Le Saker
Comment l’administration Trump répand sa
propagande antichinoise dans les médias
grand public
Moon of Alabama

Vendredi 15 mai 2020
Par
Moon of Alabama – Le 13 mai 2020
Au cours du mois
dernier, un certain nombre de rapports
ont fait la une des journaux:
-
Un laboratoire chinois au cœur
d’une épidémie de coronavirus
-
Des responsables américains
avaient sonné l’alarme au sujet du
laboratoire de Wuhan des années
avant l’épidémie de coronavirus
-
Des responsables américains
auraient craint que des failles dans
la sécurité d’un laboratoire de
Wuhan étudiant les coronavirus chez
les chauves-souris ne provoquent une
pandémie.
Tous les
articles qui précèdent, et bien
d’autres, rappellent un article
d’opinion du Washington Post de
Josh Rogin
publié le 14 avril et titré :
« Des câbles
du département d’État ont mis en garde
contre des failles dans la sécurité du
laboratoire de Wuhan étudiant les
coronavirus de chauves-souris. »
Josh Rogin est un
pirate néo-conservateur qui apporte
de l’eau au moulin de l’administration
Trump. Cette administration a lancé une
campagne du genre «accusons la
Chine» pour détourner l’attention de
son incapacité à contenir l’épidémie aux
États-Unis. À cette fin, ils ont remis à
Rogin un vieux câble diplomatique et lui
ont expliqué comment « l’interpréter
». Rogin a consciencieusement fait
ce qu’on lui a dit.
Le câble commence
ainsi :
Deux ans avant que
la nouvelle pandémie de coronavirus ne
bouleverse le monde, les responsables de
l'ambassade des États-Unis ont visité
plusieurs fois un centre de recherche
chinois dans la ville de Wuhan et envoyé
deux avertissements officiels à
Washington concernant la sécurité
inadéquate du laboratoire, qui menait
des études risquées sur les coronavirus
des chauves-souris. Les câbles ont
alimenté des discussions au sein du
gouvernement américain pour savoir si ce
laboratoire ou un autre laboratoire de
Wuhan était à l'origine du virus - même
si aucune preuve concluante n'a encore
été établie.
Cela définit le
cadre pour réinterpréter le seul câble
qui a été donné à Rogin. Mais quand on
extrait les faits de ce reportage, en
éliminant la propagande, voici l’image
qui apparaît :
- L’Institut de
virologie de Wuhan possède un
laboratoire de biosécurité de
niveau 4.
- L’institut est
connu pour ses recherches sur les
coronavirus qui infectent les
chauves-souris du sud de la Chine.
- Certaines
recherches ont été effectuées en
collaboration avec deux universités
américaines et financées par le
gouvernement américain.
- Le laboratoire
avait demandé un soutien américain
supplémentaire pour d’autres études.
- En janvier
2018, l’ambassade des États-Unis en
Chine envoie deux diplomates visiter
le laboratoire. Aucun d’eux n’est
expert en sécurité de laboratoire ou
en virologie.
- On explique
aux diplomates que la recherche sur
les coronavirus dérivés des
chauves-souris est importante car de
tels virus, comme le SRAS, peuvent
menacer les humains.
- Les chercheurs
chinois leur disent que plus de
travail pourrait être fait si le
laboratoire avait plus de
techniciens formés.
- Les diplomates
retournent à leur ambassade. Ils
écrivent un câble en utilisant les
arguments des chercheurs pour
recommander qu’un soutien américain
supplémentaire soit accordé au
laboratoire.
- Aucun fonds
supplémentaire n’a été accordé.
Décrite comme cela,
cette histoire est quotidienne dans les
institutions de recherche financées par
l’État. Tout établissement de recherche
est toujours à la recherche de nouvelles
subventions. Il communique avec
d’éventuels bailleurs de fonds, explique
les raisons de telles recherches et la
nécessité d’un soutien supplémentaire.
Mais Rogin
construit une histoire assez étonnante à
partir de ces faits :
Ce que les
responsables américains ont appris au
cours de leurs visites les a tellement
préoccupés qu'ils ont envoyé deux câbles
diplomatiques classés comme sensibles
mais non secret à Washington. Les câbles
mettaient en garde contre les faiblesses
en matière de sécurité et de gestion au
laboratoire de Wayan WIV et proposaient
qu’il y soit porté plus d'attention et
d'aide. Le premier câble, que j’ai eu
entre les mains, prévient également que
les travaux du laboratoire sur les
coronavirus de chauve-souris et leur
transmission humaine potentielle
présentaient un risque de nouvelle
pandémie de type SRAS.«Lors
d'interactions avec des scientifiques du
laboratoire WIV, ces derniers ont fait
remarquer que le nouveau laboratoire
manquait sérieusement de techniciens et
de chercheurs correctement formés pour
faire fonctionner en toute sécurité ce
laboratoire à haut confinement»,
indique le câble du 19 janvier 2018,
rédigé par deux responsables des
sections environnement, science et santé
de l'ambassade qui ont rencontré les
scientifiques du WIV.
Un véritable
avertissement sur les problèmes de
sécurité au laboratoire serait
certainement classé secret. Ce que Rogin
décrit comme un « avertissement
concernant la sécurité » est un
avertissement concernant un risque de
pandémie de type SRAS. La « faiblesse
en matière de gestion » est le désir
d’obtenir des États-Unis qu’ils
financent davantage de personnel pour le
laboratoire. Rogin l’admet dans son
paragraphe suivant :
Les chercheurs
chinois du WIV recevaient de l'aide du
Galveston National Laboratory de
la University of Texas Medical Branch
et d'autres organisations américaines,
mais les Chinois demandaient une aide
supplémentaire. Les câbles expliquaient
que les États-Unis devraient apporter un
soutien supplémentaire au laboratoire de
Wuhan, principalement parce que ses
recherches sur les coronavirus des
chauves-souris étaient importantes mais
également dangereuses.
Rogin introduit
ensuite un facteur de peur
supplémentaire en se lamentant sur la
recherche de « gain de function » sur
ces virus. Ce genre de recherche tente
de manipuler des virus pour leur donner
des
fonctionnalités supplémentaires.
Rogin essaie ainsi d’associer le
laboratoire de Wuhan à ce type de
recherche :
Comme l'indique le
câble, les visiteurs américains ont
rencontré Shi Zhengli, chef du projet de
recherche, qui publie des études sur les
coronavirus de chauve-souris depuis de
nombreuses années. En novembre 2017,
juste avant la visite des autorités
américaines, l'équipe de Shi avait
publié des recherches montrant que les
chauves-souris qu'ils avaient collectées
dans une grotte de la province du Yunnan
provenaient très probablement de la même
population de chauves-souris qui avait
engendré le coronavirus du SRAS en 2003.
...La recherche a été
conçue pour empêcher la prochaine
pandémie de type SRAS en anticipant
comment elle pourrait émerger. Mais même
en 2015, d'autres scientifiques
se demandaient si l'équipe de Shi ne
prenait pas des risques inutiles. En
octobre 2014, le gouvernement américain
avait
imposé un moratoire sur le
financement de toute recherche qui
rendrait un virus plus mortel ou
contagieux, connu sous le nom «
d'expériences de fonctions
additionnelles ».
Le lien que Rogin
fournit renvoie à
un article de la revue Nature
sur un débat autour de la recherche sur
les « fonctions additionnelles ».
La recherche en question était faite à
l’Université de Caroline du Nord, pas à
Wuhan.
Le document décrivant cette
recherche et titré « un groupe de
coronavirus de chauves-souris de type
SRARS en circulation montre un risque
d’émergence chez l’humain », a été
rédigé par le professeur Ralph S. Baric,
qui avait également conçu l’expérience.
Le document répertorie un total de
quinze collaborateurs. L’un des auteurs
énumérés est en effet Zhengli-Li Shi qui
dirige le laboratoire de Wuhan.
Mais ni Zhengli-Li
Shi, ni son laboratoire, n’ont été
impliqués dans aucune des expériences. A
la fin du document de recherche, les
contributions de chaque co-auteur sont
répertoriées. À propos de Zhengli-Li Shi,
il est écrit :
Z.-L.S. a fourni
des séquences de pointes SHC014 et des
plasmides.
Le laboratoire de
Wuhan n’a fourni que des séquences
génétiques spécifiques de son pool de
virus de chauve-souris,
la spécialité du laboratoire et de
Zhengi-Li Shi, que les chercheurs de
Caroline du Nord voulaient utiliser dans
leur expérience.
Interpréter que la
fonction de fournisseur implique
celui-ci dans des expériences de
«gain de fonstion» est une
exagération injustifiée. Je n’ai trouvé
aucune preuve que le laboratoire de
Wuhan lui-même ait jamais entrepris de
telles recherches.
Rogin conclut son
article à sensations en tendant le
microphone au démagogue de la Maison
Blanche qui est sa source :
Au sein de
l'administration Trump, de nombreux
responsables de la sécurité nationale
soupçonnent depuis longtemps que WIV, le
laboratoire du Wuhan Center for
Disease Control and Prevention est à
l'origine de la nouvelle épidémie de
coronavirus. Selon le New York Times,
la communauté du renseignement n'a
fourni aucune preuve pour le confirmer.
Mais un haut responsable de
l'administration m'a dit que les câbles
fournissaient un élément de preuve
supplémentaire pour renforcer la
possibilité que la pandémie soit le
résultat d'un accident de laboratoire à
Wuhan.« L'idée qu'il
ne s'agissait que d'un événement
totalement naturel est circonstancielle.
La preuve qu'il a fui du laboratoire est
circonstancielle. Mais en ce moment la
balance penche pour une fuite du
laboratoire car il n'y a presque rien de
l'autre côté », a déclaré le
responsable.
Des interprétations
manipulées de câbles diplomatiques et
des allégations sans preuves concernant
des preuves prétendument existantes ont
également été utilisées pour des
campagnes bellicistes concernant les
armes de destruction massive en Irak et
les attaques chimiques en Syrie. Les
néo-conservateurs utilisent maintenant
les mêmes vieilles astuces contre la
Chine.
L’écho médiatique
montre qu’ils obtiennent un certain
succès avec cela.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan,
relu par Jj pour le Saker Francophone
Le sommaire Le Saker
Le dossier
Monde
Le dossier
Chine
Les dernières mises à jour

|