L'art de la guerre
Les décombres de la démocratie
Manlio Dinucci
Mardi 6 septembre 2016
«Rien que des décombres, comme
s’il y avait eu un bombardement», a dit
la présidente de la Chambre Boldrini en
visitant les lieux sinistrés par le
tremblement de terre[1].
Paroles sur lesquelles il faut réfléchir
au-delà de l’image.
Face aux scènes déchirantes des enfants morts sous les décombres du
tremblement de terre, comment ne pas
penser à tous ces enfants (que la télé
ne nous a jamais montrés) morts sous les
décombres des bombardements auxquels, de
la Yougoslavie à la Libye, a aussi
participé l’Italie ? « On a l’impression
d’être en guerre », raconte un des
nombreux volontaires.
En guerre, la vraie, l’Italie en effet y est déjà, brûlant des ressources
vitales qui devraient être destinées à
protéger la population de notre pays des
tremblements de terre, des coulées de
boue et inondations qui provoquent de
plus en plus de victimes et de
destructions. Des politiciens de
provenances diverses ont proposé, dans
un élan de générosité, de destiner aux
zones sinistrées le jackpot du
Superenalotto[2],
130 millions d’euros. Personne cependant
n’a proposé d’employer à cet effet le
« jackpot » de la dépense militaire
italienne qui se monte, selon les
données officielles de l’Otan, à environ
20 milliards d’euros en 2016, 2,3
milliards de plus qu’en 2015 : en
moyenne 55 millions d’euros par jour,
chiffre en réalité plus important quand
on inclut les dépenses hors budget de la
défense attribuées à d’autres
ministères. En tout cas d’après les
données de l’Otan, l’Italie dépense en
un seul jour pour le militaire plus que
ce qu’a prévu le gouvernement pour
l’urgence tremblement de terre (50
millions d’euros), cinq fois plus que ce
qui a jusqu’à présent été récolté avec
les SMS solidaires[3].
Alors que manquent les fonds pour la reconstruction et la mise en
sécurité des édifices par de réels
systèmes anti-sismiques, pour un plan à
long terme contre les tremblements de
terre et les débâcles hydro-géologiques.
Alors que les pompiers, dont en ces occasions on reconnaît formellement
les mérites, ont des effectifs, salaires
et moyens totalement inadéquats pour le
travail qu’ils effectuent, souvent au
risque de leur vie, non seulement dans
les urgences quotidiennes, mais dans les
désastres « naturels » de plus en plus
fréquents (dont les conséquences
catastrophiques relèvent en grande
partie de responsabilités humaines).
Par contre ne manquent pas les financements et les moyens pour les forces
spéciales italiennes qui opèrent dans la
nouvelle guerre de Libye. A Pise, où il
y a deux ans a été constitué le
Commandement des forces spéciales de
l’armée (Comfose), se sont intensifiés
depuis des mois les vols des C-130J qui
partent pour des destinations inconnues
chargés d’armes et de ravitaillements.
Ces opérations sont autorisées
secrètement par le Président du Conseil
Renzi sans qu’il en réfère au parlement.
L’article 7 bis de la loi 198/2015 sur
la prolongation des missions militaires
à l’étranger confère au Président du
Conseil la faculté d’adopter des
«mesures d’intelligence
d’opposition, en situations de
crise (…), avec la coopération de forces
spéciales de la Défense avec les
aménagements consécutifs de soutien de
la même Défense», avec la seule
obligation d’en référer formellement au
« Comité parlementaire pour la sécurité
de la République ». En d’autres termes,
le président du Conseil a en main des
forces spéciales et des services de
renseignement à utiliser dans des
opérations secrètes, avec le soutien de
tout l’appareil militaire. Un pouvoir
personnel anticonstitutionnel,
potentiellement dangereux y compris sur
le plan intérieur.
Alors qu’il affiche son émotion aux funérailles des victimes du
tremblement de terre, en faisant des
promesses sur la reconstruction, le
Président du Conseil Renzi, dans le
cadre de la stratégie USA/Otan, conduit
l’Italie à d’autres guerres et à une
dépense militaire croissante au
détriment des exigences vitales du pays.
Dépense à laquelle s’ajoute celle,
secrète, pour les opérations militaires
secrètes qu’il a ordonnées. Alors que,
sur la reconstruction promise des zones
sinistrées, Renzi assure la « plus
grande transparence ».
Edition de mardi 6 septembre de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/le-macerie-della-democrazia/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
[1]
Tremblement de terre qui a
touché le centre de l'Italie le
24 août et les jours suivants.
[3]
Les « SMS solidaires » sont une
méthode
de collecte de
fonds destinés aux zones
sinistrées : pour chaque SMS
envoyé à un numéro
donné 2 euros sont
versés à la Protection civile.
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