Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Les mythes sacrés et la politique
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 7 octobre 2016
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1 - A la recherche
d'un regard de
l'extérieur sur les
dieux
2 - Dieu, ce miroir
de l'homme
3 - Un Dieu
hollywoodien
4 - Trois dieux en
apprentissage
5 - L'éducation des
dieux
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1 - A
la recherche d'un regard de l'extérieur
sur les dieux
En
1981, M. Jean d'Ormesson a publié un
ouvrage dont le titre, Dieu, sa
vie, son œuvre s'est révélé un
thermomètre de la raison de l'époque.
Car, d'un côté, le niveau cérébral de
l'Eglise catholique à la française
n'était déjà plus suffisant pour
susciter des réactions indignées, qu'on
puisse comparer Dieu à un écrivain
talentueux. Mais de l'autre, la cervelle
de l'humanité de ce temps-là n'était
encore ni suffisamment prospective pour
s'interroger sur le statut de
l'intelligence humaine, ni suffisamment
armée pour observer de l'extérieur le
fonctionnement du cerveau simiohumain au
stade actuel de son évolution, car la
notion même d'extériorité de
l'observateur était encore titubante et
pour ainsi dire dans les limbes.
Aussi
personne n'était-il en mesure de se
demander à partir de quelle extériorité
Jean d'Ormesson s'était donné un
observatoire qui lui permettait de
capturer dans le champ de son télescope
l'extériorité de type chrétien. Et
pourtant, il s'agissait d'une étape
cruciale dans l'histoire de la postérité
du XVIIIe siècle, puisqu'on se trouvait
déjà loin de Voltaire: jamais l'auteur
de Candide, au reste déiste, n'aurait
songé à regarder de l'extérieur son
célèbre "horloger" de l'univers.
Mais,
en 1981, la question commençait de se
poser de savoir pourquoi, avant le
siècle de Platon, aucun philosophe,
aucun apprenti anthropologue, aucun
théologien, aucun mystique n'avait songé
à conquérir un observatoire des
géniteurs assyro-mésopotamiens du
cosmos. Le monde gréco-latin se
racontait les exploits et les frasques
de Zeus. On savait par cœur ce que ce
Céleste avait accompli sur la terre,
mais ni Platon, ni Aristote, ni aucun
historien de l'époque n'était capable de
décrire Zeus, Athéna, Poséidon en tant
que représentants masqués du genre
humain, tandis qu'avec le christianisme,
il était devenu évident que le Dieu
nouveau se trouvait condamné à tracer
sur la terre le même sillon que sa
créature et à s'embourber dans le lacis
inextricable des contingences. Que fait
d'autre le chrétien, sinon de se diluer
dans une transcendance détachée de tout
lien - c'est ce que signifie le mot
absolutus - puis de se colleter avec
les heures et les labours.
2 - Dieu, ce
miroir de l'homme
Il
devenait évident que l'homme ne pouvait
apprendre à se connaître sans se
regarder dans les miroirs respectifs de
Jahvé, d'Allah et du Dieu des chrétiens.
Il n'était plus possible de douter que
si un Dieu unique avait pu rassembler
ses trois prototypes, leurs théologies
respectives demeuraient radicalement
incompatibles entre elles.
Il
fallait donc se demander pourquoi il
existe pour le moins trois dieux
ambitieux, chacun pour leur part, de
rafler la mise; il fallait donc, dis-je,
se demander pourquoi l'humanité se place
sous la protection, le joug et le
sceptre de trois dieux différents. Il
fallait, enfin, forger une anthropologie
capable d'expliquer pourquoi telle
portion du genre humain a besoin de tel
Zeus et telle autre portion de telle
autre réplique de Jupiter.
En
vérité, Jean d'Ormesson ne savait pas
que son ouvrage de 1981 conduisait une
anthropologie politique en marche à
observer le mythe de la Trinité du
dehors. Car l'homme latin a besoin de
placer les affaires du monde sous le
commandement de deux timoniers
responsables de tout le temporel - un
Père et un Fils assis à l'établi de la
politique - tandis que l'Orient
orthodoxe se fonde sur une théologie du
Saint Esprit en mesure de placer les
gestionnaires susdits sous son contrôle
souverain.
3 - Un Dieu
hollywoodien
Mais
voici que l'anthropologie critique
rejoint toute l'anthropologie
contemporaine, car le Dieu protestant
répond aux besoins d'une humanité
désireuse de se placer sous le
commandement d'une divinité désormais
attachée à élire ses serviteurs et à
leur accorder le privilège d'une grâce
exclusive et suréminente, celle des
annonciateurs du règne de sa vérité et
de sa justice. C'est ce type d'élite
politique de pasteurs des peuples et des
nations qui arme aujourd'hui l'empire
américain et ce sont ses ramifications
fondatrices et pourtant collatérales
qu'incarnent le Pentagone et l'OTAN.
C'est dans cet esprit qu'un type nouveau
d'empereur du monde a débarqué sur la
scène, un empereur propriétaire de
l'esprit divin, un empereur dont le
sacerdoce se confond avec sa politique
de conquête.
Mais
il y a plus: un dieu hollywoodien est
appelé à faire descendre la bande
dessinée dans la géopolitique. Le héros
hollywoodien est un personnage dont la
légende se nourrit d'exploits
surhumains, mais s'il est capable
d'arrêter un train d'une seule main, il
ne faut pas s'y tromper - cet exploit se
répercute sur le mythe de la
toute-puissance de l'empire américain et
il en est une représentation
saisissante, fascinatoire et qui se veut
invincible.
Certes, l'histoire de la création du
monde en sept jours est la première
bande dessinée de l'humanité moderne.
Mais le mythe hollywoodien en figure
l'achèvement, puisque Mme Hillary
Clinton et M. Obama se proclament l'un
et l'autre les chefs de la seule nation
salvatrice, celle dont les apanages
proclament ouvertement qu'il appartient
aux autres nations de se soumettre à
leurs prérogatives, puisque la nouvelle
Providence, donc la nouvelle prévoyance,
appartient à la forme suprême de la
divinité et au peuple des élus de
naissance.
4 - Trois dieux en
apprentissage
On
voit que le titre de Jean d'Ormesson
attend des décrypteurs d'un type
nouveau. Peu importe que Cervantès n'ait
pas compris quelle serait la postérité
de Don Quichotte, peu importe que
Shakespeare n'ait pas compris la
postérité d'Hamlet, du roi Lear ou de
Macbeth, car l'anthropologie critique
regarde de l'extérieur une espèce qui se
place sous le type d'autorité qui répond
à ses besoins. Pour comprendre la
construction dans l'imaginaire à
laquelle se livre une espèce onirique
par définition, il faut observer comment
les dieux font parler leurs créatures et
leur mettent entre les mains le joug et
le sceptre qui répondront à leurs
besoins.
Il
manquait à la panoplie des Célestes du
monde moderne une divinité dont le
flambeau suprême serait la soumission
inconditionnelle de ses fidèles à son
omnipotence et à sa miséricorde, il
fallait le Dieu que Muhammad a mis dans
la bouche de l'ange Gabriel. Entre le
Dieu du Coran et le Dieu
des élus souverains, le monde moderne
est appelé à un nouvel apprentissage,
celui d'un regard rationnel de
l'humanité sur elle-même et sur ses
dieux.
Du
coup, la conquête d'un regard sur le
Dieu unique des juifs, des chrétiens et
des musulmans passe par l'examen des
maladresses et des naïvetés de leur
apprentissage de l'histoire et de la
politique. On n'imagine rien de plus
obtus et de plus stupide que le Déluge.
Du reste, son inventeur s'en est repenti
- c'était la méthode punitive la plus
myope et la plus inefficace qu'on pût
imaginer. Car le mythe de Noé et la
pléthore de ses descendants allaient
démontrer que les humains retomberaient
dans les vices congénitaux censés
détectés tout subitement et avec un
grand retard par une prétendue sagesse
divine désespérément en quête de ses
repères. Puis, quoi de plus sot que de
faire rôtir éternellement sous la terre
des créatures mal construites dès le
départ et dont les rôtissoires posthumes
reconnaîtraient l'impossibilité d'en
jamais changer la nature.
5 - L'éducation
des dieux
L'apprentissage du métier de divinité
unique raconte l'histoire des
tâtonnements de la justice humaine des
origines à nos jours. Mais les trois
dieux uniques ont vieilli sous le
harnais. L'homme s'est révélé de plus en
plus l'éducateur de ses géniteurs. Du
coup, les vieillards du cosmos sont
devenus tellement aveugles et durs
d'oreille qu'ils ont pris des siècles de
retard sur l'humanité pensante. Voyez la
longue résistance que le Mathusalem
chrétien du cosmos a opposée aux
audacieux qui prétendaient abolir la
peine de mort, tellement il est
contradictoire de se donner un dieu des
tueurs et, dans le même temps, de
condamner Caïn tueur de son frère.
Car un
Sarkozy reconnaît que le modèle
d'intégration républicain a échoué et
qu'il faut tenter d'assimiler les
adeptes du Coran. Mais
quel sera le degré de réflexion qu'il
faudra acquérir pour mériter
"l'assimilation"? Faudra-t-il placer la
barre tellement haut que le concept
"d'assimilation" aurait un contenu digne
des progrès de la connaissance actuelle
d'une espèce viscéralement onirique,
digne d'une connaissance de
l'anthropomorphisme sacré, digne d'une
connaissance anthropologique des
cosmologies mythiques?
Car
les dieux du polythéisme se
soustrayaient déjà à leurs
représentations corporelles. On pouvait
dresser des statues d'Auguste, de Jules
César ou de la Louve romaine nourricière
de Remus et de Romulus. Mais les dieux
échappaient à leurs représentations
physiques: les sculpteurs des immortels
produisaient des "signa",
c'est-à-dire des signes de leur
transcendance et ces signes renvoyaient
à des symboles qu'on appelait également
des "simulacres". Le verbe
exister appliqué à une divinité
renvoyait à des personnages dotés d'un
corps impérissable et censé rendre
resplendissante une chair immortelle. Le
monde païen nourrissait déjà le rêve
animal de l'immortalité des corps
triomphants dans l'éternité de leurs
organes.
C'est
désormais la France qu'il faut accuser
d'irrationalisme. D'un côté, la loi de
1905 déclare que la laïcité ne
reconnaît, donc ne légitime, aucune
religion et que leur absurdité interdit
aux descendants du XVIIIe siècle d'en
valider les dogmes et la doctrine. De
l'autre, on entend le Président de la
République manquer de courage
intellectuel au point de déclarer que la
laïcité n'est pas opposée aux religions.
On peut dire ce que l'on veut, mais on
ne saurait ignorer la signification de
ce que l'on dit. Depuis 1905, la France
laïque n'a progressé en rien dans la
connaissance anthropologique de
l'onirisme humain et dans la
connaissance de l'anthropomorphisme des
mythes sacrés. Elle paie sa paresse
intellectuelle, philosophique et
scientifique d'un reniement de toute
l'histoire de la pensée européenne
depuis le XVIIIe siècle.
C'est
dire que le nouvel obscurantisme n'est
autre que celui d'une laïcité frileuse
et qui prend le relais de la peur
religieuse.
Quel
signe et quel symbole est-il à lui-même
et aux yeux du monde, le dieu de
Hollywood et de la bande dessinée! Ce
dieu-là change ses vassaux européens en
otages du traité de Lisbonne, ce dieu-là
éternise la présence de cinq cents de
ses bases militaires au cœur d'une
Europe asservie. Rien de moins
socratique qu'une civilisation de la
glorification posthume des corps, rien
de moins étranger à la pensée qu'une
civilisation du transport des squelettes
dans l'éternité.
Le 6
octobre 2016
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