Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Quelle espèce
d'animal sommes-nous ?
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Jeudi 8 mars 2018
L'anthropologie
scientifique, donc philosophique, se
trouve à une croisée crucifiante de son
chemin. Le Président Vladimir Poutine en
a pris date le 27 février 2018. C'est à
ce titre, en réalité, qu'il s'est
demandé dans quelles conditions la bombe
atomique serait utilisable par la
Russie. Premièrement, dit-il, dans le
cas où la Russie serait la victime d'une
attaque nucléaire, secondement, dans le
cas où une attaque avec des armes
conventionnelles mettrait son existence
même en péril.
En vérité la
première de ces deux menaces ne ferait
qu'illustrer le schéma actuel de la
dissuasion actuellement conforme à tous
les schémas prévus par tous les
états-majors en droit international
actuel. Si la bombe avait existé en
1940, la France du six juin aurait été
mise dans ce type d'inexistence
juridique.
La seconde
hypothèse renvoie la réflexion à un
fondement beaucoup plus originel, car,
dans ce cas, la question réellement
posée en profondeur est de savoir si
l'homme est un animal guerrier au sens
où le lion a des griffes et une
mâchoire, le rhinocéros une corne et
l'éléphant des défenses d'ivoire. Les
éléphantologues viennent de découvrir
avec une intense stupéfaction, qu'il
nait désormais des éléphants privés des
défenses redoutables de leurs ancêtres,
comme si, dans la profondeur de ses
mystères, la nature et la vie avaient
déjà pris leurs dispositions afin de
faire face à cette situation. Pour
l'instant, les faits contredisent une
telle hypothèse.
L'heure a sonné
pour la philosophie de se demander si
l'homme appartient à une espèce
guerrière à titre psychobiologique ou
seulement au gré des circonstances. Car
enfin, la bombe d'Hiroshima remonte à
soixante-treize ans. Elle a paru
seulement aux yeux de quelques esprits
d'avant-garde illustrer la fin de toute
guerre , du moins entre les continents
et les civilisations. Puis ce verdict a
semblé confirmé par l'invention de la
bombe thermonucléaire que la France a
mis plusieurs années à redécouvrir,
parce que son déclencheur était trop
simple pour les élèves de nos grandes
écoles : il suffisait de lui donner une
bombe d'Hiroshima miniaturisée pour
déclic.
Tout le monde admet
que la bombe thérmonucléaire ne fait
reposer la guerre que sur un seul
ressort - la dissuasion - c'est-à-dire
sur l'art d'éviter une catastrophe
mondiale sans remède. Car enfin
l'arrière-plan mythique de l'arme
thermonucléaire fait entrer la terreur
militaire dans son aura le plus
primitif, l'aura théologique d'une fin
apocalyptique du monde.
Et pourtant, le
Général de Gaulle lui-même n'a cru que
fort tardivement que la guerre atomique
était impossible - il croyait en
l'imminence d'une guerre de ce type
entre les Etats-Unis et l'URSS. Puis il
a cru que l'arme française qualifiée de
"tous azimuts" serait utilisable
solitairement et serait miraculeusement
immunitaire au profit de la seule
France. Et que se passe-t-il sous nos
yeux? Les Etats-Unis mettent en scène
sur tous les océans une armada impavide
de douze porte-avions à propulsion
nucléaire dont la plupart à rayon
d'action illimité et ils viennent
d'inscrire dans leur programmation la
possibilité qu'ilsrevendiquent
désormais, d'utiliser l'arme atomique
les premiers, donc en solitaires.
Or, tous les
stratèges de grande envergure
d'aujourd'hui savent que porte-avions
sont des iles flottantes vulnérables à
souhait, tous les vrais connaisseurs de
la guerre navale moderne savent que
quelques centaines de missiles lancés à
partir des rivages et enfouis à des
dizaines de mètres sous terre, en
auraient raison en quelques secondes.
C'est à cette réalité nouvelle que
Vladimir Poutine a clairement fait
allusion le 27 février.
Or le monde entier
fait semblant d'ignorer ce qui se trouve
actuellement théorisé, donc actualisé
dans quelques cerveaux d'avant-garde.
C'est donc bel et bien que le besoin de
croire en une volonté guerrière
immanente à la psychophysiologue du
simianthrope est intouchable et
d'origine quasiment sacrée. C'est donc
bel et bien que cette bête est née et
mourra belliqueuse, c'est donc bel et
bien que ce bipède se croirait hors jeu
et définitivement émasculé s'il perdait
sa passion d'anéantir son voisin et
lui-même en retour.
De même des
milliers de bombardiers lourds se font
de leur cargaison de terreur un glorieux
holocauste potentiel, de même, sans
encore oser l'avouer, toutes les nations
dites civilisées ont amplifié et
perfectionné leurs armes chimiques et
biologiques. Mais elles se révèlent
inégales dans l'art d'affiner leur
stockage et leur protocole
d'utilisation; et tous les océans du
monde emplissent leurs vastes flancs de
sous-marins branchés à leur tour sur
l'apocalypse atomique.
Que va-t-il donc
immanquablement arriver sur la planète
des guerriers aveugles? J'ai déjà
raconté sur ce site comment en 1962,
Raymond Aron , l'illustre auteur de l'Introduction
à la philosophie de l'histoire
et éditorialiste au Figaro,
avait tenu à me rencontrer à la suite
d'un article sur la dissuasion nucléaire
que j'avais publié dans la revue
Esprit à une époque où le
premier ministre du Général de Gaulle,
M. Michel Debré, s'ingéniait à inspirer
des pseudo-stratèges de la guerre
nucléaire française dans les colonnes de
la Revue de défense nationale:
" Naturellement, me dit l'illustre Pic
de la Mirandole de la géopolitique de
l'époque, à la première attaque
nucléaire russe, on capitule. " Etc omme
je luis demandais pourquoi il n'osait
pas l'écrire noir sur blanc dans un
éditorial du Figaro, sa seule réponse
confirma ses vues: "Cela ne servirait à
rien".
Mais aujourd'hui,
il est clair que la seule connaissance
humaine qui puisse se qualifier de
scientifique est philosophique, parce
qu'elle se révèle une anthropologie
abyssale depuis Socrate et Platon. C'est
elle qui, seule dans le parc
d'attraction du monde moderne qu'on
appelle les sciences humaines, aille
plus loin dans le défrichage de
l'inconscient de la bête onirique que
nos psychanalystes qui se révèlent bien
incapables d'entrer dans le gouffre de
l'avenir riche en vertiges de Socrate.
Or, une paralysie
nouvelle du cerveau simiohumain se
profile à l'horizon: nous commençons de
savoir qu'une guerre thermo-nucléaire
n'est pas menable sur un champ de
bataille réel . Nous commençons
également de savoir qu'il sera
impossible de feindre longtemps de nous
menacer de l'apocalypse les uns les
autres sur un astéroïde minuscule. Nous
commençons de savoir que l'ère des
rodomontades est nécessairement d'une
durée limitée et que nos croiseurs
nucléaires voient l'opulence de leurs
pavanes sur les ondes menacée d'un
prompt engloutissement ; car si le
ridicule dure dans la minusculité qui le
cache à tous les regards, le ridicule
porté au titanesque tombe dans le
grotesque et fait appel au grand rire
des Rabelais et des Aristophane, des
Cervantès et des Shakespeare , des Swift
et des Voltaire.
8 mars 2018
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