Opinion
En Italie des bombes
nucléaires à puissance variable
Manlio Dinucci
Mercredi 13 janvier 2016
« Les plus petites bombes USA
alimentent la peur nucléaire » : ainsi
titrait hier en première page The New
York Times, faisant référence aux
B61-12, les nouvelles bombes nucléaires
que les Etats-Unis sont sur le point
d’installer aussi en Italie à la place
des B-61 stockées à Aviano et Ghedi
Torre. Les caractéristiques de cette
nouvelle arme nucléaire ont été décrites
ces deux dernières années dans divers
articles du manifesto : ce n’est
pas uns simple version mise à jour de la
B61, mais une nouvelle arme nucléaire
polyvalente, qui remplace les bombes
B61-3, -4, -7 et -10 dans l’arsenal
nucléaire étasunien actuel. La B61-12,
avec une puissance moyenne de 50
kilotonnes (environ le quadruple de la
bombe de Hiroshima), a ainsi la fonction
de plusieurs bombes, y compris celles
pénétrantes projetées pour « décapiter »
le pays ennemi, en détruisant les
bunkers des centres de commandement et
autres structures souterraines dans une
first strike nucléaire. A la
différence des B61 larguées à la
verticale sur l’objectif, les B61-12
sont lancées à grande distance (environ
100 Km) et se dirigent vers leur
objectif guidées par un système
satellitaire. Ainsi efface-t-on, en
grande partie, la différence entre armes
nucléaires stratégiques à longue portée
et armes tactiques à courte portée.
L’article du New York Times ajoute à ces caractéristiques un
détail de grande importance : la B61-12
a « une tête avec quatre options de
puissance sélectionnables ». Au moment
du lancement, on sélectionne la
puissance de l’explosion nucléaire selon
l’objectif à toucher : par exemple, la
plus grande pour détruire une ville
entière, en rendant radioactive une aire
vaste ; la plus petite pour détruire une
zone particulière, en provoquant une
radioactivité mineure.
Les implications de cette « modernisation » sont très graves. Outre sur
les bombes, les USA ont en programme
l’installation de têtes nucléaires à
puissance variable y compris sur des
missiles de croisière. Ce qui est encore
plus dangereux c’est que ces missiles
sont chargeables à la fois avec des
têtes conventionnelles (non-nucléaires)
et avec des têtes nucléaires. Celui qui
est attaqué avec de tels missiles ne
peut donc pas savoir s’il s’agit d’une
attaque nucléaire ou pas et, pour éviter
le pire, avant que les missiles
n’arrivent sur les objectifs il peut
lancer par rétorsion une attaque
nucléaire.
Mais il y a un plus grand danger encore, mis en évidence même par
le général Cartwright, ancien chef du
Commandement stratégique des Etats-Unis,
responsable des armes nucléaires : « La
modernisation pourrait changer la façon
dont les commandants militaires évaluent
les risques dérivant de l’emploi d’armes
nucléaires ». En d’autres termes,
avertissent Cartwright et d’autres
critiques, « des armes nucléaires de
puissance mineure et plus précises
augmentent la tentation de les utiliser,
et même de les utiliser en premiers
plutôt qu’en représailles ». Ce que
confirme la Fédération des scientifiques
américains (Fas) : « La haute précision
et la possibilité d’utiliser des têtes
moins destructrices peuvent amener les
commandants militaires à faire pression
pour que, dans une attaque, on utilise
la bombe nucléaire, en sachant que le
retombée radioactive et le dommage
collatéral seraient limités ».
Voilà ce que sont les nouvelles bombes nucléaires étasuniennes qui,
déjà testées dans le polygone de Tonopah
au Nevada, vont arriver en Italie. La
Fédération des scientifiques américains
le confirme depuis Washington, avec des
preuves documentées. Une photo
satellitaire montre que, dans ce but, a
été effectué l’upgrade
(adaptation) de la base U.S. Air Force à
Aviano et celle de Ghedi Torre. Des
travaux analogues ont été effectués dans
la base aérienne allemande de Buchel,
dans deux autres bases en Belgique et
Hollande, et dans celle turque d’Incirlic
où vont être installées les B61-12.
On ne sait pas combien de B61-12 seront stockées en Europe et en
Turquie. Selon les dernières estimations
de la Fas, les USA gardent aujourd’hui
70 bombes nucléaires B61 en Italie (50 à
Aviano et 20 à Ghedi), 50 en Turquie, 20
respectivement en Allemagne, Belgique et
Pays-Bas, pour un total de 180. Personne
ne sait cependant avec exactitude
combien il y en a effectivement. On sait
par contre une chose : celles qui seront
sous peu installées en Italie par les
USA sont des armes qui abaissent le
seuil nucléaire, c’est-à-dire rendent
plus probable le lancement d’une attaque
nucléaire depuis notre pays et
l’exposent ainsi à des représailles
nucléaires.
On entraîne aussi à l’usage de telles armes les pilotes italiens, bien
que l’Italie ait ratifié le Traité de
non-prolifération qui l’« engage à ne
pas recevoir de quiconque des armes
nucléaires, ni le contrôle sur de telles
armes, directement ou indirectement ».
Edition de mercredi 13 janvier
2016 de il manifesto
http://ilmanifesto.info/in-italia-bombe-nucleari-usa-a-potenza-variabile/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Le sommaire de Manlio Dinucci
Le dossier
Monde
Les dernières mises à jour
|