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Théopolitique

L'avenir mondial de la raison et
la spiritualité laïque

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Vendredi 6 juin 2014

1 - Un animal suspendu entre ses songes et ses arpents
2 - L'animalité cérébralisée
3 - Que signifie le verbe penser ?
4 - Les embarras de la science
5 - Notre double cécité
6 - Retour au temple d'Aphrodite
7 - Qui suis-je ?
8 - Le grand absent

1 - Un animal suspendu entre ses songes et ses arpents

Une laïcité privée d'assise philosophique est un carré rond, mais une philosophie sans spiritualité est un rond carré. Mais comment demander à des Etats de plus en plus rationnels de faire usage de leur seule raison politique et, dans le même temps, leur conseiller de s'accorder des pouvoirs censés validés de se fonder sur des dogmes hérités des premiers âges? Le fossé ne saurait se creuser indéfiniment entre des connaissances dûment vérifiées par l'expérience et l'ignorance des gouvernements réputés recevoir leurs directives du ciel de l'endroit. Les Etats schizoïdes se déliteront-ils et courront-ils au naufrage sur le même modèle qu'à la fin du Moyen-Age, à l'heure où l'abîme entre l'encéphale des rois théologiens et celui, encore timide, des premiers humanistes sapait les fondements divins des dynasties?

Or, si tous les Etats auto-proclamés laïcs, donc censés être devenus de grands raisonneurs depuis Voltaire, substituent leur autorité aux volontés encore qualifiées de révélées, donc recueillies de la bouche d'une divinité, aucun n'a raisonné le moins du monde sur ce point précis. Peut-on légitimer les verdicts de la pensée laïque sans les avoir démontrés? Ou bien l'Etat laïc n'aura pas prouvé les droits attachés à la raison raisonneuse, ou bien il craindra de découvrir les ultimes secrets religieux du singe locuteur et il redoutera de descendre dans les arcanes de sa propre cervelle. Mais, dans ce cas, le naufrage de l'humanisme superficiel des modernes dans un culte aveugle du vote populaire se révèlera parallèle à la débâcle cérébrale de la théologie du Moyen-Age. Car une civilisation qui renonce au "connais-toi" est déjà couchée sur son lit de mort.

La preuve: près de quatre-vingts ans après la mort de Freud et cent cinquante cinq ans après la parution de l'Evolution des espèces de Darwin, non seulement la réflexion scientifique et philosophique sur les mythes religieux est suspendue sine die dans le monde entier, mais la notion même de progrès intellectuel agonise au sein de nos sciences humaines privées de profondeur, donc de génie du tragique et les Etats républicains défendent une laïcité tellement décérébrée que ses fondements anthropologues remontent à 1905.C'est pourquoi, en l'an de grâce 2014, nous commémorons tranquillement et dans une acéphalie satisfaite le deux cent vingt-cinquième anniversaire de la Révolution ambiguë des droits d'une raison humaine trépassée d'un côté et d'une Révélation reléguée au musée des mythologies sacrées de l'autre.

Et pourtant, depuis vingt-cinq siècles, jamais les progrès de la pensée véritable n'ont passé par une politique des cervelles fondée sur le culte des droits de l'ignorance et de l'irréflexion - et si l'on ne reproche au Front National que de faire rétrograder la France des petits synchrétistes triomphants, c'est dans l'oubli que ce parti passe outre, comme tous ses confrères, à toute spéléologie du crâne humain, donc à toute résurrection de la raison mondiale. On ne fait pas revenir une nation sur son décervellement à prétendre réhabiliter le vieux principe de la séparation entre une Eglise stagnante et un Etat creux.

Mais pourquoi ce parti du "renouveau" fait-il aussi peu progresser la connaissance anthropologique des ressorts et des rouages des croyances sacrées que les défenseurs de toutes les superstitions du monde? C'est cela, la mort d'une civilisation: on brandit le drapeau d'un humanisme vide de sens et fondé en catimini sur le refus pur et simple d'approfondir la connaissance critique des évadés partiels de la zoologie, on exalte subrepticement une " tolérance " religieuse glorificatrice d'une culture épidermique. Circulez, il n'y a rien à voir.

2 - L'animalité cérébralisée

Comment se fait-il que la question centrale des apanages que revendiquent respectivement le temporel et le mythe n'ait jamais été abordée ni de front, ni de biais dans la République et que le débat soit tombé dans l'insignifiance aux yeux des plus hautes instances de l'Etat laïc? Une démocratie n'aurait-elle pas le plus grand intérêt - et précisément un intérêt proprement politique - à préciser les prérogatives que s'arrogent des croyances réputées de provenance surnaturelle d'un côté et, de l'autre, les apanages majeurs que revendique la pensée logique - celle dont le sens rassis du genre humain voudrait se réclamer à bon escient - alors que cette aporie s'est rallumée sur les cinq continents depuis un demi-siècle et n'est pas près de quitter l'estrade de la géopolitique du XXIe siècle?

L'Amérique du Sud veut rendre le christianisme allègre et libérateur, mais ne sait que faire de la théologie des empires infernaux en fusion dont les trois monothéismes se partagent l'incendie éternel, que l'islam se déchire sur toute la terre entre les fanatiques et les médiateurs avisés d'Allah et que l'Europe des Etats issus du siècle des Lumières sombre dans la crainte de peser les encéphales métazoologiques, ce qui lui interdit de rédiger un nouveau Discours de la méthode sur notre astéroïde.

Tristan Bernard disait: "Shakespeare est mort, Dante et mort, Goethe est mort et moi-même je ne me sens pas très bien". L'heure aurait-elle sonné de dire: "Jonathan Swift est mort, Darwin est mort, Kafka est mort. Ces trois méta-zoologues de génie ont tenté de cerner l'animalité spécifique du singe locuteur et de préciser les contours d'une bestialité cérébralisée." La postérité de ces trois précurseurs sera celle d'une science du regard que les évadés de la zoologie porteront demain sur le crâne que leur évolution a fait débarquer dans leurs univers de la parole.

3 - Que signifie le verbe penser?

Jusqu'où un régime politique officiellement fondé sur l'éducation patiente des nations demeurées en retard dans l'ordre de la pensée logique et des cervelles encore en gésine de l'espèce de raison que le XVIIIe siècle avait lancée sur le marché de la connaissance scientifique, jusqu'où ce régime, dis-je, pouvait-il solennellement réaffirmer l'existence de Dieu jusque dans l'enceinte de ses écoles publiques, mais sans jamais peser le sens du verbe exister? Jusqu'où l'éducation pseudo rationaliste moderne a-t-elle tenté de valider le coup de force, astucieusement imaginé par Napoléon, de faire promulguer l'existence de Zeus par la volonté expresse des Athéniens rassemblés sur l'Agora et de légitimer, par conséquent, le christianisme et tous ses dogmes en état de marche par la volonté expresse d'un suffrage universel miraculeusement informé des ultimes secrets de la matière cosmique?

"Le peuple français proclame l'existence de Dieu" avait fait dire l'empereur aux citoyens campés en souverains aussi bien du cosmos que d'eux-mêmes sur leurs lopins. Il faut s'y résigner: le Dieu privé de grammaire actuellement en fonction n'a pas jailli des fonts baptismaux d'une théologie révélée, mais d'une souveraineté démocratique salutatrice des exploits religieux de la culture mondiale. Le trône de ce législateur est donc subjectif par nature ce qui le rend renversable au gré des majorités culturelles du moment. Du coup, le ciel peut également retrouver subitement, toutes ses prérogatives provisoirement abolies par le verdict passager des urnes. Mais alors, sur quelle civilisation de la raison un dieu Démocratie issu de la seule volonté du peuple souverain fonde-t-il la transcendance de la bête métazoologique?

4 - Les embarras de la science

Si la laïcité a bâti la validité des croyances dites "révélées" sur la liberté d'opinion pleine, entière et mise hors de contrôle de toutes les nations et de tous les peuples semi-rationnels de la terre et si la croyance en l'existence de ce Dieu-là loge qui bon lui semble dans les nues, il faut reconnaître que la syntaxe et le vocabulaire de la laïcité moderne se dont rendues plus décérébrées que la théologie des juifs, des chrétiens ou des musulmans réunis, puisqu'elle ne précise ni le statut politique de la raison seulement humaine, ni celui d'une foi scindée entre plusieurs théologies du monothéisme; car elle se contente de gérer dans son coin et platement la confusion mentale qu'elle a universalisée au nom d'un Dieu boitillant entre ses majorités passagères. Mais pourquoi l'ignorance des ignorants blasonnés du titre de docteurs par la foule massée sur les places publiques serait-elle moins observable sous le baudrier de l'éducation nationale que celle des prêtres de l'Apollon de Delphes ou de l'Aphrodite d'Ephèse?

Et pourtant, une histoire asservie aux sortilèges d'un temporel assermenté par les feux-follets d'une démocratie claudicante se hâte davantage que la foi des ancêtres de réfuter l'interdiction laïque de penser sérieusement. Car les civilisations tombées dans les mythologies sacrées se réjouissent bruyamment de penser tout de travers; mais de son côté et deux siècles seulement après la prise de la Bastille, une République délibérément privée de cerveau cogitant se châtie durement elle-même; car du moins s'en veut-elle d'échouer dans son combat décérébré contre la décérébration d'une démocratie mondiale qui se garde bien de penser l'humanité à l'échelle de la planète. Pourquoi cela, sinon parce que la séparation orageuse entre la souveraineté de l'Eglise et celle de l'Etat, donc entre la vérité réputée venir d'ailleurs et l'erreur rusée des hommes, cette séparation, dis-je, s'est couverte de la poussière d'un siècle entier, comme il est dit plus haut, pour n'avoir osé aborder aucune des difficultés psychologiques, anthropologiques, historiques ou politiques que soulève la survivance entêtée des cosmologies oniriques des premiers âges au sein de la civilisation mondiale tout entière.

Comment la pensée logique refuserait-elle de se demander pour quelles raisons les évadés actuels, donc partiels de la zoologie se dotent obstinément d'un chef et d'un maître inégalement vaporeux et qu'ils installent plus ou moins commodément ou au prix des plus grandes difficultés dans la solitude du cosmos? Pourquoi défrichent-ils le désert de l'immensité, pourquoi labourent-ils un vide avec lequel seul celui de l'infini se met en mesure de rivaliser?

Une chanson de Charles Trenet dit:

Le soleil a rendez-vous avec la lune
Mais la lune n'est pas là et le soleil l'attend

L'origine de l'alliance du pouvoir politique avec le pouvoir religieux résulte de l'impossibilité, pour les classes dirigeantes des sociétés primitives, d'avouer à leurs congénères qu'elles ignorent l'origine du soleil et de la lune. Avant l'invention des cosmologies mythiques, seul le culte des morts et des dieux lares rattachait la conduite des Etats à la connaissance des ultimes secrets de l'univers. Puis, peu à peu, une astronomie demeurée mi-descriptive, mi-explicative a passé pour coiffer les pénates. Et maintenant, on ne sait plus quelle est l'origine de notre système d'éclairage du cosmos, mais on calcule la masse de lumière et de chaleur que dégagent nos lampions. Et pourtant le poète chantant, avec son vers de douze pieds, vaillamment suivi d'un autre de treize, échoue à redonner aux astres le rang de personnages en activité dans une immensité mystérieuse - et nous ne savons toujours pas ce que sont nos deux geôliers principaux, l'espace et le temps.

Toute la physique contemporaine a oublié que le temps n'est pas seulement un coadjuteur chargé d'épauler la matière en mouvement et de régler le débit des heures sur la vitesse de son compagnon de route, mais la condition de l'existence même du cosmos. Le temps échappe à l'expérimentation de l'accélération des particules: impossible de jamais connaître ce cocher dans son existence spécifique. Sitôt que je veux rendre compte de cet acteur de l'univers, je suis déjà pris dans son enceinte, donc incapable de jamais me situer hors de son étau; et si j'entends penser le temps qui me capture, donc le monde dont il tient les rênes, c'est l'univers tout entier que je dois renoncer à placer sous le joug du verbe être.

Impossible de s'attacher à préciser la nature d'une durée qui échappe à nos cyclotrons et qui ne saurait se présenter à l'observation, puisque le temps trépassé ne saurait se placer sur la balance à peser l'existence d'un monde encapsulé dans le temps. Mais s'il faut peser la lumière du non-être à la lumière du non-être, seuls les mystiques ont rencontré l'aporie à laquelle se heurtera toute la science physique de demain - à entendre les expérimentateurs du néant, l'univers serait "tombé dans le temps".

La physique mondiale a rendez-vous avec l'ultime finitude de la science de la matière et du temps; et cette finitude-là ne se laissera pas "observer" dans les laboratoires. On attend les expérimentateurs de la mort de Chronos.

5 - Notre double cécité

La loi de 1905 sur le divorce de l'Eglise d'avec l'Etat coïncide avec la découverte de la relativité générale d'Einstein. Cent dix ans plus tard, l'enseignement laïc n'a pas davantage adapté l'éducation nationale à l'univers de la quatrième dimension dans les écoles de la République que l'Eglise du XVIIe siècle n'avait quitté l'astronomie de Ptolémée.

En ce temps-là, l'espace et le temps étaient encore candidement séparés, et nos ancêtres les croyaient unifiables chacun de son côté. Aristote avait expédié la question en arpenteur: "Le temps est la mesure du mouvement", disait-il, ce qui supposait que la clepsydre ou le sablier cachaient deux acteurs dans leur coulée, la durée ou l'étendue.

Mais, en 1904, Copernic enregistrait naïvement une métamorphose du cosmos qu'il aurait dû prévoir. Pourquoi ne tirait-il pas les conséquences logiques de l'expérience suivante: si vous échangez des balles sur un navire en marche, leur va-et-vient ne tient aucun compte de la course de leur support sur les eaux; et si tout objet en mouvement charrie son espace et sa durée confondus avec ses atomes, on comprend que la lune tourne autour de la terre comme si celle-ci ne courait pas autour du soleil à la vitesse de trente kilomètres à la seconde. De même les planètes tournent autour d'un astres censé immobile dans l'espace de Copernic, alors que cette étoile se rue en direction de la constellation de Bételgeuse. Pis encore, si je chevauchais un rayon de lumière, je périrais aussitôt, parce que mon cœur battrait cent fois moins rapidement, mais si je survivais un an à ce ralentissement, je retrouverais la terre vieillie d'un siècle.

Le temps n'est donc pas plus unifiable que l'étendue - je suis lové dans une durée dont la coulée obéit à des rythmes variables, je suis livré à un vide coupé en tranches mystérieusement séparées. Tout cela n'a rien de commun, existentiellement parlant, avec le système métrique sûr de lui et les horloges peu étonnées de Copernic et de Newton. La laïcité peut-elle se tromper d'astronomie comme elle se trompe d'anthropologie?

6 - Retour au temple d'Aphrodite

La difficulté de penser le sacré démocratique et le sacré religieux commence avec l'impossibilité de préciser le contenu scientifique et psychologique d'une foi stabilisée par une théologie rigoureuse. Quel était le contenu doctrinal bien arpenté de la foi des Grands à la cour de Louis XIV? D'un côté, ils écoutaient les logiciens d'un ciel bien structuré par les Bossuet, les Bourdaloue ou les Massillon avec une ferveur conciliatrice de la dialectique avec la politique, mais, de l'autre, ils réconciliaient autant que faire se pouvait, les maîtresses du roi avec la monarchie de droit divin, donc un Evangile irénique avec les conquêtes guerrières dont se nourrit la gloire de tous les rois du monde.

Un siècle plus tard, quel était le contenu syllogistique de la foi d'une haute et d'une moyenne bourgeoisie plongée dans la lecture de Madame Bovary ou de La Vie de Jésus de Renan? Quelle est la dévotion argumentée des Napolitains d'aujourd'hui? Chaque année, le 19 janvier, une foule de fidèles convaincus de la sincérité de leurs dévotions se presse dans l'enceinte de la cathédrale où un notaire apostolique est censé constater de ses yeux le prodige rituel de la liquéfaction, tantôt retardée de quelques instants, tantôt ponctuelle à souhait du sang d'un saint Janvier appelé à se retrouver durci dans sa fiole pour le reste de l'année. Sur quelle assise catéchétique la foi de cet officier ministériel repose-t-elle? Visiblement, il est de mèche avec un Vatican dont la pastorale juge sage de cautionner le subterfuge par l'autorité d'un tabellion assermenté. Mais ni la piété notariale, ni l'ecclésiale n'en sont ébranlées pour un sou. Dans ce cas, quelle est le pilier cérébral de la dévotion censée argumentée du Saint Siège lui-même?

Et maintenant, quittez les parvis de la superstition napolitaine et courez dans les rues et les ruelles de la ville, et maintenant demandez aux passants leur sentiment sur le miracle traditionnel du 19 janvier. Je vous le dis, vous ne croiserez pas un seul mécréant, parce que le prodige figure dans la liste des trésors religieux de la ville. Si vous vous rendez à Milan ou à Venise, trouverez-vous des jaloux du riche magasin des accessoires religieux des Napolitains? Nenni: le même patriotisme confessionnel vous dira que l'Italie est la capitale d'une religion universelle, donc respectable et qu'il ne serait pas civique de porter atteinte à la gloire d'un saint célèbre dans le monde entier. Les visiteurs des temples prestigieux d'Aphrodite, d'Apollon ou de Junon ne disaient pas autre chose.

Puis, partez pour l'Allemagne protestante où Luther vous fera prudemment escamoter, mais nullement réfuter vigoureusement le dogme de l'immaculée conception ou de la naissance virginale, tandis que la Prusse calviniste vous livrera à un Dieu privé des colifichets d'une prêtrise substantifiable, donc de lien social pétrifié, mais dont le sceptre sera d'autant plus redoutable que ses foudres se seront privées des renforts du bois, du fer ou de la pierre et n'auront ni anse, ni manche à tenir dans vos mains. Le fondement de la foi réformée serait-il seulement la croyance ferme et inébranlable en l'existence du Dieu solidifié que les Français ont couronné de la tiare de Napoléon?

7 - Qui suis-je ?

Mais, du coup, votre embarras ne fera que grandir. Car s'il est possible de préciser ce que signifie concrètement le verbe exister appliqué à un arbre ou à une charrue, que faut-il entendre par la notion abstraite d'existence attribuée à un Dieu insaisissable par nature et par définition? Bien plus, qu'en est-il de l'existence vaporeuse, mais établie, de la géométrie si seule la logique d'Euclide s'en porte garante et si elle a fait naufrage dans le cosmos en 1905? Que penser des démonstrations attestées des mathématiques tridimensionnelles, que dire d'une philosophie ritualisée par sa scolarisation intensive, comment peser une République enchainée à ses démagogues institutionnels, comment libérer une Démocratie ficelée à un corps électoral d'ignorants? Ou bien vous observez la nation telle qu'elle se présente ligotée dans l'enceinte d'une Assemblée Nationale de la sottise publique ou d'un Sénat des Sancho Pança de la démocratie et, dans ce cas, ce n'est pas elle que vous voyez si mal fagotée par ses écuyers, mais seulement son ombre ou sa caricature. Mais si vous la définissez dans son idéalité cérébrale, donc dans sa perfection gargarisée, jamais vous ne saisirez ce don Quichotte à bras le corps - le canasson Rossinante veille au grain.

Il en est ainsi de "Dieu": cette Dulcinée échappe à ses liturgies, à ses encensoirs ou à ses prêtrises sur le même modèle que la République tourne le dos à ses magistrats, à son clergé d'Etat et à tout son cérémonial. Mais si vous évoquez le souffle du mythe caricaturé par sa pastorale, sa toison vous glissera sans cesse des mains. Et vous vous direz: "Qu'en est-il de ce personnage d'apparat dont le monde entier se dit habité"?

Serions-nous sur la piste de cet acteur obsédant? Car enfin, nous sommes tous dichotomisés sur le modèle de cette effigie: notre corps, ce n'est pas nous, mais notre âme est un vivant incapturable: "Je pense, donc je suis", disait fièrement Renatus Cartesius. Mais qui es-tu, toi qui voudrais te connaître pour un animal pensant, alors que ta pensée n'est jamais que ton spectre et qu'à peine cernée un instant, cette ombre a bondi plus loin et te précède de nouveau? Décidément, le sang tour à tour coagulé et liquéfié de saint Janvier, c'est toi ! Quel alchimiste que le mythe!

En vérité, nous ne savons ni qui nous sommes entre nos Béatrice et nos Maritorne, ni de qui nous parlons quand nous évoquons la France, la République ou la divinité. Nos mathématiques demeurent en cours de définition, mais elles sont inachevables, notre philosophie est en cours d'accouchement, mais elle a ouvert l'infini devant elle. Qu'en est-il de l'ambition de connaître l'animal en fuite devant la bête qu'il pourchasse et qui n'est autre que lui-même ?

8 - Le grand absent

Si l'éducation nationale initiait les nations à la spiritualité qui inspirerait une laïcité pensante, peut-être la raison du monde trouverait-elle un pilote capable de conjuguer le verbe exister. Car, selon les Grecs, symboliser (sum-ballein) c'est "jeter ensemble" le signe et la chose signifiée. Si la France des signaux trouvait un gouvernail, si la lucidité et le courage trouvaient leur signalétique, si la pensée trouvait sa solitude, si la politique se signalait comme une bouée de sauvetage sur une mer démontée, la laïcité dirait à ses prêtres: "Vous êtes les hommes-signes de ce temps. Qui serez-vous quand vous conjuguerez le verbe le plus porte-lanternes dans toutes les langues de la terre, le verbe exister?"

Décidément, une laïcité respirante dans le symbolique se réserverait bien des surprises. Qu'en serait-il de son identité intellectuelle et spirituelle? Longtemps, cette actrice s'est montrée trop sûre de sa démarche. Elle s'est voulue le guide de l'esprit de raison de la France, celle du "Que sais-je?" de Montaigne, puis elle s'est rêvée le souffle ascensionnel de notre nation et son éducatrice sur le long chemin des élévations du genre humain. Mais pourquoi ne se demanderait-elle pas également ce qu'il en est de l'identité titubante des grands vivants en devenir de leur absence qu'elle a largués dans le cosmos?

Chez les Grecs déjà, les dieux dissimulaient leur absence sous les masques de leurs géniteurs apeurés. Qu'ont-ils à se cacher à eux-mêmes, les fabricants des masques titanesques qui leur accordent une prestigieuse effigie en retour? Serait-ce la peur qui leur interdit de se glisser dans le dos de leurs portraits gigantifiés dans le sacré? Mais si Jupiter était seulement l'exorciste de la solitude de ses créatures et le pédagogue de leur érémitisme originel, quelle ascension que d'enseigner aux idoles qu'elles n'ont pas de vis-à-vis sur lesquels se retourner et qu'elles servent seulement de béquilles du vide aux infirmes épouvantés par l'infini d'une éternité privée d'interlocuteur?

Qu'ont fait d'autre tous les mystiques du monde, sinon de chercher l'Absent dont ils se trouvaient habités? Qu'est-ce donc que l'élévation intérieure, sinon cette ascension-là? Mais alors, qu'en serait-il de la laïcité française si elle initiait la nation de la pensée aux secrets de vie ascensionnelle de la raison elle-même, celle qui réconcilierait vingt-cinq siècles de la philosophie d'un "connais-toi" insaisissable avec les profanateurs des idoles qui disaient à Zeus: "Ote-toi de là, Grand Fuyard, je n'ai pas besoin du soutien du soutien de ton effigie. Je sais que je brûle du feu de ton absence." L'absence de "Dieu" est le pain spirituel de tous les saints.

Et si les solitaires du cosmos, c'était chacun de nous?

7 juin 2014

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
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