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Qu'est-ce que philosopher

La condition humaine

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Vendredi 2 mai 2014

1- L'humanité physique et l'humanité réflexive
2 - Les embarras théologiques de la République
3 - L'irrationalisme laïc
4 - Une espèce prise en étau
5 - La responsabilité intellectuelle de la France
6 - L'inculture des Etats et la géopolitique
7 - Les deux enfers
8 - La viabilité des évadés de la zoologie
9 - La planétarisation des décadences
10 - Les vigies du néant

1 - L'humanité physique et l'humanité réflexive

Parmi les ouvrages dont l'interprétation de leur postérité intellectuelle pourrait nous aider à prendre le chemin d'une anthropologie moins titubante que la nôtre et déjà prospective, il faut compter: L'Essai sur l'accélération de l'histoire de Daniel Halévy (1948); le Précis de décomposition de EM Cioran (1949), Fin de partie (1957) de Beckett, la Colonie pénitentiaire de Kafka (1919), La Condition humaine (1933) de Malraux. Mais les lecteurs qui ont lu mes décodages peu orthodoxes de quelques contrebandiers et violeurs de frontière savent déjà que l'histoire est toujours à la traîne de la réflexion et qu'une herméneutique prometteuse porterait sur le décryptage de l'encéphale d'une espèce devenue semi pensante.

Voir - Mon Panthéon 2 , 18 janvier 2014

- La déraison du monde, 26 avril 2014

Car seule une science historique et une géopolitique a rmées d'un télescope nous permettraient de poser la question de savoir si notre civilisation arbore d'ores et déjà des signes avant-coureurs de son anéantissement ou si un bimane ultra mondialisé par ses technologies se révèlera capable de résoudre les apories liées à son hyper développement.

Nous ne savons pas si la mécanisation intensive de la production des marchandises trouvera des débouchés en accélération constante ou si cette automatisation universelle des fuyards de la zoologie les conduira à un auto-étranglement sans remède. Jamais encore le simianthrope n'avait eu à résoudre une contradiction aussi strangulatoire. Il se trouve, de surcroît, que la bête programmée depuis le paléolithique sur le modèle de divers mythes religieux passe sans relâche d'un univers mental limé sur la meule de ses songes à un cosmos asséché par le tarissement ou l'exténuation de ses délires sacrés. Les évadés de la nuit originelle ne sont-ils viables qu'au prix de leur placement définitif sous le joug ou la couronne de leurs cosmologies fabuleuses ou bien ont-ils rendez-vous avec un blocage de leurs neurones tour à tour incurable et guérissable? Quelle est la psychobiologie qui commande l'évolution des fantasmes rédempteurs qui se gravent d'un millénaire à l'autre dans les sotériologies cosmologiques de cet animal épouvanté et béatifié?

2 - Les embarras théologiques de la République

La question de la vie eschatologique de l'humanité a débarqué depuis des décennies dans la politique intérieure et extérieure de la France. Mais la République est aux abois ; elle ne sait plus que répondre aux centaines de jeunes gens qui s'enrôlent en toute innocence dans la guerre sainte censée répondre aux vœux ardents du prophète Muhammad en Syrie. M. Hollande n'est pas théologien pour un sou. C'est en toute candeur laïque et le cœur sur la main qu'il déclare aux croisés d'Allah que la religion musulmane ne saurait prôner une guerre du salut qu'il qualifie de "terrorisme religieux".

Il se trouve seulement qu'une divinité triphasée, mais dont la justice unifiée a noyé toutes ses créatures à l'exception d'un seul rescapé dont nous serions tous les descendants transis, il se trouve seulement qu'un juge infaillible et qui nous rôtit depuis lors à la pelle dans ses souterrains, il se trouve seulement que ce monstre aurait des leçons d'équilibre mental et de courtoisie à recevoir d'un Président de la République française un peu mieux informé de la nature des Célestes. Qu'en est-il du trio qui se partage la même chambre des tortures depuis que ses malheureuses créatures se sont à nouveau effrontément multipliées?

Mais si un M. Hollande plus instruit s'avisait d'expliquer ces mystères aux enfants, s'il leur disait que les dieux sont cruels à l'image de leurs cruels inventeurs et qu'il appartient à leurs interprètes les plus talentueux de les civiliser peu à peu - ce qui n'est pas près de convaincre leurs adorateurs les plus sauvages - il violerait la Constitution de la Ve République, qui enjoint à l'Etat de la Liberté et de la Justice de respecter la barbarie des croyances les plus sanglantes. De plus, une jeunesse qu'alerterait l'ambiguïté des propos d'un chef de l'exécutif au courant de l'histoire du monde lui demanderait en retour si les dieux existent hors de l'encéphale de leurs fidèles. Car leurs pédagogues les plus doués les font changer de nature et les éduquent avec tant de lenteur qu'ils ne les font passer de l'état le plus sauvage à une vapeur qu'au prix de mille tracas - ce qui désarme tout l'appareil de leur justice et réduit leurs châtiments les plus effroyables à une gesticulation ridicule. Faut-il précipiter les nations dans la petite ou la grande délinquance si seule une saine épouvante dompte la bête respectueuse des fouets de ses dresseurs? Comment un Jupiter privé de la sainteté de ses supplices serait-il crédible aux yeux des tigres et des lions prosternés devant ses foudres et ses grâces alternées?

3 - L'irrationalisme laïc

Certes, le peuple français a cessé, depuis près de deux siècles, de proclamer l'existence de Dieu par la voix du suffrage universel, comme Napoléon 1er le lui avait demandé; mais si, dans le même temps, vos trois monothéismes vous livrent encore pieds et poings liés à des tortures posthumes perpétuelles, c'est parce que le hiatus entre des classes dirigeantes de plus en plus instruites et l'inculture des masses remonte seulement à Platon. On sait que le Ve siècle avant notre ère a vu soudainement des philosophes éloquents courir dans les rues à Athènes. Certes, leurs cohortes se sont montrées trop habiles à manier une scolastique de prétoire; mais leurs phalanges sont néanmoins parvenues à imposer les règles de la pensée logique et le carcan des syllogismes d'Aristote à la conduite des cités; et ils ont réussi à faire régner le terrorisme des raisonnements impeccables de la dialectique jusque dans l'arène de l'incohérence du monde.

Puis l'esprit rationnel des juristes romains a permis de porter au pouvoir quelques empereurs lettrés - Hadrien, Trajan ou Marc-Aurèle. Mais sous la République déjà, une classe d'avocats coûteusement initiés à l'éloquence raisonneuse et longuement éduqués à l'école d'Athènes avait converti le pouvoir politique à l'élégance de la littérature. Puis un cléricalisme chrétien à la syntaxe approximative et au vocabulaire maladroit a reconduit les hommes d'action à une théologie armée du glaive et des éclairs de la foi; et les bûchers de l'Inquisition n'ont pas tardé à suppléer à la hache des bourreaux de Zeus. Il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour que se creuse derechef un fossé de plus en plus impossible à combler entre les cosmologies mythiques armées de leurs potences et les savoirs positifs fiers de leurs calculs.

Entre 1870 à 1940, la France laïque a semblé profiter d'un répit dans la rivalité entre la sauvagerie des gibets et la sauvagerie d'un Dieu de sac et de corde, mais il ne suffisait pas d'imposer à tout le monde un apprentissage rudimentaire des règles de la pensée logique, il ne suffisait pas de contraindre les écoles religieuses, elles aussi, à engager des professeurs éduqués par un Etat prématurément qualifié de rationnel, il ne suffisait pas d'user du biais des retraites assurées sur fonds publics aux théologiens de la République, il ne suffisait pas d'accorder des soins médicaux aux enseignants d'une foi sanglante et d'acheter les écoles confessionnelles à un si haut prix.

C'était à une ignorance nouvelle, celle de l'Etat laïc, qu'il aurait fallu porter remède. Or, depuis la fin du XVIIIe siècle, la République n'avait en rien progressé dans la connaissance des ressorts et des rouages des théologies. Pis que cela : le darwinisme et la psychanalyse étaient demeurés aussi stériles dans les Etats rationnels que l'héliocentrisme deux siècles durant dans les monarchies de droit divin.

4 - Une espèce prise en étau

Deux siècles après 1789, non seulement les pédagogues d'un Etat censé être devenu logicien, mais toute l'intelligentsia française de haut vol en ont oublié que le capital psychogénétique des évadés de la zoologie les contraint à respirer dans deux mondes qui les prennent en tenaille, l'un visible et tangible, l'autre imaginaire. Or, aucune anthropologie scientifique ne saurait se fonder sur la méconnaissance de cet étau universel. Aussi, la planète entière est-elle bien vite retournée à la schizoïdie cérébrale qui caractérise un animal que la nature a rendu onirique au berceau. En 1948, un Etat viscéralement juif s'est fondé en Palestine et, dès 2014, la proclamation officielle de l'alliance d'une ethnie avec un monothéisme local a manifesté avec éclat les droits d'une cosmologie mythique sur la scène internationale tout entière. En 1989, la Russie est retournée d'un seul élan au christianisme orthodoxe. Toute l'Amérique du Sud est demeurée unanimement catholique tandis qu'aux Etats-Unis le calvinisme fondait un protestantisme nationaliste des pieds à la tête.

C'est pourquoi M. François Hollande est tombé dans une ignorance sécrétée par des siècles de cécité pseudo rationaliste sur les religions. Comment combattre la "guerre sainte" en France et la soutenir en Syrie? Rien de plus simple: les croisés d'Allah feront une redoutable association de malfaiteurs en France, mais la Turquie et toute l'Afrique du Nord nous enverront en toute légitimité des masses de croyants de Jahvé et d'Allah, parce que la scolastique républicaine légalise toutes les croyances, mais sans en "reconnaître" aucune et au prix de leur relégation vigoureuse dans la vie privée.

Comment réarmer intellectuellement les démocraties dites rationnelles si l'ignorance d'une anthropologie sophistique abusivement qualifiée de scientifique frappe les Etats européens et toute leur intelligentsia en plein cœur et si cet obscurantisme nouveau se révèle plus dangereux que celui du Moyen-Age, parce qu'une République à la fois censée laïque et ignorante des fondements philosophiques du concept de laïcité ne se fait pas respecter longtemps dans l'ordre politique et se trouve bientôt renversée par son inculture. Mais que faire si, comme à l'heure de la chute du monde antique, la question du statut de l'encéphale simiohumain se révèle derechef non seulement le nœud de la géopolitique mais de la réflexion de la science anthropologique mondiale?

5 - La responsabilité intellectuelle de la France

Mais il y a plus: l'œuvre entière de Platon enseigne que les disciplines scientifiques ne sont pas en mesure de peser leurs propres fondements cérébraux, donc de regarder leurs présupposés de l'extérieur, faute de balance à peser un "dehors". Elles se contentent donc d'améliorer sans relâche des performances aveugles à leur propre statut anthropologique. Mais il leur suffit pour cela de multiplier des exercices censés rendus intelligibles par les succès pratiques de leurs présupposés méthodologiques. S'il en est ainsi des auto-paiements inlassables dont se nourrissent la géométrie et la physique, ce sera à plus forte raison que les théologies se rendront compréhensibles à la lumière de leur propre axiomatique. Mais la connaissance scientifique de l'histoire et de la politique s'en trouveront frappées d'une quadriplégie inguérissable parce que la France n'a pas fait bénéficier les méthodes des sciences humaines de l'avance virtuelle, mais considérable que la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat semblait lui avoir potentiellement donnée en 1905.

Pourquoi ce grippage? Pourquoi n'avoir pas déposé la notion d'intelligibilité scientifique sur les plateaux d'une balance à peser le contenu anthropologique des signifiants ? Parce qu'on jugeait urgent de libérer l'Etat de l'étau politique de l'Eglise catholique. Cet objectif seulement pratique, donc à courte vue, avait nourri toute l'œuvre du Voltaire du XIXe siècle, le suave Anatole France, qui ne s'est livré qu'à une apologie de la liberté sexuelle certes piquante en son temps, mais devenue vulgaire et stérile de nos jours. Ce qui intéresse l'anthropologie critique, ce n'est ni la satire amusée de la chasteté de l'ermite Paphnuce dans sa Thébaïde, ni la description des charmes de la belle Thaïs, mais la psychophysiologie d'une espèce horrifiée depuis deux millénaires seulement par son mode de reproduction.

Si vous nous racontez les péripéties d'une guerre sanglante, il ne sera pas nécessaire de vous armer d'une science du bimane divisé entre des meutes ardentes à s'entre-assassiner et qui se font une gloire de leurs tueries sur quelques arpents qu'ils appellent leurs "champs d'honneur". Mais si l'historien du XVIe siècle ignore pourquoi la moitié de l'humanité est prête à se faire tuer les yeux au ciel pour manger effectivement la chair et boire avec ravissement l'hémoglobine d'un homme assassiné tous les dimanches sur ses autels, si vous voulez savoir pourquoi l'autre moitié de cette étrange espèce veut consommer deux symboles d'un sacrifice richement rémunéré de là-haut, vous raconterez seulement le plus sottement du monde une histoire de fous à vos sciences humaines. Car la France de la raison porte la responsabilité de la cécité du monde d'aujourd'hui: elle seule était en mesure d'approfondir quelque peu le "connais-toi" entre 1870 et 1940. Et maintenant, notre classe dirigeante lance bêtement la police de la République sur les traces des enfants trompés auxquels de faux savants ont promis qu'ils seraient propulsés au paradis de leur foi s'ils allaient tuer en toute candeur des mécréants. .

6 - L'inculture des Etats et la géopolitique

Voyons de plus près ce qu'il en est de l'ignorance dont la classe dirigeante des démocraties d'aujourd'hui se trouve frappée au chapitre du statut anthropologique des religions. Il y a un siècle seulement, nous n'étions pas encore armés pour observer l'oscillation perpétuelle de notre pauvre espèce entre la fossilisation de ses classes sociales et de ses Etats d'un côté et le basculement constant, de l'autre, de nos cosmologies oniriques entre les floraisons sanglantes et l'effritement de nos rituels exténués.

Et pourtant la Chine de la Cité interdite et la Russie des tsars s'étaient pétrifiées côte à côte, la première dans le mandarinat bureaucratique, la seconde dans la perpétuation du servage féodal. L'Etat avait tenté d'abolir cette survivance d'une époque révolue, mais l'échec, au moins partiel, de ce bouleversement de la structure multiséculaire de la société russe avait conduit à l'assassinat d'Alexandre II. Puis, en 1917, la Russie a passé en un tournemain du carcan cérébral du Moyen-Age à une utopie politique ambitieuse de retrouver ses attaches avec le songe chrétien des origines, lequel se réclamait de rien moins que de l'abolition pure et simple du péché de propriété : les premiers disciples de Jésus-Christ s'étaient partagé tous leurs biens, si j'ai bonne mémoire. Mais la chute des civilisations au cœur d'acier dans l'hypertrophie d'une charité à la fois administrative et messianisée est bien connue de tous les historiens laïcs - Justinien disposait d'une armée de six cents pieux fonctionnaires dont la dévotion admirative se réduisait à lui couper la barbe.

Mais la nouveauté de la révolution "rédemptrice" de 1917 résidait dans les retrouvailles soudaines de la fraction orthodoxe du culte de la Croix avec les espérances d'un apostolat radical, celles d'un avènement soudain et définitif du règne de Zeus sur la terre. Cette expérimentation d'un débarquement enfin terminal de la grâce divine s'est révélée riche d'enseignements politiques, parce que les béatitudes évangéliques n'étaient jamais intervenues à une si grande échelle et avec une si grande vigueur parmi les dislocations qui frappent fatalement le monde séculier. Certes, la sécrétion instantanée d'une ecclésiocratie mise d'autorité au service des pauvres avait été divinisée à nouveaux frais, avec la parution, en 1516, de L'Ile d'Utopie de Thomas More, mais la générosité de cette rêverie théologique avait mis en évidence les désastres de la politique gravés dans le capital psychogénétique des Etats simiohumains.

Pourquoi les missionnaires du marxisme apostolique s'étaient-ils hâtés de recruter une caste de fonctionnaires que sacraliserait leur vocation d'exterminer le culte de la propriété privée dans tous les cœurs et tous les esprits, puis chargée de mettre en scène une confession appelée à s'inscrire dans le capital psychogénétique de l'humanité ? Parce que cet évangélisme retrouvait d'instinct la vocation doctrinale qui avait rapidement infecté le christianisme institutionnalisé des premiers siècles. Mais cette mainmise de l'absolu sur les cervelles avait aussitôt ressuscité le modèle de l'immolation sacrificielle des premiers âges, à cette différence près qu'une auto-immolation massive de l'humanité avait pris le pas sur celle des bœufs et des moutons. On avait rempli les couvents d'une chair qu'on offrait sans relâche et toute palpitante à un créateur du cosmos avide de viande fraîche. Le trucidé archétypique était le fils même du céleste glouton.

Le marxisme, lui, crucifiait en masse et de génération en génération non plus un Christ représentatif du prolétariat mondial, mais les ennemis des "masses laborieuses" dans le monde entier. Le clergé du peuple des travailleurs n'était autre que les dirigeants des syndicats, qui officialisaient leur fonction sacrificielle sous la forme doctrinale et catéchétique la plus classique, celle d'une vulgate de la foi armée jusqu'aux dents - la nouvelle théologie hiérarchisait ses dignitaires sur le modèle de la précédente - il n'y manquait que la pourpre, l'or et les broderies du culte. .

7 - Les deux enfers

Le même ratatinement et le même rabougrissement des cervelles qu'à l'âge des bréviaires ont suivi la décapitation des pires ennemis de classe - les spécimens sommitaux. Il fallait "chanter dans le chœur", il fallait danser autour de l'autel, il fallait ânonner des litanies, il fallait respecter les rites et les liturgies. Naturellement, la haine de la meute à l'égard des grands solitaires n'avait pas tardé à conduire les convertis aux mêmes catastrophes politiques que les verdicts théologiques d'autrefois: une orthodoxie obtuse ordonnait aux auto-glorifiés à l'école de leurs songes de distribuer les biens de consommation selon les "besoins de chacun".

Mais de quels besoins parlait-on? Comment peser un "chacun" désindividualisé? Les exploits des virtuoses du piano ou du violon se donnaient maintenant à consommer dans les cours de ferme; et comme les besoins artistiques des paysans étaient demeurés champêtres, la peinture, la sculpture et la littérature russes étaient devenues agrestes. La littérature de gare du marxisme rivaliserait avec celle du capitalisme, à cette différence près qu'elle était dévote au sens marxiste du terme. De plus, la paresse naturelle des piétés n'avait pas manqué d'engendrer une fainéantise nouvelle et insidieuse des masses.

On voit que la mâchoire à broyer la bête scindée entre ses platitudes et ses délires religieux se rend opérationnelle sous la férule des Etats messianisés. Qui se montrera la plus carnassière des deux mythologies, celle qui armera la fainéantise sacerdotalisée des foules ou celle qui nourrira l'activisme hyper mécanisé et la voracité capitalistes? Il avait fallu mettre hâtivement en place une inquisition prolétarienne fondée à son tour sur les dénonciations des croyants entre eux, il avait fallu couper le cou aux possédants. Bientôt les goulags se sont remplis à ras bords d'hérétiques à brûler vifs, bientôt les pestiférés se sont comptés par centaines de milliers dans des réservoirs remplis à ras bords. En fin de parcours, les peines infernales se montrent plus cruelles sur cette terre que dessous.

Puis il a fallu parquer les fidèles du salut prolétarien derrière un mur; bientôt la chute de cette enceinte en béton armé a précipité les Berlinois dans les béatitudes d'un capitalisme qui avait ensauvagé les siècles précédents. A peine le paradis des marxistes s'était-il effondré que des bandits de haut vol se sont rués sur le pétrole, le gaz et toutes les richesses naturelles de la Russie et de l'Ukraine; et il a fallu la poigne de fer d'un Poutine pour redonner à la nation dépossédée d'une utopie politique habile à tromper les pauvres les trésors naturels capturés en un tournemain par une pléiade de richissimes Hébreux. .

8 - La viabilité des évadés de la zoologie

On voit qu'à l'auberge où l'histoire de leur embryon de cervelle s'est arrêtée, les campeurs tout juste évadées des forêts demeurent désarmés face à deux maladies congénitales à toute l'espèce dite pensante. Kafka les avait diagnostiquées dans son célèbre récit La Colonie pénitentiaire, où l'on voit tantôt la raideur carcérale des religions et des disciplines sociales qui les soutiennent, tantôt la dislocation des croyances traditionnelles dissoudre l'ordre public dont cet animal agrestis et silvestris, dit Tite-Live, tente en vain de consolider le double règne. Aussi était-il naturel qu'une trentaine d'années seulement après l'effondrement de l'orthodoxie marxiste, l'orthodoxie chrétienne, dont l'apprentissage battait de l'aile depuis la fin du XVIIe siècle, tombât en quenouille à son tour; et l'on a vu exploser une institution familiale qui se fondait depuis les origines sur la monogamie et sur la division de l'humanité entre deux sexes.

Quel spectacle que celui d'une Europe enrubannée de toute la solennité de ses lois et parée des bandeaux de la souveraineté des peuples-rois et qui ordonnait tout soudainement aux légions serrées des maires de France non seulement de célébrer des mariages aussi solennels que fictifs des sodomites entre eux et des lesbiennes entre elles, mais de fournir des bébés en otage à deux maris cravatés et à des couples de lesbiennes parfumées et poudrées.

On voit, comme il est dit plus haut, que l'histoire véritable du genre simiohumain conduit la recherche psychogénétique sur une piste décisive, celle d'une anthropologie scientifique encore au berceau. Il s'agira de découvrir les causes de l'oscillation des sociétés entre, d'un côté, la rigidité dogmatique des orthodoxies religieuses et, de l'autre, leur chute dans la dissolution des moeurs. Cette question est devenue tellement politique, et cela à l'échelle de la planète tout entière, qu'elle intéresse la survie, non point seulement de la civilisation européenne, mais de l'équilibre mental de la civilisation mondiale.

9 - La planétarisation des décadences

Il a fallu se rendre à l'évidence: le monde antique avait soudainement cessé de servir de paradigme à la réflexion des historiens, des philosophes et des politiques sur les ressorts des sociétés humaines. Quand Messaline célébrait en public son mariage avec le sénateur Caius Silius, le plus beau jeune homme de Rome, disait-on, quand Néron se prostituait publiquement avec Pythagoras, cuncta denique spectata quae etiam in femina nox operit - (On a vu à l'œil nu tout ce que cachent les nuits conjugales) - nous savons que l'empire romain allait sombrer dans la débauche; mais aujourd'hui, l'interconnexion entre les cinq continents est devenue si étroite que rien n'est moins sûr qu'une résistance durable de la Chine, de l'Inde, de la Russie, de l'Afrique et de l'Amérique du Sud à l'engloutissement des évadés partiels de la zoologie dans la débâcle mondiale de leurs mœurs.

Certes, les nations émergentes se veulent enceintes de l'avenir industriel et commercial de la mappemonde. Mais la dissolution planétaire du simianthrope peut se trouver facilitée à la faveur même d'une morale proclamée délivrante et dont les prétendus bienfaits s'étendront rapidement à toute l'étendue de notre astéroïde. Les mœurs de l'empire romain finissant étaient saluées pour leur modernité. Comme de nos jours, l'avant-garde dissolue de l'époque se moquait de l'austérité "vieux jeu" des Romains d'autrefois. A l'heure où, dès les bancs de l'école, le globe terrestre tout entier enseignera les bienfaits de la transsexualité aux enfants, qui peut croire un seul instant qu'un réveil in extremis de l'autorité morale d'autrefois redressera la barre d'une histoire à la dérive, mais "dans le vent"? Autrefois, une civilisation descendait au sépulcre pour renaitre ailleurs. Mais "le temps du monde fini commence", disait Valéry et Nietzsche l'avait précédé d'un demi-siècle: "Sur la terre devenue plus petite sautille le dernier homme", écrit-il, "et il cligne de l'œil".

Après tout, la terre n'est âgée que de quelques milliards d'années, mais l'invention de la roue remonte à cent mille ans seulement. Qu'adviendra-t-il d'un Adam encore dans sa première jeunesse s'il devait vivre mille millions d'années de plus? Qui peut croire que cet animal instable présenterait les traits d'un vivant appelé à se développer sur une durée infinie, à l'instar des abeilles et des fourmis, qui peut croire que son intelligence essentiellement mécanique et combinatoire deviendra subitement sommitale, qui s'imagine que les industriels et les marchands enrichis depuis quelques millénaires deviendront soudainement austères comme des Cincinnatus, qui se berce de l'illusion que les classes dirigeantes de demain se reconvertiront à l'usage de la charrue et que les Etats acquerront la morale des meilleurs parmi leurs dieux morts?

10 - Les vigies du néant

La science de la condition humaine du XXIe siècle se trouvera soumise à la nécessité d'inaugurer une réflexion anthropologique appropriée à la spécificité du troisième millénaire. Cette discipline devra s'enquérir des chances d'une survie de la seule espèce qu'un caprice bienvenu ou malheureux de la nature avait affligée d'un avenir imprévisible. Un cerveau dichotomisé d'avance entre des ciels schizoïdes est-il viable? Le corps de l'animal cérébralisé est éphémère, mais la vie posthume qui le grise démontre qu'il ne sait à laquelle de ses deux cervelles se vouer.

Que se passera-t-il quand la bête biphasée comptera cinquante ou cent milliards de spécimens condamnés à errer et à se bousculer sur le minuscule astéroïde livré à leur folie, que se passera-t-il quand les ressources naturelles de cet ex-quadrumane se seront épuisées sur la goutte de boue qui enregistre ses sautillements et ses abasourdissements? Elle sera solitaire, la discipline scientifique qui se spécialisera dans la connaissance abyssale des chemins d'un microbe éberlué!

Puisque l'univers est infini, diront les anthropologues de demain, il est absurde de le ceinturer de clôtures imaginaires, il est ridicule de tenter d'englober un néant condamné à se nourrir de l'englobant de l'immensité qu'il est à lui-même. Il doit donc exister d'autres galaxies dont il serait extraordinaire qu'aucune ne connût un petit soleil assorti d'une planète de la taille de la nôtre, il serait extraordinaire que cette planète n'eût pas vu naître et périr un fuyard des forêts construit sur le modèle d'une bancalité éphémère.

L'anthropologie critique de demain pèsera donc les secrets de la mort programmée des civilisations qui avaient fait, de leur vie dans des mondes imaginaires, le pain quotidien de leurs songes. Mais si, pour la première fois, la sclérose du genre simiohumain se produira nécessairement à l'échelle mondiale, le compte à rebours a d'ores et déjà commencé; et il suffira d'un siècle de plus pour que la dégénérescence de cet animal se révèle irréversible.

Ce bifide cérébral, ce malheureux privé de sa fourrure depuis cent mille ans seulement, ce porteur de la hotte d'un Dieu des primates encore tout empêtré dans son code pénal nous apprendra-t-il ce qu'il en est du destin de la bête boitillante entre ses raideurs et ses déconfitures? Sommes-nous condamnés à épuiser les ressources de notre maigre habitacle? Sommes-nous voués à trépasser dans le vide? Nous appartenons à la première génération appelée non seulement à se poser cette question, mais à se la voir imposer par la logique la plus élémentaire et la plus évidente, celle de l'étroitesse de son habitacle. .

le 3 mai 2014

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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