Opinion
Ceux qui ont saboté le gazoduc South
Stream
Manlio Dinucci - Tommaso Di Francesdo
Mardi 10 juin 2014
Le gouvernement bulgare a annoncé
dimanche avoir interrompu les travaux de
construction du South Stream, le gazoduc
qui devrait transporter du gaz russe
dans l’Union européenne sans passer par
l’Ukraine. « J’ai ordonné d’arrêter les
travaux –fait savoir le premier ministre
Plamen Oresharski. Nous déciderons des
développements de la situation après les
consultations que nous aurons avec
Bruxelles ». Ces derniers jours le
président de la Commission européenne,
José Manuel Barroso, avait annoncé
l’ouverture d’une procédure Ue contre la Bulgarie pour irrégularité
présumée dans les appels d’offre du
South Stream.
Trois jours avant à peine, le 5
juin, la direction du Parti socialiste
bulgare, qui soutient le gouvernement
Oresharski, donnait pour sûr que le
tronçon bulgare du gazoduc aurait été
construit malgré le requête de Bruxelles
d’arrêter le projet. « Pour nous il est
d’une importance vitale », soulignait le
vice-président de la commission
parlementaire pour l’énergie, Kuiumgiev.
Et le président de la Chambre des constructeurs, déclarait que « le
South Stream est une bouffée d’oxygène
pour les entreprises bulgares ».
Qu’est-il arrivé ? Le projet naît
quand, en novembre 2006 (pendant le
gouvernement Prodi II), le russe Gazprom
et l’italienne Eni signent un accord de
partenariat stratégique. En juin 2007 le
ministre pour le développement
économique, Pierluigi Bersani, signe
avec le ministre russe de l’industrie et
de l’énergie le mémorandum d’entente
pour la réalisation du South Stream.
Selon le projet, le gazoduc sera composé
d’un tronçon sous-marin de 930 Kms à
travers la Mer Noire (en eaux territoriales russes, bulgares
et turques) et par un tronçon sur terre
à travers Bulgarie, Serbie, Hongrie,
Slovénie et Italie jusqu’à Tarvisio
(Province d’Udine). De 2008 à 2011 sont
conclus tous les accords
intergouvernementaux avec les pays
traversés par le South Stream.
En 2012 entrent aussi dans la
société par actions qui finance la
réalisation du tronçon sous-marin
l’allemand Wintershall et la française
Edf à hauteur de 15% chacun, alors qu’Eni
(qui a cédé 30%) détient 20% et Gazprom
50% des actions. La construction du
gazoduc commence en décembre 2012, avec
l’objectif de lancer la fourniture de
gaz pour 2015. En mars 2014, Saipem (Eni)
s’adjudique un contrat de 2 milliards
d’euros pour la construction de la
première ligne du gazoduc sous-marin.
Entre temps, cependant, éclate la
crise ukrainienne et les Etats-Unis font
pression sur les alliés européens pour
qu’ils réduisent les importations de gaz
et de pétrole russes, qui constituent
environ un tiers des importations
énergétiques de l’Ue. Premier objectif
étasunien (écrivions-nous le 26 mars[1]) :
empêcher la réalisation du South Stream.
A cet effet Washington exerce une
pression croissante sur le gouvernement
bulgare. D’abord il le critique pour
avoir confié la construction du tronçon
bulgare du gazoduc à un consortium dont
fait partie la société russe
Stroytransgaz, sujette à des sanctions
étasuniennes. Sur un ton de chantage,
l’ambassadrice étasunienne à Sofia,
Marcie Ries, déclare : « Nous
avertissons les hommes d’affaires
bulgares : qu’ils évitent de travailler
avec des sociétés sujettes à des
sanctions de la part des USA ». Le
moment décisif arrive dimanche dernier à
Sofia, quand le sénateur étasunien John
McCain, accompagné par Chris Murphy et
Ron Johnson, rencontre le premier
ministre bulgare en lui transmettant les
ordres de Washington. Tout de suite
après Plamen Oresharski annonce le
blocus des travaux du South Stream.
Affaire emblématique : un projet
de grande importance économique pour l’Ue
se trouve saboté non seulement par
Washington, mais aussi par Bruxelles de
la main même du président de la Commission européenne.
Nous aimerions savoir ce qu’en pense le
gouvernement Renzi, étant donné que
l’Italie –comme a prévenu Paolo Scaroni,
numéro un de l’Eni- perdrait des
contrats de milliards d’euros si le
projet South Stream était fossoyé.
Edition de mardi 10 juin 2014 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/chi-ha-sabotato-il-gasdotto-south-stream/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
[1]
« Le véritable agenda d’Obama »,
Manlio Dinucci et Tommaso Di
Francesco, 26 mars 2014.
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