Les défis de
l'Europe
La vassalisation américaine de l'Europe
est-elle réversible ?
Les prouesses de la fiole magique
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 1er mai 2015
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1 - Le mythe de la
guerre des étoiles
2 - Psychophysiologie de l'homme
d'Etat
3 - Les aventures de la fiole
voyageuse
4 - Défaussements et camouflages
en chaîne
5 - l'Europe à la croisée des
chemins
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1 - Le mythe de la
guerre des étoiles
J'ai inauguré ce
site en mars 2001. En ce temps-là, les
Etats-Unis se trouvaient momentanément
en panne d'un totem, d'un fer de lance
fascinatoire, d'un mythe apocalyptique
terrifiant. Les empires en expansion ont
besoin de se servir des boucliers et des
armures d'un salut - il s'agit, pour
eux, de brandir la bannière d'une
rédemption titanesque, il s'agit de
placer le monde entier sous le sceptre
de leur éternité. Toute mythologie de la
liberté a besoin du moteur d'une
apocalypse. Sinon, comment
prouverait-elle la menace dont le chef
de l'imaginaire mondial sera censé
protéger l'humanité? La vie
internationale des temps modernes
demeure secrètement l'otage du même
évangélisme délivreur et du même
messianisme biphasé qui débarqua sur la
planète il y a deux mille ans.
GW Bush avait
imaginé de faire atterrir la terreur
salvatrice de ce qu'on appelait alors la
guerre des étoiles et qui, par un
mélange biblique de l'épouvante avec
l'espérance, remettrait la conduite du
monde entre les mains de la seule
Amérique. Mais, par la volonté d'une
providence inattendue, l'attentat du 11
septembre 2001 a permis de rallumer le
tonneau de poudre du sacré bipolaire; et
l'Amérique a pu remiser sa guerre des
étoiles au magasin des accessoires,
tellement cette catastrophe lui
fournissait un relais apocalyptique
inespéré: l'expansion territoriale de
l'empire des auréoles verbales était
assurée pour longtemps.
Ces idéalités
allait poursuivre leur progression à
l'aide d'un renfort herculéen, celui
d'un subterfuge juridique d'une portée
internationale: le droit classique de la
guerre, subitement gonflé à l'hélium du
mythe démocratique, permettait
maintenant de venger le crime d'un
particulier par l'invasion d'un Etat et
de légitimer la foudre du Bien à l'école
d'une déflagration armée. Le symbolique
et l'apocalyptique faisaient alliance
avec les anges de la mort. L'Afghanistan
a permis à la croisade mondiale des
démocraties messianisées par leur vertu
de reprendre son cours eschatologique -
et cela à l'école d'une guerre entre
Dieu et le Mal opportunément rallumée.
En vérité, la
Maison Blanche avait tardé à comprendre
que son atout majeur se trouvait dans la
soumission - acquise depuis longtemps et
désormais tranquillement affichée - de
toutes les nations du Vieux Monde, qui
n'allaient pas manquer de se blottir
précipitamment sous le drapeau profané
du mythe de la Liberté. Une civilisation
vocalisée par sa virginité et vassalisée
par sa catéchèse allait s'engager comme
un seul homme dans la guerre sainte des
modernes : on purifierait plus ardemment
que jamais la pléiade des entités
salvifiques et des concepts catéchisés,
on s'immunisait avec entrain contre les
déflorations de l'histoire. L'attentat
du 11 septembre 2001 avait saisi à la
gorge un monde grisé par les béatitudes
subitement retrouvées de son mythe
sacré. L'Amérique avait mis plusieurs
jours à comprendre l'étendue de sa
victoire dans la sphère éthérée de
l'innocence démocratique mondiale dont
le linceul enveloppait la terre dans sa
blancheur.
2 -
Psychophysiologie de l'homme d'Etat
Un seul homme
politique français - et protestant -
Lionel Jospin, avait osé s'étonner au
spectacle d'un tour de passe-passe
sidéral, celui de l'immaculée conception
de type démocratique. Pourquoi, disait
ce disciple de Calvin, la traque
policière d'un seul malandrin pris en
flagrant délit sur les lieux mêmes de
son forfait autoriserait-elle un empire
censé incarner le Beau, le Juste et le
Bien - mais prétendument profanés à
titre collectif - de se ruer sur un Etat
souverain et qui n'y était pour rien? Le
seul péché capital de ce pays? Avoir
outragé l'entreprise pétrolière
américaine Unocal: il lui avait été
interdit de construire un oléoduc qui
aurait traversé tout son territoire.
Mais l'histoire est théologique au plus
secret de l'inconscient du genre humain.
Clio serait-elle une semeuse des
chausse-trapes, des mascarades et des
simulacres du mythe de la damnation et
du salut?
Quoi qu'il en soit,
la France de Jacques Chirac elle-même
avait repris les litanies d'un salut
guidé par des abstractions et qui pilote
désormais l'encéphale de l'humanité. On
substituait le séraphisme politique
performant d'une démocratie
conceptualisée au vocabulaire inefficace
des confessions de foi en usage dans le
passé, on récitait l'antienne "Nous
sommes tous Américains" à la place
du hosannah antérieur de JF Kennedy, qui
s'était écrié: " Ich bein ein
Berliner". La sainteté gravait
toujours un cas isolé dans l'écrin d'une
théologie et le sertissait de ses
rituels, mais la continuité d'une
histoire cosmologique et politique
auréolée par son langage bénéficiait
maintenant d'une châsse du sonore, celle
du mythe de la Liberté.
Et pourtant, sitôt
que l'empire américain s'était mis en
tête de conduire jusqu'en Irak, et
tambour battant, son apostolat et son
orthodoxie, on se souvint tout
subitement de ce que tous les hommes
d'Etat, même de type démocratique, se
distinguent des autres spécimens du
genre humain en ce qu'ils gardent la
tête sur les épaules au milieu de leurs
congénères abasourdis, ébaubis et
éberlués; et l'on vit, dans la foulée,
la sainteté de Jacques Chirac faire
volte-face et se mettre à l'école d'un
modèle paradigmatique du déniaisement
machiavélien. Il fallait se hâter
d'éteindre le cierge des abêtissements
collectifs.
On se souvient du
discours, aussi peu mythologisant que
possible, que Dominique de Villepin,
alors Ministre des Affaires étrangères,
avait prononcé devant la pieuse
Assemblée des Nations Unies. Où
était-elle pas passée, la griserie
apostolique qui avait précipité toutes
les nations à Kaboul? On conseillait
vivement aux escadrons des idéalités
d'aller fureter dans les coins et les
recoins de la planète afin de tenter de
mettre la main sur la fiole du péché
originel que Saddam Hussein était censé
brandir sur la tête de l'humanité. On
avait retrouvé Satan et tout son
arsenal, mais comment le débusquer dans
sa cachette, comment lui mettre la main
au collet, comment lui passer la corde
au cou?
3 - Les aventures
de la fiole voyageuse
On se souvient du
défilé des sorciers et des magiciens du
flacon. On n'a pas encore oublié
l'illustre évangélisateur Tony Blair,
qui avait passé d'un bond de la chaire
de la cathédrale Saint Paul de Londres,
où il venait de prononcer l'éloge
funèbre et le panégyrique de Lady Diana,
jusqu'à la chaire toute proche de la
chambre des Communes, où il avait brandi
le fameux litron de l'apocalypse dont le
Général Powell avait allumé la mèche
trois jours auparavant devant
l'Assemblée sidérée des Nations Unies.
Mais, en cas
d'urgence internationale, la nation du
Discours de la méthode
revendique le droit de veto de
l'intelligence et se précipite, rieuse,
au secours du bon sens cartésien. Alors,
l'Amérique a démontré au monde entier
qu'elle fait peu de cas des droits de l'homo
democraticus et de son cogito;
car le Titan avait débarqué en Irak avec
armes et bagages et, sans consulter ni
Dieu, ni Diable, ce qui démontrait, s'il
en était besoin, que la guerre des
étoiles n'était pas seulement celle des
fulminations de l'abstrait. Derrière les
concepts propulsés dans le vide, on
entendait le pas lourd des fantassins en
armes.
Ce sera pourtant
sur ce monticule du sacré qu'il nous
faudra hisser le vocabulaire des
démocraties verbifiques afin d'observer
les obstacles qui paralysent les
messianismes langagiers et qui ramènent
au logis, la corde au cou, les
apostolats de la syntaxe dans laquelle
l'humanité s'était subitement drapée.
Quand, en 2013, le mythe américain d'un
salut à portée de main fut placé sous le
sceptre exclusif de la Liberté, cet
évangile a rêvé de poursuivre sa course
en Syrie; et le chef du parti
travailliste anglais, M. Milliband,
s'opposa résolument à cette propagation
du sacré et de ses camouflages. Et l'on
vit cet hérétique débaucher en un
tournemain plus de trente-cinq députés
lucides du parti conservateur.
Une troisième
croisade de la fiole de la démence
semblait interdite par le sens commun
partiellement retrouvé. L'argument
opposé à la troisième équipée du flacon
n'était autre que la honte et le
ridicule dont le Royaume-Uni s'était
couvert aux yeux de tous les
épidémiologues de l'univers pour avoir
emboité le pas aux nouveaux sorciers des
mots de la planète. Bien plus, un
Congrès américain démocrate, mais un peu
assagi par le spectacle du rocambolesque
britannique, est allé jusqu'à menacer le
Président des Etats-Unis de le destituer
- empeachment - s'il lançait, avec un
bandeau sur les yeux, l'Amérique tout
entière dans l'épopée sans cesse
recommencée de la fiole.
4 - Défaussements
et camouflages en chaîne
Mais un nouvel
acteur du langage était monté sur les
planches du théâtre des vocables. Depuis
1945, la France, pourtant laïque, à l'en
croire, se rangeait aveuglément du côté
du peuple biblique. Soixante-dix ans
avaient passé; et Israël se trouvait
encore en croisade pour la reconquête
inachevable de sa "terre promise". On
avait le plus grand besoin, disait
l'Elysée, de mettre à tout le monde un
bandeau sur les yeux afin de consolider
l' hégémonie de l'étoile de David au
Moyen-Orient.
Alors on vit le
pape François rappeler à la France de la
raison les devoirs attachés à la pensée
rationnelle et lancer les Jésuites du
monde entier à l'assaut des
défaussements et des camouflages en
chaîne auxquels se livrait un mythe de
la Liberté de penser devenu l'ennemi de
la logique. Par quel abus le substitut
de la grâce divine qu'on appelait la
Démocratie avait-il pris la relève
du Dieu mort? Visiblement, la République
faisait ses premiers pas dans le ciel et
visiblement elle titubait comme un
enfant en bas âge. Combien de siècles
lui faudra-t-il pour achever son
apprentissage et prendre sans trop
d'embarras le relais de son père? La
carence intellectuelle de la France, qui
avait prétendu exister parce qu'elle
pensait, a redonné un instant à l'Eglise
romaine une place éminente dans la
conduite politique du monde; car, pour
la première fois de son histoire, le
catholicisme entrait ouvertement en
conflit avec les plus illustres
falsificateurs et prestidigitateurs du
langage frelaté de la bête. Et voici que
le Saint Siège proclamait hérétiques les
mots qui avaient messianisé la
démocratie mondiale. Qu'allait-il
advernir des vocables blasonnés à
l'école du vide?
Une humanité que le
mythe de la Liberté avait messianisée à
seule fin de remettre entre les mains
des sorciers de l'abstrait le sceptre du
vocabulaire falsifié de la politique
mondiale, une humanité qui paraissait
avoir rengainé provisoirement son épée,
une humanité de faux apôtres voyait
l'expansion commerciale de la Chine d'un
côté et l'irrésistible ascension de
l'Amérique du Sud de l'autre, apporter
un renfort décisif aux ennemis de
l'universel vaporisé. Déjà Washington se
demandait sur quel Satan de rechange se
ruer.
5 - L'Europe à la
croisée des chemins
A l'origine,
l'Amérique n'avait pas l'intention de
dévorer la Russie toute crue. Il se
trouvait seulement que le vice
-Président des Etats-Unis, Joseph Biden,
ex-président de la commission des
affaires étrangères du Congrès, s'était
convaincu de la fatalité d'un
affaiblissement durable et irrémédiable
de la Russie. Le moment semblait
mûrement choisi pour faire coup double:
on disloquerait le pays des tsars; et
l'Europe en paierait seule le prix. Six
milliards de dollars avaient
précipitamment été engloutis pour semer
des troubles en Ukraine de l'Ouest.
Tous vassalisés que
fussent depuis 1945, les Européens
rechignaient néanmoins à franchir un pas
de plus en direction de l'abîme grand
ouvert devant eux; car l'heure avait
aussitôt sonné, pour leurs cassettes,
d'acquitter le tribut immense qui leur
était maintenant demandé au nom du mythe
démocratique prétendument outragé - mais
au seul bénéfice de Washington - et dont
le montant dépassait les forces du Vieux
Monde. Le fardeau dont on chargeait les
épaules du Continent dépassait d'autant
plus les forces des serfs épuisés qu'à
lui seul, le poids de la corruption dont
souffrait la classe dirigeante de
l'Ukraine suffisait à jeter d'avance au
néant tout effort de modernisation et de
redressement à long terme de l'économie
du pays.
On sait que seule
la force de son poignet avait permis à
M. John Kerry, Ministre des affaires
étrangères de l'empire américain, de
contraindre le peloton de ses vassaux
ligotés dans l'OTAN à s'engager dans une
ultime tentative d'émiettement de
l'ex-Union soviétique. Certes, il était
absurde de tenter de mettre à genoux une
nation de cent cinquante millions
d'habitants et dont la garde rapprochée
se composait de trois milliards de
Chinois et d'Indiens, pour ne citer que
ces deux-là. Mais le pire, c'était que
Wall Street et la City n'avaient pas
prévu que la Russie placerait à sa tête
un homme d'Etat de la taille de Pierre
1er et que le géant russe réintègrerait
en un tournemain la Crimée à son
territoire.
L'effondrement de
l'évangélisme marxiste avait dépecé une
nation qui depuis 1989 payait le prix de
l'incroyable utopie, née au 1er siècle,
qui s'était à nouveau emparée du monde.
Dans son dialogue de plusieurs heures
avec des citoyens russes redescendus sur
terre et qui ne comprenaient goutte à ce
qui leur arrivait, M. Poutine avait
reconnu que son pays continuait de payer
la note de l'expansionnisme soviétique.
L'Europe de la
pensée rationnelle n'avait pas encore
compris qu'une géopolitique reconvertie
au capitalisme sauvage, mais plus
décérébrée qu'autrefois par les carences
de son anthropologie scientifique
n'était plus en mesure de rendre compte
de l'historicité spécifique des évadés
de la zoologie. Le peuple russe se
frottait les yeux, les Européens
tardaient à les ouvrir. On se demandait
si la postérité du siècle des Lumières
trouverait son assise dans un
évolutionnisme approfondi et si la
religion orthodoxe retrouverait le
souffle ascensionnel que la France de
l'intelligence avait donné à la foi des
Tolstoï et des Dostoïevski. (-
Séance extraordinaire de l'Académie des
sciences morales et politiques -
Intervention remarquée d'un revenant qui
aurait changé de tête , 17 octobre
2014)
On savait que le
mythe démocratique américain échouerait
à caricaturer la Russie sous les traits
d'un nazisme recuit et porteur de
vêtements d'emprunt. Mais une Europe en
lambeaux et porteuse d'un mythe de la
Liberté dévoyé et détourné de son cours
se laissera-t-elle durablement entraîner
dans une guerre économique stupide et au
seul profit de Washington? Un siècle
d'élan du Vieux Monde vers une
souveraineté à reconquérir serait-il
brisé ou bien un nouveau départ
allait-il se déclarer?
C'est ce que nous
examinerons la semaine prochaine.
Le 1er mai 2015
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