Le Saker
Le Premier ministre russe démissionne
et personne ne sait pourquoi
Moon of Alabama

Samedi 18 janvier 2020
Par
Moon of Alabama – Le 15 janvier 2020
Un curieux
« changement de régime » s’est
produit en Russie aujourd’hui, avec la
démission du Premier ministre Dimitri
Medvedev et de l’ensemble de son
cabinet.
Ce matin, le
Président Vladimir Poutine a tenu son
discours annuel devant l’Assemblée
fédérale de Russie (transcription
anglaise). Poutine a parlé de la
situation démographique de la Russie, de
son armement et de la célébration
prochaine du 75e anniversaire
de sa victoire dans la Seconde Guerre
mondiale.
Mais la partie
la plus importante a porté sur les
changements constitutionnels. Voici un
résumé via l’agence TASS :
Poutine a suggéré
de mettre en place un ensemble
d'amendements constitutionnels en vue
d'un plébiscite. Dans le même temps, le
président russe a déclaré qu'il ne
voyait aucune raison d'adopter une
nouvelle constitution pour la Russie.Poutine a également
suggéré de stipuler la suprématie de la
Constitution russe sur les normes
internationales en Russie.
"Le temps est
venu d'apporter quelques modifications à
la loi fondamentale de la nation qui
garantiraient directement la priorité de
la Constitution russe dans notre espace
juridique. Qu'est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que les exigences du droit
international et les décisions des
organes internationaux ne peuvent être
appliquées en Russie que dans une mesure
qui ne viole pas les droits et libertés
de l'homme et du citoyen et ne porte pas
atteinte à notre Constitution", a
souligné Poutine.
Il semble que la
Cour européenne des droits de l’homme
ait
énervé la Russie une fois de trop.
La Cour est associée au Conseil de
l’Europe qui compte 47 états membres
dont la Russie. Elle a jugé à plusieurs
reprises en faveur des oligarques
renégats en exil et de l’opposition
« occidentale » en Russie.
Poutine a ensuite
proposé des changements supplémentaires
à la constitution. Ce sont probablement ces
points qui ont conduit à la
démission de Medvedev :
Poutine est
d'accord pour que la même personne
n'occupe pas le poste de chef de l’État
pendant plus de deux mandats
consécutifs.
"Je sais que
notre société débat de la disposition
constitutionnelle selon laquelle la même
personne ne doit pas occuper le poste de
président de la Fédération de Russie
pendant plus de deux mandats
consécutifs. Je ne pense pas que cette
question soit d'une importance
fondamentale, mais je suis d'accord avec
cela", a déclaré M. Poutine.
L’interprétation de
l’agence TASS selon laquelle
Poutine « convient que la même
personne ne devrait pas occuper le poste
de chef d’État pendant plus de deux
mandats consécutifs » n’est pas
soutenue par la déclaration de Poutine.
Actuellement, la constitution russe
prévoit une limite de deux mandats
consécutifs. Poutine veut-il la
conserver ou l’enlever ? La
transcription officielle en anglais
du discours a également une formulation
légèrement différente :
Je sais que l'on
discute de la disposition
constitutionnelle selon laquelle une
personne ne peut pas occuper le poste de
président de la Fédération de Russie
pendant deux mandats successifs. Je ne
considère pas cela comme une question de
principe, mais je soutiens et partage
néanmoins ce point de vue.
Quel est exactement
le point de vue que Poutine soutient
ici. Une limite de mandat, comme
l’agence TASS semble le laisser
entendre, ou aucune limite, comme le
laisse entendre le New York
Times ? Si la limitation du mandat
est levée, Poutine pourrait se présenter
à nouveau pour une troisième présidence
consécutive. Medvedev, qui aurait espéré
redevenir président, n’aimerait
probablement pas la deuxième
interprétation.
Plus venant de
TASS :
Le président a
également proposé de compléter la
Constitution russe par une exigence
spéciale selon laquelle un candidat au
poste de chef de l’État doit résider en
Russie depuis au moins 25 ans et ne pas
avoir de nationalité étrangère ni de
permis de séjour à l'étranger, non
seulement au moment de l'élection, mais
jamais auparavant.En vertu de la
Constitution actuelle, tout citoyen
russe qui vit dans le pays depuis au
moins dix ans peut être élu président de
la Russie.
Le fait qu’un
candidat à la présidence n’ait jamais dû
avoir de permis de séjour dans un pays
étranger est une curieuse restriction.
Poutine a vécu en Allemagne de l’Est
entre 1985 et 1990. Il était officier du
KGB à l’époque, mais je suis sûr que le
KBG a pris soin d’obtenir des permis de
résidence du pays hôte pour ses
officiers d’infiltration. Toutefois, ce
changement n’aurait pas d’incidence sur
Medvedev.
En outre, Poutine a
proposé de modifier la constitution pour
élargir les pouvoirs du Parlement et du
Conseil fédéral de l’État, qui n’a
actuellement pas grand-chose à dire.
Voici un extrait de
son discours :
Quelle est la
situation actuelle ? Conformément aux
articles 111 et 112 de la Constitution
russe, le Président n’a besoin que de
l'accord de la Douma d’État pour nommer
le Premier ministre, puis il nomme le
chef du Cabinet, ses adjoints et tous
les ministres. Je propose de modifier la
procédure et de permettre à la Douma
d'État de nommer le Premier ministre de
la Fédération de Russie, puis tous les
vice-premiers ministres et les ministres
fédéraux sur recommandation du Premier
ministre. En même temps, le Président
devra les nommer, il n'aura donc pas le
droit de refuser les candidats approuvés
par le Parlement. (Applaudissements).
Tout cela signifie
des changements drastiques dans le
système politique.
Cette décision
donnerait à tout futur président moins
de pouvoir que celui que détient
actuellement Poutine. Mais pourquoi
Poutine affaiblirait-il la position du
président s’il voulait se présenter pour
un autre mandat ?
La démission de
Medvedev en tant que premier ministre
est complètement inattendue et semble
politiquement inutile. Les médias
ont fait le lien avec les
changements constitutionnels proposés
par Poutine :
Avant d'annoncer la
démission du cabinet, M. Medvedev a
rencontré M. Poutine pour discuter de
son discours sur l'état de la nation,
qui a eu lieu plus tôt mercredi, a
déclaré le bureau de presse du Kremlin.Dans son discours,
M. Poutine a proposé plusieurs
amendements à la constitution.
Medvedev a expliqué
que son cabinet démissionne conformément
à l'article 117 de la Constitution
russe, qui stipule que le gouvernement
peut offrir sa démission au président
qui, à son tour, peut l'accepter ou la
rejeter.
"Dans ce
contexte, il est évident que, en tant
que gouvernement, nous devons fournir au
président la capacité de prendre toutes
les décisions" qui sont nécessaires
pour mettre en œuvre le plan proposé, a
expliqué Medvedev.
Poutine a accepté
la démission et a annoncé qu’un nouveau
poste de vice-président du Conseil de
sécurité serait créé et que Medvedev
occuperait ce poste. Le Conseil de
sécurité nationale russe est présidé par
le président lui-même et comprend le
premier ministre, les chefs du Conseil
fédéral et de la Douma d’État, les
ministres de la défense, des affaires
étrangères et de l’intérieur, ainsi que
les chefs des services de sécurité.
Medvedev n’est donc
pas mis à l’écart mais obtient un poste
où il est l’adjoint de Poutine dans les
affaires intérieures et extérieures
importantes.
Dans la soirée,
Poutine a annoncé qu’il avait nommé
Mikhaïl Michoustine, le chef du
service fiscal fédéral russe, comme
nouveau Premier ministre. Ce natif de
Moscou, âgé de 53 ans, est pratiquement
inconnu du grand public. C’est un choix
curieux et surprenant.
Même les analystes
russes proches de Poutine ne semblent
pas savoir si Poutine et Medvedev
avaient planifié le « changement de
régime » d’aujourd’hui ou si c’est
le geste totalement spontané d’un
Medvedev en colère. Ils ne semblent pas
non plus savoir si Poutine veut partir
en 2024 ou s’il veut rester pour un
autre mandat.
Il ne nous reste
donc qu’à lancer nos paris.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan,
relu par jj pour le Saker Francophone
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