L'art de la guerre
Ponts écroulés et ponts bombardés
Manlio Dinucci
© Manlio
Dinucci
Mardi 28 août 2018
“L’image est vraiment
apocalyptique, on dirait qu’une bombe
est tombée sur cette très importante
artère” : voilà comment un journaliste a
décrit le pont Morandi qui venait de
s’écrouler à Gênes, en brisant la vie de
dizaines de personnes.
Mots qui ramènent à l’esprit d’autres images, celles des environ 40 ponts
serbes détruits par les bombardements
Otan en 1999, parmi lesquels le pont sur
la Morava méridionale où deux missiles
frappèrent un train en faisant un
massacre chez les passagers. Pendant 78
jours, décollant surtout des bases
italiennes fournies par le gouvernement
D’Alema, 1100 avions effectuèrent 38
mille sorties, larguant 23 mille bombes
et missiles. Détruisant systématiquement
les structures et infrastructures de la
Serbie, et provoquant des milliers de
victimes chez les civils. Aux
bombardements participèrent 54 avions
italiens, qui effectuèrent 1378 sorties,
en attaquant les objectifs désignés par
le commandement étasunien. “Pour le
nombre d’avions nous n’avons été seconds
que derrière les USA. L’Italie est un
grand pays et on ne doit pas s’étonner
de l’engagement montré dans cette
guerre”, déclara D’Alema.
Dans l’année même où il
participait à la démolition finale de
l’État yougoslave, le gouvernement D’Alema
démolissait la propriété publique de la
Società Autostrade (gestionnaire aussi
du pont Morandi), en en cédant une
partie à un groupe d’actionnaires privés
et en cotant le reste en Bourse. Le pont
Morandi s’est écroulé fondamentalement
par la responsabilité d’un système
centré sur le profit, le même qui est à
la base des puissants intérêts
représentés par l’Otan.
Le rapprochement entre les
images du pont Morandi écroulé et des
ponts serbes bombardés, qui à première
vue peut sembler forcé, est au contraire
fondé.
Avant tout, la scène déchirante des victimes ensevelies par l’écroulement
devrait nous faire réfléchir sur
l’horrible réalité de la guerre, que les
grands médias nous mettent sous les yeux
comme une sorte de wargame, avec
le pilote qui cible le pont et la bombe
téléguidée qui le fait sauter en l’air.
En second lieu nous devrions nous rappeler que la Commission européenne a
présenté le 28 mars un plan d’action
prévoyant la potentialisation des
infrastructures de l’Ue, ponts compris,
mais pas pour les rendre plus sûres pour
la mobilité civile mais plus aptes à la
mobilité militaire (cf. “Ue, Espace
Schengen pour les forces Otan”, il
manifesto, 3 avril 2018).
En réalité, le plan a été décidé par le Pentagone et par l’Otan,
qui ont demandé à l’Ue d’”améliorer les
infrastructures civiles afin qu’elles
soient adaptées aux exigences
militaires” : de façon à pouvoir
déplacer avec la plus grande rapidité
des chars d’assaut, cannons
autopropulsés et autres véhicules
militaires lourds, d’un pays européen à
l’autre pour faire face à “l’agression
russe”. Par exemple : si un pont n’est
pas en mesure de supporter le poids
d’une colonne de chars d’assaut, il
devra être renforcé ou reconstruit.
On dira que
dans ce cas le pont deviendra plus sûr
aussi pour les véhicules civils. Mais la
question n’est pas aussi simple.
Ces modifications ne seront effectuées que sur les tronçons les
plus importants pour la mobilité
militaire et l’énorme dépense sera à la
charge de chaque pays, qui devra
soustraire des ressources à
l’amélioration générale des
infrastructures.
Une contribution financière Ue est prévue pour un montant de 6,5
milliards de dollars d’euros, mais -a
précisé Federica Mogherini, responsable
de la “politique de sécurité” de l’Ue-
seulement pour “assurer que des
infrastructures d’importance stratégique
soient adaptées aux exigences
militaires”.
Le temps presse : pour septembre le Conseil européen devra spécifier (sur
indication Otan) quelles sont les
infrastructures à potentialiser pour la
mobilité militaire. Y aura-t-il aussi le
pont Morandi, reconstruit pour que les
chars d’assaut USA/Otan puissent en
sécurité transiter sur la tête des
Gênois ?
Édition de mardi 28 septembre 2018
de il manifesto
https://ilmanifesto.it/ponti-crollati-e-ponti-bombardati/
Traduit de l’italien par M-A P.
Note de l’auteur pour les versions
étrangères :
“Le pont Morandi, important viaduc
autoroutier de Gênes géré par une
société privée, s’est écroulé le 14
août, en provoquant plus de 40 victimes.
La cause probable est un effondrement
structurel, dont les signes ont
cependant été ignorés pendant des
années”.
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