L'art de la guerre
La Corée du Nord dans le grand jeu nucléaire
Manlio Dinucci
© Manlio
Dinucci
Mardi 5 septembre 2017
Les projecteurs
politico-médiatiques, focalisés sur les
tests nucléaires et de missiles
nord-coréens, laissent dans l’ombre le
cadre général dans lequel ils s’insèrent
: celui d’une croissante course aux
armements qui, tandis qu’elle conserve
un arsenal nucléaire en mesure d’effacer
l’espèce humaine de la face de la Terre,
mise sur des têtes et vecteurs high tech
de plus en plus sophistiqués.
La Fédération des
scientifiques américains (Fas) estime en
2017 que la Corée du Nord ait “du
matériel fissible pour produire
potentiellement 10-20 têtes nucléaires,
mais il n’y a pas de preuves disponibles
qu’elle ait rendu opérationnelles des
têtes nucléaires transportables par des
missiles balistiques”. Toujours selon la
Fas, les USA possèdent 6800 têtes
nucléaires, dont 1650 stratégiques et
150 non-stratégiques prêtes à tout
moment au lancement. En comptant les
françaises et les britanniques
(respectivement 300 et 215), les forces
nucléaires de l’Otan disposent de 7315
têtes nucléaires, dont 2200 prêtes au
lancement, face aux 7000 russes dont
1950 prêtes au lancement. Selon les
estimations de la Fas, environ 550 têtes
nucléaires étasuniennes, françaises et
britanniques, prêtes au lancement, sont
déployées en Europe à proximité du
territoire russe. C’est comme si la
Russie avait déployé au Mexique des
centaines de têtes nucléaires pointées
sur les Etats-Unis.
En ajoutant les chinoises
(270), pakistanaises (120-130),
indiennes (110-120) et israéliennes
(80), le nombre total des têtes
nucléaires est estimé à environ 15 000.
Ce sont des estimations approximatives,
presque certainement par défaut. Et la
course aux armements nucléaires se
poursuit avec la modernisation continue
des têtes et des vecteurs nucléaires.
En tête se trouvent
les Etats-Unis, qui effectuent de
continuels tests des missiles
balistiques intercontinentaux Minuteman
III et se préparent à les remplacer par
de nouveaux missiles (coût estimé à 85
milliards de dollars). Le Congrès a
approuvé en 2015 un plan (coût estimé à
environ 1000 milliards) pour
potentialiser les forces nucléaires avec
12 sous-marins d’attaque de plus (7
milliards pièce), armé chacun de 20
têtes nucléaires. Entre dans le même
cadre le remplacement des bombes
nucléaires USA B61, présentes en Italie
et dans d’autres pays européens, par les
nouvelles B61-12, armes de first strike.
La potentialisation des forces
nucléaires comprend aussi le “bouclier
anti-missiles” pour neutraliser les
représailles ennemies, comme celui
installé par les USA en Europe contre la
Russie et en Corée du Sud, non pas
contre la Corée du Nord mais en réalité
contre la Chine.
Russie et Chine sont en
train d’accélérer la modernisation de
leurs forces nucléaires, pour ne pas de
faire distancer. En 2018 la Russie
déploiera un nouveau missile balistique
intercontinental, le Sarmat, avec une
portée allant jusqu’à 18 000 Km, capable
de transporter 10-15 têtes nucléaires
qui, en rentrant dans l’atmosphère à
vitesse hypersonique (plus de 10 fois
celle du son), manoeuvrent pour échapper
aux missiles intercepteurs en perçant le
“bouclier”.
Dans une telle situation,
où un cercle restreint d’états conserve
l’oligopole des armes nucléaires, où
celui qui les possède menace celui qui
ne les a pas, il est de plus en plus
probable que d’autres cherchent à se les
procurer et y arrivent. En plus des neuf
pays qui possèdent déjà des armes
nucléaires, il y en environ 35 autres en
mesure de les construire.
Tout cela est ignoré par
les journaux et journaux télévisés,
alors qu’ils lancent l’alarme sur la
Corée du Nord, dénoncée comme unique
source de menace nucléaire. On ignore
aussi la leçon qu’à Pyongyang on dit
avoir appris : Kadhafi -rappellent-ils-
avait renoncé totalement à tout
programme nucléaire, en permettant des
inspections de la Cia en territoire
libyen. Cela pourtant ne le sauva pas
quand USA et Otan décidèrent de détruire
l’Etat libyen. S’il avait eu des armes
nucléaires, pense-t-on à Pyongyang,
personne, n’aurait eu le courage de
l’attaquer. Ce raisonnement peut être
fait aussi par d’autres : dans la
situation mondiale actuelle il vaut
mieux avoir les armes nucléaires que ne
pas les avoir.
Pendant que sur la base de
cette logique dangereuse la probabilité
de prolifération nucléaire augmente, le
Traité sur la prohibition des armes
nucléaires, adopté à une grande majorité
par les Nations Unies en juillet
dernier, est ignoré par toutes les
puissances nucléaires, par les membres
de l’Otan (Italie comprise) et par ses
principaux partenaires (Ukraine, Japon,
Australie). Une large mobilisation est
fondamentale pour imposer que notre pays
aussi adhère au Traité sur la
prohibition des armes nucléaires et donc
évacue de son territoire les bombes
nucléaires USA, dont la présence viole
le Traité de non-prolifération déjà
ratifié par l’Italie. Si la conscience
politique fait défaut, l’instinct de
survie au moins devrait se déclencher.
Edition de mardi 5 septembre 2017
de il manifesto
https://ilmanifesto.it/il-grande-e-sporco-gioco-atomico/
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