Il se
trouve que le cerveau des grands hommes
est toujours une île à la recherche de
son statut particulier et que toute
connaissance de nous-mêmes ne peut que
s'approfondir à la lumière d'une
découverte progressive de l'ultime
subjectivité du rationnel. Car si tout
signifiant se révèle subjectif du seul
fait qu'il demeurera nécessairement
humain, il devient vital de découvrir ce
qu'il y a d'humain dans le concept même
de signification. Et la
connaissance de la subjectivité du
sacré redevient focale car elle nous
révèle l'ultime secret de la politique,
puisque nous découvrons alors que ce que
les dieux demandaient en réalité à la
créature était de leur renvoyer une
image idéale, donc falsifiée de leur
autorité.
S'il n'existe pas
de signifiants en soi, mais seulement
des chefferies mythiques, appelées à se
disputer leurs proies entre elles, on
comprend que la connaissance
philosophique et scientifique de
soi-même se révèle dans le même temps la
clé de la géopolitique et que nous avons
intérêt à observer notre cervelle à
l'école et à l'écoute de nos chefferies
mythiques. La fécondation de l'avenir de
notre humanisme est à ce prix, parce que
l'islam est redevenu une croisade
d'Allah et que l'islam ne tue pas pour
tuer, mais pour servir les intérêts du
dieu Allah.
De toute façon,
l'homme est un animal dont l'ambition ne
peut se révéler que cérébrale, donc
politique et le politique divinisé est
toujours et nécessairement totalisant et
totalitaire. C'est pourquoi le sacré
nous livre également les clés de la
tyrannie.
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