Le Saker
Covid-19 : « Il n’y a pas de gloire dans
la prévention. »
Moon of Alabama

Vendredi 8 mai 2020 Par
Moon of Alabama − Le 6 mai 2020
Lorsque la
menace de l’épidémie de Covid-19 est
apparue, les épidémiologistes ont
commencé à construire leurs modèles
mathématiques pour prédire comment elle
se développerait. Ils ont dû travailler
avec des données de faible qualité,
venant principalement de Chine et plus
tard d’Italie. Les principaux paramètres
étaient le taux de réplication R de la
maladie et le pourcentage de cas graves.
En utilisant les chiffres disponibles,
ils ont prédit un pic élevé de cas
graves qui submergerait le système de
santé.
Leur prochaine
étape consistait à examiner les mesures
non pharmaceutiques qui, espéraient-ils,
réduiraient le pic des cas d’infection.
Certaines mesures étaient moins
controversées que d’autres. Fermer les
cinémas et les bars est un peu
[litote … NdT] gênant mais peut se
faire sans trop de protestations. La
fermeture des transports publics ou des
écoles est plus controversée car les
effets sur la vie publique et
personnelle sont beaucoup plus graves.
Nous avons peu
d’expérience dans la prise de telles
mesures. Les élaborateurs de modèles ne
savent pas dans quelle mesure chacune de
ces restrictions contribuera à
l’abaissement du pic. Ils doivent
estimer ces paramètres. Jusqu’à ce
mois-ci, il n’était même pas clair que
les enfants pouvaient être infectés ou
étaient infectieux. Argumenter pour la
fermeture d’écoles sans savoir cela est
assez difficile.
Les
épidémiologistes cliniques, qui
travaillent principalement sur des
essais randomisés qui produisent des
données solides, sont souvent critiques
envers les constructeurs de modèles. Ils
n’aiment pas les nombreuses hypothèses
qui entrent dans la modélisation et
demandent plus de données fiables. Le
professeur de Stanford, John
Ioannidis, qui a
dirigé l’étude sur les anticorps de
Santa Clara, en fait partie,
voir l’interview de sa
vidéo ici. [Traduite et publié
dimanche prochain sur notre site, NdT]
Il a un peu raison. Tous les modèles
sont faux, mais certains sont utiles. Un
article récent de la Boston Review
examine les
différences entre les deux tribus
d’épidémiologistes. Il constate que nous
avons besoin des deux.
Lorsque les
politiciens prennent des mesures, ils ne
se sont que partiellement basés sur les
prédictions faites par les
modélisateurs. Ils doivent également
examiner les résultats économiques,
d’autres problèmes de sécurité et tenir
compte de l’opinion publique. Des
mesures assez strictes ont été prises
dans de nombreux pays occidentaux. Elles
ont bien fonctionné dans certains
d’entre eux. L’Allemagne n’a
pratiquement pas de «morts excessifs»
de la Covid-19. D’autres pays, comme la
Grande-Bretagne, ont agi trop tard ou
pas suffisamment et ont dû en payer le
prix.
Alors que
l’épidémie commence à reculer un peu, il
y a beaucoup de critiques à l’encontre
du confinement en Allemagne. « Les
modèles étaient faux », affirment
certaines personnes, ou bien « Les
mesures de verrouillage n’étaient pas
nécessaires », et demandent la levée
immédiate de la plupart des
restrictions.
«Il n’y a pas de
gloire dans la prévention» c’est
l’aspect frustrant de la vie d’un
épidémiologiste. S’ils font trop bien
leur travail, tout le monde les
éreintera.
Il y a un mois, Max
Abrams a vu venir ce développement et a
commenté :
- Les modèles
supposent la distance sociale entre
les personnes.
- Sur la base de
cette hypothèse, le modèle prédit
les cas de virus.
- Plus de
distanciation sociale que prévu est
pratiquée.
- Le modèle
surestime les cas de virus.
- Les idiots
disent que les modèles sont mauvais
donc nous n’avons pas besoin de
distance sociale.
D’autres pointent
du doigt la Suède et affirment que sa
décision de laisser l’épidémie évoluer
sans trop d’intervention était une bien
meilleure façon que de procéder à des
fermetures. Mais les preuves
ne sont pas là. Les chiffres
montrent une image différente :
Barry Ritholtz
@ritholtz -
18:03 UTC · 3 mai 2020
Taux de mortalité
par coronavirus en Suède et ses voisins
https://www.worldometer.info/coronavirus/#countries
Suède
Nombre
total de cas: 22 317
Décés/rapport
à la population: 2,21%
Décès:
26 Récupéré:
1005
Danemark
Cas:
9,523
Décés/rapport
à la population:0,016%
Décès:
484
Récupéré:
6,987
Norvège
Cas:
7,809
Décés/rapport
à la population: 0,003
Décès:
211
Récupéré:
32
La Suède avait en
fait les mêmes problèmes avec son
système de santé que certains autres
pays. Elle a dû rationner les lits de
soins intensifs en les refusant aux
personnes au-dessus d’un certain âge.
Son économie a été aussi durement
touchée que les autres :
Le résultat des
efforts de lutte contre le virus sur
l'économie suédoise a été dévastateur.
Un très grand nombre de petites
entreprises se sont effondrées. Toutes
les industries, sauf essentielles, ont
fermé presque immédiatement et beaucoup
font faillite. On a dit aux gens de
s'abstenir de tout voyage non essentiel.
Pratiquement tous les voyages en avion
ont été suspendus. Les chiffres du
chômage montent en flèche. Les partis
d'opposition jugent les contre-mesures
du gouvernement trop tardives. ...Contrairement aux
impressions créées dans les médias
américains, l’approche de la Suède face
à la pandémie n’a pas été «assouplie»,
mais essentiellement la même que dans
d’autres pays occidentaux. Ce pays de 10
millions d'habitants est au moins aussi
préoccupé par la pandémie que d'autres
pays. Il reste à voir si son approche a
été aussi efficace. Ce qui peut
finalement ressortir comme exceptionnel
est le manque flagrant de préparation de
la Suède à une pandémie, en particulier
pour protéger ses personnes âgées, et le
fait que les morts sont, de manière
disproportionnée, des immigrants
récents.
Alors que la Suède
n’a peut-être pas ordonné à tout le
monde un confinement total, les gens
l’ont fait en grande partie par peur
tout simplement.
Un commentaire de
Richard England, du 6 mai 2020 à 3 h 40,
décrit cet effet :
Il existe deux
types de confinement, l'un par décret,
l'autre par peur (ou auto-préservation).
L'importance du confinement par la peur
explique pourquoi la Suède n'a pas fait
aussi mal que prévu. Les deux formes
sont destructrices sur le plan
économique. Le confinement forcé est
généralement trop lent ou trop incomplet
pour être très différent de celui par la
peur, et les deux sont plus que
suffisants pour renverser une économie
faible. La peur se dissipe et la vie
économique reprend plus rapidement là où
la maladie a été essentiellement
éliminée.
L’effet est
également visible dans ce graphique par
l’équivalent allemand du Centre de
contrôle des maladies, le Robert
Koch Institute. Il montre
l’évolution dans le temps du facteur de
réplication R de l’épidémie en
Allemagne suite aux mesures officielles
de confinement.

Le facteur R de
réplication de la maladie en Allemagne
était déjà en baisse à la mi-mars avant
que des mesures plus sévères ne soient
ordonnées. R était en dessous de 1 avant
même le 23 mars lorsque le gouvernement
a ordonné le confinement.
La raison simple
est que les gens ont entendu les
nouvelles et regardé la télévision. Les
photos et les décès en Italie fin
février ont été assez brutaux. Lorsque
les animaux sentent qu’une épidémie a
lieu au sein de leur troupeau, ils
s’éloignent les uns des autres. Les
humains se comportent de la même
manière. Comme en Suède, de nombreuses
personnes en Allemagne sont entrées dans
une sorte de confinement et ont pratiqué
la distanciation sociale avant même
qu’elle ne soit ordonnée.
Certains affirment
maintenant que le graphique du Robert
Koch Institute ci-dessus montre que
les mesures n’étaient pas nécessaires.
Ils ont tort. Les données n’étaient pas
connues au moment où les mesures ont été
prises. La première des simulations
présentées dans le graphique a été
effectuée le 1er avril. Fin
mars, le facteur R semblait remonter
au-dessus de 1, ce qui signifiait que
l’épidémie était à nouveau en expansion.
Seules les mesures de confinement prises
le 23 mars ont poussé R en dessous de 1
et ont entraîné une lente diminution des
nouveaux cas quotidiens.
L’Allemagne sort
maintenant lentement de son confinement.
Les États-Unis le font aussi, mais à un
moment de l’épidémie où il est encore
trop tôt. Il existe des raisons
économiques de le faire, mais la levée
précoce des mesures de confinement
coûtera probablement aux États-Unis de
nombreuses vies humaines.
La peur contribuera
à annuler cette décision politique
hâtive. L’actualité continuera de
signaler de nouvelles flambées massives
dans telle ou telle partie du pays. La
peur continuera donc également et les
gens continueront à prendre leurs
distances les uns par rapport aux
autres. Il est difficile d’estimer dans
quelle mesure cela contribuera à
ralentir l’épidémie.
Il existe
maintenant des preuves que l’été
apportera un certain soulagement au
déferlement des mauvaises nouvelles. Une
étude avec des données de 166 pays et
publiée dans Science of The Total
Environment révèle :
Une augmentation de
1° C de la température était associée à
une réduction de 3,08% (Intervalle de
confiance - IC - à 95%: 1,53%, 4,63%)
des nouveaux cas quotidiens et de 1,19%
(IC à 95%: 0,44%, 1,95%) des nouveaux
décès quotidiens, alors qu'une
augmentation de 1% de l'humidité
relative était associée à une réduction
de 0,85% (IC à 95%: 0,51%, 1,19%) des
nouveaux cas quotidiens et de 0,51% (IC
à 95%: 0,34%, 0,67%) des nouveaux décès
quotidiens . Les résultats sont restés
robustes lorsque différentes structures
de décalage et l'analyse de sensibilité
ont été utilisées. Ces résultats
fournissent des preuves préliminaires
que la pandémie de COVID-19 peut être
partiellement supprimée avec
l'augmentation de la température et de
l'humidité. Cependant, des mesures
actives doivent être prises pour
contrôler la source de l'infection,
bloquer la transmission et empêcher une
nouvelle propagation de COVID-19.
Un été chaud et
humide devrait réduire le nombre de
nouveaux cas de Covid-19. Mais après
l’été viennent l’automne et l’hiver au
cours desquels nous verrons probablement
un nouveau pic. La peur sera de retour,
les distances sociales seront à nouveau
pratiquées et les dégâts économiques
augmenteront encore.
Nous avons eu
l’occasion de faire autrement. La Chine
nous a donné le temps de prendre les
bonnes mesures. Elle a, comme Hong Kong,
le Vietnam, la Corée du Sud et la
Nouvelle-Zélande, pratiquement éradiqué
la maladie dans ses frontières. Ces pays
ont maintenant un avantage qui sera
difficile à rattraper.
Moon of Alabama
Traduit par jj,
relu par Wayan pour le Saker Francophone
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